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La Chanson d’Otinel  : édition complète du corpus manuscrit et prolégomènes à l’édition critique

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Academic year: 2021

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manuscrit et prolégomènes à l’édition critique

Jean-Baptiste Camps

To cite this version:

Jean-Baptiste Camps. La Chanson d’Otinel  : édition complète du corpus manuscrit et prolégomènes à l’édition critique. Littératures. Université Paris-Sorbonne - Paris IV, 2016. Français. �tel-01664932�

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ÉCOLE DOCTORALE : Mondes anciens et médiévaux

Laboratoire « Études et édition de textes médiévaux » (

)

THÈSE

pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE Discipline : études médiévales

Présentée et soutenue par :

Jean-Baptiste C

maître ès lettres

le : décembre

La Chanson d’Otinel

Édition complète du corpus manuscrit et

prolégomènes à l’édition critique

Tome Iᵉʳ

Introduction

Sous la direction de :

M. Dominique B — Professeur à l’Université de Paris-Sorbonne

Membres du jury :

Mᵐᵉ Maria C T — Professeur à l’Université de Paris-Sorbonne M. Giovanni P — Professeur ordinaire à l’Université de Namur

M. François S — Professeur émérite à l’Université de Paris Ouest Nanterre Mᵐᵉ Françoise V — Professeur émérite à l’École nationale des chartes

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Se rattachant à la geste du roi, la Chanson d’Otinel n’avait pas été rééditée depuis le travail pionnier de F. Guessard et H. Michelant en . Partant des objets tangibles que sont les manuscrits, pour aller vers l’étude de la tradition et de l’œuvre, ce travail se propose de réexaminer l’ensemble des données disponibles touchant à cette geste et à sa circulation, en vue de permettre la restauration d’une œuvre qui a connu une diffusion importante dans l’Europe médiévale, mais que nous ne conservons qu’en l’état de vestiges épars (manuscrits lacunaires ou abrégés, agments, traductions médiévales, chroniques et versions dérivées). La thèse prend un parti résolument méthodologique, en cherchant à faire bénéficier l’édition des progrès épistémologiques engendrés, d’une part, par les contributions les plus récentes aux débats propres à l’ecdotique et à la critique textuelle, et, d’autre part, par ce qu’il est convenu d’appeler les « humanités numériques ».

Du point de vue de la critique textuelle, l’édition tente ainsi de dépasser le débat entre « nouvelle » philologie (New Philology) et philologie traditionnelle, qu’elle repose sur la méthode des fautes communes ou soit d’inspiration bédiériste, pour se placer dans la pers-pective d’une « quatrième voie » et d’une édition « tournée vers la tradition », qui fournisse également un accès au système graphique des différents témoins. Pour ce faire, sont sollici-tées les techniques de l’édition électronique et de la philologie numérique, afin de fournir une édition complète du corpus manuscrit, qui, par des transcriptions « à couches », donne accès à différentes représentations du texte. Dans le même temps, l’édition vise également à la description et l’analyse des liens que ces témoins entretiennent entre eux, en mettant en place une méthode de représentation de la variance textuelle et en cherchant à appuyer l’ana-lyse généalogique sur une prise en compte globale de la tradition, incluant les traductions médiévales (galloises, norroises, anglaises) et l’ensemble des versions dérivées.

Le travail de modélisation et de description des manuscrits et de leurs textes, formalisé par un modèle / conçu pour les besoins de cette édition mais se voulant de portée plus générale, est très nettement tourné vers l’exploitation des données, dans une perspective d’analyse quantitative, doublée d’une approche plus traditionnelle, touchant notamment aux champs de la paléographie quantitative, de la scriptométrie et de la stemmatologie. Tout au long du travail, des méthodes relevant de la modélisation mathématique, de la statistique, de l’algorithmique et de l’intelligence artificielle sont mises en œuvre. Des traitements visant à permettre l’interopérabilité, la montée en masse et la systématisation du travail éditorial sont également déployés, en particulier dans le domaine de la reconnaissance optique de caractères, l’annotation linguistique et la collation assistée par ordinateur, ainsi que dans la mise en place d’une chaîne éditoriale faisant la part belle à l’exploitation des données ; d’un point de vue technique, le travail donne lieu à des développements principalement en

/ , , et Python.

Citation : Jean-Baptiste Camps, La ‘Chanson d’Otinel’ : édition complète du corpus

manus-crit et prolégomènes à l’édition manus-critique, dir. Dominique Boutet, thèse de doctorat, Université

Paris-Sorbonne, Paris, .

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La Chanson d’Otinel

Édition complète du corpus manuscrit et

prolégomènes à l’édition critique

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(ossia economica) che colleghi in sistema i dati.

Gian anco Contini

(« Ricordo di Joseph Bédier », Letteratura, III, , p. – , à la p. ).

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Remerciements

M

remerciements vont tout d’abord à Dominique Boutet, qui a bien voulu diriger mes recherches, ainsi qu’à Françoise Vielliard, qui m’a lancé sur la piste d’Otinel, après celle des chansonniers de troubadours. Sans eux, ce travail n’aurait pas été possible.

J’exprime également ma gratitude à Giovanni Palumbo, qui m’a généreusement accordé de son temps, ainsi qu’à François Suard et Maria Colombo Timelli. Je tiens aussi à remer-cier très chaleureusement Pierre-Yves Lambert, professeur de Philologie celtique à l’École pratique des hautes études, sans qui j’aurais été incapable de tirer un quelconque profit des textes gallois, si importants, d’Otinel, ainsi que Maria Careri, professeur de Philolo-gie romane à l’Université de Chieti, dont les conseils m’ont été très utiles pour l’étude des manuscrits, et Dominique Stutzmann, chargé de recherche à l’Institut de recherche et d’histoire des textes, pour son aide dans la mise en place des transcriptions allographétiques. S’il est difficile de remercier ici tous ceux qui, au cours d’un projet de si longue haleine, ont enrichi ce travail par leurs observations et leur aide, il m’est néanmoins impossible de ne pas remercier Marianne Ailes, Senior Lecturer à l’Université de Bristol, Tara Andrews, professeur d’Humanités numériques à l’Université de Vienne, Pascale Bourgain, professeur émérite d’Histoire et tradition manuscrite des textes littéraires à l’École des chartes, Paolo di Luca, chercheur en philologie romane à l’Université de Naples, Frédéric Duval, profes-seur de Philologie romane à l’École des chartes, Stéphane Gioanni, directeur des études à l’École ançaise de Rome, Hans Goebl, professeur émérite à l’Université de Salzburg, Mike Kestemont, docent à l’Université d’Anvers, Alexei Lavrentiev, ingénieur de recherche au laboratoire , Aude Mairey, chargée de recherche au Laboratoire de médiévistique oc-cidentale de Paris, Sophie Prévost, chargée de recherche au , Marie-Laure Savoye, ingénieur de recherche à la Section romane de l’ , Marc H. Smith, professeur de Pa-léographie à l’École des chartes, et Achim Stein, professeur de Romanistique à l’Université de Stuttgart.

Ces remerciements ne seraient pas complets s’ils n’incluaient pas, pour leur aide sur les archives de la Lozère, Alice Motte, jadis directrice des Archives départementales, Antoine Meissonnier et Fernand Peloux, ainsi que Maria E. Gerhardhinger, conservatrice des Musei

Civici di Treviso. Il me faut aussi remercier ici les trois stagiaires du projet , Elena Albarran Fernandez, Alice Cochet et Lucence Ing.

Enfin, ces remerciements vont à ceux qui, après avoir beaucoup trop entendu parler d’Otinel, ont néanmoins accepté de me faire part de leurs remarques, et particulièrement à Jean-Charles Bedague, Laurie Benevent, Solenne Billard, Florian Cafiero, Chloé Chalu-meau, Gilles Couffignal, Florian Forestier, Alexandre Leduc, Francesco Montorsi, Baptiste Nichele, Sarah Orsini, Hélène Rochas, Philippe Pons et Florys Castan-Vicente.

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Sigles

Les sigles employés pour les textes médiévaux d’oïl, sous la forme RolS, IpH, MarieFab,…, sont ceux de la D B É .

The Anglo-Norman Dictionary, éd. Stewart Gregory, William Rothwell et

David A. Trotter, Aberystwyth et Swansea, , : http://www. anglo-norman.net/.

- W (Andrew George), Catalogue of Dated and Datable Manuscripts c.

- in the Department of Manuscripts, the British Library, t.,

Lon-don, .

- . R (Pamela Rosemary), Catalogue of Dated and Datable

Manus-cripts c. - in Cambridge libraries, t., Cambridge, .

