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Préface à 'Le potentiel éthique de l’efficacité. Responsabilité et contingence'

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-01475776

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Submitted on 24 Feb 2017

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Préface à ’Le potentiel éthique de l’efficacité.

Responsabilité et contingence’

Bernard Reber

To cite this version:

Bernard Reber. Préface à ’Le potentiel éthique de l’efficacité. Responsabilité et contingence’. Le potentiel éthique de l’efficacité, John Wiley & Sons, pp.9 - 13, 2015, 9781784051013. �hal-01475776�

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Préface

Le titre de cet ouvrage intrigue autant qu’il promet. En effet, il sous-entend plusieurs thèses qui prennent à rebrousse-poil certaines habitudes de pensée qui sévissent autant en philosophie que dans les études des rapports entre innovation, recherche et responsabilité. Premièrement, l’efficacité n’est pas opposée à l’éthique. Deuxièmement, l’efficacité comporte une dimension éthique. Troisièmement, ce potentiel éthique peut être confirmé et développé.

Le sous-titre inscrit le problème de la responsabilité en solidarité avec celui de la contingence. Les réponses aux trois premières questions seront donc données en fonction du problème de la contingence, abordées autant sérieusement que sereinement.

Je me réjouis que pour des raisons contingentes, entendues ici au sens faible, ce soit le livre de Virgil Cristian Lenoir qui inaugure cette série.

Premièrement, il aborde très en amont le problème posé par la conception de politique scientifique et managériale de l’innovation et de la recherche responsables (RRI), et même celle plus ancienne de la responsabilité sociétale des entreprises voire de la responsabilité pour une civilisation technologique comme le disait le philosophe Hans Jonas. Deuxièmement, tant par les auteurs discutés que par la façon d’entrer en matière sur ces sujets, la perspective est ici très neuve, fortement problématisée et évite la redondance de textes aux thèses assez sommaires sur le plan philosophique dans les communautés de recherche ayant travaillé dans ces deux domaines, au demeurant aussi importants que sensibles. Troisièmement, au-delà de ces deux domaines, et dans l’hypothèse où la RRI ne réussirait pas à être mise en place par la Commission européenne et à s’imposer, la réflexion menée ici

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ne perdrait aucunement sa pertinence, tant pour la réflexion philosophique pour elle-même que comme aide dans la compréhension de nos existences dans leur quotidienneté et dans les actions collectives les plus complexes et les plus instrumentées. En effet, la méditation qui suit est serrée, dense et puissante. Si sa lecture est exigeante, elle offre en échange beaucoup de pistes novatrices pour sortir de l’opposition entre éthique et efficacité ou encore pour prendre à bras le corps la question de la contingence ou celle de la justice à trouver entre des logiques qui sont aujourd’hui séparées en autant de sphères. De même, le périmètre de questionnement est large et profond.

Le style clair, souvent parsemé de trouvailles pour forger de nouvelles catégories de pensée, offre un appui tout autant qu’il invite à aborder les problèmes posés de façon radicale, au sens de « pris à la racine », en amont dira l’auteur. Il a même appuyé sa stratégie d’exposition sur une ponctuation à propos de laquelle il s’explique, à même de souligner l’ouverture et le mouvement cohérent de la pensée des problèmes traités. Si la pensée et la mise en scène de l’argumentation sont personnelles, des auteurs importants sont présentés et, souvent, certaines de leurs limites sont dépassées. On y trouve notamment Luhmann, Rawls, Bourdieu, Sen, Pareto, Roemer, Kolm, Delmas-Marty, Arendt, Walzer, Leibniz, Deleuze et Hegel, abondamment exploité pour les questions de la contingence et de l’efficacité. Ces philosophes trouvent même parfois leur place au sein de l’argumentation de l’auteur, sollicités par sa logique même, sur son modèle de l’explicitation d’une condition nouvelle qui entraîne des explorations plurielles, à la suite d’une écoute sincère, ou encore sous la forme d’adaptations réciproques et de redéfinitions mutuelles. Le domaine de l’économie et sa version plus régionale de l’économie normative sont très présents dans l’ouvrage au même titre que le droit et son sous-domaine de la philosophie du droit. Ces disciplines sont requises notamment pour penser le problème de la justice.

