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MÉCHANCETÉ DE L HOMME BLANC?

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Academic year: 2022

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Pascal Bruckner

L’

homme blanc est méchant par nature. Il est le démon du genre humain, sa part maudite. Longtemps méta- phore de l’Occident, le voici désormais réductible à la couleur de sa peau, signe de son infamie. Telle est la vulgate diffusée par les études postcoloniales sur les campus nord-américains et par les mouvements politiques indigé- nistes. Et cette disgrâce blanche culmine au XXe siècle dans le totalita- risme nazi, qui n’en est pas l’anomalie mais l’illustration.

Hitlériser l’histoire occidentale

Vous ne le saviez peut-être pas, mais Hitler s’est précédé lui-même de plusieurs siècles dans l’histoire de l’humanité. Le IIIe Reich n’est pas ce régime arrivé au pouvoir par les urnes en 1933 et disparu sous les coups de boutoir de l’Armée rouge et des Alliés dans les décombres de Berlin en mai 1945. Il est en quelque sorte la matrice de l’his- toire européenne ou, pour le dire autrement, son vrai visage. C’est ainsi que des historiens réclament pour les Africains, les Arabes, les Indiens d’Amérique du Nord et du Sud la jurisprudence de l’anté- riorité. « Il existe, nous dit l’essayiste colombienne Amelia Plumelle-

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Uribe (1), une relation dynamique entre la destruction des indigènes d’Amérique, l’anéantissement des Noirs et la politique d’extermina- tion introduite par les nazis en Europe dans la première moitié du XXe siècle. » Le crime du nazisme a été de transporter au cœur du monde européen une férocité jusque-là réservée aux non-Blancs, aux non-Aryens. Et si les États-Unis ont lancé une bombe atomique sur Hiroshima plutôt que sur Berlin, c’est parce que les Japonais n’étaient pas des Blancs ! Déjà en 1950, Aimé Césaire avertissait le « très dis- tingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’Hitler l’habite, qu’Hitler est son démon, que s’il le vitupère, c’est par manque de logique et qu’au fond ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, c’est l’humiliation de l’homme blanc et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique » (2). C’est encore un historien, Olivier Le Cour Grandmaison, qui nous explique, dans un livre au titre significatif,

« Coloniser, exterminer : sur la guerre et l’État colonial » (3) que les méthodes utilisées pour pacifier l’Algérie, massacre de prisonniers et de civils, razzias, destructions de cultures et de

villages, ont servi de laboratoire pour forger de nouveaux concepts, ceux de « race sans valeur », « d’espace vital » promis plus tard

aux usages que l’on sait. C’est bien là, dans la douce moiteur des colo- nies, qu’a été imaginé, bien avant la destruction des juifs d’Europe, un projet cohérent de génocide, pour reprendre le néologisme forgé en 1943 par le juriste polonais Raphael Lemkin. Changement de para- digme : le colonisé soumis en Cochinchine, en Afrique occidentale, en Algérie à des règles discriminatoires par le Code de l’indigénat préfi- gure le statut des juifs sous Pétain. Le régime pénal sous lequel vivaient les « indigènes » en Algérie, assujettis à des amendes exorbitantes et à la règle de la responsabilité collective, était bien celui de la terreur tota- litaire de l’Allemagne nazie. Olivier Le Cour Grandmaison se fixe un seul objectif : par une prophétie à rebours, raccrocher le petit wagon

Pascal Bruckner est romancier et essayiste. Dernier ouvrage publié : Un racisme imaginaire. La querelle de l’islamophobie (Grasset, 2017).

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de la conquête de l’Algérie au grand train de la Shoah, en transposer terme à terme le vocabulaire, l’ambiance, l’esprit. Le nazisme aurait donc commencé du jour où l’homme blanc, portugais, espagnol, hol- landais, a posé son pied sur les rivages de l’Afrique, de l’Asie ou de l’Amérique, y semant la mort, le chaos, la destruction.

Le « blanchiment » des juifs

Qu’est-il arrivé aux juifs depuis la création d’Israël ? Une malédic- tion pigmentaire : par une ironie diabolique, les persécutés de l’Occi- dent ont eux-mêmes « blanchi », les victimes sont devenues bourreaux.

Comme l’explique l’historien Enzo Traverso, jadis aux États-Unis, juifs et Noirs combattaient ensemble le racisme et le colonialisme. Puis les juifs, surtout depuis 1948, ont franchi « la ligne de couleur », se sont enrichis et sont devenus « blancs », c’est-à-dire oppresseurs (4). Avec la fin, supposée, de l’antisémitisme, le juif est entré dans la race supé- rieure (la blanche), avec Israël, il est entré dans la maladie européenne du nationalisme et c’est ce qui l’a perdu. Sorti du ghetto, il n’incarne plus cette « altérité négative » qui le rendait unique autrefois. « L’outsi- der interne n’est plus le juif : il est maintenant l’Arabe et le Noir, c’est- à-dire l’ex-colonisé résidant en métropole et devenu citoyen français.

