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LA CONGESTION DE PARIS

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LA CONGESTION DE PARIS

L'Assemblée de l'Union française doit quitter Versailles pour s'installer à Paris. Ses membres pensent-ils accroître leur prestige en abandonnant le Palais des rois pour s'installer dans un musée parisien ? Ce qui apparaît en tout cas avec évidence, c'est le bilan négatif de l'opération.

La transformation d'un musée en salle d'assemblée avec de mul- tiples dépendances entraînera de gros frais alors que des aména- gements coûteux avaient été déjà faits pour son installation à Versailles il y a quelques années.

— Le Musée des Travaux publics créé en 1938 va disparaître ainsi sans que l'on sache ni où ni quand il pourra être rouvert au public. N'est-il pas paradoxal en un temps où la technique est reine de condamner de la sorte un musée technique ? \

— Nous allons assister à la destruction intérieure d'un des plus nobles témoignages de l'architecture moderne (ils ne sont pas si nombreux 1) dont le génie d'Auguste Perret avait su faire le seul vrai musée de Paris. Tous les autres sont installés de façon défectueuse ou dans des bâtiments qui n'ont pas été prévus pour une telle destination. L'association des conservateurs de musée s'est vivement

• élevée contre ce coup de force, mais sa protestation a paru négli- geable.

— Enfin, le transfert d'une assemblée politique de Versailles à Paris marque encore un pas vers cette centralisation parisienne dont chacun s'accorde à stigmatiser les méfaits. Et c'est ce dernier point qui nous paraît le plus grave.

Bien sûr, l'établissement du siège de l'Assemblée de l'Union

française sur l'avenue d'Iéna n'ajoutera pas beaucoup aux encom-

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brements de Paris mais n'est-ce pas un nouveau signe de cette absence de jugement, de ce manque d'esprit de prévision qui conduisent aux catastrophes ? Car cela fait suite à d'autres événe- ments du même ordre qui apparaissent comme des défis au bon sens.

Lorsque fut construit, au mépris des règlements, le bâtiment géant de la Faculté de Médecine au centre du vieux Paris, dans le charmant quartier de libraires et d'antiquaires de la rue Jacob et de la rue des Saints-Pères, les protestations furent nombreuses ; les architectes durent modifier leurs plans, rétrécir, amputer, et, même, la construction une fois terminée, décapiter, parce que les étages supérieurs étaient par trop offensants. Ces compromis ne sont ni ieaux, ni bons. Dans tous les pays du monde, les bâtiments uni- versitaires et les laboratoires exigés par le progrès scientifique sont construits sur de vastes terrains libres. Il faut éviter par-dessus tout, pour des locaux importants et dont on doit prévoir l'extension, les quartiers centraux déjà encombrés, déjà surpeuplés.

Nous avons vu s'accumuler depuis de semblables erreurs. Quand fut décidé que le siège de l'UNESCO serait établi à Paris, sa place n'était-elle pas toute trouvée ? Les plans d'aménagement de la région parisienne réservaient de vastes terrains dans le quartier de la Défense à des organismes administratifs qui se trouvaient trop enserrés dans Paris. Les audacieux programmes prévus par des architectes internationaux n'eussent:ils pas été là tout à fait à leur place ? Mais c'est au centre de la ville, comme tout le monde, que l'UNESCO voulait siéger. Et c'est à côté de l'Ecole militaire, derrière le palais de Gabriel, que cette assemblée construisit son palais malgré toutes les raisons d'esthétique et d'urbanisme qui s'opposaient à cette décision. Le conseil municipal, la commission des sites, le Touring-Club, la Ligue urbaine et rurale, tous les groupes qui avaient qualité pour se prononcer et se faire les porte-paroles des Parisiens, élevèrent leurs protestations dans un concert indigné.

Mais ni l'opinion des Parisiens, ni la volonté d'une municipalité qui était cependant propriétaire du sol n'avaient, semble-t-il, la moindre importance. L'UNESCO s'est établie dans un des quartiers les moins désignés pour la recevoir.

Le même genre d'aventure s'est renouvelé avec l'OTAN dont les baraquements dits provisoires encombrent depuis quatre ans la colline de Chaillot.

