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Initier une enquête collaborative orientée activité : travail du formateur et des formés

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Initier une enquête collaborative orientée activité : travail du formateur et des formés

MULLER, Alain, LUSSI BORER, Valérie

Abstract

Cet article analyse l'activité des formateurs et des formés dans le cadre d'un dispositif de formation initiale des enseignants du secondaire. Le dispositif a été conçu en s'appuyant 1) sur le pragmatisme de John Dewey, plus précisément sur sa conception de l'enquête collaborative, 2) sur des concepts élaborés dans le champ de l'analyse de l'activité, 3) sur les opportunités d'observation et d'autoconfrontation offertes par l'usage de la vidéo. L'analyse, menée sur la base de la sémiotique de C.S. Peirce, s'ouvre sur une réflexion concernant les potentialités des dispositifs d'enquête collaborative « orientée activité » ainsi que les problèmes d'ingénierie et de mise en œuvre qu'ils soulèvent.

MULLER, Alain, LUSSI BORER, Valérie. Initier une enquête collaborative orientée activité : travail du formateur et des formés. Travail et apprentissages, 2016, no. 17, p. 58-80

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:116403

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Initier une enquête collaborative orientée activité : travail du formateur et des formés / Introducing a Collaborative Activity-oriented Inquiry : trainer’s and trainees’ work

Article · January 2016

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ERECKS-network on Educational Reforms in Europe – historical and comparative studies in the interplay between political governance, education professions and education sciencesView project

Formation professionnelle d'adultesView project Alain Muller

University of Geneva 15PUBLICATIONS   66CITATIONS   

SEE PROFILE

Valérie Lussi Borer University of Geneva 25PUBLICATIONS   88CITATIONS   

SEE PROFILE

(3)

Initier une enquête collaborative orientée activité : travail du formateur et des formés

Introducing a Collaborative Activity-oriented Inquiry : trainer’s and trainees’

work

Alain Muller & Valérie Lussi Borer Université de Genève

Mots clés : vidéoformation, formation des enseignants, activité, enquête collaborative, sémiotique peircienne

Keywords : Teacher Video-enhanced Education, Activity, Collaborative Inquiry, Peirce’s semiotics

Résumé : Cet article analyse l’activité des formateurs et des formés dans le cadre d’un dispositif de formation initiale des enseignants du secondaire. Le dispositif a été conçu en s’appuyant 1) sur le pragmatisme de John Dewey, plus précisément sur sa conception de l’enquête collaborative, 2) sur des concepts élaborés dans le champ de l’analyse de l’activité, 3) sur les opportunités d’observation et d’autoconfrontation offertes par l’usage de la vidéo. L’analyse, menée sur la base de la sémiotique de C.S. Peirce, s’ouvre sur une réflexion concernant les potentialités des dispositifs d’enquête collaborative

« orientée activité » ainsi que les problèmes d’ingénierie et de mise en œuvre qu’ils soulèvent.

Abstract : This article analyzes the activity of trainers and trainees in a secondary teacher education program. Our program is based on i) John Dewey's pragmatism, especially his conception of collaborative inquiry, ii) concepts developed in the field of activity analysis, iii) the opportunities for observation and self-confrontation offered by the use of video. The analysis, based on the semiotics of CS Peirce, opens with a

reflection on the potential of "activity-oriented" collaborative inquiry programs as well as the design and implementation problems they raise.

Introduction

Cette contribution vise à enrichir les connaissances disponibles concernant les usages que les formateurs et les formés font des concepts et méthodes issus du champ de l’analyse de l’activité.

Les données que nous analysons dans cet article sont issues d’un dispositif de formation conçu et animé par deux chercheurs-formateurs (CF), auteurs de l’article. Ce dispositif s’adresse à des enseignants secondaires en deuxième et dernière année de formation

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professionnelle (mi-temps en formation/mi-temps en responsabilité de classes)1. Il est mis en œuvre depuis trois ans à l’Institut Universitaire de Formation des Enseignants de Genève. La triple prétention de ce dispositif est d’être 1) structuré selon les principes d’une enquête collaborative, la collaboration opérant à deux niveaux, entre formateurs et formés, entre formés eux-mêmes (Lussi Borer & Muller, 2016), 2) porteur d’un espace important d’autonomie pour les enseignants en formation (EEF), ce dispositif visant à les mettre en position d’être formateurs pour eux-mêmes, 3) « orienté activité ».

Précisons que « l’orientation activité » du dispositif ne signifie pas ici que nous visons à former les EEF à l’analyse de l’activité, ni encore que les chercheurs-formateurs

responsables du dispositif vont dans ce cadre analyser l’activité des EEF et leur restituer les produits de leur analyse, mais qu’il s’agit plutôt de susciter chez les EEF l’émergence d’un « nouveau regard » sur ce qu’ils font – sensible à la logique interne de ce faire, aux étapes les plus fines de son déploiement – et ceci à l’aide de quelques concepts,

méthodes et exercices pratiques, tirés eux, du champ de l’analyse de l’activité.