Un dernier atout de ce travail réside dans le test d’universalité offert par une comparaison avec une version établie de confucianisme chinois. Si des comparaisons et des projets autour de la RRI prennent en charge l’aire chinoise, elle est ici appréhendée par certaines de ses œuvres culturelles beaucoup plus conceptuelles. L’auteur, modeste, est pourtant prudent dans le délicat travail de comparaison. Il réussit bien à montrer en quoi cette pensée est inspirante pour nous occidentaux, et, en même temps, montre les différences et les limites de celle-ci.

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Si la méditation philosophique exposée ici est dense, je n’entends pas la résumer en trois pages en soustrayant des parties ici et là. Je me contenterai de souligner certains acquis, bienvenus pour la philosophie et pour les travaux portant sur la RRI.

Cet ouvrage pense l’éthique de l’efficacité au sein des logiques d’action ou des systèmes (économiques, politiques, juridiques, scientifiques, par exemple). Il évite donc que des analyses empiriques ou théoriques de la RRI, fussent-elles très informées, n’en restent qu’à des abstractions extérieures à ces logiques ou à des répétitions. Il invite au contraire à penser la possibilité et les modalités de la traduction d’une éthique pour l’efficacité au sein et entre ces systèmes. Comme le dit Virgil Cristian Lenoir : « Le penser de l’efficacité est un penser des logiques ». Logique est ici comprise comme un ordre transformé qui déploie une temporalité accélérée tout en s’appauvrissant dans sa détermination. La précision devenant unilatérale, on voit apparaître une pluralisation de logiques efficaces fractionnées, disjointes et autonomes, rendant le potentiel intégratif toujours plus difficile. Ces logiques d’action et de vérité, relancent toujours plus loin les intérêts (individuels et collectifs), remettent en cause tout ordre, et mettent aujourd’hui en danger un ordre que l’on croyait stable : les écosystèmes et plus largement l’environnement.

Poussée par l’instabilité des autres logiques, chaque logique laissée à elle- même, continue son déroulement sans fin. Dans une attention sincère, l’auteur invite donc à penser ces logiques entre elles, dans le milieu où elles prennent leur essor, dans le rapport de leurs différences et dans la situation où l’on se trouve pris.

Il distingue alors logiques de stabilisation et logiques d’expansion. Les premières conservent, parfois corrigent (par exemple des inégalités) ou distribuent durablement des droits et des devoirs acceptables, quand les secondes ont pour but d’améliorer toujours plus le rapport des résultats finaux et des objectifs visés propres à chaque logique. C’est le cas par exemple des logiques de l’accroissement du profit en régime de concurrence, avec, au niveau de la gouvernance, les principes du New Public Management ou encore au niveau philosophique, l’exemple abstrait de « l’ordre spontané » hayékien, constitué de quelques règles nécessaires à une concurrence non faussée.

Par ailleurs, selon l’auteur le correctif éthique ne doit pas être recherché dans un nouvel ordre, donné ou inventé, abstrait qui forgerait lui-même une

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logique séparatrice. En effet, il faut arriver à montrer la possibilité et les modalités d’une influence éthique sur les logiques efficaces. La question d’une recherche et d’une innovation responsables trouverait alors un cadre général où s’inscrire, en même temps que des catégories opératoires et des repères qui assoiraient sa légitimité.