Classiques ançais du Moyen Âge : collection de textes ançais et provençaux antérieurs à , dir. Mario Roques, Paris, .

S (Charles) et M (Robert), Catalogue des manuscrits en

écriture latine : portant des indications de date, de lieu ou de copiste, dir.

Comité international de paléographie, Paris, .

D B É M (Frankwalt) et M (Elena), Dictionnaire Étymologique de

l’Ancien Français : Bibliographie, complément bibliographique. Elektronische Fassung (DEAFBiblÉl), Heidelberg, , : http://www.deaf-page.de/bibl_neu.php.

Dictionnaire des lettres ançaises : le Moyen Âge, dir. Geneviève Hasenohr,

Michel Zink, Robert Bossuat, Louis Pichard et Guy Raynaud de Lage, Paris, .

ATILF - CNRS et U L , Dictionnaire du Moyen

Fran-çais (DMF ), Nancy, , : http://www.atilf.fr/dmf.

W (Walther von), Französisches Etymologisches Wörterbuch : eine

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dir. Pascale Renders, Leipzig, , : https://apps.atilf.fr/ lecteurFEW/(visité le / / ).

G (Frédéric), Dictionnaire de l’ancienne langue ançaise et de tous

ses dialectes, du IXᵉ au XVᵉ siècle : composé d’après le dépouillement de tous les plus importants documents manuscrits ou imprimés qui se trouvent dans

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les grandes bibliothèques de la France et de l’Europe, t., Paris, , : http://micmap.org/dicfro/search/dictionnaire-godefroy/ (visité le / / ).

Grundriss der romanischen Literaturen des Mittelalters, dir. Hans Robert

Jauss et Erich Köhler, avec la coll. de Jean Frappier, Martin De Riquer et Aurelio Roncaglia, Heidelberg, .

Lexikon der romanistischen Linguistik, dir. Günter Holtus, Michael Metzeltin

et Christian Schmitt, t., Tübingen, .

Monumenta Germaniae Historica : inde ab anno Christi quingentesimo usque ad annum millesimum et quingentesimum, éd. Societas aperiendis fontibus

rerum Germanicarum Medii Aevi, Hannovre [puis] Münich, , : http://www.dmgh.de.

The Oxford Dictionary of National Biography, dir. H. C. G. Matthew et

Brian Harrison, Oxford, , : http://www.oxforddnb.com/.

Patrologiae cursus completus … Series Latina, éd. Jacques Paul Migne,

Pa-risiis, .

M -L (Wilhelm), Romanisches etymologisches Wörterbuch, Hei-delberg, , : http://archive.org/details/romanischeset ymo00meyeuoft(visité le / / ).

Publications de la Société des anciens textes ançais, dir. Société des anciens

textes ançais, Paris, .

T (Adolf ) et L (Erhard Friedrich), Alt anzösisches

Wör-terbuch : édition électronique, dir. Peter Blumenthal et Achim Stein,

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Avant-propos

Plus de ans ont passé depuis qu’en , Francis Guessard et Henri Michelant ont donné la première et, jusqu’à aujourd’hui, la seule édition de la chanson de geste d’Otinel. Premiers éditeurs, ils furent aussi vraisemblablement les premiers critiques à prononcer, pour ce texte, un verdict de médiocrité, que n’ont guère démenti depuis les rares études qui l’ont envisagé :

On souhaiteroit que le caractère et le rôle d’Otinel fussent aussi nouveaux que son nom ; mais le plus grand mérite du poëme composé à sa gloire est d’être très court. Il n’y faut chercher aucune de ces beautés natives qui éclatent dans les plus anciennes chansons de geste. C’est une œuvre de la décadence, intéressante toutefois à ce titre, et comme terme de comparaison, pour le critique et pour l’historien littéraire ¹.

La pérennité de ce premier jugement doit peut-être beaucoup à sa reprise par les dic-tionnaires d’histoire littéraire, qui ont généralement également eu à cœur de souligner le caractère conventionnel, voire sentant le métier, du style et de la narration, et le manque de fond historique ou traditionnel, depuis la notice de Paulin Paris en ,

Cette chanson a le mérite d’être assez courte (…). C’est une sorte de branche parasite des vigoureuses tiges d’Ogier, d’Aspremont et de Roncevaux, dans laquelle ont passé quelques rares filets de la première séve (…) la versification est au moins régulière et assez élégante. Les éléments en ayant été recueillis dans les gestes les plus populaires, on ne doit pas s’étonner que la vogue n’en ait pas été de longue durée, l’auteur n’ayant pas eu le talent de faire oublier les originaux qu’il avait mis à contribution. Cependant elle paraît avoir eu, dans les contrées voisines, une chance meilleure ².

jusqu’à celle de Ronald N. Walpole dans le Dictionnaire des Lettres ançaises,

Il y a dans Otinel fort peu de chose qui soit historique ou traditionnel. (…) Au-delà des Alpes, Atilie et le reste, tout est inventé. C’est une chanson faite surtout d’imitations, où sont exploités des thèmes connus et sans doute

. Otinel : chanson de geste, publiée pour la première fois, d’après les manuscrits de Rome et de Middlehill, éd. François Guessard et Henri Michelant, Paris, (Les anciens poëtes de la France, , ), p. .

. Paulin Paris, « Otinel », Histoire littéraire de la France, ( ), p. – , aux p. - .

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applaudis : l’ambassadeur insolent, le païen converti, l’amour entre un païen et une chrétienne. Le poète ne s’attarde pas à des raffinements psychologiques ; il se contente d’un mécanisme grossier pour conduire l’action dramatique de son récit. Le poème manque totalement de grandeur et de pathétique. Son style a pourtant le plus souvent une allure rapide ; les scènes d’ambassade, d’adoube-ment, de combat, sont assez vivement enlevées, et il y a de la tendresse dans les gestes et paroles de Belissent. La chanson semble avoir eu peu succès en France. Elle y fut peut-être éclipsée par Fierabras qui lui ressemble beaucoup. (…) C’est à l’étranger qu’Otinel trouva sa plus grande popularité. (…) Ce qui est sûr, c’est que nous voyons toujours transparaître derrière la masse des variantes de forme et de détail le même poème médiocre que nous présente l’Otinel

ançais ³.

À con onter ces deux jugements, qui donnent l’impression d’une forme de fixité, on pourrait se demander si, entre et , l’état des connaissance et la critique de la chan-son ont beaucoup progressé. Force est d’avouer que, du point de vue philologique, les dernières années n’ont pas vu paraître de nouvelle édition.

Lors de sa parution, Otinel figure au sein du volume inaugural de l’ambitieux et novateur projet éditorial que sont les Anciens poëtes de la France, dont l’objectif était de commencer par faire paraître quarante volumes de chansons de geste du « cycle carlovingien », ou plus exactement trente-huit volumes contenant cinquante sept chansons, d’Acquin à Witi nd, et deux volumes contenant « le tableau bibliographique, l’inventaire complet de tous les grands poëmes chevaleresques du moyen âge : chansons de geste ou poëmes d’aventure, De France,

de Bretagne et de Rome la grant, selon la division établie vers par Jehan Bodel », le tout devant être complété à terme par un glossaire général ⁴. Les grandes lignes de ce projet ont été tracées par décret impérial du février , sous l’impulsion d’Hippolyte Fortoul, Ministre de l’Instruction publique, qui en confie la réalisation à une commission réunissant le Marquis de La Grange, Gustave Rouland, Francis Wey, Henri Michelant, Servaux et bien sûr Francis Guessard, professeur de philologie romane à l’École impériale des chartes, qui assume la direction de ce qui est alors annoncé comme le premier « recueil » de publications

. Ronald N. Walpole, « Otinel », dans Dictionnaire des lettres ançaises : le Moyen Âge, dir. Geneviève Ha-senohr, Michel Zink, Robert Bossuat, Louis Pichard et Guy Raynaud de Lage, Paris, (ci-après ), p. – , à la p. .

. On avait renoncé à donner un glossaire pour chaque texte, la raison avancée étant de ne pas « grossir dé-mesurément des volumes qui contiendront souvent jusqu’à quinze mille vers ». Voir les pages, très instructives pour l’histoire de la collection, qui figurent, reliées, en tête de l’exemplaire de la Bibliothèque de l’Université du Michigan du vol. , et proviennent vraisemblablement du prospectus envoyé avec les exemplaires ; Hugues

Capet, chanson de geste publiée pour la première fois d’après le manuscrit unique de Paris, éd. É́douard Lelièvre

de La Grange, Paris, (Anciens poëtes de la France, ), : https://archive.org/details/ lesancienspoete00frangoog(visité le / / ), ici à la p. . Ce texte paraît au moins en partie dû à l’éditeur L. Herold, successeur d’A. Franck (cf. p. , « notre maison joindra ses efforts à ceux de la Comis-sion ») et est daté du mai . La liste complète des textes dont la publication était envisagée se trouve aux p. - .