Il nous intéresse donc de rendre compte de :

- comment et dans quelle mesure les EEF, qui ne connaissent ni les concepts ni les méthodes d’analyse de l’activité, s’approprient ce regard, ce qu’ils en font pour faire exister des espaces de formation en autonomie ;

- ce que font les formateurs pour que cette appropriation et cette prise en charge de leur propre formation par les EEF ait lieu, tout ceci dans un laps de temps très court et dans le cadre d’une formation initiale orientée principalement vers la maîtrise de compétences didactiques.

La première partie de l’article est consacrée à présenter rapidement le dispositif de formation conçu par les auteurs.2

La deuxième partie de l’article vise à décrire le travail que les chercheurs-formateurs mènent dans le cadre de ce dispositif ainsi que leur ancrage théorique et leur propre rapport à l’analyse de l’activité.

La troisième partie de l’article présente la méthode d’identification des niveaux de catégorisation de l’activité à travers lesquels les données sont analysées.

La quatrième partie est consacrée à la présentation et l’analyse :

1) d’une séquence d’autoconfrontation collective menée avec un groupe d’EEF, dans laquelle ceux-ci sont confrontés pour la première fois – de leur formation mais aussi de leur vie – aux traces filmées de leur activité ;

2) du travail qui a été mené par les EEF à la suite de cette séquence.

Dans la cinquième partie les résultats de l’analyse sont réinvestis dans une discussion portant sur les enjeux d’une formation structurée en enquête et « orientée activité ».

I. Présentation du dispositif

1Ces deux années de formation professionnelle, à l’issue desquelles les enseignants obtiennent une Maîtrise universitaire disciplinaire en enseignement secondaire, suivent cinq ans de formation disciplinaire de niveau Maîtrise.

2Ce dispositif a fait l’objet de présentations plus complètes dans Muller (2014) et dans Lussi Borer &

Muller (2016).

(5)

Trois postulats soutiennent notre dispositif :

- tout apprentissage se fait en agissant d’une part, en conceptualisant ou en élaborant langagièrement son activité d’autre part ;

- le potentiel d’apprentissage des personnes est augmenté dans les situations de collaboration, la confrontation des points de vues, les controverses, la recherche d’un point de vue commun, etc., enrichissant les processus personnels de

conceptualisation et d’élaboration langagière de l’activité ;

- toute visée de transformation de l’activité (d’apprentissage) doit prendre comme point de départ (comme point d’appui), l’activité telle qu’elle est en cherchant à identifier les potentialités de développement présentes en elle (Dewey, 1990).

Ces trois postulats entraînent à structurer le dispositif de formation comme une enquête collaborative. Nous donnons au terme d’enquête le sens que lui donnait Dewey (1993), soit le processus de transformation d’une situation indéterminée (confuse,

contradictoire, obscure) en une situation problématique (ce qui pose problème est identifié), puis en une situation nouvellement déterminée (ou, pourrait-on dire dans un autre lexique, viable). Une enquête devient collaborative dès le moment où plusieurs individus (singuliers ou collectifs) travaillent ensemble à transformer leurs situations respectives, ce qui suppose un processus d’inter-objectivation, soit « la constitution d’objets en fonction des possibilités d’accord entre expériences plurielles » (Zask, 2004, p. 148).

La première partie du dispositif (4 à 5 séminaires de 2 heures chacun) consiste d’un côté à « faire entrer » les EEF dans un « point de vue activité » sur leur travail, d’autre part à leur faire construire progressivement, et en petits groupes de 3 à 5 personnes, un objet d’enquête ainsi qu’un agenda.

L’entrée dans un « point de vue activité » est opérationnalisée de trois manières.

Premièrement, les EEF sont confrontés à un ou deux films3 montrant des enseignants débutants au travail, puis entraînés à transformer un regard, le plus souvent en premier lieu majoritairement évaluatif, en un regard soit descriptif – les choses sont saisies de la manière la plus neutre et « comportementaliste » possible –, soit interprétatif : on vise à donner du sens, par exemple une intention, aux comportements relevés. Ce travail permet aux EEF d’enrichir en quelque sorte leur palette de restitution de l’activité et de prendre conscience de la complexité de celle-ci.

Deuxièmement, quelques concepts et/ou couples de concepts issus du champ de l’analyse de l’activité leur sont présentés : travail prescrit/ travail réel, activité réalisée/activité réelle, activité productive/activité constructive4

Troisièmement, les EEF abordent, par la médiation d’exercices pratiques, quelques éléments de méthodes de recueil de données :

- observation filmée ;

3Ces films sont choisis par les formateurs en fonction de leur fort potentiel – repéré par expérience – à susciter des jugements marqués sur l’activité qui s’y montre.

