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Où est l’état ? Rapport au politique dans un quartier populaire de Palerme (Sicile)

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112 | 2019

Cultures populaires II

Où est l’état ? Rapport au politique dans un quartier populaire de Palerme (Sicile)

Where is the state? Report to politics in a working-class neighborhood of Palermo (Sicily)

Fabrizio Maccaglia

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/gc/14531 DOI : 10.4000/gc.14531

ISSN : 2267-6759 Éditeur

L’Harmattan Édition imprimée

Date de publication : 1 décembre 2019 Pagination : 95-117

ISBN : 978-2-343-21967-7 ISSN : 1165-0354 Référence électronique

Fabrizio Maccaglia, « Où est l’état ? Rapport au politique dans un quartier populaire de Palerme (Sicile) », Géographie et cultures [En ligne], 112 | 2019, mis en ligne le 08 avril 2021, consulté le 23 juin 2021. URL : http://journals.openedition.org/gc/14531 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gc.14531 Ce document a été généré automatiquement le 23 juin 2021.

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Où est l’état ? Rapport au politique dans un quartier populaire de

Palerme (Sicile)

Where is the state? Report to politics in a working-class neighborhood of Palermo (Sicily)

Fabrizio Maccaglia

1 Depuis plusieurs années, les recherches sur l’État font l’objet d’un renouvellement en France dans le sillage des street level bureaucracy studies initiées aux États-Unis par Michael Lipsky (1969, 1980). Le pas de côté consistant à s’intéresser non plus à l’élaboration des politiques publiques, mais à leur mise en œuvre par les agents de terrain a entrouvert la voie à deux orientations. Si avec Jean-Marc Weller c’est le déroulement du travail bureaucratique (1999) et le processus conduisant à la production « d’actes d’État » (2018) qui sont placés au centre de la discussion, chez d’autres c’est le rapport des individus à l’État qui est questionné. Celui-ci l’est à partir de situations d’interaction dans des domaines aussi différents que la justice et la police (Fassin, 2013), les services sociaux (Dubois, 2010) et fiscaux (Spire, 2012), ou bien à partir de groupes sociaux subalternes comme les migrants (Spire, 2008) ou les habitants des quartiers populaires (Siblot, 2006). Dans une approche à dominante sectorielle (la délivrance des prestations sociales, le rapport police/habitants, etc.) ou tournée vers des publics ciblés, le curseur de l’analyse est le plus souvent placé sur les agents de terrain, quand bien même celle-ci s’attache à observer la situation de face-à-face citoyens/agents de terrain et ce qui se joue dans cette interaction : il s’agit dans ces différents cas de figure d’observer le pouvoir discrétionnaire dont ces agents disposent dans le traitement des demandes des usagers, et la manière dont l’État providence dans un contexte réformateur fait endosser à ses publics des modèles de comportement (ce que signifie être un demandeur d’emploi via l’idée de responsabilisation par exemple) et accentue sa domination le plus souvent sur des minorités et des populations en difficulté sociale et économique.

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2 Cet article propose de s’intéresser au rapport à l’État des habitants d’un quartier populaire de Palerme dénommé piazza Danisinni (place Danisinni)1, à la façon dont ils le convoquent et en parlent, aux attentes dont il est l’objet et aux significations dont ils le dotent, autrement dit lui font une place dans leur vécu, pour comprendre les mécanismes au moyen desquels l’État acquiert une existence et fait sens. Cette discussion sera menée en travaillant à partir de l’idée de rapport ordinaire à l’État, c’est-à-dire un rapport construit en dehors de situations institutionnalisées que sont les moments où les individus se retrouvent en condition d’interaction avec les pouvoirs publics au guichet des administrations pour la délivrance de prestations sociales, mais aussi hors de ceux-ci (dans la rue par exemple via les politiques de sécurité), et indépendamment des évènements qui rythment la vie publique comme les campagnes électorales ou les circonstances qui revêtent un caractère solennel (célébrations, prises de parole des autorités). Ce faisant, il s’agit de positionner la réflexion sur le politique et les institutions en dehors des moments qui les font exister de manière officielle et cérémonielle. L’ordinaire est ici conjugué à l’idée de quotidienneté, et renvoie donc comme le proposent les contributeurs de L’ordinaire en politique (Buton et al., 2016) à des situations, qui se définissent par leur caractère routinier, banal et répétitif, et non à des individus identifiés en fonction des propriétés sociales qui leur sont reconnues. Ce qui nous intéresse c’est donc la part de banalité, constitutive du cours de l’existence quotidienne, qui entre dans le processus d’objectivation de ce que l’on nomme l’État et, au-delà, du rapport au politique et à la représentation politique. Nous reprenons à notre compte, tout en l’adaptant au sujet dont il est ici question, l’invitation de Patricia Ewick et Susan Silbey (2004) d’envisager le droit non comme quelque chose d’extérieur aux individus, mais comme un objet social produit par les individus eux-mêmes à travers leurs pratiques et leurs discours. Dans cette perspective, l’État n’est pas conçu comme un ensemble d’institutions qui occupe une position surplombante et constitue une sphère d’action autonome, mais le résultat d’une relation qui permet de soutenir l’idée d’une constitution mutuelle de l’État et de l’individu : l’individu produit l’État par le biais de l’image qu’il s’en fait, de l’usage qu’il en a, des attentes qu’il nourrit et du discours qu’il tient à son endroit ; cette image, cet usage, ces attentes et ce discours procèdent directement des modalités adoptées par l’État pour être l’État.

3 Ainsi, la question qui est posée n’est pas de savoir si le rapport au politique est socialement différencié2, mais de saisir par le biais d’une observation empirique ce qui fonde une expérience de l’État en partant de récits centrés sur la vie quotidienne d’individus originaires d’un même quartier populaire. Le chemin emprunté conduit de la sorte à concevoir le populaire non comme un objet d’étude qui serait ici décliné dans le champ du politique, et qui s’attacherait notamment à caractériser ce que pourrait être un rapport des classes populaires à l’État, mais une entrée sous la forme d’une situation territorialisée pour conduire cette discussion sur la manière dont des hommes et des femmes objectivent leurs rapports à l’État et à la représentation politique. De là il s’agira de voir comment ce rapport à l’État peut être envisagé à partir de l’idée de culture politique.

Dispositif de l’enquête de terrain

4 Place Danisinni est un quartier populaire localisé aux abords du centre historique de Palerme, caractérisé par un bâti particulièrement dégradé : sur les 452 bâtiments à

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usage résidentiel recensés, la moitié présente ainsi un état de conservation médiocre ou mauvais pour une moyenne municipale de 26,6 %3. Le taux de chômage élevé (tableau 1) et la forte précarisation des existences se conjuguent à la prégnance de l’économie informelle4 et illicite5 dans la production des revenus familiaux. Autres indicateurs des difficultés sociales et économiques des habitants qu’il est possible de convoquer pour caractériser ce quartier, ce sont le niveau de qualification scolaire (tableau 1) et l’importance du décrochage scolaire : ce dernier en atteignant 2,5 % dans l’enseignement primaire, 14 % dans l’enseignement secondaire inférieur et des pointes à 40 % dans l’enseignement secondaire supérieur range Danisinni parmi les quartiers de Palerme où le phénomène est le plus critique6.

