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Vases émaillés d’époque romaine de la vallée de la Saône

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Academic year: 2022

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Tome 67 | 2018 n° 190

Vases émaillés d’époque romaine de la vallée de la Saône

Laurent Pelpel et Christian Vernou

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/rae/10802 ISSN : 1760-7264

Éditeur

Société archéologique de l’Est Édition imprimée

Date de publication : 1 février 2019 Pagination : 249-266

ISBN : 978-2-915544-42-8 ISSN : 1266-7706 Référence électronique

Laurent Pelpel et Christian Vernou, « Vases émaillés d’époque romaine de la vallée de la Saône », Revue archéologique de l’Est [En ligne], Tome 67 | 2018, mis en ligne le 26 mai 2020, consulté le 14 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/rae/10802

© Tous droits réservés

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* Chercheur indépendant, 10 rue de Nontron, 87200 Saint-Junien. ltpelpel@gmail.com

** Conservateur en chef du Patrimoine, chercheur à l’UMR 6298 ARTEHIS, Dijon - 3 Place Jacqueline Marval, 38000 Grenoble. christian.vernou@

dbmail.com

DE LA VALLÉE DE LA SAÔNE

Laurent P

ELPEL

*, Christian V

ERNOU

**

Mots-clés Haut-Empire romain, Gaule de l’Est, vaisselle de bronze émaillé, art décoratif provincial.

Keywords Early Roman Empire, eastern Gaule, enamel-decorated bronze vessels, provincial decorative artwork.

Schlagwörter Frühe und Hohe Römische Kaiserzeit, östliches Gallien, emailverzierte Bronzegefäße, provinzialrömische Verzierungskunst.

Résumé Sont étudiés ici trois vases antiques méconnus, provenant du Centre-Est de la France. Ils sont typiques d’une technologie originale : les vases en bronze à décor émaillé incrusté. Leur analyse stylistique démontre leur appartenance à une série issue des ateliers insulaires de la Britannia. La particularité de cette production et la variété des formes, comme des décors, sont ainsi rappelées.

L’enquête tente de démontrer que ces vases ont pu toucher en priorité une clientèle militaire mais sans exclusive. Les pièces de prove- nance régionale décrites ici ne permettent pas de trancher en ce sens, même si ces récipients de valeur devaient être possédés par des hommes de culture romaine avérée. La voie Trèves-Lyon a pu constituer un vecteur de diffusion de cette vaisselle spécifique.

Abstract We present the study of three poorly known Antique vases from the Centre-Est region of France. They are typical of a specific technology : bronze vases with an incrusted enamel décor. A statistical analysis demonstrates their affiliation with an assemblage from the insular workshops of Britannia. The unusual nature of this production and the variety of shapes and decors are therefore recalled.

In our investigation, we attempt to demonstrate that these vases could have been destined mostly, but not exclusively, for a military clientele. The regional pieces described here do not fully support this hypothesis, even if these valuable recipients were likely possessed by men with a definite Roman culture. The Trève-Lyon route may have constituted a vector for the diffusion of this specific vessel type.

Zusammenfassung Dieser Beitrag behandelt drei bisher unbeachtete antike Gefäße aus Zentralostfrankreich. Sie sind bezeichnend für ein originelles Verfahren : mit Emaille-Intarsien versehene Bronzevasen. Ihre stilistische Analyse zeigt ihre Zugehörigkeit zu Gefäßen aus den britannischen Werkstätten. Behandelt werden die Eigenschaften dieser Ware, ihre Formenvielfalt und Dekore.

Die Untersuchung bemüht sich zu nachzuweisen, dass diese Gefäße überwiegend doch nicht ausschließlich von einer militärischen Kundschaft erworben wurden. Die hier beschriebenen Gefäße regionaler Herkunft liefern kein Argument für diese Theorie, selbst wenn es sich bei den Besitzern dieser wertvollen Gefäße um Männer offensichtlich römischer Kultur gehandelt hat. Die Römerstraße von Trier nach Lyon könnte eine Vertriebsachse für diese ausgefallenen Gefäße gewesen sein.

Cette note a pour but d’attirer l’attention sur une série de vases antiques en bronze, à décor émaillé, découverts dans la val- lée de la Saône ou ses abords et de sensibiliser le lecteur à cette technique méconnue du grand public comme des archéologues antiquisants. Deux courts articles de vulgarisation ont déjà été donnés récemment (PELPEL, VERNOU, 2017) ; la contribution qui est produite ici complète les propos antérieurs en associant de nouvelles pièces et tente de constituer un corpus dont la loca- lisation précise permet d’évoquer des hypothèses de diffusion

pouvant être influencée par les axes de déplacement des militaires de l’époque. Il nous est aussi agréable de rendre hommage ici au travail pionnier d’une archéologue plus connue régionalement pour ses recherches dans les domaines de la protohistoire, nous voulons parler de Françoise Henry (HENRY, 1933). Enfin, préci- sons que cette enquête et le goût des auteurs pour cette technique a eu comme point de départ un très exceptionnel vase émaillé mis au jour en Charente (VERNOU, 1993, p. 101) qui a été commenté avec force détails par l’un d’entre nous (BERLAND, PELPEL, 2008).

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1. TROIS VASES ÉMAILLÉS DE LA VALLÉE DE LA SAÔNE ET DE SES AFFLUENTS

1.1. L

EBOLDE

R

OCHEFORT

-

SUR

-N

ENON

, J

URA

(fig. 1)

Bol (ou patère) en alliage cuivreux (bronze) et fines plaques d’argent.

Décor émaillé de trois couleurs : rouge, bleu clair et vert d’eau.

Haut. 50 mm, diam. 93 mm.

Metropolitan Museum of Art, New-York ; inventaire n° 47.100. 8.

1.1.1. Historique de la possession du vase

Le premier vase que nous étudions ici a été découvert avant 1882 et publié en 1933 (HENRY, 1933, p. 122-123, fig. 30-3). Son rattachement à la commune de Rochefort-sur-Nenon provient d’une mention portée sur une étiquette ancienne de couleur bleue (fig. 2). Nous apprenons le long circuit de ses propriétaires succes- sifs grâce aux fiches administratives du Metropolitan Museum of Art de New-York, où il est conservé. Ces mentions sont reprises en partie dans un article du milieu du XXe siècle qui suit de peu son acquisition par le musée américain (FORSYTH, 1950, p. 302-303).

On apprend que durant la Première Guerre mondiale, il passe dans les mains d’un antiquaire très connu de Lyon : Claudius Côte (1881-1956), puis dans celles d’un autre collectionneur fameux du Mans (vers 1931) : Julien Chappée (1862-1957) ; lors de la vente d’une partie de cette importante collection, il est acheté par Charles Ratton (1895-1986), à Paris, où il est revendu en 1946 à Joseph Brummer (1883-1947), marchand-collectionneur ayant un pied à Paris et l’autre à New-York. À la mort de ce dernier, le Metropolitan Museum of Art achète un lot important de la succession. En retour, le frère et la veuve de Joseph Brummer font donation au même musée d’une série d’objets, dont le vase de Rochefort-sur-Nenon (fiches du MMA).