(5) » Être blanc, ce serait donc, nous dit le philosophe Pierre Tevanian, jouir d’un « privilège pigmentaire » dont ne profitent ni les Noirs ni les Arabes (6). C’est un confort social symbolique qu’il faut remettre en cause par tous les moyens. « Les Blancs sont en effet malades d’une maladie qui s’appelle le racisme et qui les affecte tous sur des modes différents même [...] s’ils ne sont pas racistes. » Ils sont donc, de par leur couleur de peau, affectés d’une calamité métaphysique. C’est de ce mal-être qu’il faut les purger par tous les moyens. Ils ont éveillé en chaque société l’esprit de division et de cruauté. Le racisme, on le sait, est l’attribution d’un certain nombre de qualités négatives à un être ou à un peuple en raison de ses origines ou de sa couleur de peau, le Noir, l’Arabe, le juif, le jaune sont coupables de toute éternité d’être ce qu’ils sont. On est ainsi avec Pierre Tevanian dans le pur esprit du Klu Klux

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Klan mais inversé : ce dernier maudit les Noirs, les jaunes, les juifs, les Hispaniques, Pierre Tevanian maudit les Blancs. Pour lui comme pour les suprématistes américains, l’appartenance à une « race » est une malédiction ou une bénédiction. On ira donc jusqu’à bannir le Blanc des réunions contre le racisme, on organisera des « paroles non blanches », des camps « décoloniaux », ostracisme revendiqué au nom des luttes anti-impérialistes. L’on se contente ainsi de retourner la rhé- torique national-socialiste qui exaltait les seuls Aryens. C’est la même pensée renversée à la façon d’un sablier : il y a des « races » supérieures et des « races » inférieures, une lutte des races qui a supplanté la lutte des classes. « Être blanc, c’est être élevé dans cette double imposture : le bénéfice d’un privilège et la dénégation de ce privilège. (7) » S’ex- traire de cette imposture est « une ascèse de tous les instants » (selon Pierre Tevanian). À ce stade, la seule issue serait en effet la disparition de la race blanche, par métissage généralisé. La racialisation générale du monde et des rapports sociaux, telle est la conséquence funeste d’un antiracisme devenu fou et qui propage partout ce qu’il est censé éteindre. Avec cette « épidermisation » hystérique du débat, on reste dans la droite ligne des vieilles distinctions issues de l’esclavage. Méla- nine contre leucoderme : voilà que renaît l’obsession du pedigree et les hommes à nouveau compartimentés en syndicats ethniques.

Il faut donc en finir avec le dead white European male, comme on dit sur les campus anglo-saxons, le mâle hétérosexuel blanc, condensé de toutes les ignominies. C’est ainsi que bien des « féministes » françaises ont minimisé les agressions de Cologne, lors de la nuit de la Saint-Syl- vestre 2015, en raison de l’origine même des agresseurs, maghrébins ou moyen-orientaux. Caroline de Haas, ancienne apparatchik socialiste, fondatrice de l’association Osez le féminisme !, s’exprime sur les faits de la façon suivante dans un Tweet du 7 janvier 2016 : « Ceux qui nous disent que les agressions sexuelles en Allemagne dont dues à l’arrivée de migrants : allez déverser votre merde raciste ailleurs. » Quant à la militante de La France insoumise Clémentine Autain, elle envoie sur ces événements le Tweet suivant : « Entre avril et septembre 1945, deux millions d’Allemandes violées par des soldats. La faute à l’islam ? » On ne voit pas trop le rapport mais on comprend qu’il y a, pour les islamo-

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gauchistes, des viols politiquement corrects s’ils sont commis par des dominés du Sud et d’autres intolérables quand ils sont commis par les dominants du Nord. Bref, il n’existe qu’une variété de « porc », c’est le mâle blanc ! Outre-Atlantique, on voit même la « féministe » Joan Wallach Scott et l’éditorialiste Adam Shatz, francophobes obsessionnels, défendre ou du moins minimiser les crimes supposés de Tariq Rama- dan, accusé de viols et de coups et blessures au motif qu’étant musul- man il serait l’objet d’un racisme spontané des Français (8).