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– nous dirions plutôt le premier cycle – concernant les chansons de geste ⁵. Cette collection est alors lancée au sein de la « Bibliothèque elzevirienne ». Un an plus tard, après une interruption due à des « circonstances regrettables » qui ont laissé craindre l’interruption du projet ⁶, en , la collection change d’éditeur et republie son premier volume ⁷. Le rythme de publication est au début très soutenu – trois volumes contenant cinq chansons en , trois volumes et trois chansons en –, puis se ralentit, avec un seul volume en , , puis un en , et . Si le projet initial, qui ne se limitait pas aux chansons de geste, avait été restreint à ces dernières pour le rendre plus réalisable ⁸, il ne s’achèvera néanmoins pas et seuls dix volumes du premier « recueil » verront le jour, contenant treize chansons, de Gui de Bourgogne à Aliscans. L’impulsion donnée par cette collection fut néanmoins beaucoup plus pérenne et décisive que la collection elle-même.

De son lancement à son interruption définitive par les « événements de - » – quoiqu’elle ait déjà fonctionné au ralenti dans les années précédant la guerre – ⁹, la collection des préfigure les grandes collections de textes ançais médiévaux, comme ceux de la

Société des anciens textes ançais qui prend sa suite à partir de , à une période où l’objectif principal de ces collections est de constituer un public d’amateurs éclairés de notre ancienne littérature ¹⁰ – somme toute, de créer un marché permettant de financer des éditions –, ce qui explique sans doute le petit format in- dans lequel ils sont imprimés, et de donner à lire au plus tôt des textes demeurés inédits et inaccessibles, en dehors des manuscrits qui les contiennent et des transcriptions manuscrites de ces derniers qui ont pu circuler – ce qui

. Ibid.

. Ibid., p. ; nous n’en savons pas plus sur celles-ci.

. Le volume contenant Otinel paraît avoir été édité deux fois : la première édition est datée de , et parue chez « P. Jannet, Libraire », au sein de la « Bibliothèque elzevirienne », la seconde de , chez « F. Vieweg, Libraire-Éditeur / Maison A. Franck ».

. Ibid., p. - , « c’était, en effet, une magnifique promesse, mais plus facile à faire qu’à tenir : aussi a-t-on pu se demander, à la vue du vaste plan tracé par M. Fortoul, si le ma-t-onument serait jamais achevé. C’est à S. Exc. M. Rouland que revient l’honneur d’avoir dissipé ces craintes et facilité la réalisation du beau projet conçu par son prédécesseur (…) sa prudence a d’abord limité l’entreprise en la bornant, quant à présent, à la publication des plus anciens poëmes, de ceux qui forment le cycle de France, ou cycle carlovingien ».

. Doon de la Roche : chanson de geste, éd. Paul Meyer et Gédéon Huet, Paris, (SATF), p. . On notera que le volume sur Renaut de Montauban, par Michelant, dont la parution était annoncée (Hugues

Capet…), a été publié ensuite par lui en Allemagne, dans une collection dans laquelle, deux ans plus tard,

publiera également Paul Meyer ; Renaus de Montauban oder die Hamons nder : alt anzösisches Gedicht, nach

den Handschri en, éd. Henri-Victor Michelant, Stuttgart, Allemagne, (Bibliothek des Litterarischen

Vereins in Stuttgart, ) ; Barlaam und Josaphat, anzösisches Gedicht des dreizehnten Jahrhunderts von Gui de

Cambrai nach den hl. Johann Damascenus, nebst Auszügen aus mehreren andern romanischen Versionen, éd. P.

Meyer et Hermann Zotenberg, Stuttgart, (Bibliothek des Litterarischen Vereins in Stuttgart, ), : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30649968h(visité le / / ).

. Voir Hugues Capet…, notamment p. - . Cet objectif conditionnera encore l’établissement par Paul Meyer des règles de transcription des textes ançais médiévaux, comme le rappelle Frédéric Duval, « Trans-crire le ançais médieval : de l’ ‘instruction’ de Paul Meyer à la description linguistique contemporaine »,

Bibliothèque de l’École des chartes, ( ), paru en , p. – , aux p. et . Sur ce sujet, voir

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explique le choix apparent de faire paraître en priorité les textes encore inédits plutôt que ceux bénéficiant déjà d’une certaine estime – ¹¹, tout en exaltant le sentiment patriotique et en exhumant les trésors de la littérature nationale ¹². Ces deux derniers aspects justifient d’ailleurs en partie le choix d’Otinel pour le premier volume, sachant qu’un des objectifs avoués du « recueil » est de permettre de :

juger en dernier ressort une cause déjà gagnée à beaucoup d’égards, mais encore en litige sur quelques points obscurs, parce que la partie la plus intéres-sée a négligé de produire toutes les pièces du procès : cette cause, c’est celle de l’influence ançaise et de son ancienneté. Quand on connaîtra mieux toutes ces inventions des trouvères, tous ces récits merveilleux, dont la plupart ont eu jadis une vogue universelle et ont laissé, même à l’étranger, des souvenirs qui ne sont pas encore éteints, il faudra bien confesser que l’Europe n’a pas commencé seulement au dix-septième siècle à sentir l’ascendant de la France, à l’écouter et lui faire écho. Il faudra bien admettre que son ancienne littéra-ture s’est imposée à tous, aussi bien que la moderne, qu’elle a pénétré partout, jusqu’en Islande, jusque chez les populations slaves, et que partout, comme en France, après avoir charmé et entretenu dans les plus nobles sentiments les rangs élevés de la société, elle a servi, sous une forme vulgaire, à récréer les classes inférieures, qu’elle intéresse encore ¹³.

En outre, l’union d’Otinel, Floovant et Gui de Bourgogne au sein d’un même volume, si elle n’est pas justifiée explicitement dans les préfaces, répond peut-être néanmoins à une forme d’association souple ressentie entre les textes, sans qu’un critère exact en soit donné ¹⁴.

Simples, ces éditions ont néanmoins rendu bien des services fournissant l’accès à un texte pour de nombreuses chansons inédites. Mais leurs qualités – fidélité à un manuscrit, distinction des corrections par des crochets, signalement de certaines variantes – font aussi leurs défauts, en ce qu’elles n’offrent que de minces matériaux critiques, et ne donnent que partiellement accès à la tradition des textes et aux variantes des autres témoins. D’un point

. Hugues Capet…, p. , insiste sur notamment sur le caractère, pour ces textes, de sources pour les archéologues, philologues, historiens, et sur l’inspiration qu’ils pourraient donner aux poètes contemporains. . Cette idée apparaît plusieurs fois dans la collection ; voir notamment, Ibid., p. , « nous avons la confiance que ce Recueil intéressera vivement tous les esprits curieux, tous ceux qui ne se confinent pas dans l’admiration des classiques, et, sans parti pris ni préjugés d’école, veulent étudier aux différents âges les manifestations diverses, mais toujours originales, du génie de la France. Ils donneront leur adhésion et leur concours à une entreprise qui répond aux besoins de la science, et qui, au point de vue ançais, satisfait un sentiment patriotique. C’est aux applaudissements de tous que nous avons vu, de nos jours, après un long et indigne abandon, restaurer les beaux monuments que l’on doit à l’architecture du moyen âge. Pourquoi donc la même faveur serait-elle refusée à une restauration analogue des monuments poétiques de la même époque ? ».

. Ibid., p. - .

. Ibid., p. , « On ne saurait non plus promettre au public que les poëmes réunis dans un même volume auront entre eux un lien plus étroit que les autres ; on fera effort pour qu’il en soit ainsi, mais on ne saurait y réussir toujours, à cause de l’étendue très-variable des chansons de geste dont se composera le recueil ».

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de vue philologique, étant antérieures au développement en France de la méthode critique, arrivée d’Allemagne plutôt avec la génération suivante, celle de Paul Meyer et Gaston Paris, ces éditions perpétuent l’« empirisme » ecdotique humaniste, tel qu’on le verra resurgir sous une autre forme avec Bédier, par le choix du « meilleur » manuscrit, et sa reproduction fidèle, avec peu de corrections, mises en valeur par des artifices typographiques ¹⁵.

