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Les latrines du château de Blandy-les-Tours à la fin du Moyen Age et au début de l époque moderne.

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Academic year: 2022

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Les latrines du château de Blandy-les-Tours

à la fin du Moyen Age et au début de l’époque moderne.

Introduction.

Le château de Blandy-les-Tours est un ouvrage situé en Seine et Marne, à 15 kilomètres au Nord-Est de Melun, mentionné pour la première fois en 1216 en tant que simple manoir fortifié, et qui a été profondément renforcé à plusieurs reprises au cours de la guerre de Cent Ans, puis transformé au XVIe siècle en résidence plus confortable, avant d’être de nouveau réduit à l’état de ferme fortifiée au XVIIIe siècle. Il s’agit ainsi d’un château typique de la fin du Moyen Age et du début de l’époque moderne, ce qui explique que plusieurs campagnes de fouilles et de restaurations y ont été entreprises depuis 1992 pour en cerner les évolutions.

Notamment, en 1996, une campagne de restauration sous la direction de Jacques Moulin, des Monuments Historiques, a eu lieu pour le bâtiment appelé la « Salle de l’Auditoire », un corps de logis bâtit au XIVe siècle, pendant la vague de constructions de la guerre de Cent Ans. Les travailleurs ayant entendu un bruit de chute de pierre dans une cavité inconnue sous leurs pieds, des recherches ont permis de mettre à jour sous cette salle un ensemble de deux latrines, chacune constituée d’un espace voûté construit en pierres, de 5 mètres carrés à la base pour un peu moins de 2 mètres de hauteur, et contenant environ 1,10 m de sédiments organiques datant de la fin du XVe ou du début du XVIe siècle. La première de ces deux fosses a été fouillée immédiatement après son ouverture, mais le sédiment n’a pas reçu toute l’attention nécessaire d’où d’importantes lacunes dans la documentation, mais par contre la deuxième fosse a elle été minutieusement étudiée en 1998 sous la direction de Marie-Claire Coste. La diversité des trouvailles a permis d’acquérir de très nombreux renseignements dans de nombreux domaines, aussi bien pour l’étude des artefacts que pour les parasitologues ou encore dans le domaine culinaire, ce qui nous intéresse ici.

Nous allons donc chercher, à travers certains des résultats des analyses carpologiques (graines et fruits) et archéozoologiques des sédiments de la deuxième latrine, à reconstituer au moins en partie le mode d’alimentation des habitants de ce château au tournant de l’époque moderne, et d’en déduire certains conditions sociétales nécessaires à l’obtention de ces aliments (ceci en gardant à l’esprit que nous travaillons sur des valeurs statistiques assez faibles et donc parfois peu fiables).

Pour ce faire, nous commencerons par nous intéresser au domaine végétal qui reste la base de l’alimentation humaine à cette époque et même actuellement, puis nous étudierons les restes animaux tant terrestres que marins, pour finir par déduire de ces observations des interprétations sur l’environnement et la société que les consommateurs de ces aliments connaissaient.

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I) Une nourriture à base végétale.

A) Importance des céréales.

1) Le froment prédominant.

En premier lieu, la carpologie va nous permettre de connaître les principales plantes consommées. Nous pouvons tout d’abord nous intéresser aux céréales, qui forment la base de l’alimentation mais ne sont bien sûr pas consommées telles qu’elles. On les retrouve donc sous forme carbonisées, en tant que résidus de leur transformation en pain (les bouillies de céréales ne laissant pas de trace). On s’aperçoit alors que le froment, autrement dit le blé tendre que l’on connaît de nos jours, est de loin la céréale la plus représentée ; cela est d’autant plus intéressant que la céréale prédominante au début de la période médiévale était plutôt le seigle, plus rustique mais cultivable avec une simple araire, alors que le blé nécessite une charrue. On peut dès lors y voir le signe de la modernité de la région, même si celle-ci n’a plus rien de spectaculaire à cette époque.

2) D’autres céréales.