Pourquoi cette élection du « Blanc » comme quintessence de l’abjec- tion ? La réponse en est donnée dans un excellent livre de l’anthropologue Tidiane N’Diaye, le Génocide voilé (9), paru en 2008 : sans minimiser le moins du monde les crimes effrayants de la traite transatlantique et du colonialisme européen, ce chercheur sénégalais explique que seule la traite arabo-musulmane peut être assimilée à une entreprise d’extermi- nation puisqu’elle fit près de 17 millions de tués et castrés. La preuve : alors que 70 millions de descendants ou métis d’Africains peuplent le continent des Amériques, des États-Unis au Brésil en passant par les Caraïbes, seule une minorité de Noirs ont réussi à survivre en terre d’is- lam. La conquête arabe a été possible parce que les prédateurs ont dénié toute dignité à leurs captifs. « Les seuls peuples à accepter l’esclavage sont les nègres, en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche du stade bestial », explique par exemple le grand his- torien tunisien Ibn Khaldoun (1332-1406). Le racisme a sous-tendu à peu près toutes les entreprises d’agression. En arabe le mot abid, signi- fiant « esclave », est devenu à partir du VIIe siècle synonyme de « Noir ».

Bien avant les grands théoriciens européens du racisme, le monde arabe aura ainsi justifié la ségrégation raciale envers les Noirs et ce au mépris des hadiths du Coran et de l’enseignement de Mahomet. À la fin de son étude, l’auteur s’interroge sur le silence des élites devant ces événements, surtout en Afrique. Il l’explique par une solidarité face au colonialisme blanc, mais aussi par un syndrome de Stockholm où les descendants des victimes pactisent avec les descendants des bourreaux sur le dos de l’Occident, coupable, forcément coupable. L’ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira ne proclamait-elle pas, dans une remarque terrible- ment paternaliste : « Il ne faut pas trop évoquer la traite négrière arabo-

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musulmane pour que les jeunes Arabes ne portent pas sur leur dos tout le poids des méfaits des Arabes (10) » ? Trop de chercheurs africains et afro-américains, déplore Tidiane N’Diaye, tentent de gommer cet épi- sode monstrueux, pour ne pas bousculer leurs préjugés ou leur confort.

Il faut éviter toute remise en question du grand récit qui oppose l’indi- gène, toujours victime, au Blanc, toujours barbare. La Conférence mon- diale de Durban contre le racisme en 2000 aurait pu être l’occasion pour Arabes et Noirs de déterrer les cadavres du passé. Las. Par un refoule- ment révélateur, Durban se contenta d’accuser l’« Entité sioniste » et de désigner les juifs comme fauteurs du malheur universel. Depuis que ces derniers incarnent à leur tour toute l’abomination du monde occidental, l’anti-sémitisme, présent au Maghreb, au Moyen-Orient, dans nos ban- lieues, connaît une explosion, réactivée par les fondamentalistes et par une certaine extrême gauche. Triomphe posthume de Hitler chez ceux- là mêmes qui se revendiquent de l’antifascisme. La haine du « Blanc » est une commodité épistémologique et cognitive indispensable. S’il fal- lait changer de bouc émissaire, c’est l’ensemble des disciplines sociales qui devrait être bouleversé, c’est toute l’histoire dans sa complexité et ses nuances qu’il faudrait reconsidérer. Les « Caucasiens », comme on les nomme aux États-Unis, seront bientôt minoritaires sur le plan démo- graphique, supplantés par les Asiatiques et les Africains. Mais ils reste- ront marqués par l’opprobre, quoi qu’ils fassent, où qu’ils se trouvent.

Le racisme anti-Blanc ne fait que commencer et il va s’énoncer dans les termes de l’antiracisme. Telle est sa nouveauté.

1. Amelia Plumelle-Uribe, la Férocité blanche. Des non-Blancs aux non-Aryens. Génocides occultés de 1492 à nos jours, Albin Michel, 2001.

2. Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, préface de Jacques Duclos, Éditions Réclame, 1950.

3. Olivier Le Cour Grandmaison, Coloniser, exterminer : sur la guerre et l’État colonial, Fayard, 2005.

4. Enzo Traverso, « Les juifs et la ligne de couleur » in Sylvie Laurent et Thierry Leclère (dir.), De quelle couleur sont les Blancs ?, La Découverte, 2013, p. 253-261.

5. Idem, p. 60.

6. Pierre Tevanian, « Réflexions sur le privilège blanc », in Sylvie Laurent et Thierry Leclère, op. cit., p. 73.

7. Idem p. 28. S’extraire de cette imposture est « une ascèse de tous les instants » (Pierre Tevanian).

8. Adam Shatz, « How the Tariq Ramadan Scandal derailed the Balance ton porc movement in France », The New Yorker, 29 novembre 2017.

9. Tidiane N’Diaye, le Génocide voilé, Gallimard, coll. « Continents noirs », 2008.

10. Éric Conan, « Encore aujourd’hui », L’Express, 4 mai 2006.

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