Une recherche effectuée dans les fonds d’archives dijonnais nous en apprend plus sur les origines du vase. En effet, il était fait mention dans la publication de F. Henry d’un premier passage entre les mains d’un antiquaire dijonnais, le Dr Marchant1, en 1882. Par chance, nous avons retrouvé un manuscrit conservé à

1. M. Louis Marchant (1828-1920) était médecin généraliste, demeurant 31 rue Berbisey, à Dijon mais il n’exerçait que peu dans une seconde partie de sa carrière, consacrant une bonne part de son existence à sa passion : collectionner des pièces curieuses pour son cabinet qu’il se plaisait à faire visiter à quelques amateurs. Plusieurs vitrines contenaient ses objets précieux par catégorie ; il en fait état dans l’un de ses carnets (Ms 3589-2). Il était membre titulaire de la Commission départementale des Antiquités de la Côte-d’Or (CACO) et bon connaisseur de l’archéologie régionale. À ce titre, on lui confia la direction du musée de ladite Commission (ancêtre du musée d’archéologie municipal actuel) ; il en fut le conservateur de novembre 1896 à la fin de l’année 1902. Ces données sont inédites, elles proviennent du registre d’entrée des collections du musée archéologique. On y reconnaît aussi son écriture penchée et complexe à déchiffrer. Il fit plusieurs dons à cet établissement  à partir de 1888 : des objets gallo-romains provenant des sites de Morey ou des Bolards de Nuits-Saint-Georges (RE nos 22, 42 à 47, 95, 148) ; deux carreaux de pavage en verre du prieuré de Saint-Sauveur, en 1893 (n° 136) ; un vase grec « en forme d’ampoule avec un décor de poisson » en 1897, alors qu’il est conservateur du musée (RE n° 75) ; un « cachet d’ocu- liste » provenant d’Alésia, en 1916 (RE n° 1883) et un lot de verres antiques en 1917 (RE nos 1183 à 1189). La consultation de ses carnets Ms 3589 de la Bibliothèque municipale de Dijon indique clairement qu’il était aussi un

« marchand d’art » avisé, obtenant d’importantes « boni » (comprendre boni- fications/bénéfices) au fil des ans, comme il le souligne avec méticulosité dans ses notes manuscrites. Faire un profit à partir d’un achat ponctuel était son objectif primitif ; on sent bien le ressort d’un « commerçant ».

la Bibliothèque municipale de Dijon qui concerne le passage dans la collection Marchant : le Ms 3589. En réalité, cette cote corres- pond à trois éléments : deux carnets de petite taille et une chemise conservant des feuilles volantes de comptes manuscrits, intéressant principalement des achats/ventes de verreries. Toutes les men- tions manuscrites, d’une écriture nerveuse, sont souvent difficiles à lire. Un nombre incroyable de pièces sont passées dans la col- lection Marchant : céramiques, verreries, grès, dessins, gravures et : « émaux, émaux champlevés » ainsi que des « émaux peints ».

La cote Ms 3589-1 correspond à un petit carnet dans lequel il notait ses « ventes d’objets d’Art ». Par année, on voit la liste des pièces vendues (l’identification des pièces est sommaire), il note le prix de vente, parfois le coût de l’achat et, systématiquement, le bénéfice obtenu. C’était un « antiquaire » très averti (au sens de marchand). Le carnet intéresse les années 1890 à 1919. Il note pour l’année 1917 (f° 16v) : le 27 juillet, « patère émaillée gau- loise », achetée … (illisible, rature) le 17 janvier 1882, (vendue) : 2000 Fr. C’est une somme importante car en 1917, le total des ventes a été de 4515 Fr, pour dix-sept pièces vendues2.

Le carnet Ms 3589-2 est un recueil rassemblant des opéra- tions d’achats et de ventes. La page de garde porte la mention

« 12 septembre 1847 » mais cela doit correspondre à un usage anté- rieur du carnet. Le Dr Marchant y notait les pièces de sa collection par catégorie : miniatures (f° 22 à 24) ; émaux des peintres (f° 27 à 29) ; ivoires (f° 30 à 33 recto) ; bois (f° 34 à 37). Au folio 25 (recto et verso) se trouvent deux tableaux intéressant les « émaux cham- plevés », il est noté : 1. Vase romain, janvier 1882 payé 100 (Fr) Estimé 2000 (Fr). Au-dessus, il a rajouté d’une écriture plus fine :

« vendu 2000 (Fr) en juillet 1917 », recoupant les informations du précédent carnet3.

Au bilan, même s’il n’est jamais fait mention de la localisation à Rochefort-sur-Nenon, nous apprenons que ce vase a été acquis le 17 janvier 1882 au prix de 100 Francs et qu’il a été vendu le 27 juillet 1917, au prix de 2000 Francs (valeur qui semble avoir été estimée par notre antiquaire, dès son achat). On note au pas- sage l’évolution de l’identification de la pièce : « vase romain » au moment de son achat, puis « patère émaillée gauloise » (ce qui correspond bien à la nature de notre récipient), lors de sa vente.

Il est vraisemblable que notre antiquaire avait entre-temps effec- tué des recherches concernant cette technique déjà bien connue en Grande-Bretagne. Cette vente de 1917 a dû être effectuée au profit de Claudius Côte4, comme nous l’avons évoqué plus haut (mais l’identification de l’acquéreur n’est pas explicitée dans ses carnets). La question de la provenance pose problème mais l’éti- quette manuscrite semble la caractériser, comme sa date d’achat :

« Trouvé à / Rochefort / (Jura) / 1882 » (fig. 2). Notons par ailleurs

2. Les temps sont durs durant la Première Guerre mondiale car, par comparaison, le total de ses ventes atteignait 120.533 Fr en 1913. Les recettes semblent nulles en 1914 et 1915 ; aucune mention n’en est faîte dans son carnet de notes. Puis elles reprennent en 1916 : 800 Fr, et retrouvent une embellie en 1919 : 122.596 Fr.

3. Le 26 août 1912, sa collection d’émaux comprenait trente-trois pièces pour une somme totale d’achats de 3.060 Fr, mais qu’il estimait à 14.625 Fr ! Le « vase romain » est l’une des pièces estimées ayant le plus de valeur : 2000 Fr. Seules les statues en bois polychromé de saint Joseph ou de saint Jean l’Évangéliste de sa collection sont aussi fortement estimées (folio 36 verso) ; une statue de Vierge en bois atteindrait même la valeur de 3000 Fr de son point de vue (folio 34 recto).

4. Malgré leur différence d’âge, Louis Marchant et Claudius Côte se connais- saient bien et s’appréciaient. Le second a fait de nombreux achats au profit du premier : des fibules antiques émaillées provenant du site antique fameux des Bolards (Nuits-Saint-Georges en Côte-d’Or), des tissus médiévaux… Ils avaient aussi l’histoire naturelle comme passion commune. Pour ce qui est de la collection Côte, cf. Desteve, 1906-1908.

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Fig. 1.Le bol de Rochefort-sur-Nenon (Jura), conservé au Metropolitan Museum of Art de New-York, inv. n° 47.100. 8. © CCO Metropolitan Museum of Art, New-York.

Fig. 2.Détail de l’étiquette collée sur le fond du bol de Rochefort-sur-Nenon, où l’on remarque le lieu de découverte déclaré, ainsi que sa date première d’achat.

© CCO Metropolitan Museum of Art, New-York.

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qu’elle est bien de la main du Dr Marchant. On reconnaît sans dif- ficulté le caractère penché de son écriture ainsi que la forme spéci- fique et anguleuse de certaines lettres (les J et les R, par exemple).

Nous pouvons donc assurer qu’à partir du passage dans les mains de notre antiquaire dijonnais, la provenance de Rochefort-sur- Nenon est justifiée. C’est soit une mention qu’il a pu vérifier, soit un propos qui lui a été rapporté par un tiers-vendeur et si c’est le cas, un doute peut subsister.