À l’époque de cette première édition d’Otinel, le manuscrit B, manuscrit de Middlehill, aujourd’hui manuscrit Bodmer, était alors en mains privées et en Angleterre. Guessard et Michelant, ayant obtenu la permission de Sir Thomas Phillipps, s’en étaient procurés une transcription aux bons soins de « M. le docteur Ch. Sachs, jeune savant allemand » ¹⁶, c’est-à-dire Karl Sachs, le futur grand romaniste et lexicographe, alors dans ses jeunes années et récemment docteur à la date de parution d’Otinel. Ce dernier avait été « chargé naguère par M. H. Fortoul d’une mission en Angleterre » ¹⁷. De cette « mission littéraire » ¹⁸ que lui avait confiée le Ministre de l’Instruction publique, il avait ramené divers matériaux, transcriptions et notices, dont certains furent publiés ¹⁹, et notamment une transcription d’Otinel, mais aussi de Doon de la Roche. Cette dernière ne paraît pas avoir satisfait Gues-sard : Sachs, annoncé, dans le prospectus joint au premier volume (Gui de Bourgogne, Otinel et Floovant), comme futur éditeur de Doon de la Roche aux , supposé paraître prochai-nement avec Fierabras ²⁰, ne l’est plus dans celui qui accompagne la parution de Gau ey, troisième volume, en , et dans lequel la parution de Doon est décalée au ᵉ vol. Comme le rapporte Gédéon Huet, « Guessard se méfiait, semble-t-il, de l’exactitude de la copie de Sachs ; il profita d’un voyage que fit en Angleterre M. G. Fagniez, alors élève de l’École des chartes, pour obtenir une révision du manuscrit. M. Fagniez fit des collationnements et des conjectures : le tout fut remis à M. Paul Meyer » ²¹. Guessard fut-il également insatisfait de la copie d’Otinel faite par le même Sachs ? Rien ne permet de l’établir. Toujours est-il,

. Al ed Foulet et Mary Blakely Speer, On editing Old French texts, Lawrence, (The Edward C. Armstrong monographs on medieval literature), p. - . Nous renvoyons également à notre traitement de la question dans Jean-Baptiste Camps, « Copie, authenticité, originalité dans la philologie et son histoire »,

Questes : revue pluridisciplinaire d’études médiévales, (janv. ), p. – , : 10.4000/questes.3535,

p. .

. Otinel, chanson de geste…, p. . . Ibid.

. Doon de la Roche…, p. .

. Carl Sachs, Beiträge zur Kunde alt anzösischer, englischer und provenzalischer Literatur aus anzözischen

und englischen Bibliotheken, Berlin, ; il y est question d’Otinel notamment aux p. et suiv. et de Waldef aux p. et suiv. Guessard a vraisemblablement eu connaissance de ces travaux, d’ailleurs publiés en , puisqu’il reprend ou critique implicitement certains aspects dans la préface de son édition (Otinel, chanson de

geste…, p. - ). Mais Sachs mentionne aussi le travail de collation effectué par Guessard entre sa

trans-cription et celle du ms. de Rome. Les deux contributions se font, en réalité, assez écho et laissent soupçonner les échanges qui ont eu lieu entre le jeune savant allemand et le maître ançais.

. Doon de la Roche…, p. , « dans le prospectus joint au volume des Anciens poëtes de la France qui parut en et qui contient Gui de Bourgogne, Otinel et Floovant, on annonce comme devant paraître : « Fiérabras par M. Kröber, Doon de La Roche, par M. le doct. Ch. Sachs ».

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néanmoins, qu’il choisit de ne pas utiliser le manuscrit de Middlehill comme manuscrit de base :

Ce manuscrit est complet, mais parfois si incorrect que nous avons dû renoncer à le publier en entier. Nous nous en sommes aidés seulement pour remplir les lacunes du manuscrit de Rome et pour en corriger le texte, qui n’est pas non plus très pur, mais qui, à tout prendre, est encore préférable à celui du manuscrit de Middlehill. Ce mélange de textes écrits dans des dialectes différents offre sans doute une fâcheuse bigarrure ; mais de deux inconvénients nous avons choisi le moindre ²²

Du nouveau fut néanmoins apporté dans les décennies qui suivirent, grâce à la découverte par Ferdinand André, archiviste de la Lozère, d’un agment de la chanson, servant de couverture à un registre. Ce agment fut publié par Langlois dans la Romania, et servit pendant longtemps, avec les variantes et passages repris du manuscrit B donnés par Guessard et Michelant, d’accès principal aux textes anglo-normands d’Otinel ²³.

Très novatrice lors de sa parution, l’édition de F. Guessard et H. Michelant ne suffit pourtant pas à satisfaire les besoins de connaissance de l’œuvre et de toute sa tradition. Elle propose ainsi de la chanson un texte composite, comblant les lacunes du manuscrit A avec le texte de B, mais sans donner accès à l’intégralité des deux versions. En outre, comme Guessard l’avait pressenti pour Doon, la transcription du jeune Sachs était vraisemblable-ment assez fautive : à titre d’exemple, si l’on compare les v. – de l’édition Guessard, pour lequel le texte du ms. B a été utilisé, avec le ms. lui–même, on remarque déjà sur ce petit échantillon des différences qui sont vraisemblablement pour certaines des corrections non signalées dans l’apparat visant à rétablir la mesure du vers ou son sens, mais peut–être aussi des erreurs de transcription : v. « Charles, feit il, ore entend envers mei » (éd.) pour « Charles, feit il ore entent vers mei » (ms.) ; v. , « Forfait en es vers Mahum et vers mei » (éd.), « Forfait en es vers Mahumet e vers mei » (ms.) ; « Ke mun destrer puisse acurser vers lei » (éd.), « Ke mun destrer puisse acurser vers sei » (ms.) ²⁴.

Enfin, le choix de A comme témoin de base peut être en soi contestable : celui–ci, posté-rieur à B, porte un texte qui, quoique cohérent et généralement d’une compréhension aisée, semble à de nombreux égards relever d’une étape ultérieure de la tradition et comporter in-terpolations et transformations qui l’éloignent du texte original ²⁵. En outre, sur les quatre lacunes majeures de A, Guessard et Michelant n’en ont identifées que deux, donnant donc un texte incomplet. Du reste, ils n’ont pas signalé systématiquement les variantes, ni toutes leurs corrections. De la sorte, le texte anglo-normand d’Otinel, pourtant vraisemblablement

. Otinel, chanson de geste…, p. - .

. Ernest Langlois, « Deux agments épiques : Otinel, Aspremont », Romania, ( ), p. – . . Otinel, chanson de geste…, p. .

. Aebischer dit d’ailleurs à ce sujet qu’il « n’est pas facile de se rendre compte des raisons pour lesquelles les éditeurs, lorsqu’il s’est agi pour eux de choisir entre le texte de a et celui de b, ont donné la préférence au premier » ; Paul Aebischer, Études sur Otinel : de la chanson de geste à la saga norroise et aux origines de la

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à l’origine des nombreuses traductions médiévales, demeure assez largement inaccessible ²⁶. Il suffira d’ajouter à cela que Guessard et Michelant n’ont pas eu connaissance du ag-ment de Mende et qu’ils n’ont pas eu recours aux traductions médiévales du texte, pour se convaincre que, malgré les mérites de ses auteurs et les nombreux services que l’édition des

a pu rendre, une nouvelle édition est nécessaire et souhaitable.

Si la chanson d’Otinel, connue par le prisme de l’édition de Guessard et Michelant, a été intégrée par Léon Gautier, Gaston Paris ou Joseph Bédier à leurs sommes sur la chanson de geste ²⁷, étudiée avec ses nombreuses traductions dans une perspective généalogique ²⁸, ou a fait l’objet des spéculations de Rajna, Gabotto, Bianchi, Serra ou Gasca-Queirazza sur une possible origine italienne de la chanson ²⁹, le manuscrit B est resté indisponible aux savants jusqu’à son acquisition par Martin Bodmer, vraisemblablement en - , à la vente Robinson ³⁰, limitant jusque-là les études et toute entreprise éditoriale complète.

Dans une des rares études de dimension importante consacrées depuis à la chanson, Paul Aebischer propose sa vision de la genèse du texte en ces termes imagés :

Qu’est-ce au fond que la chanson d’Otinel ? Ceci, ni plus ni moins. Un jour indéterminé d’une année indéterminée du XIIᵉ siècle, sans doute de la fin de la première moitié ou du début de la seconde moitié de ce siècle, un

. Aebischer note d’ailleurs avec son usuelle sévérité que « Guessard et Michelant ont traité leurs sources, ont choisi leurs variantes avec autant de fantaisie que d’arbitraire », soulignant « combien peu l’édition Guessard et Michelant mérite notre confiance, combien en particulier il importe de se méfier des leçons et variantes qu’elle fournit, et combien aussi l’inconnu qu’est pour nous le manuscrit Bodmer est, lorsqu’on prend la peine de le lire, plein de renseignements intéressants » ; Ibid.