Encore pouvait-on, dans ces deux cas,, prétexter qu'il s'agissait d'organisations internationales qui avaient choisi de s'établir chez

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LA CONGESTION DE PARIS 509 nous : la diplomatie et les lois de l'hospitalité demandaient peut- être de ne pas contrecarrer cette option flatteuse. Mais lorsqu'il s'est agi d'élever un palais de la Radiodiffusion et Télévision françaises, il ne s'agissait plus d'institution internationale. La R. T. F. ne relève-t-elle pas directement de la présidence du Conseil ? Et pourtant les cris d'alarme n'ont pas été davantage entendus.

Au lieu de s'installer au rond-point de la. Défense, à côté de la ligne de métro prolongée, la Radio a préféré s'implanter sur un terrain de sports à Auteuil en-bordure d'un boulevard où la circulation est déjà embouteillée. Et l'on nous annonce, avant même qu'ils soient construits, que les locaux prévus seront bientôt insuffisants 1

* * *

Tant de contresens, tant d'affronts aux paysages urbains, tant de vains barrages dressés contre les forces d'expansion natu- relle qui commandent traditionnellement à la croissance des cités risquent de mener véritablement à un étouffement de la capitale.

En un temps où l'on ne parlait pas tant de plans d'urbanisme, et où le mot même n'était pas inventé, les mesures prises pour diriger la construction étaient infiniment plus saines. Lorsque Louis XIV créait la place Vendôme, c'était au-delà des quartiers bâtis;.et c'est hors de la ville qu'il faisait construire son hôpital civil (la Salpêtrière), son hôpital militaire (les Invalides), son Observatoire,.

alors dans la campagne ; et c'est à vingt kilomètres de Paris qu'il créait la capitale administrative de la France, Versailles, la première de ces cités-satellites tant prônées aujourd'hui.

Si l'on tenait compte de la prodigieuse accélération des progrès techniques et de ses conséquences sur le peuplement des villes, ce sont des mesures de déconcentration d'une portée beaucoup plus grande encore qui devraient être prises aujourd'hui.

Pendant des siècles l'augmentation de la population de Paris fut à peu près parallèle à celle du reste du pays. La croissance fut très lente jusqu'au xixe siècle. Ainsi, de l'enceinte de Philippe- Auguste (vers 1190) à celle de Charles V (vers 1370) il n'y a que l'espace de la cour du Louvre à notre Carrousel. Le plan Turgot nous montre que sous Louis XV la ville était approximativement limitée par le Luxembourg, les Invalides, la Concorde et nos grands boulevards avec quelques minces tentacules au longues routes des v

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faubourgs Saint-Denis, Saint-Antoine, Saint-Jacques et Saint- Honoré. Les fortifications de 1841 devaient agrandir considérable- ment les frontières de la ville avec de nombreux espaces libres à l'intérieur en vue d'un développement éventuel. Mais on n'avait pas prévu que la population quintuplerait au cours du siècle.

En cent ans, des migrations, des bouillonnements de toutes sortes ont complètement métamorphosé Paris. La bourgeoisie d'affaires quitte le centre pour s'établir dans les nouveaux quartiers de l'ouest : Etoile, Invalides, Chaillot, Monceau, Passy, Auteuil, tandis que la population ouvrière reflue vers, le nord et vers l'est.

Des fabriques, des dépôts, des usines sont bâtis — en grand désordre

— dans les arrondissements périphériques. Puis, c'est l'extension, plus rapide et plus désordonnée encore, de la banlieue. Ainsi s'affir- mait une répartition des classes sociales presque à cloisons étanches que n'avait pas du tout connu l'Ancien régime. A présent l'urba- nisation des anciens villages des environs de Paris est telle qu'il n'y a pratiquement aucune différence de peuplement entre la capitale et les communes limitrophes.

Malgré cela Paris vit toujours, administrativement tout au moins, dans l'enceinte de M. Thiers — paradoxe qui ne peut s'expli- quer que par des raisons électorales — et l'on assiste, à ce fait très étrange : si la région parisienne est dotée d'un plan d'aména- gement celui-ci s'arrête à la frontière de Paris qui attend toujours le sien.