1.1.2. Une provenance problématique

Évoquons rapidement cette question épineuse de la prove- nance. La consultation de la Carte archéologique de la Gaule pour le Jura (ROTHÉ, 2001, p. 598-604) ne livre aucune mention d’une éventuelle découverte de ce vase et les archéologues, bons connais- seurs de cette région, n’en ont pas connaissance (Luc Jaccottey, notamment). Le dépouillement de la carte archéologique permet toutefois d’évoquer quelques hypothèses de rattachement poten- tielles. Rochefort-sur-Nenon était une agglomération antique que l’on a parfois identifiée à la station routière de Crusinia (ibid., p. 600) mentionnée sur la Table de Peutinger, située entre Ponte Dubris (Ponthoux ?) et Vesontine-Vesontio (Besançon). Le site est baigné par l’importante rivière du Doubs, affluent de la Saône, dans une zone de confluence avec la Vèze. Sur la rive droite de ce ruisseau, des monnaies et vestiges romains ont été reconnus, au lieu dit La Morte, à hauteur du pont de la RN 73, en 1854 (ibid., p. 601). Sur la rive droite du Doubs, le long de la voie romaine, au lieu dit Grange d’Haibe, des vestiges romains et mérovingiens sont attestés, notamment par les fouilles de J. Feuvrier de 1903 (ibid., p. 601-602). Monnaies romaines et vestiges d’habitations ont également été découverts au milieu du XIXe siècle, lors de l’amé- nagement d’une route, à l’ouest du site précédemment cité (ibid., p. 602). Enfin, à la fin du XIXe siècle, des restes de mosaïques ont été mis au jour « en plantant des noyers », à l’emplacement de l’esplanade du château qui domine le bourg (ibid., p. 602-603).

Ces sites traduisent une forte occupation de Rochefort- sur-Nenon à l’époque romaine. Notons que le bol conservé à

New-York a gardé les traces de dépôt calcaire à l’intérieur du réci- pient (fig. 3) ainsi que sur une partie du décor externe. Ce pourrait être l’indice de sa découverte dans la rivière ou dans une gravière.

En 1882, justement, des travaux importants étaient engagés sur l’écluse du canal du Doubs à Rochefort, dans le cadre de la mise au gabarit Freycinet de la liaison du Rhône au Rhin.

1.1.3. Analyse descriptive

Le décor est composé de six motifs pentagonaux délimités par des filets d’émail rouge. Notons que le motif n’a pas de base ; le pentagone est donc incomplet. Il est composé d’un triangle pointe en haut, porté par deux montants verticaux. Ce rythme de panneaux, sur un pourtour hémisphérique, est présent au sein du décor des vases moulés en céramique sigillée, par exemple (déjà signalé dans FORSYTH, 1950, p. 302). On pense aux coupes ou bols Drag. 37 du Centre de la Gaule, notamment (STANFIELD, SIMPSON, 1990). Mais pour ces vases de terre cuite, la référence à l’ordre architectural est affirmée. Pour notre vase en bronze, seul le motif géométrique prime, en dehors de toute référence aux constructions antiques.

Occupant tout l’espace déterminé par cette forme angu- laire, on rencontre un motif de cinq palmettes superposées. Ce répertoire végétal bi-folié n’est pas naturaliste, même s’il évoque vaguement la feuille de gui, et l’on sait le goût des artisans de tradition celtique pour cette marque décorative. C’est peut-être avec la forme de « samare » de l’érable (les « disamares » exacte- ment, en forme d’hélice), que la ressemblance est la plus proche.

L’émailleur a choisi une alternance de couleurs variées pour ces feuilles courbes ; cinq des six pentagones présentent l’alternance suivante, de haut en bas : vert, rouge, vert, bleu et rouge. Un seul motif est différent, présentant la disposition suivante : vert, vert, bleu, rouge et rouge. Il est bien difficile de trouver une explica- tion à cette variante : un sens de préhension ou l’emplacement privilégié pour effectuer une libation (?). Quoi qu’il en soit, ce motif végétal complexe ressort au sein du pentagone sur un fond bleu-vert.

Dans l’intervalle triangulaire laissé par les pointes desdits pen- tagones (sorte d’écoinçon), un motif curieux se détache sur fond vert clair. Notons que deux d’entre eux, parmi les six existants, sont difficilement observables du fait de la présence d’un encras- sement ou dépôt de matière minérale, issu de son lieu d’enfouis- sement ; remercions les acquéreurs de ne pas avoir fait nettoyer le vase. Il perd en « brillance » mais conserve nombre d’indices qui pourront être exploités un jour prochain en termes d’analyse.

D’ordinaire, les bandes de bronze délimitent la forme naturaliste des feuilles (trilobées, en général) mais ici, la masse de métal cen- trale forme une figure complexe, composée d’un corps vertical encadré par deux développements latéraux, peut-être l’évocation d’une feuille de lierre.

1.1.4. Recherche de parallèles

Si l’on cherche des rapprochements stylistiques sur la base de son décor, le vase de Rochefort-sur-Nenon s’inscrit dans une série de bols et patères utilisant la répétition des motifs de pentagones cernés d’un filet rouge : celui de la nécropole du quai Saint-Martin à La Plante (Namur, Germanie inférieure ; BEQUET, 1905) ; le bol de Vehner Moor, près d’Oldenbourg (TEEGEN, 1997) et la patère à manche de Bad Pyrmont, en Basse-Saxe (TEEGEN, 1999), deux sites du barbaricum. En Grande-Bretagne, pensons aussi au bol de Bradley Hill, dans le Somerset, qui s’inspire de la même composition (LEECH, 1981). Provenant vraisemblablement Fig. 3.Vue intérieure du bol de Rochefort montrant

le dépôt calcaire sur les parois. On observe également la déformation subie par le vase après son enfouissement.

© CCO Metropolitan Museum of Art, New-York.

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de Gaule, un aryballe sphérique de très belle exécution (fig. 4) est conservé au Getty Museum (LAPATIN, WIGHT, 2010). On y remarque le goût prononcé pour les pentagones, qui offrent une composition heureuse mais de plus, constituent un mode de fabri- cation original : les deux parties de coques complémentaires voient leurs bases découpées en pentagones (fig. 5).

Si le motif pentagonal impose son rythme, les vases cités ici présentent des similitudes entre eux (fig. 6) que l’on ne retrouve pas sur celui de Rochefort (fig. 7) ; à savoir : au centre du penta- gone, la présence d’un autre motif pentagonal gigogne, contenant

une décoration d’inspiration végétale. Par ailleurs, remarquons l’espace compris entre les deux motifs pentagonaux, qui est rempli par un motif de vrilles, souvent doubles. Pour ces mêmes vases, l’intervalle triangulaire entre les « têtes » de pentagones est décoré de motifs de feuilles trilobées, autre différence notoire avec notre vase jurassien. Pour ce qui est de la superposition des motifs bi-foliés, un schéma adoptant le même principe peut être observé dans une partie du décor de la patère de Brougham que nous verrons plus loin (fig. 20, n° 2) ; toutefois, seules trois feuilles sont superposées dans ce cas.

Fig. 4.L’aryballe « provenant de France », conservé au Getty Museum de Malibu. © CCO J. Paul Getty Museum,

Gift of Barbara and Laurence Fleischman, 1996.

Fig. 5.Schéma de montage de l’aryballe du Getty Museum à partir de moules à emboîtage, à bords angulaires, reprenant la forme des pentagones. Dessin L. Pelpel.

Fig. 6.Schéma de la composition du décor émaillé du bol de La Plante-Namur,

où l’on distingue les motifs gigognes pentagonaux et les motifs végétaux

de remplissage. Dessin L. Pelpel.

Fig. 7.Schéma de la composition du décor émaillé du bol de Rochefort-sur-Nenon, où l’on distingue le motif végétal répétitif remplissant les pentagones (disamare d’érable ?) et le motif curieux du relief en bronze compris dans l’intervalle entre

deux pentagones. Dessin L. Pelpel.

(7)

Le bol de Rochefort-sur-Nenon s’inscrit dans une série bien établie de récipients antiques qui se retrouvent prioritairement dans le nord-ouest de l’Empire romain. Pour ceux dont le contexte archéologique est connu, une datation du IIe siècle est la plus cou- ramment admise ; notre vase doit être à situer dans cette fourchette chronologique (1ère moitié du IIe siècle de notre ère). On retiendra toutefois le décor spécifique de sa panse, aussi bien en ce qui concerne l’originalité de la superposition des palmettes bi-foliées que de celle du motif en forme de feuille de lierre. Voilà deux spécificités qui semblent former un unicum pour l’heure. Notons également, la présence de deux fines feuilles d’argent qui, pour l’une, recouvre l’intérieur du récipient, venant épouser harmo- nieusement le bord de la lèvre du vase, l’autre protégeant sa base.