. Gaston Paris, Histoire poétique de Charlemagne, thèse de doct., Paris, A. Franck, et Id., Histoire

poétique de Charlemagne, éd. augmentée de notes de l’auteur et de P. Meyer, Paris, , il y est question d’Otinel notamment aux p. et suiv., p.  - , dans un appendice sur Jacopo d’Acqui ; p. , dans une note additionnelle, P. Meyer complète l’identification de la présence d’Otinel chez Jean d’Outremeuse et dans

Baudouin de Sebourg, en ajoutant que « ce poème d’Otinel, dont G. Paris parle à peine, a certainement gagné

dans l’estime des érudits depuis que M. Rajna en a montré l’intérêt, au point de vue géographique, et a prouvé l’identité du nom d’Otinel avec l’Hospinellus du Pseudo-Philomena ». Léon Gautier, Les Épopées ancaises :

étude sur les origines et l’histoire de la littérature nationale, e éd., entièrement ref., Paris, , notamment « Analyse d’Otinel », t. , p. - , qui rapporte aussi l’attestation du ms. de l’Escurial. Joseph Bédier, Les

Légendes épiques : recherches sur la formation des chansons de geste. II, Paris, , notamment p. et n. et , l’utilise pour appuyer ses hypothèses sur l’origine des chansons de geste.

. H. Treutler, « Die Otinelsage im Mittelalter », Englishe studien, ( ), p. – , : http : //archive.org/stream/englischestudien05leipuoft#page/96/mode/2up.

. Pio Rajna, « Contributi alla storia dell’epopea e del romanzo medievale. VII. L’onomastica italiana e l’epopea », Romania, ( ), p. – ; Ferdinando Gabotto, « Les légendes carolingiennes dans le Chronicon Imaginis Mundi de Frate Jacopo d’Acqui », Revue des langues romanes, ( ), – et – ; Dante Bianchi, « La leggenda di ‘Otinel’ : contributo alla storia dell’epopea ancese in Italia », Nuovi studi medievali, – ( ), p. – ; Giandomenico Serra, Lineamenti di una storia linguistica dell’Italia medioevale, t. , Napoli, ; Giuliano Gasca Queirazza, Gesta Karoli Magni imperatoris : storia e leggenda carolingia nella

‘Cronica Imaginis Mundi’ di ate Jacopo d’Acqui. Parte prima, Torino, ; Id., « Otinel v. : Nota di

toponomastica piemontese », Bollettino storico-bibliografico subalpino, – ( ), p. – .

. Françoise Vielliard, Cologny, Fondation Martin Bodmer, Cod. Bodmer – Waldef – Gui de Warewic

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poète se mit en tête d’écrire lui aussi une geste nouvelle dans laquelle, pour captiver le public auquel il avait l’intention de s’adresser, il tenait par-dessus tout à décrire de beaux faits d’armes et de riches adoubements, descriptions pour lesquelles (…) il avait un goût particulier. Pour situer ces combats et pour placer ces descriptions d’armures, il lui fallait un cadre : ce cadre, il le fabriqua. Comme il entendait mettre dans son jeu le plus d’atouts possible, il tenait à faire appel au concours de Charlemagne, de Roland et d’Olivier, des autres pairs, héros bien connus et appréciés du public. (…) Poème qui sent trop le métier, écrit en un style aisé et non sans qualités ; poème un peu mièvre, sans beaucoup de personnalité ; poème qui (…) annonce déjà le roman courtois, avec la part que prennent les femmes à l’action. Œuvre qui est celle d’un bon élève, d’un élève diligent, mais sans beaucoup d’imagination, et qui n’a peut-être que trop de lecture. (…) Recueil de lieux communs, donc, centon épique que notre chanson d’Otinel ³¹

Aebischer oriente en effet son étude du texte autour de la question des origines, qui occupait le premier plan des débats historiographiques sur les chansons de geste lors de la parution de son ouvrage ³². Il faut dire que la chanson d’Otinel fournit un cas intéressant, en pré-sentant une légère dissonance entre sa nature, supposée non traditionnelle, son caractère « décadent », et sa date ancienne, comme le formulaient déjà Guessard et Michelant : « quoi-qu’elle nous paroisse une des dernières productions de notre poésie héroïque du moyen âge, la chanson d’Otinel n’est pourtant pas de beaucoup postérieure à la première moitié du XIIIᵉ siècle » ³³, ou remonterait « sans doute vers la fin du douzième siècle » pour Gaston Paris ou au milieu de celui-ci pour Aebischer ³⁴. De la sorte, le manque apparent de fond légendaire ou d’ancrage territorial de la chanson a pu restreindre l’intérêt que lui portaient les critiques, tandis que, depuis Rajnja, d’autres on essayé de la doter d’un ancrage topographique et de légendes locales, de même que J. Bédier a pu tenter de lier sa genèse à l’église de Tortone et à l’abbaye de Precipiano ³⁵.

Un autre paradoxe apparent met en contraste la faiblesse de la tradition ançaise conser-vée d’Otinel avec la richesse de sa diffusion médiévale, avec « sa résonance internationale, sa présence dans presque toutes les littératures de cet ensemble admirable et compact que for-mait l’Europe au moyen âge » ³⁶. En effet, sous le nom de Rhamant Otuel, une traduction de

. P. Aebischer, Études sur Otinel…, p. - .

. On se reportera également à la réception des travaux d’Aebischer proposée par Pierre Le Gentil, « Ré-flexions sur la Chanson d’Otinel », Cultura neolatina, ( ), Secondo congresso internazionale della Société Rencesvals, p. .

. Otinel, chanson de geste…, p. ; un jugement de nature similaire est prononcé sur la chanson de Gui

de Bourgogne (Gui de Bourgogne : chanson de geste, publiée pour la première fois, d’après les manuscrits de Tours et de Londres, éd. F. Guessard et H. Michelant, Paris, [Les anciens poëtes de la France, , ], p. ).

. G. Paris, Histoire poétique de Charlemagne…, p. ; P. Aebischer, Études sur Otinel…, p. .

. J. Bédier, « De la formation des chansons de geste », Romania, – ( ), p. – , : 10.3406/ roma.1912.4667, p. .

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la chanson d’Otinel s’insère dans trois des manuscrits du Campeu Charlymaen ou Ystoria de

Carolo Magno, la compilation en prose galloise dédiée à Charlemagne, datant du XIVᵉ siècle,

où elle prend place après la traduction galloise des premiers chapitres de la chronique du Pseudo Turpin, aux côtés du Cân Rolant et du Pererindod Siarlymaen. En outre, à ces deux traductions galloises s’ajoutent trois versions en moyen–anglais, composées vraisemblable-ment au XIVᵉ siècle, qui font de la chanson d’Otinel, de façon comparable avec celle de

Fierabras, une des principales sources des Charlemagne romances anglaises ³⁷. La première,

connue sous le nom d’Otuel a knight, est conservée dans le recueil Auchinleck (National Library of Scotland, Adv. Ms. . . ³⁸), datant des environs de – , à la suite de

Ro-land and Vernagu. La deuxième, Otuel and RoRo-land, en strophes à rimes couées (tail rhyme stanzas), est conservée dans le recueil Filingham (Brit. Libr., Ms. Add. , deuxième moitié ou dernier quart du XVᵉ siècle). Elle se divise en deux parties, dont la première (v. – ) est une traduction de la chanson d’Otinel, tandis que la seconde (v. – ) est une histoire de Charlemagne sans rapports avec notre héros. Elle pourrait dater des environs de – , comme la précédente. La troisième version moyen–anglaise, Duke

Roland and Sir Otuel of Spayne », peut–être composée durant le dernier quart du XIVᵉ siècle

et également en strophes à rimes couées, est conservée par le recueil Thornton (Brit. Libr., Add. , de la fin du XVᵉ siècle). On agrège généralement à ce groupe de textes anglais concernant Otuel deux autres poèmes qui ne le concernent pas directement, Roland and

Vernagu et The Sege of Melayne, le premier parce qu’il aurait pu faire partie, avec Otuel and Roland, d’une plus vaste composition perdue que l’on appelle généralement *Charlemagne and Roland ³⁹ ; le deuxième parce que, racontant les guerres des chrétiens contre le païen

Garsie en Lombardie, il pourrait être « a kind of introduction to Otuel in the same way as the Destruction de Rome is introductory to Fierabras » ⁴⁰.