Jusqu'à une époque relativement récente, la croissance indéfinie dé la capitale fut admise comme un phénomène démographique normal et même souhaitable. La centralisation administrative n'a fait que s'accroître (comme elle s'accroît toujours aujourd'hui, malgré les promesses des discours). Le nombre de provinciaux qui veulent habiter Paris ou ses abords est toujours plus élevé. La

« région parisienne » groupe plus de sept millions d'habitants. Seul le manque de logis freine la ruée. La création des cités d'urgence répond sans doute à un idéal généreux : en fait elle a provoqué un afflux vers Paris de malheureux qui croyaient y trouver travail et logement.

La difficulté de circuler dans le centre de Paris est la consé- quence la plus spectaculaire de ces invasions. Il est curieux en effet que- tant de magasins, tant de sièges de sociétés, tant d'adminis- trations d'Etat, tant de groupes divers persistent à vouloir s'agglo- mérer dans les limites du plan Turgot, dans ces quartiers tracés

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pour les fiacres, — quanjd ce n'est pas pour les charrettes à bras ou les chaises à porteur! Le dédale des rues étroites gui desser- vaient le Sentier ou le marché des Halles au temps de Balzac est entièrement recouvert par l'inondation d'engins motorisés qui ne peuvent s'arrêter sans paralyser toute la circulation derrière eux.

Il est clair que nous sommes arrivés à un point de saturation qui ne saurait être dépassé.

L'Etat est le premier à donner le mauvais exemple. Non seule- ment ses bureaux ne sont pas répartis comme il conviendrait dans Paris et la périphérie (il n'y en a pratiquement pas dans les quartiers de l'Est), mais la plupart des ministères et des administrations se sont installés dans les hôtels patriciens des régimes déchus et dans de grands appartements où ils prennent la place des familles qui pourraient normalement y habiter. Le VII

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arrondissement en particulier, voit pulluler des bureaux administratifs dans des salons lambrissés, des chambres de domestiques ou des salles de bains. On attend toujours la grande réforme qui regroupera ces administrations éparpillées dont les employés et le public sont obligés à des va-et-vient à travers des quartiers encombrés, en un centre administratif d'un accès facile, aménagé selon sa destination et d'une apparence un peu plus digne.

Le premier remède proposé consisterait à restreindre ou même à supprimer la circulation dans une zone centrale dont les limites sont déjà tracées (la zone dite bleue). Ces mesures seraient infi- niment désagréables pour les habitants et nuiraient à une activité normale de la cité.

Des audacieux nous disent alors : « On tente bien en vain de réparer par des moyens de fortune.les erreurs accumulées au siècle dernier au lieu de tracer carrément le Paris de l'an 2000. Il n'y a pas de compromis possibles. Il faut détruire ce vieux Paris malsain et suranné et le remplacer par des constructions neuves, répondant aux récentes données de l'habitation et de l'urbanisme. Rien de bon ne sera fait si l'on ne substitue à tout cela des quartiers adaptés à la population nouvelle, à ses rythmes de vie et au progrès technique. »

Naturellement les amoureux de Paris poussent de hauts cris

— bien qu'ils ne soient pas tous de vieux archéologues renfrognés.

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Il est vrai que l'on peut opposer à ce programme si sommairement révolutionnaire mille raisons d'ordre social, économique et financier.

Où loger transitoirement la population avant que ces nouveaux immeubles soient rebâtis ? Où trouver le budget nécessaire à une opération dont l'envergure et les difficultés de toutes sortes donnent le vertige ?

Il ne reste qu'une solution. Une solution conforme à l'idée du développement naturel des êtres vivants, celle qui consiste à répartir des foyers d'activité hors du centre. Paris est un tronc d'arbre qui s'est développé en anneaux concentriques ; il faut laisser pousser ses branches.

Depuis que nous avons, pour la région parisienne, un commissaire à l'urbanisme qui paraît doué de clairvoyance et d'autorité, quelques mesures restrictives ont été prises qui amorcent une politique dont l'exécution a malheureusement trop tardé. Le gouvernement a pris la décision (3 août 1955) d'empêcher toute construction de nouvelles usines dans la région parisienne, de ne plus permettre que de nouvelles administrations s'installent dans les quartiers surpeuplés, enfin, de refuser le permis de construire à tout projet qui détruirait ou réduirait des espaces verts. Très bien ! Mais chacun sait qu'il y a loin entre la. loi et son application.