Tableau 1 – Profil socioéconomique du quartier Danisinni

Moyenne

municipale Danisinni

Proportion des plus de 16 ans détenteurs d’un diplôme de l’école

secondaire 40,7 % 15,3 %

Proportion d’analphabètes 1,7 % 4 %

Proportion d’analphabètes dépourvus de diplôme 8,1 % 12,3 %

Taux de chômage 25 % 39 %

Source : Comune di Palermo, Report statistico. Danisinni : un profilo statistico, 19/02/2016.

5 Les familles qui habitent ce quartier, et qui présentent une inscription différenciée sur le marché du travail (actif ou retraité, emploi dans le secteur public ou privé, travailleur indépendant, chômage, emploi informel, etc.), ont en partage une même condition sociale, celle d’appartenir aux classes populaires telles qu’Olivier Schwartz (2011) les définit à partir de la position sociale de « dominé » et de l’idée de

« vulnérabilités des conditions d’existence, qui n’est pas nécessairement la misère, mais qui signifie assurément l’exposition récurrente au manque de ressources ou à l’insécurité ». Place Danisinni se distingue également par une surreprésentation des figures féminines dans la vie locale et celle du foyer, au point que le médecin Antonella Monastra7, qui fait également partie du groupe de personnes enquêtées (voir infra), parle de « société matriarcale » à propos du quartier, car il est courant que les figures masculines soient absentes du fait de leur incarcération plus ou moins prolongée. C’est donc à elles qu’incombe très souvent la responsabilité du foyer sur le plan éducatif et économique.

6 Place Danisinni est restée à l’écart des programmes de résorption de l’habitat insalubre des années 1970 et 19808, à la différence d’autres quartiers populaires situés dans le voisinage comme cortile Cascino (Dolci, 1956 ; Costantino, 2014), puis des programmes de requalification urbaine des années 1990 et 2000 qui ont surtout ciblé le centre historique9. Se sentir à part et à l’écart est un sentiment fréquemment exprimé par les habitants aussi bien lors des entretiens que des discussions libres engagées à l’occasion

« d’observations déambulatoires » dans le quartier pour reprendre l’expression du Collectif Rosa Bonheur (2014). Ce sentiment renvoie d’abord à l’effet que produit la

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configuration du site dans la mesure où place Danisinni est logé dans une dépression (carte 1 ; photographies 1, 2, 3 et 4) : l’encaissement crée une rupture dans le niveau du sol et une situation d’isolement par rapport aux quartiers environnants, qui est accentuée par l’existence d’une seule voie d’accès pour les automobiles et l’absence de desserte en transports publics. C’est donc un quartier que l’on ne traverse pas puisqu’il ne se situe sur aucun itinéraire et dans lequel on ne vient pas – sauf par erreur ou pour visiter de la famille comme le font observer les enquêtés – puisqu’il est dépourvu de tout commerce ou service. Ce sentiment exprime également la conviction pour les habitants d’être des Palermitains de second rang eu égard à l’état matériel du quartier et de la difficulté à mobiliser les pouvoirs publics sur les problématiques qui les concernent, accentué par l’état de fragilité sociale voire de pauvreté des familles.

Carte 1 – Coupe transversale du quartier place Danisinni

7 Le matériau mobilisé ici se compose d’entretiens exploratoires menés en octobre 2014 conjointement à Marie Morelle10 en vue de préparer une recherche ayant pour thème la vie quotidienne dans les quartiers populaires dans une perspective comparative pays du Nord / pays du Sud11. Cette enquête a donné lieu à des séquences d’observation et à la réalisation d’entretiens semi-directifs auprès des habitants du quartier, ainsi qu’avec le responsable de la communauté religieuse Sant’Agnese12 et l’un des membres de l’association Insieme per Danisinni13. Ces entretiens d’une heure trente à deux heures s’organisent autour de six sujets principaux : la vie du quartier et la vie dans le quartier ; les trajectoires résidentielles ; l’emploi et la production des revenus familiaux ; la scolarisation des enfants ; l’accès aux soins ; les mobilités quotidiennes.

Cette enquête a été précédée par des terrains en 2012 et 2013, cette fois sur un mode individuel, à l’occasion desquels des entretiens non directifs ont été réalisés avec des acteurs engagés dans la vie sociale du quartier, des responsables politiques locaux et plus particulièrement avec l’un des médecins (Antonella Monastra14) en poste au dispensaire fréquenté par les habitants de place Danisinni. C’est par son intermédiation que les personnes enquêtées en 2014 ont été approchées et se sont par la suite prêtées à l’exercice de l’entretien. C’est également à l’occasion de ces séjours préparatoires qu’il m’a été possible de prendre part en qualité d’observateur aux réunions de travail15 rassemblant sur place adjoints au maire (aux affaires sociales, aux affaires scolaires, à l’environnement), représentants d’agences publiques (de santé, de la protection de l’environnement, des transports), conseillers municipaux, responsables de la communauté religieuse et des associations actives dans le quartier autour de problématiques concernant spécifiquement place Danisinni : accessibilité et voirie, remise en état des infrastructures collectives (dispensaire et école élémentaire), inscription du quartier dans un parcours touristique.

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8 Il peut sembler paradoxal de traiter de l’ordinaire à travers la technique des entretiens comme le fait remarquer Christèle Marchand-Lagier, alors même qu’ils constituent pour les enquêtés « des interactions extraordinaires » (Marchand-Lagier, 2016, p. 163), dans la mesure où il s’agit de moments auxquels ils ne sont guère habitués, qui les placent en situation de prendre position sur un sujet et incidemment d’objectiver leur rapport à ce sujet en fonction des questions qui leur sont soumises ou des orientations annoncées lors d’échanges. C’est pourquoi nous avons cherché à corriger ce biais en nous inspirant du dispositif d’enquête développé par Patricia Ewick et Susan Silbey dans le cadre de leurs recherches sur la notion de conscience du droit (Ewick et Silbey, 1998) : il repose sur l’utilisation de narrations (« narratives ») dans le but de placer les enquêtés en situation, c’est-à-dire de les inviter à s’inscrire dans le lieu, la situation ou le sujet qui fait l’objet de l’étude ou sert de cadre à celle-ci, et de les amener de la sorte à se raconter avec le minimum de contraintes méthodologiques. L’intérêt porté à la démarche narrative tient au fait qu’elle permet de faire ressortir le « […] sens subjectif de l’expérience, celui donné par le participant même » (Duchesne et Skinn, 2013, p. 279). Les récits livrés par les enquêtés sont approfondis en vue de préciser certaines situations évoquées par les enquêtés eux-mêmes ou travailler des questions qui perceraient au cours de la narration. L’intérêt porté à cette approche tient au fait qu’elle intègre trois dimensions : une dimension interpersonnelle (les interactions enquêteur/enquêté), une dimension temporelle (la combinaison du passé, du présent et du futur) et une dimension spatiale dans la mesure où « […] l’expérience se produit en un lieu, un milieu ou un contexte précis » (Duchesne et Skinn, 2013, p. 279).