D’ailleurs, le seigle n’a pas disparu même s’il est 10 fois moins utilisé d’après le nombre de grains retrouvés (5 contre 50) ; on relève d’ailleurs qu’il se place ainsi à égalité avec l’avoine, qui n’est évidemment pas destinée à faire du pain même si on ne connaît pas ici l’espèce exacte. Bien qu’elle soit quelquefois utilisée dans l’alimentation humaine, par exemple dans certaines bières, on doit plutôt y voir ici la trace de l’alimentation des chevaux, des plants ayant pu être brûlés pour une raison quelconque. Son utilisation dans cette optique est d’ailleurs confirmée par certains livres de comptes, comme celui du comte d’Angoulême en 1462 ; ces mêmes comptes peuvent également nous donner une indication quant à la présence du grain d’orge, qui pourrait correspondre à la fabrication de bière ou à la limite de galettes mais aurait également pu servir, d’après ces registres, à l’alimentation des chiens du château.

3) Les plantes adventices.

Cette utilisation importante des céréales va enfin nous permettre de comprendre la présence de certaines autres plantes non comestibles en quantité importantes, à savoir les plantes dites

« adventices » de ces céréales. Il s’agit tout simplement des plantes sauvages indésirables qui poussent au milieu des cultures, ce que l’on pourrait appeler des « mauvaises herbes », qui sont récoltées avec les céréales comestibles et éliminées ensuite. La carpologie permet d’en repérer plusieurs, par exemple le chénopode, le lamier ou les orties ; de plus la palynologie met en évidence la présence de pollens de bleuet et de liserons, qui jouent le même rôle.

Ainsi, même la présence particulièrement importante de ces plantes indésirables permet de confirmer le rôle prédominant des céréales dans l’alimentation des habitants de ce château.

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B) Fruits et légumes.

1) Le raisin et la fraise.

Bien entendu, à l’époque comme actuellement les céréales ne sont pas les seules plantes consommées, quoique les principales, et les fruits et légumes jouent également un rôle important. En premier lieu, les fruits sont particulièrement indiqués pour une analyse carpologiques, les grains et pépins se conservant bien même après la digestion. On s’aperçoit ainsi très facilement que la vigne est de loin la principale espèce retrouvée. On pourrait bien sûr penser à la fabrication de vin, pratiquée dans tout le bassin parisien à l’époque, mais dans ce cas on aurait affaire à des rebuts de pressage et non à des déjections. Or, si ce n’est théoriquement pas impossible, on devrait logiquement retrouver avec d’autres déchets, par exemple des bouts de tige (en tout cas plus qu’1 pédoncule). On doit donc probablement en conclure qu’il s’agit en priorité de déjections, donc que ce raisin était consommé en tant que fruit de table et que, si du vin était produit sur place, les restes n’étaient pas jetés dans cette latrine. D’autre part, la fraise (fraise des bois bien entendu) connaît elle aussi une consommation élevée, constituant manifestement le fruit de base hors raisin avec presque 6 fois plus de grains retrouvés que pour l’ensemble des autres fruits

2) Les autres fruits.

D’ailleurs, cette disparité est étonnante car d’autres plantes poussaient tout aussi bien dans la région, et leurs graines se conservant au moins aussi bien, voire mieux que celles de la fraise.

Le sureau est le mieux placé, alors qu’actuellement il est principalement consommé par les oiseaux sachant que les variétés sont difficiles à différencier et que certaines sont extrêmement toxiques, suivit par les mûres et framboises, puis les figues. En particulier, cette faible proportion de figues est remarquable car ses grains sont justement particulièrement résistants et donc facilement conservables. Pour expliquer cette disparité, il faut sans doute admettre que ces fruits étaient moins consommés que les fraises, bien qu’il soit difficile d’en donner les raisons, mais il faut aussi prendre en compte le fait que les grains sont souvent difficiles à distinguer, d’où une marge d’erreur assez importante. Notons également la présence de coques de noisettes et de noix, ainsi que de noyaux de pêches ou de prunes, mais la faible conservation de ces résidus empêche de statuer clairement sur une consommation régulière ou non, encore que les prunes semblent assez appréciées. Toutefois, des fruits comme les nèfles ne sont pas représentés alors qu’elles devraient logiquement être retrouvés, et de même les fruits secs ont peut-être moins de chance de laisser des traces, les noyaux étant plutôt brûlés, mais sont quand même bien peu représentés.

3) Des légumes moins prisés.

