• Aucun résultat trouvé

LA SUPRÉMATIE DU DOLLAR EST-ELLE MENACÉE?

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "LA SUPRÉMATIE DU DOLLAR EST-ELLE MENACÉE?"

Copied!
5
0
0

Texte intégral

(1)

LA SUPRÉMATIE DU DOLLAR EST-ELLE MENACÉE ?

ANNICK STETA

epuis l’implosion du régime de changes fixes hérité de la Seconde Guerre mondiale, chaque glissade du dollar semble annoncer la fin de la suprématie de la monnaie américaine.

Et, chaque fois, le dollar ne tombe que pour mieux se relever.

Concurrencé par les devises européennes et asiatiques, bousculé par l’émergence de la monnaie unique européenne, le dollar est parvenu à préserver son hégémonie sur le marché des changes (1) comme dans les réserves de change des banques centrales (2). La monnaie dont se dotèrent en 1793 les jeunes États-Unis ne semble rien devoir céder de la domination qu’elle a forgée tout au long du XXesiècle. La création, lors de la conférence de Bretton Woods, d’un système monétaire international articulé autour du dollar ne constitua qu’une étape dans l’affirmation de la vocation mondiale de la monnaie américaine : son statut particulier tient davantage aux victoires qu’elle remporta sur les autres devises avant le déclenchement du conflit comme après le passage formel des changes fixes aux changes flexibles (3).

D

(2)

La fortune du dollar doit beaucoup au rôle de fournisseur des belligérants que jouèrent les États-Unis lors de la Première Guerre mondiale. Avant 1914, le système monétaire international reposait sur un mécanisme d’étalon-or qui s’était mis en place spontanément en Europe et en Amérique du Nord à partir du milieu du XIXe siècle : les paiements internationaux pouvaient être effectués soit en or soit en devises. La modification de la structure de la balance des paiements américaine se traduisit par le déplace- ment d’une fraction importante du stock d’or mondial de l’Europe vers les États-Unis. Passés en quatre années du statut de débiteur à celui de créancier du Vieux Continent, les États-Unis commencèrent à construire la puissance de leur monnaie sur une répartition du stock d’or mondial qui leur était devenue favorable.

Devenu de fait le pivot du système monétaire international entre les deux guerres mondiales, le dollar fut formellement placé en son cœur lors de la conférence de Bretton Woods. Une première expérience d’étalon de change-or, ou Gold Exchange Standard, fut engagée lors de la conférence de Gênes de 1922. L’objet de cette réunion consistait à mettre un terme au désordre monétaire qui avait suivi la Première Guerre mondiale. Les participants à la conférence de Gênes préconisèrent la mise en place d’un système monétaire fondé sur deux principes : les pays disposant de réser- ves d’or suffisantes adopteraient un système d’étalon-or, mais la convertibilité en or des monnaies ne serait plus que partielle (4) ; les autres pays pourraient constituer des réserves de change non seulement en or, mais aussi en devises-clés elles-mêmes converti- bles en or (5). Ce premier Gold Exchange Standard ne fonctionna véritablement qu’entre 1926 et 1931. Quatre pays – les États-Unis, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France – offraient des mon- naies « as good as gold ». Mais les centres-or autres que les États- Unis connurent rapidement des difficultés grandissantes. Le contrôle des changes instauré en août 1931 par la République de Weimar afin d’arrêter l’hémorragie d’or et de devises provoquée par le retrait des capitaux américains consécutif à l’effondrement du système bancaire national signa la sortie de l’Allemagne du Gold Exchange Standard. La Grande-Bretagne, dont l’économie ne parvenait pas à s’accommoder du rétablissement de la parité de la livre sterling à son niveau d’avant-guerre, lui emboîta le pas un

(3)

mois plus tard. La France résista jusqu’à la dévaluation de sa devise par le gouvernement de Front populaire. Vainqueur par K.-O.

de la compétition monétaire, le dollar bénéficia largement du nou- vel ordre économique issu de la Seconde Guerre mondiale.