Ce détail technique renforce le caractère luxueux du récipient.

1.2. L’

ARYBALLEDE

L

YON

-S

ERIN

, R

HÔNE

(fig. 8)

Vase sphérique (aryballe) en alliage cuivreux (bronze et laiton).

Infimes traces de décor émaillé de couleurs bleu clair et blanc.

Haut. 78 mm ; diam. 74 mm.

Musée Denon, Chalon-sur-Saône, section Beaux-Arts ; inventaire Chevrier 56.

1.2.1. À propos de l’historique et de la provenance du vase

Ce petit vase de bronze a été trouvé à Lyon en 1847 lors du dragage de la Saône, sur la rive gauche, à hauteur du quartier de Serin. Cette information est connue par une mention manuscrite portée sur l’étiquette collée au fond du récipient. À cette époque de nombreux travaux avaient lieu à Lyon, notamment l’aména- gement de ponts sur la Saône ou sur le Rhône. On pense parti- culièrement à la construction du pont du Port Mouton, nommé désormais Pont Clémenceau, établi sur la Saône entre les quartiers de Vaise et de Serin. Il fit l’objet de travaux de surélévation et sa réouverture date justement de 1847. Plus en amont, le Pont Serin ou Pont d’Halicourt, actuel Pont du Maréchal Koenig, pourrait aussi convenir à une éventuelle découverte dans la Saône lors de dragages, car ses cinq arches de bois ont été remplacées par des arcs de pierre en 18455.

Quoi qu’il en soit de la cause de sa mise au jour, il est acheté quelques temps après par Jules Chevrier (1816-1883), archéologue et artiste, natif de Chalon-sur-Saône. Ce dernier est très investi en faveur de sa ville. Il fonde la Société d’histoire et d’archéologie en 1844, puis la Société des amis des arts. Il participe à la création du musée municipal, devenu musée Denon. À ce titre, il s’implique dans la mise en valeur de son patrimoine régional et participe à l’Exposition universelle d’Art et d’industrie de Paris, en 1867. Dans la Galerie de l’Histoire du Travail, il présente le vase découvert à Lyon-Serin, où il figure dans la section « Celtes – Gallo-romains »,

5. On retrouve cette information sur le site Internet concernant les ponts de Lyon : La saga des ponts de Lyon (Archives). On apprend aussi que tous les quais de la Saône sont construits, ou élargis, durant la première moitié du xixe siècle. Côté Serin, le quai est agrandi par sa construction dans le lit même de la rivière. Le chantier est en cours en 1846. En ce milieu du xixe siècle, on s’intéressait beaucoup aux découvertes issues de cette rivière.

M. Comarmont avait signalé l’existence de pièces archéologiques antiques piégées parmi les poudingues, conglomérats calcaires roulés au fond du cours d’eau (Comarmont, 1842). Conservateur des musées archéologiques de Lyon, il a fait profiter ces établissements de ses découvertes issues de la Saône. Plus tard, l’antiquaire Claudius Côte a effectué de nombreux achats de vases antiques issus du fond de la rivière ; un « gobelet romain en argent », notamment.

au n° 778. C’est grâce à cette mention que nous en avons eu connaissance (DENTU, 1867). Par la suite, il est entré dans les collections du musée municipal par le legs Chevrier de 18836. Il figure au n° 56 dans le catalogue de cet important legs qui com- prenait 617 pièces archéologiques. Il est classé parmi les « objets mérovingiens »7, erreur que l’on retrouve dans plusieurs autres inventaires de collections à la même époque. J. Chevrier voyait là la tradition d’artistes émailleurs qui « travaillaient à Limoges dès le siècle de saint Éloi »… (MEULIEN, 1886, p. 11). Faute

6. Nous parlons d’un legs de 1883 mais les choses sont plus complexes d’un point de vue administratif. Nous donnons ici l’historique précis de l’histoire de cette collection : 1° : établissement de l’inventaire de la collection léguée à la Ville de Chalon après le décès de M. Jules Chevrier, dressé et enregistré le 30 octobre 1883. 2° : Délibération du Conseil municipal de la Ville de Chalon-sur-Saône, datée du 28 décembre 1883, dans lequel il est stipulé que le musée de Chalon-sur-Saône reçoit le legs fait par M. Chevrier. 3° : Arrêté pris par le Préfet de Saône-et-Loire dans lequel il est précisé que « La Ville de Chalon est autorisée à accepter le legs qui lui a été fait par M. Chevrier ... », daté du 12 août 1885. On doit donc considérer que c’est en 1885 que la Ville de Chalon-sur-Saône est entrée en pleine possession de cette collection. Cette mise au point a été établie pour nous par Mme Catherine Michel, assistante qualifiée de conservation au musée Denon ; qu’elle en soit vivement remerciée (on parlait jusqu’alors d’un legs de 1886, s’appuyant sur la publication de référence : Meulien, 1886).

7. Édouard Flouest, un collègue de Jules Chevrier, qui a dessiné les fibules émaillées dont il est question ci-après, traduit bien l’esprit de l’époque qui a mené à classer comme « mérovingien » ces vases émaillés fabriqués aux ier et iie siècles de notre ère : « Ces objets portent en eux-mêmes un cachet d’origine qui ne saurait tromper. La belle époque gallo-romaine a pris fin, et, avec elle a disparu le goût des arts dont elle avait favorisé le développement. Les barbares accourus des plaines germaniques se sont déjà fixés à demeure sur le sol gaulois ; ils ont importé avec eux des formes, des types d’ornements inusités et d’un caractère tout spécial, dont l’industrie indigène a promptement ressenti l’influence. Nous la reconnaissons sur [...] les fibules que nous venons de décrire ; elles accusent hautement le Ve siècle, peut-être même le commencement du VIe s. » ; Flouest, 1866.

Fig. 8.Le vase (aryballe) découvert dans la Saône à Lyon-Serin, conservé au musée Denon ; inv. Chevrier n° 75.

Photo musée Denon / Ville de Chalon-sur-Saône.

(8)

d’attribution valable, le vase est resté confiné dans les réserves de la section Beaux-Arts du musée Denon. C’est là que nous l’avons retrouvé en octobre 2017.

1.2.2. Analyse descriptive

Le vase de Lyon-Serin est un récipient de bronze coulé, composé de quatre pièces principales assemblées. Deux calottes hémisphériques légèrement aplaties (hauteur 27 mm, rayon au diaphragme 37 mm) forment la panse ; le bronze y a plus de 2 mm d’épaisseur. La demi-sphère supérieure est percée pour le col (ouverture, diam. 29 mm) ; il est vraisemblable que la calotte inférieure soit également percée d’un orifice semblable et que le fond du récipient soit porté par le socle. Le pied et le col forment tous deux une gorge et un tore (haut. 17 mm, diam. 49 mm).

Une certaine symétrie ressort de cette composition. Deux lames perforées (attaches) constituées d’un alliage cuivreux de type lai- ton, sans décor, sont maintenues symétriquement par brasage en haut de la panse, occultant de manière maladroite le riche décor en creux. Les chaînettes de suspension (ou l’anse ?), ont disparu.

Le métal est en bon état, hormis quelques déformations et enfon- cements, au col notamment et une cassure au pied, avec manque.

On note aussi par endroits des concrétions calcaires à la périphérie du vase (fig. 9) et au fond de sa panse, caractéristique habituelle pour les objets métalliques issus de rivières traversant des terrains sédimentaires (calcaires, en l’occurrence).