Photo 1 – Quartier place Danisinni

Habitations adossées aux contreforts de la dépression (à l’arrière-plan les immeubles collectifs du quartier Ziza auxquels on accède par une volée d’escaliers qui passe au milieu des habitations (voir la photographie suivante)

Source : F. Maccaglia, novembre 2011.

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9 Les entretiens ont été réalisés dans un contexte marqué par la fermeture de l’école élémentaire Galante en 2007 et du dispensaire cinq ans plus tard, tous deux installés de longue date au centre de Danisinni, et seuls équipements collectifs à disposition des familles. La communauté des frères capucins établie à demeure dans le quartier apparaît de la sorte comme l’unique interlocuteur institutionnel et l’unique prestataire en services sociaux16 ou culturels. Outre l’animation de la vie locale par le biais des activités religieuses et des fêtes paroissiales, la paroisse Sant’Agnese met à disposition ses locaux pour assurer des consultations médicales et l’organisation d’activités scolaires (aide aux devoirs) et périscolaires (ateliers artistiques, activités sportives) en coopération avec des associations17. Elles proposent également avec celles-ci des activités aux adultes du quartier comme des sessions de formation en informatique, des cours d’alphabétisation et des séjours touristiques.

Photo 2 – Quartier place Danisinni

Escaliers débouchant via Cipressi (principale voie piétonne d’accès et de sortie du quartier) Source : F. Maccaglia, septembre 2011.

10 Si ces entretiens n’avaient pas pour objet d’interroger explicitement le rapport à l’État des habitants de ce quartier, pour autant, les enquêtés, spontanément ou au travers les relances introduites dans les échanges, en sont venus à produire un discours sur l’État, les pouvoirs publics, le politique et la politique en lien avec les situations qu’ils décrivent. C’est pourquoi je propose de réinvestir ce matériau d’enquête pour proposer une réflexion sur le rapport des habitants d’un quartier populaire au politique. Ces entretiens exploratoires ont été revisités en prêtant attention à la manière dont la figure de l’État est convoquée par les enquêtés dans le déroulé de leur discours (où et comment se joue la rencontre avec l’État ?), aux sentiments qui sont associés à cette figure et au-delà à l’autorité publique comme autorité agissante dans un territoire

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(comment l’État est-il défini ?), et aux représentations des institutions publiques (soit l’imaginaire institutionnel des enquêtés).

Photo 3 – Quartier place Danisinni

École élémentaire « Galante ». Sa fermeture a été suivie d’actes de vandalisme.

Source : F. Maccaglia, septembre 2012.

Un rapport indéterminé au politique

11 Ce qui ressort des entretiens c’est avant tout un rapport au politique relativement indéterminé. Les enquêtés expriment des sentiments, prennent position et livrent des interprétations qui mettent en jeu l’autorité publique, soit une figure institutionnelle détentrice d’un pouvoir d’action qui se manifeste notamment dans la possibilité de produire des biens et des services publics à destination d’un territoire et de sa population. Ces mêmes enquêtés citent nommément des acteurs politiques de proximité comme le maire en exercice ou celui qui l’a précédé, ou encore des conseillers municipaux et des adjoints au maire. Pour autant ce rapport au politique peut être qualifié d’indéterminé au sens où dans les discours on glisse aisément d’une figure institutionnelle à l’autre (l’État, la municipalité, le gouvernement), sans qu’il y ait derrière une logique argumentative sur la base de compétences institutionnelles clairement identifiées ou d’une représentation de l’architecture politico-administrative consciemment spécifiée.

12 L’expression qui revient le plus souvent est celle d’« institutions » (le istituzioni) pour désigner un ensemble d’interlocuteurs publics avec lesquels les enquêtés interagissent pour accéder à des services ou solliciter des interventions ponctuelles de manière directe ou indirecte au travers d’intermédiaires (comme la paroisse, l’association

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Insieme per Danisinni ou les médecins du dispensaire), ou acquièrent simplement une place dans leur argumentation lorsqu’ils imputent des responsabilités et des défaillances. L’expression « les institutions », par son aspect à la fois englobant (puisqu’il regroupe dans un même registre l’administration et le politique) et flottant (puisqu’il désigne une réalité intelligible malgré son caractère imprécis), traduit bien ce rapport indéterminé au politique. Celui-ci se donne également à voir dans l’usage au détour d’une phrase du pronom impersonnel « ils » pour désigner les pouvoirs publics, qui exprime tout à la fois cette indétermination et le fait qu’ils soient perçus comme constituant une entité unique. Ce « ils » renvoie à une opposition entre « nous » et

« eux », ces derniers désignant les différents acteurs qui composent la sphère publique ; une sphère publique qui apparaît en position d’extériorité par rapport au quartier et à ses habitants compte tenu du désintérêt prêté aux autorités concernant l’équipement et l’entretien de place Danisinni.

13 La figure de l’État n’est spontanément invoquée qu’à une seule reprise par l’un des enquêtés (Enquêté 5)18 : l’État, dans le récit qu’il livre du quartier, renvoie à une forme générique d’autorité publique qui subsume toutes les autres figures du politique.

14 Ces différentes figures du politique que sont donc l’État, le maire ou le gouvernement possèdent pour nos enquêtés une valeur équivalente qui les rend de la sorte interchangeables, car ce qui compte à leurs yeux c’est l’attribution fondamentale qu’elles partagent : agir pour le compte de la collectivité. C’est en effet à partir de l’idée de responsabilité que sont caractérisées ces différentes figures du politique, qui pour eux n’en forment qu’une en définitive, et que sont imputés des manquements concernant la production des services publics dans le quartier ou l’accessibilité des équipements collectifs, et qu’au-delà est pointée une responsabilité morale eu égard à l’idée d’engagement qui doit présider selon eux à l’action des

« institutions ». Cette représentation du politique, et de l’État, peut aussi être regardée comme un rapport profane au politique, c’est-à-dire un rapport qui se construit en dehors des catégories instituées et des taxinomies en usage, de la part d’individus qui ne sont pas des professionnels de la politique19 : c’est le résultat d’une élaboration intellectuelle personnelle qui mobilise des savoirs non savants, d’un travail de mise en concordance de faits et de situations, de construction d’un cadre interprétatif sur la base d’hypothèses et de convictions élaborées au fil d’expériences de vie. Ces discours donnent à voir le sens commun de ce qu’est l’État : une entité protéiforme et multiscalaire, à l’architecture complexe et aux attributions variées, qui exerce des fonctions d’autorité et qui possède une vitrine publique (à travers laquelle s’accomplissent la matérialisation et la territorialisation de son existence) sous la forme d’administrations, de biens et de services à destination de la population, et de figures institutionnelles (élus, personnel administratif, agents, etc.) qui se réclament de l’État et agissent en son nom.