Entre 1939 et 1944, la part du stock d’or mondial détenue par les États-Unis passa de 50 % à 70 % ; l’architecture monétaire interna- tionale adoptée à Bretton Woods ne fit que traduire cette domina- tion américaine. La présentation par John Maynard Keynes d’un plan proposant l’instauration d’un ordre monétaire articulé autour d’une monnaie internationale appelée bancor fit figure de baroud d’honneur : le second Gold Exchange Standard sortit tout armé du Trésor américain. Les autorités monétaires de chaque pays membre du Fonds monétaire international devaient définir des parités « en poids d’or pris comme commun dénominateur ou en dollars des États-Unis d’Amérique du poids et du titre en vigueur le 1er juillet 1944 ». Chaque État membre s’engageait à assurer la convertibilité de sa monnaie en monnaies étrangères à des taux de change fixes.

Outre cette règle de convertibilité externe, les accords de Bretton Woods prévoyaient la possibilité d’une convertibilité de la mon- naie nationale en or, possibilité que seuls les États-Unis étaient en mesure d’exploiter. Était ainsi conçu un Gold Exchange Standard asymétrique avec une seule monnaie immédiatement convertible en or, les autres monnaies étant simplement convertibles entre elles et en dollars.

C’est l’échec de ce second Gold Exchange Standard qui consacra la suprématie du dollar : le rôle international de la mon- naie américaine a survécu à l’abandon d’un régime de changes fixes construit autour d’elle. Si le passage d’un dollar rare à un dollar surabondant entraîna le système de Bretton Woods à sa perte, il favorisa la généralisation de l’utilisation de cette monnaie et limita la concurrence d’autres devises. Aux années de « disette du dollar » qui suivirent immédiatement la Seconde Guerre mon- diale succédèrent des décennies d’abondance. L’origine de cette inversion de tendance réside dans l’attribution aux pays d’Europe occidentale de l’aide Marshall, laquelle provoqua une migration massive de dollars vers l’autre rive de l’Atlantique. La reprise des exportations européennes en direction des États-Unis, le dévelop- pement des investissements directs américains en Europe, la pro-

(4)

gression des dépenses militaires américaines liées à la guerre froide prolongèrent ce mouvement de sortie de dollars du territoire amé- ricain. L’apparition et le développement des eurodollars (6) contri- bua enfin à l’abondance de la devise qui était la clé de voûte du système monétaire international. La déconnexion entre le stock d’or détenu par les États-Unis et une masse de dollars de plus en plus importante et de plus en plus mobile fit naître au sein du Gold Exchange Standard des crises répétées, crises qui aboutirent à la liquidation du système de Bretton Woods. Le 15 août 1971, le président Nixon décida de suspendre la convertibilité du dollar en or. Le flottement des changes fut entériné par l’accord de la Jamaïque que signèrent en janvier 1976 les États membres du Fonds monétaire international (7).

Le flottement des changes n’a pas eu raison du statut de monnaie de référence dont jouit la devise américaine. Et pour cause.

Seule une monnaie satisfaisant à un ensemble de conditions parti- culièrement restrictives pourrait parvenir à supplanter le dollar dans sa fonction d’instrument privilégié des transactions internatio- nales. Pour prétendre devenir une rivale sérieuse, une monnaie devrait non seulement émaner d’une zone représentant une part importante de l’économie mondiale et se livrant à d’intenses échanges commerciaux et financiers avec les pays tiers, mais aussi s’appuyer sur une banque centrale suffisamment crédible pour garantir sa stabilité. Ce faisceau de critères éclaire le fait que ni la livre sterling, ni le mark allemand, ni le yen n’ont été en mesure de véritablement concurrencer le dollar. L’euro ferait figure de challenger convaincant si le doute pesant sur sa pérennité était définitivement levé – autrement dit, s’il devenait la monnaie d’une Europe politiquement unifiée. Tant que ce pas supplémentaire vers la fusion des nations européennes n’aura pas été franchi, le dollar aura de beaux jours devant lui.