4L’usage de ces couples de concepts en formation nous a montré leur pertinence car ils permettent de faire en quelque sorte d’une pierre, deux coups : le deuxième terme de chacun de ces couples vise à rendre visible des pans du travail que le langage commun occulte le plus souvent. De plus, cette mise en visibilité semble la plupart du temps faire immédiatement sens. La réaction des acteurs à cette présentation des concepts est de l’ordre de la découverte/surprise d’un : « c’est tout à fait ça ».

(6)

- autoconfrontation simple : une personne commente des traces de son activité, le plus souvent des images filmées ;

- autoconfrontation croisée : deux personnes échangent à propos des traces de leur activité ;

- autoconfrontation collective : un groupe suscite par ses questions les commentaires d’une personne à propos des traces de son activité ;

- instruction au sosie : une personne dit à une autre ce qu’elle doit faire pour agir exactement comme elle.

Pour nous, ces trois opérations d’entrée dans le « point de vue activité », sont des passages obligés et liés entre eux : 1) changer de regard, 2) comprendre pourquoi il est intéressant de changer de regard, 3) explorer ce qu’il devient possible de faire avec ce nouveau regard.

Du côté de la construction des objets d’enquête, menée parallèlement à l’entrée dans un

« point de vue activité », le processus est le suivant : les préoccupations des EFF, les difficultés ou problèmes qu’ils rencontrent, les questions qu’ils se posent sont tout d’abord collectés. Puis un travail de « regroupement » des thématiques ayant émergé est mené. Des premiers groupes d’enquêtes, non encore stabilisés sont constitués. Ils

reprennent, affinent, transforment leurs objets d’enquête. Ainsi, des groupes se

constituent, reconstituent, transforment, en même temps que les objets se construisent, déconstruisent, reconstruisent ; ceci jusqu’à stabilisation des groupes et des objets.

Le dernier moment de cette première partie consiste pour les groupes à produire un projet constitué d’une description de leur objet d’enquête, des modes de travail choisis pour enquêter sur lui (observations, recueil de traces d’activité enregistrées ou filmées, autoconfrontations, …), ainsi que d’un agenda de réalisation.

À partir de ce moment chacun des groupes mène sa propre enquête, tout en étant

accompagné par un des deux formateurs-chercheurs de manière plus ou moins régulière et importante selon les besoins et demandes des groupes.

II. Ancrage(s) théorique(s) des chercheurs-formateurs et travail visé

La question à laquelle nous cherchons à esquisser une réponse ici est la suivante : en quoi notre ancrage pragmatiste – voir la structuration en enquête du dispositif – doublé de notre ancrage dans le champ de l’analyse de l’activité – avec ses méthodes et concepts ont des conséquences sur notre travail de formateur, et lesquelles ?

Notre ancrage théorique premier est pragmatiste et défini par trois grands axes (Muller, 2013) :

1) un intérêt central pour les pratiques en tant que telles, ainsi que pour le travail de ceux qui les animent, ce qui entraîne une position indissociablement

épistémologique et éthique ;

2) un regard sensible avant tout aux processus (plus qu’aux produits de ces processus) dans toute leur épaisseur temporelle ;

3) un « goût méthodologique » prononcé pour le recueil soigné des « petites choses ».

Cet ancrage pragmatiste premier ne peut qu’être sensible à certaines problématiques développées dans le cadre du champ de l’analyse de l’activité, et qui sont à la source d’un intérêt pour la prise en compte :

(7)

- du travail réel (cf. travail réel/travail prescrit, ou tâche/activité (Leplat & Hoc, 1983));

- des obstacles (aussi petits et circonscrits temporellement soient-ils) auxquels se heurtent les travailleurs (cf. activité réalisée/activité réelle (Clot, 2006)) ;

- des processus de développement (souvent lents et « silencieux » (Jullien, 2009 )) liés au travail (cf. activité productive/activité constructive (Samurçay & Rabardel (2004)).

C’est à cette attitude pragmatiste enrichie d’un regard activité que nous tentons d’initier les EEF, plus que de les former à l’analyse de l’activité, ou d’analyser nous-mêmes leur activité pour pouvoir les former, et c’est la construction de cette attitude-regard que les concepts que nous présentons, les exercices d’analyse de films et l’initiation à

l’autoconfrontation visent.

En résumé, nous concevons notre travail comme visant en premier lieu et dans un premier temps, à transformer – aussi modestement cela soit-il… et très souvent ça l’est – le rapport des EFF à leur travail ainsi qu’à les aider à élaborer un objet d’auto-formation, au moins potentiellement « congruent » à ce rapport.