Enfin, les légumes, si l’on enlève le pourpier qui a d’autres usages dont nous allons reparler tout à l’heure, sont beaucoup moins représentés, sont beaucoup moins facile à repérer, puisqu’on trouve en tout 11 graines, pour la plupart brûlées, pour la plupart des vesces, dont on mange les graines et des pois comme le pois chiche. Là encore, on ne peut que faire des conjectures pour expliquer la présence peu marquée de cette catégorie de plantes, puisqu’il n’y a aucune raison que pour que les habitants du château n’en aient pas consommé, ce qui est d’ailleurs confirmé par les analyses palynologiques qui trouvent elles des taux tout à fait normaux et même plutôt élevés pour les pollens de légume.

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C) Condiments et médicaments.

1) L’emploi de condiments.

Pour parfaire cette étude des végétaux retrouvés dans les latrines du château de Blandy, il convient de mentionner les plantes n’entrant pas dans la composition directe de l’alimentation, constituant ainsi une sorte de « luxe » par rapport au strict nécessaire. En premier lieu, en restant encore dans le domaine de la table, mentionnons les condiments qui ne sauraient être consommés tels quels mais servent à relever des plats. En particulier, la moutarde blanche est connue dans les traités de l’époque en tant que plante aromatique, et a effectivement été retrouvée en grandes quantités. De même, l’aneth, le fenouil et le céleri sont utilisés même actuellement comme condiments, surtout l’aneth au parfum particulièrement fort, les deux autres étant plutôt utilisés comme légumes accessoirement aromatisants. Mais dans tous les cas, ces plantes, si elles poussent en France, ne sont pas forcément disponibles dans l’environnement immédiat du château, ce qui implique sans doute qu’elles n’étaient pas uniquement recherchées pour leurs qualités strictement nutritionnelles pour qu’on ait fait l’effort d’aller les chercher assez loin.

2) Les plantes médicamenteuses.

De même, bon nombre de ces plantes étaient connues dans les traités de l’époque et même encore par les campagnards du début du XXe siècle comme ayant une utilité thérapeutique.

Par exemple, l’aneth dont on vient de parler est connu depuis la Grèce antique pour ses multiples bienfaits, de la migraine aux douleurs intestinales en passant par ses vertus aphrodisiaques, de même aussi que le pourpier qui est un bon laxatif, et qui il y a 50 ans était fortement recommandé pour lutter contre le ténia. Toutefois, comme on l’a vu, ces deux plantes peuvent aussi avoir des usages culinaires et il est difficile d’affirmer que les hommes de l’époque pensaient effectivement à cet usage médicinal. La seule piste plus sûre serait la chélidoine, une plante peu appétissante tant à l’odeur qu’au goût et qui peut même se révéler toxique ; or on en a retrouvé de nombreuses graines, une telle concentration pouvant alors logiquement venir d’un usage médicinal, sachant que cette plante est connue pour être assez efficace contre les verrues.

3) Autres usages des plantes.

Enfin, de la même manière, il convient de chercher au moins un début d’explication à la présence de nombreuses plantes qui ne sont vraiment d’aucune utilité pour l’organisme humain, en particulier les nombreuses végétations de sols humides. Par exemple, les laîches glauque et hérissée n’a pas d’usage particulier connu, alors qu’on a retrouvé autant de semences que pour le fenouil dont on a vu les utilités. Elle n’a pas pu être ingérée par les hommes, et n’a pas non plus été brûlée comme déchets après un tri puisqu’on l’a retrouvée uniquement sous forme imbibée ou minéralisée. Dans ce cas, on ne peut là encore que faire des hypothèses, comme le fait qu’elles auraient servi à tapisser le sol d’une habitation, mais on devrait dans ce cas retrouver aussi les tiges et ce n’a pas été le cas.

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Nous voyons donc se dessiner une alimentation principalement à base végétale, faisant notamment appel à de grandes quantités de céréales, consommées tant en pains et galettes qu’en bouillies. Celles-ci sont complétées par des fruits et légumes parfois difficile à identifier ou présentant des lacunes difficilement explicables, ainsi que par quelques plantes aromatiques et peut-être médicinale. Toutefois, il va de soi que l’alimentation carnée était également omniprésente, surtout dans le cadre d’un château, et nous allons donc effectuer le même type d’analyse du point de vue archéozoologique.

II) La consommation d’animaux.

A) Animaux d’élevage.

1) Les mammifères.