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Photo 4 – Quartier place Danisinni

Source : F. Maccaglia, septembre 2005

« Des institutions » définies par le faire

15 C’est en dressant l’état des lieux du quartier et en caractérisant les conditions de vie au quotidien que « les institutions », pour reprendre l’expression la plus souvent utilisée, acquièrent une place dans les récits des enquêtés : ces « institutions » voient leur responsabilité mise en cause dans le manque d’infrastructures et les carences constatées dans l’entretien du quartier.

« Je te le répète. Le peu que nous avions, te dis-je… Nous avions un bel établissement [un dispensaire]. Pourquoi Cammarata [maire de Palerme de 2002 à 2012] à ce moment-là l’a-t-il fait fermer ? Mais pour quelle raison ? Il fonctionnait ! » (Enquêtée 3)20

16 On voit se mettre en place des récits qui s’organisent à partir des problèmes auxquels place Danisinni a été confronté au cours des dernières années comme le fonctionnement intermittent de l’éclairage public ou la prolifération d’insectes et de parasites faute d’entretien des espaces attenants aux habitations, et les modalités de délivrance des services collectifs ou la fermeture de l’école élémentaire et du dispensaire. C’est donc le registre des carences et des défaillances, autrement dit du manque d’État, qui structure les récits. Ces problèmes sont convoqués, et se voient investis d’une signification emblématique, parce qu’ils ont perduré sur une longue durée (l’éclairage public n’a été rétabli qu’après trois années) ou parce qu’ils ont été une source de nuisances particulièrement importantes (les descriptions détaillées des marques sur le corps et de la gêne provoquées par la présence d’insectes et de parasites témoignent du caractère particulièrement incommodant de cette situation telle que

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l’ont vécue les habitants). Il ressort de ces narrations que les équipements et services publics sont des biens à forte valeur symbolique au travers desquels les individus prennent conscience de la place qui leur est reconnue dans l’espace social : les équipements et services publics sont en quelque sorte la matérialisation de la considération que leur portent « les institutions » ; une considération qui se concrétise sous la forme d’une offre de services, d’une qualité de service et d’une rapidité dans la prise en charge des problèmes. Il y a quelque chose qui se joue dans la production des équipements et services publics que Philippe Warin exprime par exemple sous la forme d’« une attente de “performance de justice” » (Warin, 1999, p. 147).

« Nous sommes restés dans le noir plus de trois ans ? Oui, c’est ça. Il y avait des pannes, oui c’était des pannes. Pour les pannes, combien de fois nous avons appelé, tous les soirs nous appelions, écoute. “Nous sommes en train d’envoyer une équipe pour contrôler, et ceci et cela”. […] Alors donc, après un bon moment. Après, toutes ces années sont passées. Finalement, c’était bien peu de chose, ils ont attendu trois ans, quatre ans, pour mettre une ampoule, réparer, parce que je me répète, ils s’en fichent de Danisinni. […] Si vous sortez d’ici vous arrivez à Piazza Indinpendenza [place où se situent le gouvernement et l’Assemblée régionale, ainsi que la préfecture et le commandement régional des carabiniers] ; Piazza Indipendenza est importante […]. Mais eux…, mais nous ici non ! Parce que je te le répète, ils se préoccupent peu de nous. […] Danisinni, qu’est-ce que ça peut bien leur importer ».

(Récits entremêlés : Enquêtée 3 et Enquêtée 4)21

17 C’est par le biais des équipements et services publics que les individus se font une idée de principes abstraits et généraux comme l’égalité, le public (par opposition à la sphère privée), l’intérêt général ou le contrat social. Les habitants de place Danisinni que nous avons interrogés nourrissent la conviction d’être socialement et territorialement disqualifiés, et de subir à ce titre un traitement différent et inégal en comparaison des habitants d’autres quartiers de Palerme :

« L’État ici à Palerme n’existe pas. Du tout, il n’existe pas. Danisinni est hors de leur portée. Pas seulement Danisinni, Ballaro’, Il Capo, [deux autres quartiers populaires], ce sont des quartiers qui pour eux ne comptent pas ; pour eux seuls comptent via Libertà [avenue résidentielle et commerçante bourgeoise], via Maqueda [rue commerçante et touristique du centre historique], les quartiers qui leur rapportent davantage d’argent comme avec le tourisme. Je veux dire, Danisinni, ce genre d’endroits, ne font pas partie de leur projet. Nous avons l’habitude de dire, que nous n’avons pas de maire, ni personne, nous avons au contraire cette petite église, qui bonne bonne qu’elle est nous vient en aide ».

(Enquêtée 1)22

18 L’action publique est un des canaux privilégiés à travers lesquels se construit la relation entre citoyens et pouvoirs publics, car l’État contemporain s’est construit comme un producteur de biens et de services collectifs, et a précisément fondé sa légitimité sur la production de ces biens et services : « Le service public incarne un modèle de société où la gestion publique est érigée en tuteur de la collectivité et en protecteur de chacun » (Fijalkow et Jalaudin, 2012, p. 106). Les services collectifs sont des maillons des

« chaînes d’interdépendance » (Siblot, 2006) qui lient les individus à l’État : ces chaînes sont « pourvoyeuses de ressources matérielles et particip[e]nt à l’identification d’un

“nous” collectif » (Siblot, 2006, p. 15). Et on voit bien dans le cas qui est le nôtre, que le manque d’équipements et la difficulté à bénéficier de services publics de qualité nourrit un sentiment d’abandon et d’injustice profond, le sentiment de ne pas faire partie de ce

« “nous” collectif » et d’être hors de portée de l’État :

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« Il y a des fois où nous disons pour rigoler que c’est une municipalité à part ».

(Pippo Morello)23

« Ici, nous sommes, je dis, dans un puits ». (Enquêtée 2)24

19 Au point que l’une des personnes enquêtées en vient même à douter de l’existence réelle du quartier, dans un contexte urbain où l’urbanisation non réglementaire est particulièrement prégnante (Maccaglia, 2014), pour expliquer le manque d’équipements et la piètre qualité des services publics dont bénéficie le quartier :

« Danisinni c’est un petit coin tout petit-petit, peut-être n’existe-t-il même pas sur la carte, t’imagines ! » (Enquêtée 3).

20 Si un « nous » existe, c’est un « nous » par défaut, résultat de la stigmatisation subie par les habitants de place Danisinni, une identité locale à laquelle ils sont sans cesse renvoyés. L’enquêté 525 relate comment à plusieurs reprises en « ville » (le mot est de lui et traduit bien ce sentiment, qui est donc intériorisé par ses habitants, que le quartier ne fait pas pleinement pas partie de la communauté locale et de l’espace urbain), il est interpellé par ses interlocuteurs avec des expressions telles que « Vous, de Danisinni » ou « Vous à Danisinni ». Et de raconter le travail pédagogique qu’il s’efforce d’accomplir à chaque fois pour leur expliquer que les habitants du quartier ne sont en rien différents des autres Palermitains : « Nous sommes comme vous » se plaît- il à leur dire.