A Paris comme en banlieue le moindre espace planté ou non est pourchassé. Même sur la fameuse „« ceinture verte » — l'ancienne

« zone » — s'élèvent des constructions. Et dans tous les quartiers de Paris nous voyons disparaître peu à peu les derniers arbres, les dernières touffes de fleurs et les derniers gazons des derniers jardins privés qui font place à des buildings. Des bureaux s'empilent à grands frais en des rues déjà obstruées par la circulation. Quant aux usines, grandes ou petites, le plus souvent vétustés et anachro- niques, elles occupent encore plus de trois cent mille ouvriers dans, l'enceinte même de la capitale.

Il convient d'étudier sur le plan national un, programme de longue portée; S'il est nécessaire d'organiser le peuplement de la région parisienne on ne perdra pas de vue que sa densité ne saurait être indéfiniment augmentée. (Près de huit cent mille habitants nouveaux sont venus s'y établir depuis 1945.)

Voilà des dizaines d'années qu'est dénoncée la menace qui fait

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peser*sur la France un excès de centralisation et que de bons esprits ne cessent de répéter que la décentralisation est le principe majeur d'une politique urbaine raisonnable/ C'est en 1947 que François Gravier fit paraître son livre P û m et le désert français don> chacun reconnaît aujourd'hui la pertinence. Les appels sont toujours plus nombreux qui viennent des petites villes ou des campagnes en voie de régression pour attirer des industries qui, en essaimant chez elles, bénéficieraient d'avantages importants.

La dispersion industrielle est inscrite dans l'évolution générale de la vie économique. Mais nous vivons toujours comme si le rail et le charbon commandaient encore la répartition de la production, comme si la distribution facile de l'énergie, la rapidité et la souplesse des transports routiers ne permettaient pas aujourd'hui d'apporter un influx de vie à des cantons abandonnés. Si quelques essais de décentralisation ont été faits, d'ailleurs heureux, il est indéniable

que la plupart des Français paraissent répugner à ce qui est la ' sagesse, à ce qui est l'avenir, à ce qui se pratique d'ailleurs de plus

eh plus dans des pays aussi différents que les Etats-Unis et la Suisse où, spontanément, commence un exode industriel vers les terres les moins favorisées.

Il s'agit dé crée/ ou de revigorer des centres de vie spirituelle et économique dispersés à travers un territoire mal exploité. Des cités dépeuplées doivent reprendre le rôle de capitale qu'elles avaient autrefois en, s'adaptant à une révolution technique insuffisamment comprise et mal appuyée par des réformes administratives et politiques.

Je ne pense pas que des décisions d'ordre social, industriel ou fiscal puissent suffire. Il faut remonter ce long courant d'origine politique et moral qui a contribué à appauvrir l'esprit des provinces françaises en orientant toutes les activités vers Paris.

Construire sur ce qui reste par ci, par là, de terrains libres comme on pose une pièce de puzzle en fin de partie, n'est que la solution trop facile d'un problème dont les incidences sont très graves pour la vie nationale.

En considérant tout d'abord l'aménagement de la région pari- sienne, il convient d'approuver une délimitation intelligente de la zone urbaine et de la zone rurale. Nous avons en Ile-de-France des terres très riches et des paysages très beaux dont il faut res- pecter ce qui, malgré tant d'atteintes, peut être sauvegardé. Ne seraient construits dans la zone rurale que des maisons de culture

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ou de petites industries locales, parfois saisonnières, néceslaires à l'équilibre de la vie campagnarde.

Un premier pas sera fait sur la voie de la déconcentration industrielle lorsqu'on aura pu — par une politique de subventions et d'exonérations fiscales — réanimer autour de Paris des villes comme Creil, Meaux, Coulommiers, Nangis, Montereau, Dreux, etc.

A ces villes qui possèdent déjà un foyer de vie et des traditions, viendraient s'agglomérer de nouveaux commerces, de nouvelles industries. Autour de ces noyaux naturels éclos au gré de situations géographiques, ou de dilections particulières, se constitueraient des cités qui n'auraient rien de commun avec ces désespérants cham- pignonnements de maisons surgis comme au hasard, à ces communes hagardes qui attendent tout le jour dans la torpeur le retour du banlieusard.