Nous avons également conservé d’Otinel plusieurs versions norroises : la Saga af Otuel forme ainsi la branche VI de la Karlamagnús Saga et a par la suite intégré, sous le nom de

Kæmpen Otvel, à la Karl Magnus Krønike, traduction danoise de la Karlamagnús Saga datant

de la fin du XVᵉ siècle, dont elle forme la cinquième partie. Elle figure en outre dans des poèmes et chants populaires scandinaves, féroéens notamment, jusqu’au XIXᵉ siècle.

En sus de ces traductions, l’histoire d’Otinel a également été incorporée dans un certain nombre de compilations latines ou ançaises, tout d’abord le Chronicon imaginis mundi, écrit aux alentours de par Jacopo d’Acqui, dans lequel l’épisode d’Otinel prend une forme relativement différente de celle de la chanson tout en conservant des similarités indé-niables. Cette chronique atteste, avec la mention contenue dans le Cantare dei cantari ⁴¹, les

. Hamilton M. Smyser, « Charlemagne Legends. II. The Otinel (Otuel) Group », dans A Manual of the

writings in Middle English . I. Romances, dir. J. Burke Severs, New Haven, , p. – .

. Et non pas « British Museum Additional MS », comme le voudrait Aebischer qui lui attribue sans doute par inadvertance la cote du ms. Filingham ; P. Aebischer, Études sur Otinel…, p. .

. H. M. Smyser, « Charlemagne Legends. II. The Otinel (Otuel) Group »…, p. . . Ibid., p. .

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esques de Trevise et de Sesto al Reghena ⁴² et l’onomastique, d’une diffusion de la chanson en Italie, qui pourrait laisser soupçonner l’existence d’une version anco-vénète disparue. La chanson figure également parmi les source du Myreur des Histors, du chroniqueur lié-geois Jean d’Outremeuse ou Des Prés ( - ), peut–être en raison de la place qui y est faite à Ogier le Danois.

Si les travaux d’Æbischer ont, longtemps après Treutler, eu le mérite de dé icher consi-dérablement l’histoire de la diffusion et des versions d’Otinel, et d’attirer l’attention sur les circuits empruntés par cette geste en Europe du Nord notamment, ils n’étaient néanmoins pas faits pour satisfaire ceux qui espéraient une nouvelle édition du texte :

Ce que j’entends faire, je le dis ici et le répéterai souvent, ce n’est point re-cueillir des éléments pour une reconstitution chimérique d’un texte soi-disant « critique » d’Otinel ; c’est informer mes lecteurs, aussi exactement et aussi minutieusement que possible, du contenu et de la consistance de la légende d’Otinel, en recherchant les matériaux partout où ils peuvent se trouver, afin de pouvoir déterminer l’origine de cette légende, et la façon dont elle a été élaborée, en toute connaissance de cause ⁴³.

Ce constat d’une grande difficulté à renouveler la critique du texte participe sans doute éga-lement de l’absence prolongée d’initiative éditoriale. Il est d’ailleurs partagé par R. N. Wal-pole, qui note que « de ces diverses traditions nationales on ne trouve plus que des débris, à partir desquels il serait très difficile et peut-être aventureux de vouloir reconstituer le premier Otinel » ⁴⁴.

En matière éditoriale, il faut en effet attendre les travaux de Françoise Vielliard, suite à la parution du catalogue des manuscrits de M. Bodmer ⁴⁵, pour qu’une impulsion nouvelle soit donnée. En - , la chanson d’Otinel devient l’objet de la conférence de philologie romane de Jacques Mon in à l’École pratique des hautes études ⁴⁶ – la dernière fois qu’elle y avait figuré, à notre connaissance, c’était peut-être en , dans les conférences de Gaston Paris qui, cette année, avaient laissé une place à la présentation par Langlois de ses travaux sur Otinel et à l’étude de Fierabras ⁴⁷. Ces conférences, dont l’objet principal fut, selon le

Philologie, ( ), p. – , – .

. Rita Lejeune, « La Fresque de Trévise et la légende d’Otinel », Cultura Neolatina, ( ), p. – ; Enrica Cozzi, « Otinel, Belissant, Carlomagno negli affreschi di Sesto al Reghena », Medioevo romanzo, – ( ), p. – .

. P. Aebischer, Études sur Otinel…, p. . . R. N. Walpole, « Otinel »…, p. .

. F. Vielliard, Manuscrits ançais du Moyen âge, préf. de J. Mon in, Cologny-Genève, (Bibliotheca Bodmeriana. Catalogues, ).

. Jacques Mon in, « Philologie romane : rapport - », École pratique des hautes études. e section,

sciences historiques et philologiques. Livret, – ( ), p. – , : http://www.persee.fr/doc/

ephe_0000-0001_1981_num_2_1_6820?q=Otinel(visité le / / ).

. G. Paris et Jules Gilliéron, « VII. Langues romanes », Rapport sur l’École pratique des hautes études.

Section des sciences historiques et philologiques, – ( ), p. – , : http://www.persee.fr/doc/

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rapport, la détermination des principes à suivre dans la constitution d’un texte critique de la chanson, menèrent au constat de la très grande différence entre les mss A et B (on se souvient que B n’était, jusque là, connu que par les variantes données par Guessard et Michelant et par l’étude d’Æbischer) :

l’un des textes a été systématiquement réécrit. La version la plus ancienne est manifestement celle du manuscrit Bodmer ; le copiste du manuscrit du Vatican (daté de ) ou son modèle, s’est livré à un travail de délayage qui introduit quelques incohérences ⁴⁸.

Constat facilité par la parution alors récente d’une traduction anglaise de la Karlamagnus

saga ⁴⁹, les participants de la conférence relèvent également la proximité entre entre la version

norroise et le texte anglo-normand. Mon in ajoute qu’« on constatera une fois de plus que ce sont des manuscrits insulaires qui nous ont conservé – dans une langue parfois très altérée, mais ce n’est pas ici le cas – le meilleur texte d’œuvres continentales du XIIᵉ siècle. L’étude de la langue assure en effet qu’Otinel a été écrit en France, sans qu’aucun trait dialectal saillant permette une localisation précise » ⁵⁰. En termes ecdotiques, la conclusion est la suivante,

La conclusion qui est apparue au terme de notre examen est nette : les deux manuscrits sont trop différents pour qu’il soit possible d’accrocher à l’un les variantes de l’autre. Il faut les publier de manière synoptique : cette dispo-sition facilitera l’étude des innovations formelles attestées par le manuscrit du Vatican. Le découpage des laisses suivi par Guessard et Michelant est à revoir entièrement ⁵¹.

Ces premières orientations ont ensuite été précisées et approfondies par F. Vielliard dans les années qui ont suivi. Si la nécessité d’une édition synoptique est confirmée (il n’est « pas possible de superposer » le texte des deux versions), il est en revanche « prématuré de juger de l’antériorité ou de la valeur relative de la version a et de la version b » ⁵². En outre, nouveauté dans l’étude de la tradition d’Otinel, F. Vielliard souligne l’intérêt fondamental de la version galloise – qu’Aebischer avait classé, sans trop la connaître comme il l’avoue lui-même, parmi les versions mineures ⁵³ – pour l’établissement du texte ançais et sa grande

. J. Mon in, « Philologie romane : rapport - »…, p. .

. Constance B Hieatt, Karlamagnús saga : the saga of Charlemagne and his heroes, Toronto, (Mediaeval sources in translation, , , ).

. J. Mon in, « Philologie romane : rapport - »…, p. . . Ibid.

. F. Vielliard, « Les chevaliers normands et bretons dans la Chanson d’Otinel », dans Plaist vos oïr bone

cançon vallant. Mélanges de Langue et de Littérature médiévales offerts à François Suard, dir. Dominique Boutet,

Marie-Madeleine Castellani, Françoise Ferrand et Aimé Petit, Villeneuve-d-’Ascq, , t. , p. – . . P. Aebischer, Études sur Otinel…, p. , « Mais ces versions galloises, si j’en juge par le peu que j’en connais, ne nous apportent elles aussi aucune lumière nouvelle sur les sources même de la légende : comme les versions anglaises, elles ont passé par trop de mains, elles ont perdu tous les détails, rares déjà dans les textes ançais, susceptibles de nous intéresser ».