21 Ce sentiment d’être délaissé exprimé par les habitants est renforcé par le fait d’apparaître comme une ressource électorale et de subir de la sorte une forme d’instrumentalisation pour la poursuite d’intérêts qui leur sont étrangers :

« Ils viennent seulement quand il y a des élections. Ou les régionales, ou les municipales, là tu les vois, ils se pointent, ils te disent que [petit silence], ils te donnent leurs tracts et ça se termine là, et après tu ne les revois plus. Je ne vois pas les institutions. Parce que nous sommes un quartier, un quartier que je qualifie de cinquième classe pour les institutions. Nous sommes abandonnés des hommes, mais pas de Dieu. […] C’est-à-dire l’homme-institution26 il n’en a rien à faire. Seulement pour les élections, après tu ne les vois plus. S’il y a des élections, ils se pointent, une fois la gauche, une fois vient la droite, une fois vient le centre, ils viennent seulement pour les élections, et après ils ne se font plus voir. De beaux discours, mais les faits où sont-ils ? Les faits ils ne les réalisent pas ». (Pippo Morello)27

« Beaucoup de promesses qu’ils ne tiennent pas. Je répète durant les périodes électorales ils promettent n’importe quoi pour obtenir des suffrages, mais après ce n’est pas suivi d’effet, après ils s’en fichent ; et bien, il [le candidat en campagne] se dit, aujourd’hui je montre de l’intérêt parce que je sais que demain il doit aller voter, alors entendu, ils organisent un rassemblement, ils viennent, ils t’offrent des petits gâteaux, des choses, ils te fêtent, puis ils prennent les suffrages et puis ils te font ce qui est. […] Nous le savons qu’il s’agit d’une plaisanterie, allez ». (Enquêtée 3)28

22 L’interaction avec des acteurs politiques possède un caractère ponctuel qui ne s’accomplit qu’à l’occasion des campagnes électorales. Ces deux extraits montrent bien que pour les enquêtés « les institutions » forment une sphère d’activités autonomes, déconnectée de leurs attentes et besoins. Dans les argumentations s’opère une mise en balance que l’on peut résumer par la formule suivante servir les citoyens vs se servir des citoyens : c’est à la lumière de ce glissement sémantique autour de la question du désintéressement que doit se mesurer le sentiment de colère qu’une enquêtée peut exprimer, pouvant aller jusqu’à des mots particulièrement durs, qui n’ont d’égal que la dureté de ses conditions de vie et le ressentiment éprouvé pour l’inertie des pouvoirs publics : « Moi, je hais les maires. Ce sont des voleurs pour moi » (Enquêtée 1)29. Le

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politique est ici associé à la manipulation et à la malhonnêteté ; c’est une vision désenchantée mêlée à un fort sentiment de défiance qui transparaît :

« Ici ils ne font pas les maires. Ils ne veulent pas faire les maires pour aider les gens, c’est pour le salaire. Parce qu’ils ne s’intéressent à rien. Ils le font pour eux. Ils ne le font pas parce qu’ils veulent aider Palerme, ou parce qu’ils veulent améliorer Palerme, c’est pour leurs propres poches, c’est pour faire la belle vie. Ce ne sont pas des députés selon moi, je les appelle des voleurs ». (Enquêtée 1)30

23 Un autre enquêté explique les problèmes constatés dans le quartier non pas par le manque de probité des pouvoirs publics, mais par l’organisation institutionnelle des pouvoirs et les modalités de l’action publique qui en découlent :

« Tu comprends, que peuvent-ils faire eux aussi ? Ils ont leurs limites. Si l’un d’entre eux veut faire quelque chose, y’a quelqu’un qui l’en empêche. Car comme tu le sais, ce n’est pas une personne qui décide, ce sont de nombreuses personnes.

Donc une seule peut faire quelque chose, tu comprends, mais au-delà d’un certain point selon moi, tu es empêché. C’est mon avis. C’est comme quand le maire veut faire mille choses, puis il y a le conseil municipal qui ne le lui permet pas. Moi je voudrais une autre politique, moi je voudrais tant qu’un seul commande. […] On devrait travailler pour de vrai pour le peuple, et ce n’est pas cela qui est fait ».

(Enquêté 5)31

24 Il est intéressant de voir ici comment cet enquêté élabore un scénario interprétatif qui déresponsabilise le chef du gouvernement municipal, et voit dans les projets en attente de concrétisation, les défaillances des services urbains ou les difficultés du quotidien un effet organisationnel : ce sont des logiques concurrentielles entre les structures constitutives de l’organisation municipale qui font obstacle à une action publique efficiente.

La fonction de l’intermédiation dans l’accès aux

« institutions »

25 L’évocation des problèmes est l’occasion pour les enquêtés d’énumérer ce que le quartier fait par lui-même et de mettre en avant les logiques d’entraide et de solidarité qui lui permettent de se substituer aux « institutions », ou bien encore ce qu’il obtient grâce aux figures de l’intermédiation sur lesquelles il peut compter (la paroisse et le fondateur de l’association Insieme per Danisinni, Pippo Morello) ou encore grâce au propre capital social des habitants :

« Il n’y a rien. Au contraire, nous avons la paroisse qui se soucie, il y a Frère Giuseppe qui nous aide. Mais tout manque dans ce quartier. Ici, si quelque chose se détériore, bonne nuit. Nous, nous ! Si les ampoules se cassent, c’est nous qui mettons l’argent. Nous mettons un euro chacun, ce qui est nécessaire. On s’entraide. C’est nous qui nettoyons, qui balayons dehors ». (Enquêtée 1)32

« Si la paroisse ne s’implique pas, ils [les pouvoirs publics, les services municipaux, les sociétés [réseaux urbains] dorment. Alors, il faut toujours que quelqu’un se soucie, sinon, eux, ils ne prennent pas d’initiatives ». (Enquêtée 3)33

26 L’embellissement du quartier avec la plantation de fleurs et d’arbres, et son entretien reviennent régulièrement dans les discours des enquêtés.

« Si après tu te penches au balcon, tu vois les fleurs, tous ces petits arbres c’est nous qui les avons plantés, les jeunes du quartier. De temps à autre nous passons de l’autre côté [des grilles] et nous nettoyons, nous enlevons les bouteilles [vides], les papiers, tout ce qui est dangereux. Ce que je veux dire c’est que nous n’attendons pas les institutions qui viennent de l’extérieur ». (Pippo Morello)34

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27 La répétition de la première personne du pluriel « nous » / « c’est nous » pour souligner la prise d’initiative, traduit une volonté affirmée, au-delà de l’intérêt porté à la salubrité et à la propreté, de renvoyer une image décente du quartier, car c’est en définitive leur propre image qu’ils renvoient au travers de ces initiatives d’embellissement. Il faut voir dans cette situation un effet miroir.