Une fois les EEF « lancés » dans leurs propres enquêtes, notre travail consiste à les accompagner dans leur processus de formation et ceci à deux niveaux :

- veiller à ce qu’ils rencontrent le moins possible d’obstacles concrets au

déploiement de leur projet (matériel technique, contraintes administratives…) ; - être garant (particulièrement lors des premières séances d’autoconfrontation) de

l’attitude et du regard « pragmatisto-activité »… qui, eu égard au poids du

contexte institutionnel et des normes endogènes souvent très fortes (Lussi Borer

& Muller, 2014) doit toujours être revitalisé (réactivé).

III. Catégories d’analyse des différents niveaux de « saisie » de l’activité

Par activité on entend ici tout simplement ce que les gens font. Mais ce faire peut être saisi, exprimé, thématisé, etc. à divers niveaux.

En tant que chercheurs, nous opérons nos catégorisations en nous soutenant de la phanéroscopie peircienne (Bourdieu, 1998 ; Peirce, 1978) et prenons l’activité :

- comme un objet pouvant être :

o une possibilité d’objet, un objet vague, indéterminé… (catégorie de la priméité = 1)

o un objet concret, singulier, actuel, déterminé… (catégorie de la secondéité = 2)

o un objet général, une loi, une règle, une virtualité… (catégorie de la tiercéité = 3)

- cet objet pouvant avoir différentes modalités de réalisation : o possible (1)

o existante (2)

o générale / virtuelle (3)

En suivant la règle de « soumission hiérarchique » des catégories5 on obtient la série d’objets-activité suivante : 1.1, 2.1, 2.2, 3.1, 3.2, 3.3.

5Un 3 peut être 3, 2 et 1. Un 2 peut être 2 et 1. Un 1 ne peut être que 1.

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• Activité vague, indéterminée, possibilité d’activité (1.1)

L’activité est de l’ordre d’une possibilité de faire (au niveau de son contenu), d’un faire vague, envisageable, c’est un faire non défini. (1)

Ce faire non défini ne peut logiquement qu’être possible dans sa réalisation. (1) Exemples :

- ce qui est de l’ordre d’un projet, d’une intention large d’agir, ce qui suggère le déploiement possible d’un faire non défini ;

- tous les sentiments vagues qu’il faudrait agir, les vécus subjectifs, les émotions.

Exemple langagier : On devrait pouvoir faire quelque chose.

• Activité concrète, déterminée… possible dans son effectuation (2.1) L’activité est de l’ordre d’un faire singulier, défini. (2)

Ce faire singulier n’a qu’une existence possible. (1)

Exemples : toutes les visées, les préoccupations, les projets pratiques et définis de réalisation concrète.

Exemple langagier : Je pourrais attendre les élèves à la porte… j’aimerais qu’ils se mettent au travail.

• Activité concrète, déterminée… et existante (réalisée) (2.2) L’activité est de l’ordre d’un faire singulier, défini. (2)

Ce faire singulier a une existence concrète, actualisée. (2)

Exemples : toutes les réalisations concrètes d’activité, de faire défini et existant.

Exemple langagier : Il attend les élèves à la porte.

• Activité virtuelle possible (3.1)

L’activité est saisie comme une loi, un général, une classe d’activités possibles, « quelque chose » qui « gouverne » ou « détermine » l’activité concrète ou les activités concrètes.

(3)

Cette activité-loi reste de l’ordre d’un accomplissement possible. (1) Exemples :

- les habitudes, les dispositions, les compétences ;

- les « grandes classes d’activité » (gérer le groupe-classe, motiver les élèves) ; - les moments, les situations (l’entrée en classe).

• Détermination concrète de l’activité (3.2)

L’activité est saisie comme une loi, un général, une classe d’activités possibles, « quelque chose » qui « gouverne » ou « détermine » l’activité concrète ou les activités concrètes.

(3)

(9)

Cette activité-loi s’accomplit de manière concrète, ce qui détermine l’activité « pèse » réellement sur celle-ci. (2)

Exemples :

- tout ce qui est de l’ordre du « contexte » (temps de classe, règles de classe, d’établissement) dans lequel se déploie l’activité et qui exerce une influence réelle dessus ;

- tous les organisateurs de l’activité, les éléments participant à la structurer (type de regroupement des élèves, structuration des tâches) ;

- toutes les normes, mais non thématisées en tant que normes, s’appliquant directement et pratiquement, sans la médiation d’un discours.