Mais les mesures les plus efficaces doivent intéresser tout le territoire de la France. Vivifier des zones anémiées en décongestion- nant des zones asphyxiées, rétablir un équilibre entre des campagnes squelettiques et une capitale monstrueusement hypertrophiée, ce sont les tâches difficiles qui s'imposent de toute urgence.

Le problème de la circulation sur la place de l'Opéra ne se résoudra point par des signalisations nouvelles, il se résoudra à Orléans, dans le Bas-Vivarais ou sur le plateau de Langres. Ce n'est pas une boutade. Tout au plus un symbole. Bien des régions de France mal exploitées — ou même inexploitées — restent en marge de la course mondiale à la productivité. II n'est pas interdit de pré- voir qu'après avoir été tant aimantées par Paris, un jour viendra où elles aimanteront un Paris sursaturé.

De sérieuses études sont poursuivies pour la mise en valeur de ces régions défavorisées. Les premiers essais de décentralisation industrielle — qui se bornent d'ailleurs jusqu'ici à un déplacement d'environ "80.000 personnes — semblent avoir eu de bons résultats sur la marche des affaires; ils ont aussi apporté aux ouvriers et aux employés des facilités de vie qu'ils n'avaient pas toujours soupçonnées. Mais il est clair que cette émigration plus ou moins dirigée sera parfaitement inefficace tant que Paris ne pourra arrêter, les flots d'une immigration provinciale qui la dépasse de beaucoup en ampleur.

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; Les origines <Ie cet afflux vers la capitale ne nous paraissent pas toujours ressortir à des raisons économiques et matérielles. Il convient de s'attacher à un problème beaucoup plus complexe qui est d'ordre psychologique et moral.

En un temps où l'auto, le cinéma, la radio, la télévision, le disque répandent partout tant de sources de distractions qui devraient en principe aider les hommes à vivre dans leur pays d'origine, il semblé que jamais tant de provinciaux, même chez les favorisés de la fortune, n'aient si mal supporté l'idée de rester chez eux. Je lisais récemment des lettres de famille vieilles d'environ cent ans.. Leurs signataires, hommes ou femmes de tous âges, je me les représentais dans la petite ville, le bourg, le villagej où pour la plupart étaient nés leurs pères. Ils menaient une existence calme ou active, parfois riche sur le plan spirituel, mais ne fran- chissaient guère les limites géographiques de cinq ou six cantons.

La distance d'une journée de cheval fixait à peu près le rayon du cercle où l'on travaillait, où l'on s'amusait, où l'on se mariait, où l'on était enterré. Même sous la plume d'un grincheux, je n'ai jamais vu d'allusions à la monotonie de l'existence, à quelque désir de s'échapper, d'aller ailleurs que là où le destin l'avait placé.

Certes, il y eut toujours des Rastignac et des Sturel qui, dès l'adolescence, rêvaient de quitter leur province pour conquérir Paris. Depuis Ses origines notre capitale est le grand comptoir de Tesprit; il serait stùpide et vain de lui contester; ce privilège.

Mais nous assistons depuis quelque temps à un tel drainage des élites, à une telle omnipotence de Paris que l'on peut se demander si la France ne sera pas bientôt autre chose qu'un cerveau congés- , tionné incapable de commander à un corps déchu. Il en sera ainsi tant- que l'on croira nécessaire de conférer à Paris une sorte de monopole intellectuel qui ne* fait que s'accuser.

L'Ecole normale de Sèvres ayant été démolie pendant/la guerre,.

au, lieu de la reconstruire sur place, ou plus loin puisque les trans- ports sont aujourd'hui plus rapides, on veut la reconstruire dans Paris. Lors des discussions sur le déplacement de l'Ecole de Goet*

quidan, la nécessité de donner aux futurs officiers une formation intellectuelle était présentée comme un argument-massue pour justifier sa présence dans la région parisienne. N'est-il pas saugrenu de voir à Paris des institutions comme l'Institut agronomique, l'Ins- titut océanographique ou le Centre des cultures tropicales ? Ce qui était déjà un paradoxe au début du siècle apparaît aujourd'hui,

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lorsque l'afflux de la population estudiantine pose d'insolubles problèmes de logements, comme une calamité. On est arrivé à cette situation insensée : sur seize Universités françaises, Paris rassemble plus de la moitié des étudiants inscrits.