Il convient tout d’abord de remarquer que les animaux d’élevages semblent prédominants, avec notamment un cheptel de mammifères important. En particulier, le bœuf apparaît comme l’espèce la plus représentée en terme de poids, et ce même si le porc a souvent la réputation d’être le mammifère le plus consommé au Moyen Age et est bien sûr assez présent ici. On note également une forte présence de caprinés, qui forment le groupe le plus important en terme de nombre de fragments retrouvés. Alliés à quelques lapins, la consommation de bêtes d’élevage imposantes apparaît donc comme primordiale, bien avant celle d’animaux sauvages dont nous parlerons plus loin, et couvre déjà une gamme assez diversifiée.

2) De nombreuses volailles.

Bien entendu, cette viande est complétée par les apports de la basse-cour, d’autant plus que si l’on en croit Olivier de Serres, la possession de volailles était le signe d’un bon statut social, si l’on pense par exemple aux fameux chapons ou poulardes. Evidemment, les habitants du château ne mangeait pas non plus de tels animaux tous les jours, et ici les coqs constituent de loin la plus importante catégorie de volailles d’élevage retrouvée (presque 90%), suivis par l’oie et le pigeon déjà nettement plus rares. Il faut aussi prendre en compte que la catégorie

« coq » recouvre également les poules, dont il est possible dans une certaine mesure de distinguer les os spécifiques.

3) Une planification du cheptel.

La part de l’élevage nous apparaît donc déjà comme primordiale, tant pour les mammifères que pour les volailles, mais les résultats d’analyses carpologiques plus approfondies sont encore plus intéressant, dans le sens où ils dénotent une véritable planification du cheptel.

Ainsi, les coqs sont en général abattus jeunes, quand ils fournissent la meilleure chair, alors que les poules sont gardées le plus longtemps possible en vue de produire des œufs. De même, les bœufs et porcs sont abattus le plus jeunes possibles pour la même raison, et même é l’état de veau pour les premiers, cette viande particulière commençant à faire parler d’elle au début de l’époque moderne. A l’inverse, les chèvres sont tuées tard, comme les poules, probablement pour la production de lait (ce qui permet au passage d’en déduire que des produits laitiers tels que le fromage devaient être consommés). Ainsi, en plus d’avoir un beau cheptel, il apparaît que les maîtres de Blandy veillaient de près à sa gestion dans le but de produire les meilleurs mets possible.

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B) Espèces sauvages.

1) Le gibier, un loisir ?

Si les espèces élevées sont de loin les plus représentées, la chasse existe tout de même, mais dans des proportions nettement moins grandes. Ainsi, on retrouve elle-même et en petites quantités à peu près égales des ossements de nombreux mammifères sauvages, du lièvre au sanglier en passant par le cerf et le chevreuil, mais dans des proportions qui ne semblent pas correspondre à une consommation régulière. On pourrait peut-être y voir le résultats de chasses, pratiquées plutôt dans une optique ludique et dont les produits en étaient tout de même consommés à l’occasion, pourvoyant la table en viandes moins habituelles, de qualité et là encore assez variées.

2) La chasse aux oiseaux.

On retrouve ce spectre élargi pour ce qui est de la chasse aux oiseaux sauvages, dans des proportions encore plus importantes. Toutefois il est difficile d’en tirer beaucoup de conclusions, dans le sens où tous ont été retrouvés carbonisés, ce qui en gêne l’identification.

On remarque tout de même que des espèces de tous les milieux naturels ont été retrouvées, principalement du corbeau mais également de la caille, du merle, ou des passereaux tels le moineau ou la mésange. Mais là encore, on retrouve la logique de la chasse au gibier, à savoir qu’il est très peu probable de recourir à la chasse de telles espèces pour la plupart assez peu fournies en viande pour alimenter tout un château. On y verra donc probablement le résultat de chasses effectuées dans de nombreux milieux autour du domaine, et consommés au retour.

3) Des espèces plus insolites.