• Activité « légiférée » (3.3)

L’activité est saisie comme une loi, une généralité, une classe d’activités possibles,

« quelque chose » qui « gouverne » ou « détermine » l’activité concrète ou les activités concrètes. (3)

Cette activité-loi est thématisée explicitement comme loi, « se donne comme loi » : ce n’est pas seulement une loi possible, comme l’habitude par exemple, ni encore une loi réellement effective, comme les éléments contextuels. (3)

Exemples :

- les jugements, les évaluations de l’activité ;

- les visées chargées de valeurs, les intentions justificatives (je fais ça pour cela) ; - tout ce qui est de l’ordre d’un discours pédagogique ou didactique donnant à

l’activité une visée générale et argumentée.

IV. Pratique du dispositif

IV.1 Objets de discussion et catégories de saisie de l’activité lors d’une séance d’autoconfrontation collective

La séquence d’autoconfrontation collective dont un extrait est présenté ici a été menée avec un groupe de quatre EEF dont la thématique d’enquête était Travail de groupe et dont le titre du projet était But du travail de groupe : implication active des élèves et qualité de l’apprentissage.

Cet objet d’enquête est ainsi un « mixte » de ce que nous avons appelé organisateurs de l’activité (3.2), de saisie large de l’activité des élèves (apprentissage) (3.1), ainsi que de dispositions des élèves (implication)(3.1), ceci « incorporé » dans une visée pédagogique (3.3).

Nous avons choisi de prendre pour objet d’analyse cette séance parce qu’elle nous semble assez typique de ce qui se passe dans ce genre de dispositif les premières fois que les EEF sont confrontés à leur activité filmée et à celle de leurs pairs ; relativement aux objets d’enquête, à la sémantique dans laquelle ils sont travaillés, au rapport à l’activité filmée, etc., mais relativement aussi aux difficultés auxquelles le CF est confronté dans l’animation de la séance.

(10)

Ces quatre EEF travaillent tous dans le secondaire obligatoire (élèves de 12 à 15 ans) dans les disciplines respectives suivantes : informatique (E1), français (E2), biologie (E3), arts visuels (E4). Ils ont filmé une séquence d’enseignement en classe dans laquelle les élèves travaillaient en petits groupes, sélectionné quelques minutes de leur film en vue de l’autoconfrontation collective. Celle-ci, d’une durée de ± 90 minutes, a permis de visionner les extraits de trois films sur quatre, a été menée en compagnie d’un

chercheur-formateur et a été filmée. C’est la première fois – dans ce dispositif, mais vraisemblablement de leur vie – que les EEF font une autoconfrontation collective. Les quatre EEF et le CF se sont, préalablement à la séance, mis d’accord sur les visées de celle-ci : ne pas entrer dans de l’analyse de ce qui est vu, mais, d’une part, faire expliciter le « vécu » de l’enseignant filmé, ainsi « compléter » les données d’observation, d’autre part porter un regard « curieux » et « ouvert » sur les films afin de voir si de nouvelles questions ou de nouveaux intérêts émergent. Il s’agit donc d’une première « prise de contact » avec leur activité filmée dont, volontairement, les visées sont assez vagues. Les quatre EEF se sont partagé le travail de retranscription des échanges de cette séance.

C’est sur la base de cette retranscription que nous synthétisons ce qui a été objet de discussion.

Cette séance s’est déroulée en cinq moments : 1) Courte introduction du chercheur-formateur.

2) Autoconfrontation de l’enseignant d’informatique (E1).

3) Autoconfrontation de l’enseignante de français (E2).

4) Autoconfrontation de l’enseignante de biologie (E3).

5) Clôture de la séance.

Présenter la séance dans son intégralité étant trop long dans le cadre d’un tel article, nous ne présentons que les parties 1, 3 et 5.

IV.2 Analyse de la séance

Les interventions du CF sont en grisé clair.

Les interventions collectives (CF + 1 ou plusieurs EEF) sont en grisé foncé.

Les interventions des EEF sont non grisées, l’EEF concerné est noté entre parenthèses, (E1) par exemple.

Nous parlons de « méta-activité » quand l’objet de discussion concerne ce qu’on est en train de faire en regardant et commentant les films, et non l’activité visionnée.

Introduction

Objets de discussion / de

questionnement Catégorie de saisie de

l’activité « Gestes » du CF

Pas d’objet d’enquête… mais conditions de traitement de(s) l’objet(s)

Rappeler visées de la séance : compléter les données / laisser émerger de nouvelles

questions

Autoconfrontation E1 (Informatique) [ ]

Autoconfrontation E2 (français)

(11)

Objets de discussion / de questionnement

Catégorie de saisie de l’activité

« Gestes » du CF Film = ± 2 min.

