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Comme je vous ai aimés

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Academic year: 2022

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Texte intégral

(1)

par le père Éloi

E Christ a déclaré — en appelé Maître et Seigneur et

une essentielle différence de dignité et

L

toute vérité — à ses apôtres : « Vous m’avez

vous avez raison, car je le suis 1. » Il y a donc d’autorité entre le Christ et ses apôtres : normalement, ils ne peuvent être que des serviteurs (des « esclaves », dira saint Paul). Et Jésus pouvait dire : « Je vous appelle serviteurs et j’ai raison de le faire, car vous l’êtes. » Cette phrase, Jésus ne l’a jamais prononcée, mais au contraire celle-ci : « je ne vous appellerai plus serviteurs, mais amis 2 », ce qui est les élever à son niveau. La définition de l’amitié n’est-elle pas : « Idem velle, idem nolle » (vouloir la même chose, ne pas vouloir ce que l’autre ne veut pas) ? Oui, l’amitié installe sur un pied d’égalité : « Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis. »

Malheureusement, la suite du texte semble démentir une affirmation si généreuse et ramener les choses à l’ancienne situation : « Vous, vous serez mes amis si vous faites ce que je vous commande. » Il y a un maître autoritaire qui a le droit de l’être et des serviteurs qui n’ont qu’à obéir. Curieuse amitié dans un contexte de « marchandage » ! L’obéissance achète le droit d’être appelé « ami ». Si vous obéissez, vous serez mes amis.

Si vous ne le faites pas, vous ne le serez pas. Que seront-ils alors ? sinon des serviteurs désobéissants, rebelles, à punir !

Le bât blesse : est-ce que l’amitié s’achète ?

Peut-être nous sommes-nous engagés un peu vite dans une direction qui n’est pas la seule envisageable ? Prenons un exemple : un cachet royal qu’on imprime dans la cire. On peut considérer les choses sous l’aspect dominant-dominé (comme nous avions considéré maître et serviteur). Le cachet impose son image à la cire et la situe à un plan de domination et de soumission, d’infériorité. Mais regardons les choses autrement, d’une manière plus positive, au plan d’une assimilation. L’impression du cachet vise à la communication d’une image, réalise une communion dans une image et une image glorieuse : le sceau royal ! Loin d’être humiliée, la cire — de soi informe — acquiert une dignité qu’elle était incapable de se donner. Communion dans une ressemblance qui nivelle une inégalité naturelle. C’est retrouver notre définition de l’amitié : Idem velle...

communier dans un même vouloir assimilateur.

1 — Jn 13, 13.

2 — Jn 15, 14.

(2)

LE SEL DE LA TERRE N° 6, AUTOMNE 1993

Quand le Christ déclare : « Vous serez mes amis si vous faites ce que je vous commande, c’est-à-dire : ma volonté », il se place au niveau de la communion dans un même vouloir qui tend à niveler les différences. Comme la cire, de soi informe, acquiert la dignité de l’image que le cachet imprime en elle, ainsi notre volonté en puissance se voit élevée au niveau de celle du Christ, ce qui est proprement sublime. Les deux volontés sont harmonisées et c’est vraiment le plan de l’amitié : « Vous serez mes amis si vous acceptez librement, joyeusement, de faire ce que je vous commande », mon commandement. Et quel est ce commandement ?

« Hoc est præceptum meum », « ceci est mon commandement : que vous vous aimiez les uns les autres 3. » Le précepte de l’amour fraternel assimile notre volonté à celle du Christ. Il le veut : nous l’accomplissons. Est-ce suffisant ? N’y a-t-il pas la possibilité d’une assimilation plus parfaite, principe d’une amitié plus essentielle ? Le Christ lui- même nous fournit la réponse : « Ceci est mon commandement : que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés. » Nous n’avons pas seulement à aimer notre prochain comme le Christ nous en donne l’ordre, nous avons à aimer notre prochain comme Jésus l’a fait, en imitateurs de ce qu’il a fait. Il n’y a pas seulement conformité à la volonté du Christ nous donnant son commandement, mais imitation du Christ : « Je vous ai donné l’exemple pour que vous fassiez comme je l’ai fait moi-même 4. » Un texte de saint Paul éclaire saint Jean : « Soyez des imitateurs de Dieu et marchez dans l’amour de la même manière que le Christ nous a aimés 5. » Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés !

Mais comment le Christ nous a-t-il aimés ?

Le texte complet de saint Paul porte : « de la même manière que le Christ nous a aimés et s’est livré pour nous 6. » Nous avons ici une première réponse, la plus facile : le Christ nous a aimés en livrant sa vie pour nous.