Lorsque nous évoquons les grands foyers intellectuels de l'étran- ger, nous pensons à Oxford ou Cambridge, à Munich, Bonn ou Heidelbérg, à Harvard ou Yale et non point à des capitales politiques dont l'agitation semble d'ailleurs peu favorable aux études. Il serait infiniment souhaitable qu'en France certaines Universités de pro- vince soient spécialisées (médecine, diverses disciplines scienti- fiques), que certaines Facultés reçoivent un matériel de premier ordre et les maîtres les plus appréciés. Au lieu de cela, nous voyons les meilleurs équipements réservés à l'Université de Paris, qui d'ailleurs reste trop considérée comme le couronnement de carrière des professeurs de renom.

Tout ce qui pourra conférer à nos provinces quelque vitalité spirituelle servira la nation — et, par conséquent, servira Paris.

Tout se tient. Le provincial éprouve trop souvent un complexe de Français de seconde zone dû au sentiment que tout ce qu'il y a d'important (en dehors de la politique électorale) se passe loin de lui.

L'artiste se sent isolé, écarté du public, des critiques, des mar- chands ; l'écrivain à l'écart des éditeurs et des cafés littéraires ; le scientifique loin des centres de recherches ; et tout le monde hors du terrain de compétition, La femme de l'ingénieur ne supporte plus de vivre dans un chef-lieu de canton quand ses magazines ou son poste de radio lui apportent sans cesse les effluves d'un pari- sianisme dont elle ne connaît guère que les vedettes et leurs éblouis- santes célébrations.

Certains signes laissent pourtant prévoir que la province peut être ranimée — et par des manifestations situées à un niveau élevé.

On peut fort bien réagir contre un courant qui n'a rien d'irrésistible.

Le mouvement de décentralisation théâtral amorcé par Jes centres dramatiques a donné quelques résultats très heureux. La

^création de festivals de musique.de haute qualité, malgré leur manque.de coordination, contribue à coup sûr à une renaissance provinciale : s'ils se déclarent « internationaux » pour des raisons de propagande, ils rassemblent, en fait, un public régional passionné.

Des congrès qui consentent à se réunir en des villes de province provoquent passagèrement une animation intellectuelle qui ne demanderait qu'à se prolonger.

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Les conditions d'habitation et de repos, le» rythmes d'activité des agglomérations urbaines surchargées menacent de devenir incompatibles avec les normes humaines. Le bulletin de santé des centres soumis à l'hyperactivité du monde moderne est extrêmement alarmant. Si la tuberculose est en régression, un fléau plus grave accélère ses ravages. Le nombre des maladies nerveuses s'accroît sans cesse, et il apparaît que le milieu surexcité dés grandes villes en est la cause dominante. La santé mentale des intellectuels, des étudiants en particulier, est inquiétante. Les hôpitaux psychia- triques sont insuffisants. Les efforts ont porté jusqu'ici sur l'amélio- ration ou la destruction, d'ailleurs toute théorique la plupart du temps, de maisons ou de quartiers insalubres selon des critères aujourd'hui dépassés. On n'avait pas songé à un autre genre d'insa- lubrité, celui qui naît du bruit, du mouvement, de la promiscuité, de mille causes qui peuvent rendre les rapports sociaux intolérables et engendrent des maux d'ordre moral et mental. Le problème psychique rejoint le problème physiologique.

La concentration urbaine, qui avait été considérée au xix* siècle comme une conséquence heureuse et nécessaire de l'économie poli- tique, comme une suite fatale et bénéfique du progrès scientifique, et qui devait assurer le bonheur du genre humain, nous en voyons paraître aujourd'hui les méfaits sur le visage de l'homme usé et névrosé. Pour ceux qui nous parlent toujours d'assurer les « joies essentielles », c'est une question qui mérite d'être prise en considé- ration avec le plus grand sérieux. Ce n'est pas être un grand pro- phète que de prévoir le jour où les hommes, bon gré mal gré, cher- cheront à se déprendre des engrenages d'une civilisation urbaine trop brutale.

BERNARD CHAMPIGNEULLE.

Références

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En plus de la somme des cotisations des membres adhérents (1) et de la sub- vention du conseil municipal, certains bureaux municipaux organisent des fêtes et ventes de charité.

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