Comment E2 se sent Vécu subjectif de l’activité Demande de précision 1.1 (E2) Préoccupation

temporalité à élèves travaillent le plus possible

Préoccupation ratio temps /

activité des élèves 2.1

(E2) Préoccupation : groupes n’ont pas été constitués par affinité

Contextualisation de l’activité 3.2

(E2) Ça a demandé beaucoup

de préparation Contextualisation de l’activité 3.2

(E4) Petite classe ? Contextualisation de l’activité 3.2

(E2) 13 élèves Contextualisation de l’activité 3.2

(E2) Ça a été facile de les mettre en groupes

Contextualisation de l’activité 3.2

Mise au travail qui dérange ? Préoccupation activité des élèves

Demande de précision 2.1 (E2) Mise au travail qui

dérange

Préoccupation activité des élèves

2.1 Demande sur intention

d’intervention par rapport au film de E2

(E2) Elève problématique

(montré du doigt) Préoccupation un élève 2.1

(E2) Mise au travail toujours

un peu difficile Activité « habituelle » 3.1

(E2) Dernière heure du matin / les élèves ont faim

Contextualisation activité 3.2

E2 est dans un sandwich Contextualisation activité Reprise métaphorique 3.2 Film = ± 2 min.

Vous ne répondez pas aux élèves ?

Activité concrète de E2 Demande de précision 2.2 (E2) Je ne réponds pas aux

élèves

Activité concrète de E2 2.2

E2 stressée ? Vécu subjectif activité Demande de précision 1.1

(E2) Etait stressée Vécu subjectif activité 1.1

(E2) Voit qu’il y a plus d’élèves qu’elle pensait qui lèvent la main

Activité concrète des élèves / ce qu’elle en voyait versus ce qu’elle en voit

2.2 2.2 E2 ne répond pas pour les

lancer dans la tâche

Intention de l’activité Hypothèse « positive » sur l’activité de E2

3.3 Elèves agissent souvent de

manière à freiner le travail

Activité / Attitude générale des élèves en général

Formulation d’un

« phénomène » d’enseignement 3.1 (E2) C’est bien pour engager

les élèves dans la tâche Intention soutenant l’activité 3.3

(E2) Avait déjà bien expliqué Justification de l’activité concrète par activité précédente

3.3

(E2) Etait vraiment stressée Vécu subjectif activité 1.1

E2 fait semblant de ne pas voir

élève ? Activité concrète de E2 Demande de précision 2.2

(E2) Fait semblant de ne pas

voir élève Activité concrète de E2 2.2

(E2) Ne pas perdre de temps Intention soutenant l’activité 3.3

(E2) Distribuer les dossiers lui

a pris du temps Contextualisation temporelle

de l’activité 3.2

E2 a choisi gardien du temps ? Contextualisation de l’activité Demande de précision 3.2

(12)

(E2) Les élèves ont choisi Contextualisation de l’activité 3.2 (E2) Elle voulait leur laisser

cette liberté, sinon a l’impression d’être trop…

Visée à valeur 3.3

Ont déjà choisi gardien du temps à ce moment-là ?

Activité élèves ? Demande de précision 2.2

(E2) N’ont pas encore choisi car elle doit encore distribuer les dossiers

Activité élèves / Activité E2 2.2

2.2 Travail en groupe demande

beaucoup de préparation en amont

Contextualisation /Activité antécédente

Formulation « phénomène » d’enseignement

3.2

(E2) Cela lui a demandé

beaucoup d’énergie Vécu subjectif activité

antécédente 1.1

Film = ± 2 min.

(E1) Depuis combien de temps

ils se posent la question Activité des élèves 2.2

(E2) Sont au tout début, en

train de choisir qui fait quoi Activité des élèves 2.2

(E2) Si on ne leur donne pas un rôle précis certains ne

travaillent pas

Formulation d’une règle 3.3

Faire ceci prend du temps Contextualisation / Activité antécédente

Formulation « phénomène » d’enseignement

3.2 (E2) Ça prend du temps Contextualisation / Activité

antécédente

3.2 (E4) Ça a dû prendre 20

minutes

Contextualisation / Activité antécédente

3.2 (E2) Ça a pris 20 minutes Contextualisation / Activité

antécédente

3.2 (E2 / E4 / CF) Plus on prend du

temps à préparer mieux ça se passe

Formulation d’une règle Co-formulation avec EEFs 3.3

(E2 / E4 / CF) Plus les élèves ont l’habitude plus vite ça se met en place

Formulation d’une règle Co-formulation avec EEFs 3.3

Quelles préoccupations de E2 ? Préoccupation Demande de précision 2.1

(E2) Niveau sonore Préoccupation 2.1

Que fait E2 ? Activité de E2 Demande de précision 2.2

(E2) Commence à surveiller que le travail se fait

Activité (large) de E2 3.2

Engagement dans la tâche des élèves ?