Les quatre pièces principales portent un décor régulier com- prenant des parties en creux, qui étaient comblées autrefois par de l’émail aux couleurs variées. Les fiches du XIXe siècle font état de vestiges d’émail « bleu et blanc »8, aujourd’hui presque entiè-

8. Signalons que les spécialistes s’accordent à dire que les vestiges d’émail blanc sur des pièces anciennes peuvent provenir d’une altération de l’émail

rement disparus. D’infimes traces d’émail bleu se reconnais sent encore, permettant de restituer les couleurs de certaines parties du vase (fig. 10). Les deux calottes hémisphériques sont couvertes de 9 x 2 triangles antithétiques, renfermant un décor foliacé répétitif. Une bande linéaire en creux, qui devait être autrefois émaillée (peut-être en rouge, comme l’usage en est fréquent), sépare chaque motif. Les grands triangles renferment une feuille cordiforme, elle-même complétée à l’intérieur d’un motif trifolié : une foliole centrale et verticale de type lancéolé, encadrée par deux folioles symétriques à développement horizontal, de type orbiculaire. Autrefois émaillée (d’une couleur claire : vert d’eau ?) cette disposition centrale est plus décorative que naturaliste.

Entre la feuille dentelée et les bandes linéaires qui l’encadrent, précédemment décrites, il existe un espace creux qui était rempli d’émail bleu formant un fond plus sombre, comme l’attestent quelques rares vestiges.

Les petits triangles intermédiaires, pointés vers le diaphragme, comportent trois feuilles en dents de scie : une palme verticale dentelée, encadrée de deux autres palmes courbes de plus petite taille. Les bordures limitant le fond émaillé, sur lequel les feuilles de bronze se détachent, sont finement incisées. Cette disposition semble être une réponse technique pour renforcer la tenue de l’émail dans la cavité. Le décor des deux calottes est d’apparence symétrique, mais certains détails et irrégularités soulignent qu’elles

rouge. Pour le vase de Lyon-Serin il est délicat de s’avancer par trop, compte tenu des traces infimes conservées.

Fig. 9.Le vase découvert dans la Saône à Lyon-Serin, sur lequel des concrétions calcaires sont clairement visibles.

Photo musée Denon / Ville de Chalon-sur-Saône.

Fig. 10.Schéma de montage du vase de Lyon-Serin et proposition de restitution des couleurs du décor

émaillé. Dessin L. Pelpel.

(9)

ne sortent pas du même moule. Sur chacune des calottes, deux points de bronze apparaissent à l’intérieur d’une des neuf feuilles cordiformes (fig. 11) ; il s’agit peut-être d’un repère de montage conçu par l’artisan. Si cette hypothèse est juste, on notera alors le léger décalage de l’ordre de 2 à 3 mm entre les deux « hémis- phères ». Le pied et le col sont ornés d’une frise de petites cavités en forme de dents de loup, autrefois émaillées. Sur la bande exté- rieure de la lèvre du vase, on note l’irrégularité de leur réalisation dans le moule d’origine (fig. 12). Sa déformation et son usure permettent péniblement de compter 62 dents. Pour ce qui est du socle, on est tenté d’en dénombrer autant, par esprit de symétrie.

Toutefois, la cassure du pied empêche d’en vérifier le nombre exact.

1.2.3. Recherche de parallèles et proposition de datation

Ce petit aryballe est une pièce originale parmi les vases émail- lés de l’aire géographique étudiées dans cette note. Il faut aller en Poméranie pour trouver un équivalent, tout au moins quant à la forme du récipient. Un aryballe émaillé de même dimension et la moitié d’un second ont été recueillis en 1998 à Jartypory, dans une tombe féminine de la culture de Wielbark, Goths des

Ier-IIIe siècles (ANDRZEJOWSKI-RAKOWSKI, 2006). Toutefois, le vase de Lyon-Serin se rattache par plusieurs traits à d’autres pièces du corpus des vases de bronze à décor émaillé.

L’assemblage des deux calottes par le diaphragme est la règle commune pour les récipients de cette technologie. Sans doute s’impose-t-il pour répondre aux contraintes du moulage en fonte épaisse. La composition du décor à l’intérieur des mailles d’un « filet » se voit également sur l’aryballe du Getty Museum (LAPATIN-WIGHT, 2010) et dans la série des patères de type Namur (BEQUET, 1906). Parmi celles-ci, le bol de Bradley Hill (FOWLER, 1981) comporte un décor végétal très proche (fig. 13). La feuille cordiforme se lit sur la panse du vase d’Ambleteuse, où bronze et émail y sont toutefois inversés (BAILEY, 2003). Par ailleurs, elle peut se comparer aux deux virgules accolées qui couvrent, en grand

nombre, le vase de la Guierce, en Charente (BERLAND-PELPEL, 2008). Toutefois, c’est avec le décor de la patère de West Lothian (fig. 14) que les parallèles sont les plus marquants (ANDERSON, 1885) : élément clair trifolié dans un motif cordiforme du décor du manche (fig. 15) ou encore feuilles bourgeonnantes à bor- dure dentelée avec motif de bronze d’une palme centrale et deux petites palmes courbes, convexes cette fois. Le motif secondaire assemblant trois feuilles dentelées en bronze se rencontre sur le vase de Maltboek (ENGELHARDT, 1871) appartenant lui-même à une série datée du IIe siècle.

Les dents de loup de la lèvre et du pied sont à la base du décor de nombreux vases antiques hérités de la Grèce. Notons au passage qu’elles sont émaillées de trois couleurs différentes, réparties de manière aléatoire, sur les vases de Corbrige (CASEY, HOFFMANN, 1995) ou de Geleen (MARIEN, 1980), qui ont gardé quant à eux leur émail. Le pied du balsamaire de Lyon-Serin ressemble forte- ment à une pièce démantelée achetée par Joseph Brummer à la Fig. 11.Détail du vase de Lyon-Serin, sur lequel on note les deux

points au milieu du motif floral ; originalité de ce décor répétitif.

Musée Denon de Chalon-sur-Saône. Cliché C. Vernou.

Fig. 12.Détail du vase de Lyon-Serin : vue de dessus, avec décor en creux de « dents de loups » qui ont perdu leur émail.

Musée Denon de Chalon-sur-Saône. Cliché C. Vernou.

Fig. 13.Dessin du bol de Bradley Hill, où l’on remarque la similitude avec le motif végétal de la feuille cordiforme du vase de Lyon-Serin,

d’après FowLeR, 1981.

(10)

vente Simkhovitch : « rare enamelled bronze bowl, roman period, encircled by enamelled frieze » (SIMKHOVITCH, 1922). Les vases de cette série qui ont pu être datés nous ramènent tous au IIe siècle de notre ère (LEECH, 1981).

La forme générale du vase se rattache à la tradition de l’aryballe romain en bronze des Ier et IIe siècles de notre ère. Il faut vraisemblablement lui restituer une chaînette de maintien et un couvercle à charnière dont un anneau en laiton (œil de charnière) est encore en place à hauteur de la lèvre du récipient (fig. 12).

On doit donc voir en ce récipient un vase de bain contenant huile ou onguent, dans la pure tradition romaine. Un rapprochement du vase de Lyon-Serin avec celui dragué dans la Saône à Chalon- sur Saône, en 1843, peut aussi fournir matière à réflexions. Bien que n’appartenant pas au corpus des vases émaillés, ce vase de Chalon, également issu du legs Chevrier (MEULIEN, 1886, n° 57), offrent des points de comparaison éclairants. Adoptant également la forme de l’aryballe, il est aussi en bronze fondu. Il porte un décor géométrique entre deux frises de dents de loup (fig. 16).

Fig. 15.1.Schémas de comparaison entre les décors végétaux du vase de Lyon-Serin ;2.la patère

de West Lothian. Dessin L. Pelpel.

Fig. 16.Aryballe en bronze, découvert dans la Saône, à Chalon-sur-Saône en 1843. Décor d’incrustation de cuivre et d’argent. Musée Denon, Chalon-sur-Saône, inv. C.A. 398.

© Photo Philip Bernard.

Fig. 14.Chromolithographie de la patère de West Lothian (Linlightgowshire), au motif végétaux très voisins de ceux du vase de Lyon-Serin, d’après AnDeRson, 1885.