La conclusion de saint Jean en sa première Épître (3, 16) est logique : « En ceci nous avons connu l’amour (du Christ pour nous) en ce qu’il a livré sa vie pour nous et nous devons, nous aussi, livrer notre vie pour nos frères. » C’est en plein accord avec :

« Aimez-vous les uns les autres comme je vous aimés. » Mais, concrètement, combien de chrétiens ont dans leur existence l’occasion de donner leur vie pour leurs frères ? Qui est appelé à ce sommet de l’amour fraternel : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Le « comme je vous ai aimés » ne s’appliquerait qu’à quelques privilégiés ? Et les autres ? Tous les autres ? Si c’est le commandement spécifique de Jésus, il doit s’appliquer à tout chrétien, il faut absolument que le « comme je vous ai aimés » s’applique à tous les cas, à toutes les situations. Il s’agit moins de pratiquer l’amour du prochain dans des circonstances semblables à celles où le Christ l’a pratiqué, que de se servir d’un même « mécanisme » d’amour. Ce mot « mécanisme » peut

3 — Jn 13, 34.

4 — Jn 13, 15.

5 — Ep 5, 1.

6 — Ep .5, 2.

(3)

être utilisé pour désigner la manière d’aimer propre au Christ, propre au Fils, à la personne du Fils, et, en même temps celle de tous ceux qui, en lui et par lui, sont fils du Père.

« Soyez des imitateurs, tels des enfants bien-aimés et marchez dans l’amour. »

Alors posons la question : comment Jésus a-t-il aimé et aime-t-il les siens, pour que nous puissions l’imiter ? Il nous le dit clairement en reconnaissant qu’ils sont siens parce que son Père les lui a donnés. « Ils étaient tiens et tu me les a donnés 7. » Quand il parle de nous, comme étant aimés de son Père, il dit : « Ceux que tu m’as donnés. » Il voit d’abord, immédiatement, l’amour de son Père pour nous : « Le Père lui-même vous aime 8. » Tout s’origine à ce niveau vertigineux. Puisque le Père nous aime et que nous sommes pour lui « des élus, des saints, des bien-aimés 9 », ainsi Jésus nous aime parce qu’il est Fils-Image-Imitateur du Père. S’il voit son Père nous aimer, il ne peut que nous aimer. « Le Fils ne peut rien faire de lui-même si ce n’est ce qu’il voit faire à son Père 10. »

« Le Père aime le Fils et lui fait voir tout ce qu’il fait 11. » Il faut conclure que le Christ ne saurait nous aimer immédiatement, mais en une sorte de réflexion et de ricochet. Il n’aime les hommes, il n’aime les siens, que parce qu’il voit qu’ils sont aimés par son Père et que son Père les lui donne à aimer. « Venez, les bénis de mon Père 12. » Dès lors, puisque nous sommes fils dans le Fils, aimer nos frères comme Jésus les a aimés, c’est les aimer parce que le Père les aime, comme le Père les aime, d’un amour éternel,

« imitateurs de Dieu, tels des fils bien-aimés, progressant dans la charité », progressant dans la transparence « puisque le propre “aimer” de Dieu a été diffusé dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné 13 » pour cela.

En effet, comment pourrions-nous autrement aimer nos frères comme Jésus les a aimés et veut que nous les aimions ? Ce mode divin d’aimer nous trouve dans une impuissance totale à nous élever à ce niveau. « Sans moi, vous ne pouvez rien faire. » Il nous faut le don, l’assistance de l’Esprit-Saint assimilateur, du Paraclet, c’est-à-dire de celui que nous devons appeler auprès de nous, en nous, pour qu’il nous soit possible de faire avec lui ce que nous ne pouvons faire sans lui.

S’il s’agit de transparence au propre amour divin, il est clair que le commandement du Christ ne peut être accompli par une quelconque générosité ou philanthropie, si généreuses soient-elles. « Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien et cela ne me sert à rien 14. »

Je n’ai pas accompli ce que le Christ me demande et me donne de faire. « Deus caritas est 15. » On traduit habituellement : Dieu est amour. Mais on pourrait également écrire : « la charité, c’est Dieu. » Aimer de charité, c’est aimer divinement, par

7 — Jn 17, 6.

8 — Jn 16, 27.

9 — Col 3, 12.

10 — Jn 5, 19.

11 — Jn 4, 35.

12 — Mt 25, 34.

13 — Rm 5, 5.

14 — 1 Co 13, 3.

15 — 1 Jn 4, 8.

(4)

LE SEL DE LA TERRE N° 6, AUTOMNE 1993

transparence à l’activité d’amour du Père, c’est ratifier ses dons, ses décisions, ses mesures de grâce. C’est approuver pour chacun « la mesure du don du Christ », c’est être assimilé vitalement à cet Esprit dont il est dit qu’il « divise à chacun ses dons selon son bon plaisir 16. » Aimer de charité, c’est aimer aussi haut que Dieu lui-même. Étonnons- nous dès lors que le Christ nous affirme que nous sommes ses amis lorsque nous observons, nous vivons son commandement, lorsque nous aimons tous nos frères comme lui-même les a aimés, en utilisant le même principe divin d’amour. Jamais le idem velle ne s’est réalisé à un tel niveau, avec une telle perfection. Le ciel ne sera que l’épanouissement éternel de ce dont nous avons déjà dès ici-bas « les arrhes ». Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus disait fort justement « qu’on n’y rencontrerait jamais de regard indifférent. » Chacun ratifiera, pleinement, à l’égard de chacun, la vocation unique, la mesure de grâce voulue par le Père, de toute éternité. Nous serons, comme il nous l’a promis, établis sur tous ses biens, c’est-à-dire sur tous ses dons. Et que pourrons-nous dire, dans l’enthousiasme, sinon les paroles du psaume : « Latum mandatum tuum nimis. »,