Enfin, notons quelques espèces dont la présence est moins évident à expliquer, qui n’avaient pas de raison d’être tuées pour la consommation. En particulier, les quatre chiens et deux chats sont tous des individus jeunes, et même nouveaux-nés pour certains, qui n’étaient manifestement pas destinés à la consommation. On suppose dans ce cas qu’il s’agit d’une politique de régulation, ces individus en surnombre étant abattus avant de devenir encombrants. De même, les rats peuvent provenir d’une tentative de se débarrasser des rongeurs nuisibles, à moins qu’il s’agisse tout simplement d’individus tombés dans l’ouverture des latrines et incapables de ressortir. Enfin, notons la présence d’un renard encore plus incongrue, avec là encore des explications pour le moins difficiles à fournir ; peut-être s’agit-il d’un animal abattu dans l’enceinte du château, en train de visiter le poulailler par exemple. La seule certitude quant à son sort est que sa fourrure a été prélevée, puisque ses os portent des traces de découpes, qu’on l’ait capturé dans ce but ou non.

C) Poissons et mollusques.

1) Les espèces de rivière.

Pour parfaire cet aperçu des espèces animales consommées au château de Blandy, on peut en dernier lieu s’intéresser aux poissons et autres animaux marins retrouvés dans ces latrines. On constate tout d’abord que les restes de poissons sont abondants après tamisage, ce qui s’explique par sa consommation lors des jours maigres qui peuvent représenter plus de la moitié de l’année, et qu’on y a retrouvé quasiment la même quantité de restes de poissons

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d’eau de mer que d’eau douce, et même plutôt plus pour les espèce marines. Toutefois, cela peut être du aussi à une conservation différentielle, et nous allons d’abord nous intéresser aux espèces locales d’eau douce, logiquement plus faciles à obtenir que celles de mer qu’il faut importer. Ces poissons d’eau douce sont principalement représentés par des cyprinidés comme le gardon, la carpe et le goujon, plus quelques autres comme le brochet. Ces espèces diverses sont particulièrement intéressantes dans le sens où elles n’ont pas toutes le même habitat, par exemple le gardon affectionne les rivières au courant rapide alors que la carpe et le brochet préfère le courant calme voire les eaux stagnantes d’un lac. Ainsi, on voit que toutes les possibilités du milieu sont exploitées, et que d’ailleurs le milieu lui-même est particulièrement varié. On peut également placer dans la catégorie des poissons d’eau douce les anguilles, l’espèce de poisson la plus commune dans ces latrines, qui est un poisson migrateur qui vit surtout en mer et ne remonte dans les rivières que pour frayer, mais qui concrètement était surtout pêchée à cette occasion.

2) Les poissons marins.

D’autre part, parmi les plus de 50% de poissons marins, la quasi-totalité est constituée de restes de harengs. Il s’agit bien évidemment des fameux harengs de la mer du Nord qui étaient exportés salés et fumés jusqu’au Portugal et en Italie, l’Ile de France n’ayant pas échappé à la vitalité de ce commerce comme en témoigne cette forte concentration. D’autre part, certains poissons plats typiquement côtiers se retrouvent également, comme le carrelet, le flet ou le turbo, mais il est difficile de dire s’ils étaient consommés frais ou conservés. En effet on considère que la distance maximale que pouvait parcourir une cargaison de poissons en restant fraîche était de 40 lieues, soit environ 200 km, et il se trouve que Blandy est exactement à cette distance des côtes de la Manche, donc on ne peut pas trancher entre les deux modalités d’importation. Par contre, des espèces comme le merlan ou la morue sont elles plus probablement séchées, car elles sont pêchées plus loin en mer et ne pourraient peut-être pas être convoyées jusqu’à Blandy en restant fraîches.

3) Autres espèces aquatiques.

Ce panorama est complété par les quelques restes d’espèces aquatiques retrouvées autres que les poissons, témoins à l’occasion d’un niveau social assez élevé, même pour aujourd’hui.

Notamment, pour les eaux douces on retrouve quelques restes d’écrevisse à pattes rouges, un crustacé actuellement en voie de régression qui vit principalement dans les ruisseaux et les étangs, de même que quelques os de grenouille, qui est évidemment intimement liée au milieu aquatique et en particulier à un milieu de mares. Et, d’autre part, on a retrouvé une coquille d’huître, élément qui soulève de nombreuses questions puisque les coquilles d’huîtres sont difficilement destructibles et que tant qu’à importer ces mollusques coûteux les châtelain a certainement du en acheter des quantités appréciables ; la question est donc dans ce cas de savoir où sont passées toutes les coquilles, si tant est que les animaux aient été transportés vivants comme on le pratique actuellement. Toutefois, dans le but d’alléger la cargaison, il est aussi possible qu’on les ai convoyées sans leur coquille, dans de la glace, auquel cas si la température est toujours bien froide l’huître doit pouvoir se conserver quelques jours voire une semaine.