(11)

Mais cette fois-ci, le décor est constitué non pas d’émail mais d’incrustations de cuivre et d’argent. Le caractère spé- cifique de sa décoration l’on fait prendre pour « un vase byzantin » au moment de sa découverte (CHEVRIER, 1846).

On note, toujours provenant de la Saône, plusieurs vases métalliques de grande qualité, comme une gourde en fer9 à incrustation de laiton et de cuivre rouge figurant une feuille de vigne avec grappe de raisin, découverte aussi à Chalon, en 1853 (BONNAMOUR, 2000, p. 41, cat. n° 136).

Ces deux techniques, décor d’émail ou d’incrustations, semblent avoir été utilisées en parallèle, à la même époque et probablement pour la même clientèle aisée.

1.3. L

E

«

GOBELET

» T

RIMOLET

, R

HÔNE

? (fig. 17)

Gobelet (à l’origine, élément de vase composite à emboîtage) en alliage cuivreux (bronze).

Décor émaillé de quatre couleurs : rouge, bleu soutenu, blanc- jaune et vert.

Haut. totale 120 mm ; diam. sup. 102 mm ; diam. inf. 35 mm.

Musée des Beaux-Arts de Dijon ; inventaire n° CA T 1247.

1.3.1. Historique de la pièce

Cette pièce en bronze à décor émaillé provient de l’ancienne collection d’Anthelme Trimolet (1798-1866), peintre, dessinateur et collectionneur, qui a passé toute sa vie à Lyon. À partir de 1825, il entreprend, avec son épouse Edma, une collection éclectique qu’ils abritent dans leur appartement. Ils ont constitué au fil du temps un véritable cabinet d’art, renfermant des tableaux, gravures et dessins, des nielles, des émaux, des ivoires et des bijoux, des mon- naies, des armes, de la faïence, des meubles… La plus grande partie de la collection (GLEIZE, 1883), soit 1919 pièces, estimée à 750.000 francs or de l’époque, est revenue à la Ville de Dijon au décès d’Edma, en 1878. Les émaux du Moyen Âge et de l’époque moderne y forment une véritable série de référence (HATOT, 2010), au sein de laquelle se trouve l’énigmatique « gobelet » de bronze qui nous intéresse ici10.

Trimolet adorait restaurer, voire transformer, les pièces qu’il achetait souvent dans de simples brocantes (JUGIE, 2006). Il n’hésitait pas à exercer son art en constituant des compositions

9. Provenant de Lyon, mais du Rhône cette fois, on signale les vestiges d’une

« gourde en fer consolidée par une monture de bronze qui comprend un pied, un orifice et un bandeau circulaire. […] chaque bandeau latéral, large de cinq centimètres, porte une plaque contournée, décorée d’une console en forme de fleuron, sur laquelle est posée une figure d’éphèbe nu, les cheveux courts et frisés » (Longpérier, 1868, p. 122-123, pl. XVIII). Il s’agit vraisemblablement d’une « double représentation de Mercure comptant des pièces de monnaies ». Malheureusement, cette pièce rare n’est pas conservée dans les musées de Lyon ; elle a dû être négociée par quelques antiquaires férus de pièces antiques.

10. Une assez bonne idée du musée Trimolet est donnée par une admiratrice zélée : « parmi les objets des plus importants que renferme le cabinet qui nous occupe, il faut citer une collection de magnifiques émaux » : Dubuisson, 1847, p. 334. La rédactrice semble bien documentée dès cette époque sur les émaux celto-romains : elle cite Philostrate pour ce qui est des émaux gaulois, une découverte de colliers gaulois en bronze, l’un d’eux étant décoré de rosaces en émail verdâtre, mis au jour en 1836 à Marsal (Meurthe) ou encore, celle d’un vase en bronze « du meilleur goût comme forme, dessin et choix de couleurs », effectuée dans l’Essex en 1824. Ces mentions démontrent que dans les milieux avertis, l’existence de ces vasées émaillés était connue et diffusée.

originales que les auteurs anglais nomment « forgeries ». Le gobe- let ainsi remodelé par ses soins correspond en réalité au col d’un vase anciennement démantelé, qui a été inversé et complété par une petite base formant balustre, issue d’un autre récipient dont on ne sait rien. Mais le « gobelet » en question ne répond pas à la fonction qu’a voulu lui donner l’antiquaire. La pièce n’a pas de fond et la jonction avec le pied est mal assurée par un joint en plomb approximatif. La surface intérieure est très rugueuse, résultat d’un moulage sans ébavurage, ni polissage. Elle n’est pas destinée à contenir un liquide, d’autant que ce contenant n’a pas de lèvre aménagée.

Le « gobelet » de Trimolet fait partie des vases émaillés dont on ne connaît pas la provenance. Le peintre lyonnais est réputé avoir formé sa collection à partir de pièces collectées principale- ment à Lyon et dans les environs de la ville11. Mais il a également des attaches dans l’Ain, dans la Bresse et en Côte-d’Or ; il a aussi voyagé en Allemagne, en Suisse et en Italie. Toutefois insistons sur la modestie de l’objet, élément incomplet d’une pièce de forme.

Cette indigence semble exclure son achat sur le marché de l’art où l’on sait que quelques grands émaux ont changé plusieurs fois de mains à cette époque ; l’exemple du bol de Rochefort- sur-Nenon l’illustre à merveille. On peut donc supposer qu’il provient du Centre-Est de la France, zone que notre antiquaire connaissait bien.

11. Une provenance de la région lyonnaise est fortement probable, comme semble l’affirmer l’assertion suivante : « M. Chabeuf ajoute que la collection Trimolet a été formée à Lyon et que la plupart des objets qui la composent proviennent des environs de cette ville » : Mémoires de la Société nationale des Antiquaires de France, 1909, p. 146.

Fig. 17.Le « gobelet » en bronze émaillé de la collection Trimolet.

Musée des Beaux-Arts de Dijon, inv. n° CA T 1247.

© Musée des Beaux-Arts de Dijon/ François Jay.

(12)

1.3.2. Analyse descriptive et comparaison

Le décor émaillé de cette pièce comprend trois registres hori- zontaux, séparés par un filet de bronze (fig. 18) : 1°, une frise de lunules imbriquées en émail bleu, blanc-jaune et rouge, suivant une alternance aléatoire ; 2°, une sorte de palmette en filet d’émail rouge, comprenant un point de jonction, répétée trois fois sur un fond bleu profond garni de motifs incurvés en émail vert ; à la base des palmettes et dans l’intervalle triangulaire qui les sépare, se distingue un motif géométrique ternaire, souligné d’une mince touche d’émail blanc-jaune ; 3°, un échiquier de losanges (ou plu- tôt de forme rhomboïdale) remplis d’émail bleu profond pour un registre supérieur, d’émaux rouge et blanc-jaune alternés (2 rouges, pour 1 blanc) pour un second registre inférieur, et enfin, le tout est délimité en partie basse comme en partie haute, de motifs triangulaires de couleur verte, évoquant les « dents de loup » déjà observées sur le vase de Lyon-Serin, par exemple, mais d’un autre type, toutefois.

Fig. 18.Schéma coloré de la composition générale du décor émaillé du « gobelet » Trimolet. On doit restituer la disposition

originale du vase, celle d’un col de récipient composite à emboîtage. Dessin L. Pelpel.

Fig. 19.Patère à manche de Brougham. Notez la similitude du motif curviligne central. © Tullie House, Carlisle, inv. 15-1971.308.

Fig. 20.Schémas de comparaison entre les décors végétaux du gobelet Trimolet (1) et de la patère de Brougham (2).

Dessin L. Pelpel.

Fig. 21.Tableau comparatif entre trois pièces antiques à décor émaillé.1.« gobelet » du musée de Dijon ;2.patère de Brougham ; 3.« pied de vase » du Victoria and Albert Museum. Schéma coloré de L. Pelpel ; infographe de C. Magister-Vernou.