Adoptant une position méta-éthique, l’auteur propose de distinguer entre a) efficacité, b) effectivité et c) efficience. En effet, ces trois temps doivent offrir la structure problématique de la question d’un correctif éthique aux logiques efficaces. a) L’efficacité est une aptitude à atteindre des résultats visés. Comprise comme logique, l’efficacité est un mouvement implacable et cohérent. Paradoxe : elle détruit sa maîtrise de la contingence dans l’exacte mesure où elle la construit. Par « logique », l’auteur entend la cohérence d’une contrainte construite par une rationalisation qui oriente l’action coordonnée d’un ensemble d’agents, tout en leur échappant. Il s’agit donc d’une cohérence déterminée, intelligible et transmissible, qui a des effets systématiques. L’efficacité a donc un rapport qui n’est pas essentiel avec les buts individuels qu’elle suppose en les outrepassant. b) L’effectivité se détache d’une critique extérieure, qui n’est qu’une répétition abstraite de ce qui est critiqué. L’effectivité peut être comprise comme une réélaboration de la Wirklichkeit hégélienne, qui distinguerait entre effectif et rationnel. Virgil Cristian Lenoir reprend ici cette catégorie oubliée en philosophie et lui consacre en particulier le chapitre trois. En effet, l’effectivité n’est plus à même d’opérer l’intégration éthique de l’efficacité. D’abord, parce que les logiques efficaces sont autonomisées, pluralisées, et expansives et, ensuite, parce que les Etats déploient désormais des logiques efficaces, au même titre que les entreprises. On a donc affaire à un fractionnement des volontés, persévérant chacune dans leurs sens. c) L’efficience, qui reste largement à faire, serait la réalisation de la coappartenance essentielle des deux lignes qui s’opposent à la contingence. Mais Virgil Cristian Lenoir propose de ne pas vouloir échapper à la contingence pour la retrouver au cœur de ces deux tentatives pour la maîtriser. C’est peut-être là la condition pour les sauver d’elles-mêmes l’une par l’autre, pour les ajuster l’une à l’autre. C’est donc, selon lui, une connaissance philosophique de la contingence qui nous aiderait à surmonter les dérives engendrées par les tentatives trop unilatérales pour la maîtriser. Il invite à passer à une approche confiante de la contingence, avec ses promesses et ses deuils. Cette disposition est appelée sincérité. Une attention sincère est attendue également pour les rapports des différentes

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logiques efficaces. L’éthique, comme liberté réalisée et effective, pourra alors influencer le déroulement des logiques efficaces. Cependant, cette fois-ci, à cause d’une sincérité attentive aux déséquilibres et méfiante par rapport aux partialités et aux biais de théorisations seulement techniques et formels des conditions, ces logiques ne cesseraient pas de se ressourcer dans ce qu’il appelle « l’innervation éthique », terme qu’il emprunte à la philosophie chinoise. Cette innervation est marquée par le souci de la viabilité du possible. Nous pourrions prolonger ce souci de l’auteur avec le principe de précaution qui vise à éviter l’irréversibilité des dommages.

Non conçue comme triviale (considération exclusive de conditions d’action efficace) ou au contraire comme arrachement (adhésion à des valeurs hors contexte), cette éthique rassemble de façon complémentaire déterminations morales et logiques efficaces.

Le problème de la responsabilité est donc abordé dans toute sa radicalité très en amont, sous l’aspect de la possibilité d’une influence éthique sur des logiques efficaces dont on a vu que les déroulements pouvaient engendrer des injustices systématiques. Le concept d’une réalisation éthique de la liberté, lorsqu’il s’applique à des questions de justice, peut être qualifié comme conduite responsable.

On peut donc espérer qu’avec ce premier ouvrage, certaines fausses oppositions soient abandonnées. Plus positivement, il offre non seulement des reconfigurations de l’efficience riches, pertinentes et nouvelles, mais dont on voit les promesses pour une innovation et une recherche responsables. Toute tentative de définition, de fourniture de codes de bonnes pratiques, ou même de descriptions des processus de RRI dans les contextes les plus variés, s’enrichirait d’une telle lecture, et même, ne pourrait pas en faire l’économie, au risque de perdre le mouvement, l’innervation éthique, que je pourrais nommer « innovation éthique ».

Bernard REBER

Directeur de recherche au CNRS Centre de recherches politiques de Sciences Po, Paris

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