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Ainsi, de même que pour les plantes, nous avons pu caractériser une alimentation carnée très diversifiée, relativement luxueuse et faisant intervenir au besoin des espèces ne vivant pas dans l’environnement du château, quoique les animaux indigènes soient en général privilégiés. De même, si les animaux sauvages ne sont pas plus ignorés que les plantes sauvages, dans les deux cas la domestication est de loin privilégiée, que ce soit avec les céréales ou ici avec la basse-cour et le cheptel de bétail. Toutefois, il va de soit que cette aisance va avec un certain statut social ; nous allons donc essayer de définir celui-ci à partir de l’alimentation, cette caractéristique nous permettant d’éviter d’éventuelles généralisations abusives quant à l’alimentation des individus moins aisés à cette époque.

III) Des données sociétales.

A) Environnements.

1) L’environnement naturel.

En premier lieu, du point de vue paléoenvironnemental, la région de Blandy semble être particulièrement diversifiée, ceci entraînement logiquement un plus large choix quant aux espèces consommées. On y trouve des surfaces cultivables puisque des céréales y poussent, des prairies plus ou moins humides pour faire pâturer les bêtes et d’après les graines de plantes typiques de ce type de terrains retrouvées, de même également que des forêts puisque le gibier chassé vit principalement en forêt, comme pour le cerf. De même, d’après les poissons d’eau douce retrouvés, ceux-ci ont manifestement pu bénéficier d’une grande diversité d’habitats, de la rivière rapide au lac d’eau presque stagnante. Ainsi, l’environnement du château de Blandy paraît particulièrement diversifié, ce qui n’était peut- être pas le cas partout.

2) Les plantes de jardin.

D’après la présence de certaines plantes de potager, on peut déduire l’existence probable d’un jardin à l’intérieur du château. Notamment, certaines herbacées odorantes comme le saxifrage, plutôt mises en évidence par la palynologie, ou bien la chélidoine à but médicinal, ne poussent pas à l’état naturel dans le bassin parisien mais s’adaptent suffisamment bien pour être souvent cultivées dans les jardins, d’autant qu’il est nécessaire de les avoir suffisamment fraîches pour qu’elles soient utiles. De même, la fraise commençait à être cultivée à l’extrême fin du Moyen Age, il n’est donc pas impossible qu’au moins une partie de celles retrouvées proviennent d’un jardin. Ainsi, on peut supposer l’existence d’un jardin en plus des champs cultivés, voire de deux éventuellement avec un d’agrément à l’intérieur de l’enceinte et un alimentaire à l’extérieur.

3) L’environnement des éléments importés.

Enfin, il est possible de reconstituer au moins en partie l’environnement d’où peuvent provenir les espèces étrangères au bassin parisien. Pour les plantes, en particulier celles à usage aromatique et médicinal, toutes les données convergent vers un climat de type méditerranéen. Par exemple, l’aneth se développe dans un environnement chaud et sec, de même que le fenouil, et ces deux plantes sont typiques du Sud de la France. D’autre part, les poissons de mer qui constituent le deuxième grand type d’importation, sont eux originaires de mers froides ; ainsi, le hareng et le merlan ne se rencontrent qu’au Nord du Golfe de Gascogne, et des espèces plates comme la sole, si elles ont une aire de répartition plus vaste, se reproduisent également dans ces mers froides.

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B) Rôle du commerce.

1) Les apports méditerranéens.

Nous pouvons donc retrouver ici les deux grands courants commerciaux de la fin du Moyen Age. En premier lieu, la route commerciale empruntée par les produits du grand commerce en remontant le Rhône ou en provenance d’Italie du Nord est manifestement empruntée aussi pour des denrées produites directement en Europe méridionale, ce qui semble assez logique.

Ceci permet de mettre en évidence le dynamisme des échanges à moyenne distance en Europe, et le fait que des habitants de la partie Nord de la France connaissaient les usages de plantes venant de la partie méditerranéenne, donc qu’ils ne voyaient pas forcément en temps normal.

2) Le commerce nordique.