(13)

Une frise de lunules émaillées bleues et rouges, semblable à celle du « gobelet » se rencontre sur le balsamaire de Catterick dans le Yorkshire (ALLASON-JONES, 2002, pl. 96, fig. 268) et sur plusieurs autres pièces découvertes en Grande-Bretagne. Précisons que le camp militaire de Catterick était en activité dans les années 70 à 155 de notre ère. On retrouve le motif principal du « gobe- let », la palmette rouge sur fond bleu, dans le décor d’une patère (fig. 19) découverte dans une sépulture à incinération du début du IIIe siècle à Brougham, dans le Cumbria (BUTCHER, 1977). Le code couleur est identique et il est probable que les deux récipients sortent du même atelier (fig. 20). L’étude détaillée de l’objet et de ses réparations situe sa fabrication au début du IIe siècle (COOL, 2004). Les motifs curvilignes qui animent le fond du « gobelet » autour des palmettes, en forme de virgules, triangles échancrés et cornets, se rencontrent tous et dans les mêmes couleurs jaune, vert et rouge, sur le petit vase découvert à Selborne, dans le Hampshire et conservé au Curtis Museum à Alton (SELBORNE, 1877). Pour ce dernier récipient, il s’agissait à nouveau du mobilier d’accom- pagnement d’une sépulture à incinération, datée cette fois-ci, du 3ème quart du IIe siècle.

Finalement, c’est une pièce conservée au Victoria and Albert Museum de Londres qui présente le plus d’affinités avec le « gobe- let » de Dijon. Comme pour ce dernier, la pièce de Londres appar- tenait à un ensemble dissocié ; elle s’apparente au pied d’un vase (fig. 21, n° 3). On remarque dans son décor une composition tripartite associant un échiquier losangé, des frises de lunules imbriquées et, en partie centrale, un motif curviligne d’inspiration celtique, structuré par un filet d’émail rouge. Cette pièce provient de la collection d’Hollingworth Magniac (1786-1867), qui l’aurait acquise en France, avant 1853 (HENRY, 1933, p. 110). Au bilan, la pièce démantelée mise en évidence par Anthelme Trimolet doit dater du début du IIe siècle de notre ère.

1.4. L

E

«

VASE

»

DE

S

AINT

-A

MOUR

, J

URA

« Vase en cuivre avec dessins sur émail ».

Musée des Beaux-Arts de Dole ; mention en 1840.

Profitant de cet article, nous avons tenu à faire état d’une mention qui doit attirer notre attention pour la région qui nous occupe. Arcisse de Caumont avait convié en septembre 1840 à Besançon les membres de la Société française d’Archéologie dont il était président. À la séance du 6 septembre, il lit une courte notice de M. Pallu, bibliothécaire de la ville de Dole, qui souligne l’intérêt de quelques objets antiques se trouvant au Musée des Beaux-Arts de cette ville. Après avoir cité une magnifique tête de Diane en bronze, des haches romaines de diverses provenances et avant de faire référence à une suite de stèles funéraires portant ins- cription, on remarque la notice suivante : « 2° - un vase en cuivre avec dessins sur émail, et d’un travail curieux sous le rapport de l’exécution. Ce vase n’a jamais été décrit. Il a été trouvé à Saint- Amour (Jura) » (Bulletin monumental, 1840, p. 421). Aurait-on là une nouvelle pièce intéressant notre série ?

M. Pallu était également co-fondateur du musée, érudit, il a beaucoup fait pour valoriser le patrimoine de sa région. Le musée de Dole a été créé en 182312 et au départ, il a bénéficié de dona- tions pouvant provenir de collections particulières, elles-mêmes

12. Le musée fut fondé en 1823 : Annuaire des Artistes français, 1ère année, Paris, 1832, p.  126. M.  Pallu fut co-fondateur du musée des Beaux-Arts de Dole, son premier directeur fut M. Besson, nommé par le Ministre de l’Intérieur : Annuaire des Artistes français, 1ère année, Paris, 1832, p. 349.

alimentées par les antiquités conservées, avant la Révolution, au collège des Jésuites. La Carte archéologique du Jura mentionne quelques mobiliers antiques à Saint-Amour (ROTHÉ, 2001) mais pas de découverte mobilière du type de celle mentionnée plus haut. Contactés récemment, les collègues du musée de Dole n’ont pas pu retrouver ce « vase avec dessins sur émail » ; nous ne pouvons donc pas avancer sur son identification formelle.

2. LES VASES ROMANO-BRITANNIQUES À DÉCOR ÉMAILLÉ

2.1. C

ONSIDÉRATIONSGÉNÉRALES

Seul auteur antique à avoir évoqué les bronzes émaillés, Philostrate l’ancien, souvent cité pour cette question, a écrit :

« Ces couleurs diverses sont versées par les barbares voisins de l’Océan sur l’airain incandescent ; elles prennent de la consistance et ce qui est peint ainsi demeure inaltérable » (PHIL., I, 27). Philostrate a accompagné Septime Sévère jusqu’à York lors de son expédition contre les Brigantes en 208 après J.-C. ; il connaissait donc bien cette technique qu’il avait pu voir appliquée dans l’Île de Bretagne.

Il venait de Rome, où les objets répondant à cette technologie étaient peu diffusés ; son témoignage est donc significatif.

Les archéologues anglais ont toujours cru à l’origine insulaire des vases émaillés qu’ils trouvaient sur leur sol. La découverte, échelonnée sur une période de plus de cent ans, d’une série de vases émaillés portant en inscription le nom de plusieurs forts du Vallum Aelius (Mur d’Hadrien), est venu conforter cette hypo- thèse. Les fouilles menées dans les années 1980 à Castleford (Yorkshire) ont permis d’exhumer, sur le site d’un atelier de bron- ziers, au centre du camp des auxiliaires romains, une grande quan- tité de fragments de moules à décor (fig. 27, infra). Certains de ces décors correspondent exactement à des vases émaillés découverts en Britannia, mais aussi, très loin de Castleford, sur le continent.

Tel est le cas de la gourde émaillée de Pinguente (Buzet, Croatie), découverte en 1866 en contexte funéraire, avec un caveçon, lui- même émaillé (LINAS, 1884). Les moules de Castleford ont été remarquablement analysés par Justine Bayley, ce qui permet de mieux comprendre les procédés de moulage des pièces (BAYLEY- BUDD, 1998).

Sur le continent, les archéologues se sont longtemps ralliés à l’idée de l’existence d’un atelier belge qui aurait été découvert à la villa romaine d’Anthée, province de Namur (BEQUET, 1902).

Cette hypothèse était confortée par le très grand nombre de fibules émaillées rencontrées dans les cimetières de la région environ- nante. Elle a été battue en brèche par l’étude menée par Paule Spitaels : celle-ci démontre en effet que des traces d’activité de bronzier, ajoutées à la fréquence des fibules émaillées, ne font pas pour autant un atelier de production de vases émaillés (SPITAELS, 1970). Les différents types de vases se retrouvent aussi bien en Britannia que sur le continent, en proportion variable.

Peu de vases de ce type ont un contexte archéologique de découverte bien défini. La plupart sont des pièces thésaurisées ou de rebut, d’autres ont perdu toute indication d’origine. Les rares pièces qui bénéficient d’une provenance archéologique avérée consistent souvent en des offrandes funéraires, ou, plus rarement, en dépôt votif dans un sanctuaire, voire dans une source (TEEGEN, 1999). Les dépôts sont souvent rattachés à des contextes tardifs, ce qui implique pour ces vases une durée d’utilisation relativement étendue. Mais insistons sur le fait que leur fabrication s’échelonne de la seconde moitié du Ier siècle de notre ère au tout début du

IIIe siècle. De nombreux auteurs affirment que leur dispersion serait liée aux mouvements des légions romaines (DERK-ROYMANS,

(14)

2006) mais cela reste toutefois à démontrer pour de nombreux cas, comme nous allons le voir ultérieurement.