Attitude / activité large élèves Demande de précision 3.2 (E2) Engagement dans la tâche

des élèves Attitude / activité large élèves 3.2

(E2) Préoccupée vu que les groupes n’ont pas été constitués par affinité

Préoccupation /

Contextualisation 1.1

3.2 Quels indices d’engagement

dans la tâche ?

Activité de E2 Demande de précision 2.2

(E2) Regarde s’ils lisent la question et si ils répondent ensemble

Activité de E2 à Activité des élèves

2.2 2.2 Regarde s’ils lisent la question

et si ils répondent ensemble ? Activité de E2 à Activité des

élèves Reformulation écho 2.2

2.2 (E2) Si ils se regardent si ils

ouvrent le livre Activité de E2 à Activité des

élèves 2.2

2.2

C’est plutôt positif Jugement Porte un jugement 3.3

(13)

(E2) Jolie image / Va choisir ce groupe pour approfondir analyse

Jugement / Choix méta-activité 3.3

(E2) C’est le seul groupe où ils

sont quatre Contextualisation 3.2

C’est le groupe qui marchait le

mieux ? Choix méta-activité Demande de précision

(E2) Oui et il y a eu un conflit = intéressant

Choix méta-activité Film = ± 2 min.

(E2) Là ils essaient de répondre à une question en relisant le livre

Activité des élèves 2.2

Leçon s’est bien passée Jugement Porte un jugement 3.3

(E4) Leçon s’est bien passée

car tout le monde travaille Jugement justifié 3.3

(E2) Etait contente Vécu subjectif 1.1

(E3) Les élèves ont-ils pu finir ? Activité large élèves 3.1

(E2) Non, elle leur a laissé du temps le lendemain

Activité large E2 3.1

Autoconfrontation E3 (Biologie) [ ]

Clôture de la séance Objets de discussion / de questionnement

Catégorie de saisie de l’activité

« Gestes » du CF

Pistes pour continuer ? Méta-activité Interrogation sur la suite du travail

Préparation / Encadrement Contextualisation Identifier un élément d’enquête possible

3.2 Regarder très finement les

mêmes extraits

Activité EEFs / Elèves Identifier un élément d’enquête possible

2.2 2.2 (E3) Se pencher sur aspect

collaboration Activité large élèves 3.1

Regarder cela au niveau concret + Choisir angles d’analyse

Activité EEFs / Elèves Précision niveau d’analyses /

Faire revenir au concret 2.2 2.2 (E4) Intérêt différents rôles

attribués aux élèves + postulats qu’il y a derrière

Contextualisation / Arrière- plan pédagogique

3.2 3.3 Oui mais qu’est-ce qu’on voit

de ces postulats / Eviter discussion théorique

Activité EEFs / Elèves Faire revenir au concret 2.2 2.2 Nombre d’élèves par groupe /

fonctionnalité

Contextualisation Identifier un élément d’enquête possible

3.2 (Tous) Nombre élèves /

Fonctionnalité / Type de tâche

Contextualisation Co-discute avec EEFs 3.2

(E3) Possible de comparer ? Méta-activité Oui dans une certaine mesure

assez pragmatique Méta-activité Précise

Après cette séance

(14)

Suite à cette séance et à une autre du même type concernant l’activité de E4, les enseignants ont revisionné individuellement et collectivement leurs films en se concentrant sur les objets suivants :

- modalités d’engagement des élèves dans la tâche ;

- modalités de constitution et de configuration des groupes de travail ; - nature de la tâche.

L’analyse comparative de leurs différentes manières de faire les a engagés à imaginer et/ou à mettre en œuvre un certain nombre de transformations de celles-ci.

Les éléments qu’ils font ressortir de leur travail d’enquête sur les activités filmées auxquelles ils ont été autoconfrontés collectivement sont les suivants :

1) identification d’un rôle d’enseignant différent pendant le travail collectif et celui en groupe :

« Nous avons pu observer notre manière de nous comporter en tant qu’enseignant pendant que la classe travaille en petits groupes. Parfois, l’enseignant-e est en retrait, parfois il/elle intervient souvent. De plus, notre attention est parfois focalisée sur “ne pas perdre de temps”, “éviter que les élèves ne fassent trop de bruit”, “surveiller le travail d'un élève en particulier”, “résoudre de petits conflits sociocognitifs d'ordre relationnel ou épistémique”, etc. En conséquence, dans ces moments, nous perdons de vue la progression globale des élèves dans la tâche, notre concentration est quelque peu détournée et nous nous focalisons sur des petites choses. Notre rôle d’enseignant pendant le travail de groupe est différent que lors d’un cours plus standard, car le contrat didactique entre élève et enseignant est modifié. Il s’agit donc pour l’enseignant de vérifier que le travail avance au sein des groupes, contrôler l’engagement des élèves, répondre aux questions, valider le travail, réorienter, encourager et rassurer les élèves. Nous serons ainsi plus attentifs à centrer nos préoccupations sur les choses d’importance prioritaire pour le bon déroulement du travail et la progression des apprentissages des élèves. »