D’autre part, la voie commerciale la plus dynamique à la fin du Moyen Age est également mise à profil massivement, puisque la plus grande partie des poissons consommés ici viennent des villes du bord de la mer du Nord. Ainsi, Blandy semble intégré au réseaux de distribution en provenance de la Baltique, alors même que ce domaine n’est pas situé directement sur une grande voie commerciale. Toutefois, on note que si le château n’est pas lui-même desservi, sa situation dans une zone de passage, proche de Paris, compense certainement cette légère faiblesse.

3) Un rôle de plaque tournante.

Ainsi, si Blandy lui-même n’a pas de rôle particulier dans le commerce européen, il est situé dans une région qui peut être considérée comme une plaque tournante de ce trafic ; d’ailleurs le succès des foires de Champagne au XIIe siècles, qui ne sont pas très éloignées, témoigne que ce phénomène n’est pas nouveau. En effet, il ressort de ces observations que le château est situé aussi bien sur les routes commerciales en provenance de la Baltique, et même à bonne distance pour recevoir aussi bien des produits frais que conservés, mais est également desservi par les routes en provenance de la Méditerranée. De plus, le château n’est pas très éloigné de Paris qui est un point de passage quasi-obligé, et les connaissances sont assez répandues pour que ses habitants soient informés des propriétés de plantes introuvables dans leur environnement. Toutes les conditions sont donc réunies pour que les consommateurs puissent pallier leurs éventuels manques de la façon la plus diversifiée et appropriée possible.

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C) Statut social.

1) Le prix des denrées.

Ce commerce a grande échelle et sur des marchés diversifiés nous donne ainsi une piste pour tenter de saisir le statut social de la population étudiée. Le statut seigneurial est évident, vu que l’on se place dans un château et que la chasse et la pêche sont pratiquées un peu partout en quantité appréciables, mais nous avons désormais l’indication d’une aisance financière certaine, ce qui exclut la comparaison avec le commun des mortels à l’époque. Par exemple, un hareng saur coûte environ 6 deniers parisis en France d’après plusieurs documents médiévaux, ce qui équivaut à un petit quartier de mouton ou une dizaine d’œufs ; le hareng séché n’est donc pas particulièrement économique, et encore il s’agit d’un met plus abordable que les poissons frais. Ainsi, les denrées consommées renvoient au moins à un niveau financier équivalent à celui de la bourgeoisie des villes, voire supérieur.

2) Quelques absences remarquables.

Toutefois, il apparaît en creux que cette population ne vit pas non plus dans le grand luxe, car il manque des espèces fréquemment rencontrées à la table des plus puissants seigneurs.

Ainsi, le paon a bien été rencontré dans la latrine 1, mais il n’y a aucune trace de dinde qui est la volaille fine par excellence. De même, pour ce qui est des espèces de plantes importées à but de condiment, les plus riches ont d’habitude tendance à moins consommer de moutarde qui reste assez commune et peu relevée, mais par contre ils font venir leurs aromates non du bassin méditerranéen mais d’Inde avec la cardamone, d’Indonésie avec la noix de muscade, ou encore d’Afrique avec la maniguette dite « graine de paradis ». De même, pour les fruits et légumes on ne trouve pas de melons, de citrons, d’oranges ou de dattes, qui étaient là encore consommées dans les milieux les plus nantis.

3) Une caractérisation sociale.

Ainsi, on peut considérer que les seigneurs du château de Blandy possédaient une table équivalente à celle que pouvait s’offrir un membre des élites urbaines, assez aisé pour consommer des denrées de toute l’Europe et organiser des repas assez festifs avec du gibier ou des figues, mais tout de même pas assez riche pour s’acheter les épices les plus fines apportées par bateau des terres récemment découvertes. D’ailleurs, les plantes de bases restent relativement proches de celles consommées par les classes humbles de la populations. Il ne faudrait donc pas trop généraliser les conclusions tirées de ces observations, car elles correspondent à une classe sociale bien particulière, à savoir des seigneurs ayant une aisance comparable à celle de bourgeois.

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Conclusion.