2.2. C

RITÈRESD

IDENTIFICATION

Les vases à décor émaillé appartiennent à l’art provincial du Haut-Empire romain. Les découvertes proviennent principa- lement de Britannia mais aussi de Belgica et de Germania. Le fait que le corpus se limite à quelques dizaines d’objets n’a pas facilité l’identification des pièces au moment de leur découverte.

Certaines furent traitées de « gauloises », d’autres de « mérovin- giennes » ou de « médiévales ». Toutefois, les vases émaillés pos- sèdent un certain nombre de traits communs qui permettent de ne pas les confondre avec des productions similaires d’autres époques.

Les vases en question sont des objets de bronze dont la typo- logie est typiquement romaine mais dont la technique du décor émaillé se rattache à la tradition celtique. Ils se différencient bien de l’émail médiéval, qui lui, est principalement réalisé sur cuivre. Le bronze contient souvent une part de plomb ou de zinc significative, typique des bronzes occidentaux du Haut-Empire.

Par ailleurs, les contraintes techniques de fabrication des vases excluaient les alliages trop riches en étain, peu malléables ou dif- ficiles à ciseler.

Les vases de ce corpus sont à parois épaisses, de l’ordre de 2 à 2,5 mm, car ce sont des pièces moulées puis fondues. Cette technique permet de réaliser le décor dans le moule, à l’instar de la céramique sigillée ou de la verrerie moulée, en vogue à la même époque. Les termes de « taille d’épargne » ou de « champlevé » qui caractérisent les émaux médiévaux occidentaux ne peuvent s’appli- quer aux vases émaillés du Haut-Empire, dans la mesure où les

« cupules » qui reçoivent l’émail ne sont pas incisées dans le métal.

La technique celto-romaine du moulage permet, dans certains cas, de réutiliser des moules multi-pièces, démontables (fig. 22).

Quant au moule d’argile, quelques trouvailles indiquent qu’il a pu être réalisé par moulage d’un modèle (archétype) vraisembla- blement en plomb (BAYLEY, BUDD, 1998).

Ces vases émaillés n’ont pas d’équivalent à la fin de l’époque laténienne durant laquelle, en revanche, les artistes ont excellé dans la production de grandes pièces de harnais ou de miroirs dont les manches portaient un décor élaboré. Les vases ont une toute autre fonction. Ils affectent des formes extrêmement variées qui, pour certaines, peuvent être inspirées de traditions plus orientales (flacons hexagonaux, vase piriforme, balsamaire

globulaire). Leur décor n’a pas toujours la finesse et la complexité qu’atteignent certaines pièces pré-romaines, mais, comme parfois sur celles-ci, il couvre la totalité de la surface. Avec cette produc- tion du Haut-Empire apparaissent dans les provinces occidentales de l’Empire de nouvelles couleurs d’émail qui viennent s’associer au rouge et au jaune de l’époque précédente : le bleu sombre est maintenant largement utilisé. Les verres bleus au cobalt, de type syro-palestinien, se répandent en Occident à cette époque, ainsi que le turquoise et le vert pâle (NAEF-GALUBA, 1993). Le rouge n’est plus la couleur dominante : il est dorénavant utilisé sur des surfaces plus restreintes, notamment pour constituer des filets harmonieux.

2.3. U

NETYPOLOGIEPARTICULIÈRE

Aucun répertoire systématique des bronzes émaillés n’a été établi jusqu’ici mais on dispose toutefois de quelques publica- tions essentielles, dont le travail, remarquable pour l’époque, de Françoise Henry sur les émailleurs d’Occident (HENRY, 1933).

Depuis les années 1980, notamment pour ce qui concerne les patères et les bols, on se réfère à la publication de C. N. Moore (MOORE, 1978) qui partait, à l’origine, d’une découverte effectuée à Brough-on-Fosse (Nottinghamshire). L’auteur les répartit en trois catégories (fig. 23), à partir du décor qu’ils portent.

Le premier groupe est défini par la découverte de Rudge Coppice (Wiltshire), où le vase porte un décor de muraille styli- sée ainsi que le nom de plusieurs fortifications du mur d’Hadrien (ALLASON-JONES, 2012). Un bol de ce type a été découvert à Amiens (fig. 24) en 1949 (HEURGON, 1952). Le second groupe se réfère à la patère de West Lothian (Écosse), dont le décor asso- cie des motifs végétaux de type celtique dans une composition classique en rinceaux (ANDERSON, 1885). Les exemplaires de ce groupe sont dispersés entre le continent et la Grande-Bretagne.

Le dernier groupe réunit des vases à décor inscrit dans une série de pentagones, définis par la découverte de Vehner Moor (Oldenburg, Allemagne ; TEEGEN, 1997). On peut y rattacher, bien entendu, le bol de Rochefort-sur-Nenon. Localisés sur le continent, ces vases auraient pu y trouver leur lieu de produc- tion, mais rien n’est moins sûr ; des découvertes de ce type ont également été faites en Britannia, comme la patère de Bradley Hill (LEECH, 1981).

Au-delà des bols et patères, les vases émaillés sont d’une grande variété de forme (fig. 25 et 26). On trouve des aryballes - qui peuvent être rapprochés pour leur usage des strigiles à manche émaillé -, des flacons hexagonaux à panneaux assem- blés, des flacons ovoïdes sur piédouche, des vases à profil de petite amphore, des gourdes, un service à libation… et une série remarquable de grosses lampes en forme de coq, principalement localisée en Belgique (HOSS, 2015).

Pour le décor, les pièces qui portent les motifs classiques de frise végétale réaliste sont, semble-t-il, les plus anciennes. Ensuite apparaît un décor composé dans une maille formé d’un filet d’émail rouge linéaire, parallélépipédique ou curviligne. Les motifs associés peuvent inclure des bourgeons ou des feuilles stylisées d’inspiration celtique, avec courbes et contre-courbes. Ailleurs, la paroi du vase peut être couverte, partiellement ou totalement, par un damier multicolore. Le vase de La Guierce-Pressignac (fig. 27) montre que le bronzier-émailleur pouvait aussi se libérer totale- ment des canons décoratifs gréco-romains en couvrant le vase de bandes verticales multicolores, composées de motifs bourgeonnant de taille dégressive (BERLAND, PELPEL, 2008).

Fig. 22.Moule à pièces en terre cuite issu de l’atelier de bronziers de Castleford, d’après BayLey, BuDD, 1998.

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Fig. 23.Les trois catégories de décor des bols et des patères, d’après MooRe, 1998.

Fig. 24.Patère d’Amiens (Somme) à décor de merlons d’une fortification romaine et inscriptions

mentionnant cinq forts de l’ouest du mur d’Hadrien. Collection du Musée de Picardie, Amiens,

inv. MP. 3984. © Photo Irwin Leullier / Musée de Picardie.

Fig. 25.Schémas de « vases à verser » mis à l’échelle.1.Patère de Pyrmont (D) ;2.patère de Bath (GB) ;3.vase de Selbourne (GB) ;4.aiguière du musée de Mayence (D) ;5.col de cruche du musée de Dijon (F) ;6.col de vase ou base de chandelier du Victoria and Albert Museum (GB) ;7.aryballe de Lyon-Serin (F).

Dessins de L. Pelpel.

Fig. 26.Schémas de vases divers, mis à l’échelle.1.Vase à anse d’Ambleteuse (F) ;2.vase piriforme de Pressignac-La Guierce (F) ;3.vase de Bartlow Hill (GB) ;4.vase de Mérida (E) ;5.vase-

encensoir de l’épave de Carmina-Sicile (I) ;6.vase hexagonal de Corbridge (GB) ;7.vase du musée de Russé-Sexaginta Prista (Bu) ; 8.flacon de Catterick (GB) ;9.vase à anses du musée de Cambridge

(GB). Dessins de L. Pelpel.

Références

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