« Votre commandement est large à l’excès 17. » Large à l’excès, car « là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté 18. » Saint Jacques parle de « la loi parfaite de la liberté 19. »

Il est clair, en tout cas, que la charité envers le prochain, que réclame le Christ, est quelque chose de très spécifique qui ne peut s’identifier à aucune solidarité humaine fondée sur une appartenance commune à l’espèce humaine. Aimer ses frères, c’est aimer ceux qui sont comme nous fils du Père dans le Fils. La vérité de notre fraternité est aussi absolue que la vérité de notre filiation divine. Dès lors, c’est trahir la parabole des brebis et des boucs que de laisser croire que ce que le Christ-Juge doit récompenser, payer, un jour, c’est tout ce qui aura été fait à tout autre homme, qu’il soit au Christ ou non. Dans l’optique d’aujourd’hui, on irait jusqu’à dire qu’il est préférable qu’il ne soit pas chrétien.

Il nous faut revenir au texte en toute sa précision. A la question étonnée posée par les élus, Jésus ne répond pas : « Chaque fois que vous l’avez fait à un “frère humain”, c’est à moi que vous l’avez fait » mais « chaque fois que vous l’avez fait à ceux qui sont mes frères, les plus petits 20. » Quand Jésus parle de « ses frères », il n’envisage pas la relation qu’il a acquise à l’égard de tout homme, de par son incarnation. Ses frères sont ceux que son Père lui a donnés et qui sont d’abord ceux que le Père a adoptés en leur donnant le pouvoir de devenir enfants de Dieu, engendrés de Dieu.

C’est à peu près la même réponse qui est faite à la question des maudits :

« Chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ceux-ci, les tout-petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait 21. » Dans le passage sur le scandale, Jésus précise qui sont ces

« tout-petits » qu’il désigne ainsi : « Ces tout-petits qui croient en moi. » S’ils croient en

16 — 1 Co 12, 11.

17 — Ps 118, 96.

18 — 2 Co 3, 7.

19 — Jc 1, 15.

20 — Mt 25, 40.

21 — Mt 25, 45.

(5)

lui, ils sont ceux que le Père lui a donnés, car « personne ne vient au Christ si le Père ne l’attire. »

Nous avons des précisions semblables dans Marc 9, 41 : « Celui qui donnera à boire un verre d’eau fraîche à l’un de ces petits, à titre de disciple. »

Nous touchons du doigt une tentation facile et fréquente : ne garder d’un texte sacré que ce qui nous arrange immédiatement, quitte à en perdre des précisions importantes. Quelle indigence lorsque nous nous contentons de dire : « le commandement du Christ, c’est que nous nous aimions les uns les autres. » Le « comme je vous ai aimés » apporte une lumière irremplaçable.

On en arrive aujourd’hui à des choses aussi ahurissantes que : « Aimer mon

“frère” (tout être humain, individu de la même espèce), c’est lui vouloir la même liberté de pensée que celle que je revendique pour moi. Il est libre de penser ce qu’il croit juste, même si c’est contraire à la vérité ; l’aimer, c’est le respecter dans ses choix qui sont sacrés, étant ceux d’un être personnel. »

Ce n’est pas aimer « comme le Christ a aimé. » Est-ce ainsi qu’il a aimé la Samaritaine : « Femme, crois-moi, vous adorez ce que vous ne connaissez pas, nous, les Juifs, adorons ce que nous connaissons : le salut vient des Juifs 22. »

Dès lors, nous devons aimer d’abord nos frères chrétiens (saint Paul dit :

« surtout ceux qui sont de la famille des croyants 23 ») et les aimer comme le Christ les aime, c’est-à-dire en passant par l’amour de son Père, l’amour éternel de son Père. C’est dans le Père, origine absolue, que tout amour, toute possibilité d’aimer réside, prend sa source, pour s’écouler à travers nous, ses fils dans le Fils, et venir rejoindre nos frères.

L’Écriture nous assure que « Dieu veut que tout homme soit sauvé et que le Christ est mort pour tous 24. » Ceux qui ne sont pas nos frères dans la foi, dans la vérité, nous devons les aimer en désirant pour eux l’adoption filiale qui les rendra vraiment et divinement nos frères.

En tout cela, nous nous manifestons comme des « imitateurs de Dieu, comme il convient à des fils bien-aimés 25 » et notre volonté aimante est élevée au niveau de celle de notre maître, Jésus. Nous ne sommes plus des serviteurs, mais des amis.

22 — Jn 4, 22.

23 — Ga 6, 10.

24 — 1 Tm 2, 4.

25 — 2 Co 5, 14.

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