Finalement, l’alimentation au château de Blandy les Tours au tournant du Moyen Age et de l’époque moderne, en tout cas telle qu’on la perçoit à travers l’analyse carpologique et archéozoologique du contenu de la latrine n°2, semble être à la fois un aperçu assez exhaustif de ce que pouvait potentiellement être l’alimentation à cette époque, mais par cette exhaustivité est aussi un cas assez particulier. On y voit en particulier une alimentation basée sur la domestication, en particulier de plantes à travers les céréales et notamment le froment, associée à une consommation de fruits et légumes variée quoique dans des quantités difficiles à apprécier à cause de la conservation différentielle, le tout adjoint à l’utilisation de certaines plantes au moins comme aromates et condiments, et peut-être même dans un but médicinal pour certaines, voire dans plusieurs buts à la fois. Cette partie végétale est complétée par une alimentation carnée en quasi-totalité issue d’un cheptel de bœufs, porcs et caprins, plus d’une basse-cour comportant principalement des coqs. La chasse reste évidemment présente, mais apparemment plus comme un loisir fournissant accessoirement des mets un peu différents à la table et non comme une vrai source d’alimentation. Enfin, pour les jours maigres qui représentent environ la moitié de l’année, on a naturellement recours au poisson, autant pêché sur place qu’importé des régions de la mer du Nord, et notamment sous forme de harengs séchés. Toutefois, il convient de garder à l’esprit que d’une part les habitants ont la chance de bénéficier apparemment d’un terroir fertile et diversifié, avec aussi bien des champs cultivables que des prairies ou des forêts, et des cours d’eau de différentes nature, ce qui permet une importante biodiversité mais peut être trompeur. De plus, il convient toujours de se souvenir que, après réflexion, la catégorie sociale de ces personnes est bien particulière : leurs importations et leur cheptel permet de les classer dans les nantis, mais leur alimentation ne présente tout de même pas le faste de la cour d’un seigneur. Le tableau que l’on a pu dresser de leur table est donc probablement correct pour des citadins nantis ou des seigneurs aux revenus équivalents, comme celui de Blandy, mais ne saurait convenir pour les populations au niveau de vie moins important, ou dans une moindre mesure plus élevé. Il serait d’ailleurs intéressant d’effectuer des analyses similaires sur des latrines de village ou bien du château d’un grand seigneur, afin de pouvoir comparer le tableau dressé à Blandy avec ceux que l’on pourrait en tirer.

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Bibliographie.

Sur les latrines de Blandy :

BURNOUF, Joëlle, Archéologie médiévale en France. Le second Moyen Age (XIIe-XVIe siècle), Paris, La Découverte, 2008, 176 p.

COSTE, Marie-Claire (dir.), Mode de vie et alimentation à la fin du Moyen Age (fin XVe-XVIe siècles) au château de Blandy-les-Tours (Seine-et-Marne). Approche pluridisciplinaire des latrines de la salle de l’Auditoire, Revue archéologique du Centre de la France, Suppl. 28, 2006, 184 p.

COSTE, Marie-Claire, « La table des seigneurs de Blandy-les-Tours (Seine-et-Marne) aux XVe et XVIe siècles », in RAVOIRE, Fabienne, DIETRICH, Anne (dir.), La cuisine et la table dans la France de la fin du Moyen Age, Caen, Publications du CRAHM, 2009, pp.389-400.

Vieux livres sur les propriétés des plantes :

CARLIER, Léonce, Les légumes et les fruits qui guérissent, Paris, La diffusion nouvelle du livre, 1960, 156 p.

Collectif, Petit mémento de la famille, Paris, Les livres pratiques, 1916, 128 p.

38 pages de la partie « médicinale » d’un herbier sans couverture, 1ère moitié du XXe siècle.

Autres :

AUDOIN-ROUZEAU, Frédérique, « Compter et mesurer les os animaux. Pour une histoire de l’élevage et de l’alimentation en Europe de l’Antiquité aux Temps Modernes. », Histoire &

Mesure, vol.10 n°3-4, 1995, pp.277-312. En ligne sur Persée.

CLAUZEL, Isabelle (dir.), Saint Hareng, glorieux martyr : le poisson de mer de l’Antiquité à nos jours, s.l., Cercle d’Études en Pays Boulonnais, 2006. Résumé en ligne sur

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CLAVEL, Benoît, « L’Animal dans l’alimentation médiévale et moderne en France du Nord (XIIe-XVIIe siècles), Revue archéologique de Picardie, n° spécial 19, 2001. Résumé en ligne sur http://www.menestrel.fr .

Références

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