28 La défaillance des institutions est mise en avant pour montrer ce que l’on fait par soi- même pour le quartier, comment on mobilise ses propres ressources (faire appel à quelqu’un que l’on connaît pour résoudre le problème de l’éclairage public) et que l’on veille au maintien du quartier (nettoyage, embellissement, travaux d’entretien). On dénote une forte capacité à faire et à s’engager chez les habitants qu’ils brident cependant volontairement, car ils préfèrent déléguer l’action à un tiers reconnu comme légitime et dont l’efficacité est prouvée : « Nous, nous ne pouvons rien faire » (Enquêtée 3). Cette institutionnalisation de l’intermédiation s’explique par le fait que les demandes émanant des habitants auprès des services municipaux, des sociétés de services urbains (eau, électricité, propreté) et des personnalités politiques locales n’aboutissent pas :

« C’est quelque chose d’ordinaire, ça devient notre habitude. Il y a un problème, et nous allons leur dire [aux gens de la paroisse]. Si toi tu essaies, tu n’y arrives pas, alors tu hausses la voix. Ils ont une voix qui porte au sens où ils disent “J’appelle de la paroisse de Danisinni” […]. Si tu le fais seul, tu obtiens seulement “Nous arrivons”, “Il n’y a pas de personnel disponible”, et après tu te lasses […] ». (Enquêté 5)35

29 On ne se déplace pas, on ne se rend pas auprès des services administratifs, on ne s’adresse pas aux conseillers municipaux pour exposer des requêtes : l’attente, l’absence de réponse, la durée pour le traitement des problèmes possède un effet dissuasif et démobilisateur, qui finit par distendre le lien gouvernants/gouvernés. La contrepartie de cette situation est le manque de mobilisation locale, car aucune des personnes enquêtées n’a le souvenir d’une action collective à l’échelle du quartier sous la forme d’une manifestation ou la constitution d’une délégation auprès des autorités municipales.

30 L’attente revient régulièrement dans les narrations au travers de l’usage du mot lui- même ou du sentiment (d’attente) ; l’attente constitue une dimension centrale du rapport aux « institutions » qui se construit dans ce quartier : ce qui est de droit s’obtient parce qu’on le demande, et non pas parce que les « institutions » le produisent au regard de leurs obligations légales ou réglementaires. Cette pratique reposant sur l’intermédiation pour accéder à des droits desquels les autres citoyens bénéficient automatiquement, témoigne d’une situation de dépendance structurelle et actualise une forme de domination. Domination au sens que les habitants de place Danisinni ont conscience qu’ils sont des habitants de second rang, qu’ils ne sont pas égaux dans les faits. Domination au sens où ces mêmes habitants doivent passer par quelqu’un qui détient un pouvoir symbolique ou un capital social, y compris lorsque l’intermédiation met en jeu les membres de la paroisse dont les démarches ne visent pas à organiser et prolonger cette domination. C’est une pratique qui participe au fonctionnement de la sphère publique locale et à sa reproduction sous la forme d’une sphère publique où l’accès aux droits se fait sous conditions et par le truchement de l’intermédiation (La Spina, 2005 ; Trigilia, 1994). L’utilisation du mot « raccomandazione » (le piston) traduit bien cette situation de domination, car elle renvoie à une modalité d’accès à la sphère publique par des passe-droits, quand bien l’objet de la demande est légitime : « Ici pour

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changer une ampoule [de l’éclairage public], nous devons chercher un piston » (Pippo Morello, homme, 57 ans, né à Danisinni et vit à proximité, agent administratif, membre fondateur de l’association Insieme per Danisinni)36.

31 Dans quelle mesure peut-on rattacher cette expérience de l’État et du pouvoir politique, envisagée depuis le récit qu’en font les enquêtés de Danisinni, à une culture politique et inversement ? Si différents auteurs ont signalé les écueils d’une analyse en termes de culture politique (Badie, 1983 ; Bayart, 1996 ; Berstein, 1992 ; Cuche, 2016), et tout particulièrement le déterminisme des interprétations et l’essentialisation des comportements, l’apport de l’idée de culture politique à la discussion qui est menée ici réside selon nous dans la possibilité qu’elle donne de dé-singulariser les comportements observés. Parler de culture politique revient à avancer l’idée que les membres d’une communauté partagent un vécu (Braud, 2008), auquel il est possible de rattacher un système symbolique qui organise les formes d’interaction avec le politique. Parler de culture politique suppose également que le rapport des individus au politique s’inscrit dans un cadre relativement stable, structuré dans la durée par la reproduction de certaines logiques de fonctionnement. Cela ne veut pas dire que cette culture politique est imperméable au changement et aux remises en cause au point d’acquérir une forme d’autonomie et d’immuabilité, mais seulement qu’une manière d’exercer l’autorité publique façonne des attitudes et des attentes, fait émerger des normes, des valeurs et des représentations qui s’expriment dans le rapport au politique et participe à la constitution d’un imaginaire du politique. Parler de culture politique à la lumière des critiques du culturalisme c’est aussi considérer que les éléments qui la composent sont indissociables des pratiques des acteurs.

32 Les jeux d’intermédiation et de négociation, les logiques de délégation et de recherche de protection observés à Danisinni, soit un quartier particulièrement dégradé où vit une population fortement précarisée, ne sont pas spécifiques à Danisinni : la socialisation au politique et à l’autorité publique des habitants de ce quartier ne s’est pas faite isolément du reste de la société palermitaine. La stratégie d’action des habitants de Danisinni pour revendiquer des services publics et faire reconnaître des droits ne relève donc pas d’une subculture politique micro-territoriale, qui aurait émergé dans ce quartier en lien avec le profil social de ses habitants et leurs conditions de vie, car c’est la communauté urbaine dans son ensemble qui a partagé un même processus de socialisation au politique en relation avec la mise en place des institutions publiques et des cadres politiques dans la seconde moitié du vingtième siècle. Dit autrement, les opinions, valeurs et pratiques, le rapport à l’autorité publique et au pouvoir politique, mis en évidence à Danisinni sont observables dans d’autres configurations socio-territoriales en Sicile, et ailleurs en Italie (Chubb, 1982), en lien avec une culture politique qui a notamment fait du recours à l’intermédiation et aux médiations personnalisées dans l’accès aux biens et services délivrés par l’autorité publique, principal levier des pratiques clientélaires, une modalité centrale de l’échange politique et du rapport au politique. Une culture politique c’est en quelque sorte un registre d’action qui permet à des acteurs d’évaluer une situation et d’élaborer une stratégie grâce aux ressources qu’il met à leur disposition (des modes de faire comme des cadres interprétatifs), et au champ des possibles auquel il donne accès (certaines modalités d’action auront la préférence des acteurs eu égard à leur efficacité ou accessibilité par exemple sur la base d’une expérience directe ou indirecte, marginalisant d’autres modes d’action). Un registre d’action qui a pour effet de transformer un droit (soit un bien ou un service auquel tout citoyen peut prétendre

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selon les conditions et obligations reconnues par la loi : l’accès obéit à une logique impersonnelle et égalitaire) en faveur (soit le fait de donner accès à ce même bien ou service par le biais d’une intervention personnelle, qui laisse entendre un traitement particulier s’apparentant à un avantage : l’accès se fait selon une logique de personnalisation de la relation gouvernants/ gouvernés), et entretenir de la sorte des liens de dépendance.