1. Selon la Triennial Central Bank Survey publiée en décembre 2007 par la Banque des règlements internationaux, le dollar était présent dans 86,3 % des opérations de change réalisées dans le monde en avril 2007 (sur un total de 200 %, chaque opération mettant en jeu deux devises). L’euro était présent dans 37 % des trans- actions, le yen dans 16,5 %, la livre sterling dans 15 %. Bien que le dollar reste la monnaie la plus échangée, sa part a baissé de 4 points depuis 2001. Celle du yen a

(5)

chuté de 6,2 points, tandis que celle de l’euro diminuait de 0,6 point. La part de la livre sterling s’est accrue (+ 1,8 point). Celle des monnaies des pays émergents est passée de 16,9 % à 19,8 %.

2. La part de l’euro dans les réserves de change des banques centrales paraît avoir augmenté au cours des années récentes. Selon les données publiées par le Fonds monétaire international et la Banque des règlements internationaux, les réserves de change des banques centrales étaient composées au troisième trimestre 2006 de 65,5 % de dollars, 4,2 % de livres sterling, 3,2 % de yens et 25,2 % d’euros. En 1999, ces devises représentaient respectivement 71,1 %, 2,7 %, 6 % et 18,1 % des réserves considérées. Cet accroissement de la part de l’euro serait essentielle- ment dû à l’appréciation de la monnaie unique européenne face au dollar : les réserves de change sont en effet exprimées en dollars courants. Si l’on corrige ce biais, on constate que les banques centrales substituent peu l’euro au dollar, mais bien davantage la livre sterling au yen.

3. On oppose traditionnellement le système des parités fixes, qui connaît des variantes, à celui des changes flottants. Dans le cas de parités fixes au sens strict, le gouvernement détermine un taux de change officiel par rapport à un étalon reconnu par la communauté internationale ; aucune marge de fluctuation n’est prévue.

Dans un régime de changes stables mais ajustables, les pouvoirs publics s’engagent à intervenir sur le marché des changes de façon à maintenir le taux de change à l’intérieur de marges de fluctuation autour de la parité. Des modifications volontaires de parité peuvent être réalisées par les autorités monétaires : ce sont les opérations de dévaluation ou de réévaluation. Dans un régime de changes flottants, le taux de change est déterminé librement par la confrontation de l’offre et de la demande de devises sur le marché des changes.

4. La convertibilité en or des monnaies ne serait plus réalisable que contre des lin- gots : c’est ce que l’on appelle le Gold Bullion Standard.

5. Cette disposition constitue le Gold Exchange Standard au sens strict du terme.

6. On appelle eurodollars les dépôts en dollars situés à l’extérieur des États-Unis.

7. Le nouvel article IV de l’Accord du Fonds monétaire international reconnaissait implicitement les taux de change flottants en permettant à chaque pays de choisir son régime de change, à condition de ne pas fixer la valeur de sa monnaie par référence à un certain poids d’or.

Annick Steta est docteur en sciences économiques.

Références

Documents relatifs

[r]

Ces politiques de dévaluation compétitive permettent effectivement la croissance des exportations, mais avec une contrepartie presque immédiate, l’inflation : si la dévaluation

Once again, however, it is striking how the content of the NIEO, and associated proposals of UNCTAD in the 1970s, simply reiterated many of the agenda items discussed during

Ainsi, dans le système de Bretton Woods le Franc Français par exemple avait une valeur officielle définie par rapport au dollar, tandis que dans le Système Monétaire

Mais cet élargissement de la masse monétaire internationale a comme corollaire un développement de l'argent spéculatif ou hot money aggravant les spéculations déstabi- lisantes.

De nombreux commentateurs se sont félicités de cette nouvelle répartition du stock, en se basant sur la répartition des flux commerciaux et de l'équilibre monétaire indis- pensable

Bref, la lettre de politique environnemental sert aux nationaux en tant que document référentiel en matière de gestion de l'environnement à Madagascar. Tandis

Il existe cinq grandes conditions pour qu’une monnaie devienne internationale (A. Bénassy-Quéré et al, 2016) : être émise par un grands pays ou une grande zone monétaire,