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proximité avec le texte du ms. B, avec lequel il est parfois le seul à partager une leçon, contre même le reste des traductions insulaires ⁵⁴. Comme il ressort également de nos travaux, la version galloise est souvent la plus proche du texte du ms. B, et le traducteur gallois, qui procède plutôt ad verbum qu’ad sensum, se préoccupe souvent plutôt de traduire ou calquer le texte ançais que d’obtenir un résultat satisfaisant dans sa langue – pour notre plus grand profit, car nous pourrions en de nombreux endroits accrocher le texte gallois, encore plus que le norrois, aux textes ançais.

C’est dans le prolongement de ces travaux que nous avons essayé de nous inscrire, en nous orientant tout d’abord vers une édition synoptique des textes de la chanson, à laquelle il faudra accrocher le texte des traductions, galloises et norroises en priorité. Cette édition devra permettre à terme une analyse facilitée et une meilleure compréhension des méca-nismes à l’œuvre au sein de la tradition, telle que certains ont déjà tenté de l’entreprendre ⁵⁵. Nous croyons constater, ces dernières années, un regain d’intérêt pour la chanson d’Otinel, dont témoignent de nouvelles études qui lui sont consacrées, dans le champ de la littérature, concernant notamment sa place dans la geste du roi, explorée par Marianne J. Ailes et François Suard ⁵⁶, de ses liens avec Fierabras ⁵⁷, des motifs épiques que l’on y retrouve et de leurs liens avec la pratique judiciaire de l’époque, étudiés par Bernard Ri-bémont ⁵⁸. La diffusion italienne de la chanson a également fait l’objet d’une contribution récente ⁵⁹.

Notre but premier n’est autre que d’apporter notre pierre au renouveau des études sur ce texte, souvent plaisant quoi qu’on en dise, et riche d’enseignements sur des sujets très

. F. Vielliard, « Les chevaliers normands… ».

. Aux travaux déjà cités, il faut en outre ajouter ceux d’Alain Corbellari, « Abrégement ou mutilation ? La fin de la chanson d’Otinel dans ses deux manuscrits », Pris-MA, ( ), p. – ; Cola Minis, « Über das alt anzösische epos Otinel », dans Zur Vergegenwärtigung vergangener philologischer Nächte, Amsterdam, (Amsterdamer Publikationen zur Sprache und Literatur, ), p. – .

. Marianne J. Ailes, « ‘Otinel’ : an epic in dialogue with the tradition », Olifant, ( ), p. – , : https://scholarworks.iu.edu/journals/index.php/olifant/article/view/18966, François Suard, Roland ou les avatars d’une folie héroïque, Paris, , chap. VI, « Roland et les autres : le cas particulier du couple Roland-Olivier », sect. « La stabilité : Otinel ».

. M. J. Ailes, « Chivalry and conversion : the chivalrous Saracen in the Old French epics Fierabras and Otinel », Al-Machriq, – ( ), p. – , : http://search.proquest.com/docview/ 43999205?accountid=13083.

. Bernard Ribémont, « Ambassade belliqueuse, ‘ius gentium’, droit féodal et art du jongleur : ‘Otinel’ et l’esthétique du judiciaire », dans Chanter de Geste : l’art épique et son rayonnement, hommage à Jean-Claude

Vallecalle, dir. Marylène Possamaï-Perez et Jean-René Valette, Paris, (Colloques, congrès et conférences sur le Moyen Âge, ), p. – . Il faut ajouter à ces travaux un mémoire de master II, que nous n’avons pas eu l’occasion de consulter, sur la version anglo-normande, réalisé par Delphine Demelas, Otinel ou la chanson

du Bestournement, édition d’une version anglo-normande de la chanson d’‘Otinel’, ms. , Fondation Martin Bodmer, dir. Valérie Naudet, Université Aix-Marseille, .

. Claudia Boscolo, « Two ‘Otinel’ escoes in Treviso and Sesto al Reghena », Francigena, ( ), p. – , : http://www.francigena-unipd.com/index.php/francigena/article/view/11 (visité le / / ), qui propose notamment un retour sur les esques déjà signalées par R. Lejeune, « La Fresque de Trevise… » ; E. Cozzi, « Otinel, Belissant, Carlomagno… ».

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variés, depuis l’histoire littéraire des XIIᵉ et XIIIᵉ siècles, la diffusion des textes épiques en Europe, l’intégration d’éléments courtois dans les chansons de geste au cours de la deuxième moitié du XIIᵉ siècle, le développement de la figure du sarrasin, le rôle des différents foyers de production de textes et manuscrits épiques, jusqu’à l’archéologie de l’armement ou du costume, des routes, réelles et imaginaires, le long desquelles circulent les hommes et les textes, en passant par la connaissance de la langue et du style épique. Le développement de ces études est encore souvent bridé par un accès insuffisant au⒳ texte⒮ de la chanson, et, en nous mettant en route vers l’édition complète du corpus et, à terme, de l’œuvre, nous voulons ainsi rendre plus aisé le travail de ceux qui veulent augmenter la somme des savoirs sur cette œuvre, qui demeure encore assez méconnue.

Comme Guessard et Michelant en leur temps, nous chercherons à joindre l’innovation méthodologique à la nouveauté du texte.

Une nouvelle édition

L’édition de texte est par nature un travail à la fois monographique – il ne porte que sur un seul texte – et qui réclame une approche globale et pluridimensionnelle, tant du point de vue méthodologique que dans la nécessité de replacer une œuvre et ses témoins dans un contexte historique et culturel, et de leur conférer ainsi un sens.

L’édition sollicite ainsi des notions de paléographie, linguistique, littérature, ou encore, bien sûr, de critique textuelle, qu’il convient de mettre au service du travail philologique et du texte, sans que l’éditeur ne puisse toutefois se faire successivement spécialiste de cha-cune de ces disciplines. De ce point de vue, son travail consiste peut-être avant tout en la fourniture de matériaux sûrs et exploitables aux paléographes, linguistes ou spécialistes de la littérature. Étant donné tant la rareté des matériaux que les difficultés que pose la

Chan-son d’Otinel, nous avons voulu mener un travail qui, d’une part, mette en jeu des analyses

d’une granularité très fine, permise par la brièveté du texte et le faible nombre de témoins, et, d’autre part, profite des apports de l’outil numérique et des méthodes quantitatives et statistiques, pour chacun de ces différents domaines.

Nous nous sommes ainsi fixé pour objectif de revisiter les méthodes de l’édition de texte, plus généralement les méthodes de la philologie, en tentant, dans chaque domaine, d’en proposer une forme de mise à jour, qui tienne compte des acquis récents des disciplines auxiliaires comme des méthodes quantitatives ou numériques, tout en replaçant le travail sur Otinel dans le contexte plus large des chansons de geste. Il s’agira ainsi de faire entrer plus nettement les méthodes numériques, non pas comme simple outils de diffusion du texte, mais comme partie prenante de son établissement et de la méthode philologique.

Ces points nous mènent parfois à accompagner l’étude monographique de notre cor-pus par de longs développements, tantôt méthodologiques, tantôt contextuels, qui nous paraissaient néanmoins nécessaires.

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prin-cipaux, montant progressivement dans l’abstraction vis-à-vis de nos sources : l’étude des manuscrits, dans leur dimensions principales – en tant qu’objets, comme porteurs d’un en-semble de codes écrits se constituant en système graphique et en scripta – ; l’étude des liens entre les différents textes de la chanson, à la fois en langue d’oïl et dans les traductions et versions dérivées que nous conservons, c’est-à-dire, l’étude de la tradition du texte ; enfin, l’étude de l’œuvre, à la fois dans sa dimension d’histoire de la légende et de la chanson, vue par son origine et sa circulation, ainsi que dans sa valeur de témoin de l’histoire cultu-relle et littéraire, qui mérite qu’on la replace dans la production épique qui la précède et l’accompagne. De ces trois pans, comme on le verra, seul le premier peut être considéré comme achevé. Il était néanmoins nécessaire que l’on s’y attarde, car ce n’est qu’à partir de fondations sûres que pourra se bâtir la critique du texte.

D’un point de vue méthodologique, il est bien évident que, comme nous nous limitons pour l’essentiel au texte que nous éditons, les conclusions de notre étude statistique ne peuvent être aussi pertinentes que celles produites par l’étude d’un très large corpus. Dans certains cas, en outre, les recherches statistiques ne sont pas encore suffisamment avancées et les corpora trop peu nombreux pour que l’on puisse faire ressortir la particularité d’Otinel par rapport au reste des textes romans contemporains, ou plus largement, de la production manuscrite de l’époque. Il n’est ainsi pas toujours possible de distinguer, dans nos déduc-tions, ce qui a trait à l’Otinel en particulier de ce qui touche plus largement les manuscrits épiques.