Conclusion

33 Cette discussion ne s’est pas attachée à identifier ce que serait un rapport populaire à l’État, mais de partir d’un territoire identifiable comme un quartier populaire pour interroger les représentations de l’État chez ses habitants à partir de leur vécu quotidien. Il ressort que le moyen que ceux-ci ont trouvé pour ne pas être complètement spatialement relégués et marginalisés de la représentation politique, ce n’est pas le conflit, l’affrontement avec les pouvoirs publics, ce qui est couramment théorisé sous l’idée de résistance (Scott, 2009), mais le recours à l’intermédiation et aux relations personnalisées, à la négociation avec l’ordre en place. Cette orientation stratégique, qui ne modifie pas structurellement des rapports de pouvoir défavorables, tient tout à la fois à une intime connaissance de la politique locale et du fonctionnement des institutions municipales, où l’accès aux biens publics et à aux droits sociaux nécessite couramment l’activation de soutiens personnels, qu’à une évaluation objective de l’efficacité de ces modes opératoires : c’est en effet l’expérience qui conduit les habitants de place Danisinni à faire le constat que l’intermédiation et la personnalisation des relations possèdent une certaine efficacité, quand bien même est- elle relative, car ni le dispensaire, ni l’école n’ont rouvert leurs portes, les prestations publiques du quotidien en matière d’entretien, de salubrité et d’éclairage n’y sont pas garanties, et comporte de l’attente eu égard aux délais de résolution des problèmes. La contrepartie de cette orientation stratégique c’est la consolidation de jeux de tutelle et de formes de patronage, qui quand bien même ces intermédiaires choisis par les habitants s’attachent-ils à améliorer l’état matériel du quartier et s’attachent à leur venir en aide selon une logique de désintéressement, ils canalisent le processus d’émancipation et participent sinon au renforcement du moins au maintien d’une logique de tutelle et d’une représentation politique personnalisée.

34 La situation décrite par nos enquêtés fait émerger un rapport à l’État qui n’est pas réductible aux seuls interlocuteurs politiques ou administratifs avec lesquels les habitants interagissent ou dont ils ont connaissance lorsqu’il s’agit d’élus de proximité par exemple, autrement dit qui ne peut pas être circonscrit aux individus investis d’une fonction publique ; ce rapport engage l’idée même d’État, car ce qui est en jeu, à travers ces interlocuteurs politiques ou administratifs, c’est bien ce que l’on nomme socialement l’État, un quelque chose qui est là et détermine le cours des existences.

Selon la proposition de Randall Collins signalée par Danny Trom (2018), c’est au travers d’une expérience micro ou d’une série d’expériences micros si le caractère réitératif du processus est pris en compte, que les individus font ici une expérience macro, celle de l’État, qui de la sorte devient une abstraction tangible.

35 L’État pour nos enquêtés apparaît au final à la fois proche (car particulièrement présent dans la discussion) et lointain (car absent par son action). Ils expriment une forte attente vis-à-vis de l’État, car ils nourrissent la conviction si l’État savait, il ne laisserait

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pas faire…, ce que donne par exemple à voir cette interpellation dans laquelle l’État est convoqué pour qu’il vienne se rendre compte de l’âpreté des conditions de vie dans le quartier : « Au lieu de toujours avoir la police [dans le quartier], ayons un peu l’État ici.

C’est quand même mieux un peu l’État pour voir quelles sont nos difficultés » (Enquêtée 1).

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NOTES

1. Place Danisinni n’a pas d’existence sur le plan institutionnel, puisque ce quartier fait partie de la Ve circonscription municipale. Le choix de circonscrire l’enquête à ce lieu, quand bien même la dénomination Danisinni renvoie-t-elle à un territoire légèrement plus étendu (cf. la rue Danisinni qui mène à la place éponyme), tient à l’existence d’une vie locale, pour partie liée à la configuration des lieux (pour la présentation détaillée du quartier voir infra), et aux problématiques socio-économiques et urbanistiques qui pèsent sur la vie quotidienne des habitants du quartier.

2. Cette question a déjà été posée. Pour un état des lieux des débats, se reporter par exemple à Annie Collovald, Frédéric Sawicki, 1991, « Le populaire et le politique. Quelques pistes de recherche en guise d'introduction », Politix, n° 13, p. 7-20, ou plus récemment à François Buton,

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Patrick Lehingue, Nicolas Mariot, Sabine Rozier (dir.) : L’ordinaire du politique. Enquête sur les rapports profanes au politique, Lille, Presses universitaires du Septentrion.

3. Report statistico, Danisinni : un profilo statistico, 19/02/2016.

4. Travail non déclaré à domicile dans le cas des femmes de ménage ou des assistantes de vie pour personnes âgées, vente de produits alimentaires sans licence sur les marchés ou sur la voie publique dans le cas des hommes.

5. Trafics de stupéfiants, combats de chiens, courses clandestines de chevaux.

6. D’après les données 2015 de l’Osservatorio del Provveditorato agli Studi, in : « Mappa della dispersione scolastica Brancaccio e centro storico a rischio »,La Sicilia.it. https://livesicilia.it/

2015/01/05/la-mappa-della-dispersione-scolastica-brancaccio-cep-e-centro-storico-piu-a- rischio_580212/

7. Conseillère municipale, médecin-gynécologue en poste au dispensaire « Consultorio familiare di Piazza Danisinni » depuis 1994 jusqu’à sa fermeture.

8. C’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que Danisinni a connu un processus de densification d’abord avec l’installation de familles pauvres en quête d’un logement suite aux bombardements alliés de 1943 (une partie de ces familles s’installera dans les cavités rocheuses qui bordent la dépression ; ces habitations sont toujours occupées à ce jour), puis avec l’arrivée de familles en quête d’un logement bon marché à compter des années 1950 et 1960 sous l’effet de l’exode rural et du développement de la ville de Palerme. Le quartier connaît aujourd’hui une urbanisation non réglementaire, notamment sur l’espace dévolu à la circulation publique, en lien avec des processus de décohabitation familiale, dans un contexte où la régulation publique des activités urbanistiques est limitée.

9. Le quartier est devenu au cours de ces dernières années le terrain d’expérimentations et d’initiatives variées dans le domaine des arts et de la culture. Ainsi se retrouve-t-il désormais inscrit à l’agenda de manifestations patrimoniales comme Le Vie dei Tesori (https://

leviedeitesori.com), inclus dans le dossier de classement UNESCO présenté par la Région Sicile (Piano di Gestione per l’iscrizione nella World Heritage List del sito seriale, Palermo arabo- normanna e le cattedrali di cefalù e monreale) ou l’objet de projets artistiques (« Rambla Papireto ») en lien avec l’Académie des beaux-arts de Palerme ou portés par des collectifs comme XRIVISTA (http://www.xrivista.org). Danisinni cesse d’être abonné à la seule rubrique des faits divers pour gagner celle de la culture et des loisirs, ou celle de l’actualité politique comme à l’occasion de la visite de figures institutionnelles de premier plan comme la présidente du Sénat en janvier 2019.

Si ce riche agenda, conjugué aux activités portées localement comme l’inauguration d’un cirque (« Danisinni circus ») ou d’une ferme communautaire, contribue à modifier positivement l’image du quartier qui fait l’objet d’une très forte stigmatisation, pour autant les conditions matérielles du quartier n’ont pas connu de transformations objectives. Ses habitants subissent au quotidien un sous-équipement structurel, qui s’ajoute aux difficultés économiques et sociales qu’ils doivent affronter. Plus spécifiquement sur l’« artification » de Danisinni, soit le processus par lequel un lieu se voit attribuer une valeur artistique et les dynamiques de transformation sociale, voir : Elisabetta Di Stefano, 2019, « Artificare lo spazio urbano : lo sguardo “altro” di Danisinni », Architettura civile, n° 23-24, p. 42-44.

10. Département de géographie, Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne.

11. Cette enquête exploratoire avait pour but de prolonger les activités du groupe INVERSES (Informalité, Pouvoirs et Envers des espaces urbains) dont le programme de recherche arrivait à échéance.

12. http://parrocchiasantaagnesevm.altervista.org/joomla/parrocchia.html

13. « Ensemble pour Danisinni » : http://parrocchiasantaagnesevm.altervista.org/joomla/

associazioni/insieme-per-danisinni.html

14. Conseillère municipale, médecin-gynécologue en poste au dispensaire « Consultorio familiare di Piazza Danisinni » depuis 1994 jusqu’à sa fermeture.

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15. Ces réunions de travail convoquées dans le quartier avaient pour objectif de témoigner aux habitants de Danisinni l’intérêt de l’équipe municipale nouvellement constituée pour les difficultés sociales et urbanistiques du quartier. Pensées sur un mode participatif, ces réunions visaient à réunir autour d’une même table l’ensemble des acteurs ayant à un titre ou un autre une compétence dans le quartier, recenser les problèmes que les habitants ont fait remonter aux associations et à la paroisse, définir un plan d’action, monter des coopérations institutionnelles et procéder à une priorisation dans les interventions.

16. À la fermeture du dispensaire, les consultations gynécologiques se sont poursuivies une fois par semaine avec l’aide de la paroisse, qui a mis à disposition du médecin une pièce pour recevoir ses patientes.

17. Centro TAO : http://mediatau.it/centrotau/centrotau/ ; Centro Alaziz : http://mediatau.it/

alazis/centro-danisinni/

18. Homme, 40 ans, né et vit à Danisinni, plombier.

19. Sur cette question du rapport profane au politique, voir : François Buton, Patrick Lehingue, Nicolas Mariot, Sabine Rozier (dir.) : L’ordinaire du politique. Enquête sur les rapports profanes au politique, Lille, Presses universitaires du Septentrion.

20. Femme 50 ans, née et vit à Danisinni, aide à domicile pour personnes âgées et employée de maison.

21. Enquêtée 3, femme 50 ans, née et vit à Danisinni, aide à domicile pour personnes âgées et employée de maison. Enquêtée 4, sœur aînée de Enquêté 3, refus de préciser son âge, née et vit à Danisinni, aide à domicile pour personnes âgées et employée de maison.

22. Femme, 42 ans, née et vit à Danisinni, en recherche d’emploi et précédemment aide à domicile pour personnes âgées et employée de maison.

23. Homme, 57 ans, né à Danisinni et vit à proximité, agent administratif, membre fondateur de l’association Insieme per Danisinni.

24. Mère de Enquêtée 1, retraitée, n’a pas voulu donner son âge, vit à Danisinni depuis 42 ans.

25. Homme, 40 ans, né et vit à Danisinni, plombier.

26. On peut relever dans ce verbatim l’emploi de l’expression « homme-institution », qui opère par fusion des éléments et brouillage des contours. Cet énoncé laisse entrevoir un imaginaire politique dans lequel se confond en une seule et même entité l’individu, investi d’une fonction institutionnelle en qualité d’élu ou d’agent administratif, et l’institution étatique. Deux niveaux de réalités coexistent ainsi avec l’individu qui apparaît à la fois comme une figure métaphorique (il incarne l’institution, et à ce titre parle et agit en son nom) et une figure humaine à part entière (l’interlocuteur avec lequel on dialogue et échange).

27. Homme, 57 ans, né à Danisinni et vit à proximité, agent administratif, membre-fondateur de l’association Insieme per Danisinni.

28. Femme 50 ans, née et vit à Danisinni, aide à domicile pour personnes âgées et employée de maison.

29. Femme, 42 ans, née et vit à Danisinni, en recherche d’emploi et précédemment aide à domicile pour personnes âgées et employée de maison.

30. Ibid.

31. Homme, 40 ans, né et vit à Danisinni, plombier.

32. Femme, 42 ans, née et vit à Danisinni, en recherche d’emploi et précédemment aide à domicile pour personnes âgées et employée de maison.

33. Femme 50 ans, née et vit à Danisinni, aide à domicile pour personnes âgées et employée de maison.

34. Homme, 57 ans, né à Danisinni et vit à proximité, agent administratif, Membre-fondateur de l’association Insieme per Danisinni.

35. Homme, 40 ans, né et vit à Danisinni, plombier.

36. Réunion de travail à Danisinni du 28/10/2013.

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RÉSUMÉS

Les recherches sur l’État font l’objet en France d’un renouvellement depuis plusieurs années dans le sillage des street-level bureaucracy studies, sur la base d’uneapproche à dominante sectorielle (la délivrance des prestations sociales, le rapport police/habitants, etc.) ou tournée vers des publics ciblés (habitants des quartiers populaires, migrants). Cet article propose de positionner la réflexion sur l’État, le politique et les institutions publiques en dehors des moments qui les font exister de manière officielle et cérémonielle, et de privilégier une entrée par la vie quotidienne pour conduire une discussion sur la manière dont des hommes et des femmes objectivent leurs rapports à l’État et à la représentation politique. Cette discussion mobilise les récits de vie recueillis auprès des habitants d’un quartier populaire de Palerme (Sicile) dénommé place Danisinni.

In France, research on the State has been renewed for several years in the wake of street-level bureaucracy studies. Studies are based on a predominantly sectoral approach (the delivery of social benefits, the police/inhabitants relations, etc.) or on a targeted audiences approach (inhabitants of working class neighbourhoods, migrants, etc.). This article raises the issue of the State, politics and public institutions outside the moments that make them exist in an official and ceremonial way, and focuses on everyday life to lead a discussion on how men and women objectify their relationships with the State and political representation. This discussion mobilizes the narratives collected from the inhabitants of working class district of Palermo city (Sicily) called Danisinni Square.

INDEX

Keywords : social representations, working-class neighborhood, public institutions, everyday life, political culture, Palermo (piazza Danisinni)

Mots-clés : représentation sociale, quartier populaire, institutions publiques, vie quotidienne, culture politique, Palerme (piazza Danisinni)

AUTEUR

FABRIZIO MACCAGLIA Laboratoire Citères Université de Tours maccaglia@univ-tours.fr

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