Nous espérons néanmoins que, tant par l’expérimentation méthodologique qu’il pro-pose, que par la mise à disposition d’une plus large communauté de matériaux nouveaux, ce travail puisse servir à l’avancement des connaissances sur les textes épiques ançais de cette période.

« Fourth Way » et édition « tournée vers la tradition »

Si les débats internes aux méthodes ecdotiques ont beaucoup opposé, au cours du XXᵉ siècle, les tenants de la méthode critique, des fautes communes, et ceux qui la rejetaient, à la suite notamment de J. Bédier ⁶⁰, les premiers comme les seconds ont assez largement partagé un objectif commun, celui de parvenir à un texte qui reflète l’œuvre originale, même s’ils ont divergé sur la méthode à utiliser pour y parvenir, qu’il s’agisse d’établir la généalogie des copies pour proposer une reconstruction du texte de l’original, ou de choisir le « meilleur » manuscrit et de l’imprimer le plus fidèlement possible. Néanmoins, cette période a aussi vu le développement, surtout à partir des années , d’un intérêt pour les témoins en tant que documents, dotés de leur cohérence propre et d’une valeur en tant qu’objets culturels porteurs d’une « doppia verità », une « double vérité » des documents

. Ce n’est pas le lieu, ici, de refaire une synthèse sur ce point, de toute façon bien connue. Nous nous permettons, pour un état de la question et une bibliographie, de renvoyer à notre article, J.B. Camps, « Co-pie… ».

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du passé, « verità dei protagonisti » ⁶¹, celle des éditions critiques cherchant à restituer les œuvres d’un auteur donné, et « verità dei testimoni », des manuscrits considérés pour eux-mêmes et qui « forts de leur interprétation historique des originaux, peuvent alors être interrogés en tant que modèles culturels » ⁶². Ce développement de la philologie matérielle a pu par la suite s’appuyer sur le renouveau des études sur les chansonniers, à la suite du colloque organisé à Liège en sous la direction de Madeleine Tyssens ⁶³. C’est également dans ces années que paraît l’essai, au ton parfois pamphlétaire, de Bernard Cerquiglini ⁶⁴, qui, en dépit de sa virulence et de son rattachement à une forme de pensée postmoderne ou post-structuraliste, a néanmoins eu le mérite, de pair avec la « New Philology » qui l’a prolongé, d’attiser l’intérêt pour les témoins manuscrits en eux-mêmes et la substance des transformations opérées par les scribes, ainsi que d’envisager l’intérêt du medium numérique pour l’édition de textes.

Face à ces trois alternatives possibles, qu’elle classe en fonction de leur confiance (ap-proche « lachmanienne ») ou de leur défiance (bédiérisme, New Philology) pour la méthode critique, ainsi que de leur intérêt pour l’œuvre originale (méthode lachmanienne, bédié-risme) ou les versions scribales (New Philology), Nadia Altschul a récemment proposé une « quatrième voie », c’est-à-dire une approche qui conjoigne l’utilisation de la méthode cri-tique avec l’intérêt pour les témoins en eux-mêmes, visant ainsi à établir une « genealogy of scribal versions » ⁶⁵, donnant à lire, outre l’ensemble des témoins conservés, la reconstruc-tion du texte de tous les subarchétypes et modèles perdus de la tradireconstruc-tion. Poussée jusqu’à son terme, une édition de ce type aurait le mérite de donner accès aux différentes dimen-sions d’une œuvre médiévale : ses témoins survivants, comme documents chargés d’une valeur historique et culturelle, mais aussi les relations qu’ils entretiennent entre eux, la substance de certains des témoins perdus et une compréhension de ce que pouvait être l’œuvre originale.

Cette conception de l’édition proposée par Nadia Altschul nous paraît en rejoindre une autre, proposée par Giovanni Palumbo et Paolo Rinoldi, concernant leur projet d’édition de la chanson d’Aspremont, celle d’une édition « orientée vers la tradition » :

En résumant, on pourrait donc dire qu’entre les deux options classiques — édition orientée vers le manuscrit vs édition orientée vers le texte — nous avons

. D’Arco Silvio Avalle, La doppia verità, [p. – , .], Firenze, , p. .

. Fabio Zinelli, « L’édition des textes médiévaux italiens en Italie », dans Pratiques philologiques en Europe :

actes de la journée d’étude organisée à l’École des Chartes le septembre , dir. F. Duval, Paris, (Études et rencontres de l’École des chartes, ), p. .

. Lyrique romane médiévale : la tradition des chansonniers, dir. Madeleine Tyssens, Actes du Colloque de Liège ( ), Liège, (Bibliothèque de la Faculté de philosophie et lettres de l’Université de Liège, ). . Bernard Cerquiglini, « Éloge de la variante », Langages, – ( ), p. – , : 10.3406/lgge. 1983.1140; revu et publié ensuite sous forme d’un livre, dans Id., Éloge de la variante : histoire critique de la

philologie, Paris, (Des Travaux, ).

. Nadia Altschul, « The Genealogy of Scribal Versions : A ‘Fourth Way’ in Medieval Editorial Theory »,

Textual Cultures : Texts, Contexts, Interpretation, – ( ), p. – , : 10.2979/tex.2006.1.2.

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choisi une troisième voie : une édition orientée vers la tradition, dans le sens que notre édition se propose de reconstruire dans la mesure du possible une étape précise de la transmission du texte — les subarchétypes des trois versions α, β, γ — afin de permettre au lecteur, à partir de là, de suivre l’évolution diachronique du texte, en amont comme en aval ⁶⁶.

Une approche de ce type se révèle particulièrement bien adaptée pour la chanson d’Otinel, et nous paraît répondre aux orientations définies par F. Vielliard et J. Mon in. En effet, elle permettra de fournir un accès à l’ensemble de la tradition, via l’édition individuelle de chaque témoin, de même qu’à la seconde dimension de toute tradition médiévale, en géné-ral complètement occultée par la « nouvelle philologie », c’est-à-dire aux relations que ces témoins entretiennent entre eux, qui se comprennent avant tout de manière généalogique. En outre, cette approche permet d’affronter avec souplesse les deux étapes ébauchées lors des conférences de : tout d’abord, une vue synoptique des textes conservés, qui facilite l’étude des innovations, interpolations, omissions et lacunes de chaque témoin ; ensuite seulement, la proposition d’un ou plusieurs textes critiques. Une édition électronique, par nature évolutive, facilitera en outre le passage d’une étape à la suivante.

Édition électronique et représentation du texte

Comme nous l’avons dit, notre objectif est de proposer une méthode intégrant l’ou-til numérique aux différentes étapes de la préparation de l’édition comme de l’analyse des données et de leur diffusion. Ce travail repose sur deux versants principaux : d’une part un travail de modélisation et de formalisation, visant à proposer une représentation critique des données manuscrites qui permette leur analyse, et, d’autre part, un emploi de méthodes numériques, aidant à l’établissement concret du texte (transcription, résolution des abrévia-tions, collation), mais aussi, et surtout, venant compléter et renforcer les méthodes d’analyse traditionnelles en leur conférant un support quantitatif ou algorithmique. En ce sens, nous visons à produire une édition « numérique » plutôt qu’une édition « numérisée », au sens de Patrick Sahle, c’est-à-dire une édition dont les fonctionnalités ne sont pas entièrement reproductibles par une version imprimée ⁶⁷.

Dans les chapitres concernés, nous consacrons ainsi un développement aux questions de modélisation qui se posent à nous, et qui conditionnent ensuite les possibilités d’analyse des données. Celles-ci concernent la sélection des faits présents dans les sources que l’on

. Giovanni Palumbo et Paolo Rinoldi, « Prolégomènes à l’édition du corpus ançais de la ‘Chanson d’Aspremont’ », dans Epic Connections / Rencontres épiques Proceedings of the Nineteenth International Conference

of the Société Rencesvals, Oxford, – August , dir. M. J. Ailes, Philip E. Bennett et Anne Elizabeth Cobby, t., Édimbourg, (British Rencesvals Publications, ), t. , p. – .

. Patrick Sahle, Catalog of : Digital Scholarly Editions, v . , snapshot ff, Cologne, , : http: //www.digitale-edition.de/; voir aussi la discussion de cette idée par Elena Pierazzo, Digital scholarly

editing : theories, models and methods, Farnham, , : dx.doi.org/10.4324/9781315577227,

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