2) possibilité d’apprécier plus globalement l’activité de tous les élèves durant le travail de groupe :

« Lors d’un travail de groupe, on n’entend pas tout ce que les élèves se disent entre eux et on ne voit pas forcément tout le monde tout le temps. Cependant, sur les vidéos, nous avons constaté que l’ambiance de travail est bonne dans nos classes et les élèves s’engagent dans les tâches qui leur sont confiées. De plus, les

collaborations coopératives qui se mettent en place dans les travaux de groupes semblent plutôt bien fonctionner. Cela nous encourage à préparer et mener de nouveaux travaux en petits groupes dans le futur. »

3) meilleure prise de conscience du temps et de la préparation nécessaire à la mise en place du travail de groupe :

« Nous avons constaté que le travail de groupe est chronophage. Avant de lancer un travail de groupe, l’enseignant-e a passé passablement de temps à préparer et à structurer le travail. Pendant la mise au travail, les consignes prennent également du temps afin que l’enseignant-e soit sûre-e de ne rien omettre. De plus, les élèves ont parfois des questions ce qui a comme conséquence de « retarder » la mise au travail. Cependant, lorsque les élèves ont déjà travaillé en groupe, toute l’énergie investie est restituée, car les règles du travail de groupe ont été institutionnalisées et nécessitent dès lors d’y consacrer moins de temps. »

(15)

IV.3 Synthèse de l’analyse

Cette séquence semble intéressante à analyser car elle est un bon exemple de ce qui peut se passer la première fois que des EEF participent à un travail d’autoconfrontation collective, sans avoir vu les films de leurs collègues avant, et sans expérience du travail de visionnement de films, à part les petits exercices qui ont été faits dans la partie

« préparation » du dispositif de formation.

Il s’agit donc de rendre saillante la manière « spontanée » dont ils réagissent au visionnement de leur activité et de celle de leurs pairs, quels questionnements cela suscite chez eux, quels objets d’enquête (s’il y en a) peuvent se « détacher » lors d’une telle séance, et dans quelles catégories l’activité est saisie.

Du côté du chercheur-formateur, qui lui-même n’a jamais vu les extraits filmés avant, il s’agit de dégager quels « gestes » il utilise dans cette séquence d’autoconfrontation, ainsi que les catégories dans lesquelles il saisit l’activité, voire essaie de la faire saisir par les EEF.

Remarques générales

Concernant les catégories utilisées lors des autoconfrontations (sans l’Introduction et la Clôture, mais y compris les autoconfrontations de E1 et E3 non présentées plus haut), on obtient :

• nombre de 1.1 = 8 ;

• nombre de 2.1 = 9 ;

• nombre de 2.2 = 38 ;

• nombre de 3.1 = 7 ;

• nombre de 3.2 = 39 ;

• nombre de 3.3 = 16.

Se dégagent trois groupes :

- catégories très utilisées : 2.2 (activité concrète) et 3.2 (détermination concrète de l’activité), soit des contextualisations ou des organisateurs de l’activité ;

- catégorie moyennement utilisée : 3.3 (activité légiférée) soit des jugements, des évaluations ;

- catégories peu utilisées : 1.1 (vécus subjectifs, émotions…), 2.1 (préoccupations), 3.1 (toutes de type activité générale).

La thématisation de l’activité semble ainsi majoritairement opérer au niveau du

concret (2.2 et 3.2), soit au niveau de ce qui se passe concrètement, soit au niveau de ce qui détermine concrètement ce qui se passe.

À l’inverse, les modalités possibles de réalisation (1.1, 2.1, 3.1) sont très faiblement thématisées.

En ce qui concerne la « filiation » de ces catégories, il semble difficile de voir émerger une forme ou une évolution de leur usage et de leurs relations au cours de la séquence.

On peut juste remarquer que les catégories très utilisées (2.2 et 3.2) sont souvent regroupées (plusieurs items se suivent), ce qui signifie qu’elles ont tendance à faire

(16)

l’objet d’échanges entre les protagonistes, alors que les peu utilisées sont « posées » comme des sortes de « ponctuation » sur lesquelles on ne s’arrête pas.

On peut aussi avoir l’impression qu’il y a peu de liaisons entre ces divers niveaux de catégories : « on est » dans le 3.2 et puis « on est » dans le « 2.2 »… comme si on jetait des sortes de « coups d’oeil » ici ou là, ou qu’on faisait des « sondages » un peu au hasard dans différentes strates, pour voir ce qu’on y trouve.

Concernant la genèse des interventions, on remarque que la majorité des échanges avec l’EEF autoconfronté sont suscités par le CF, les interventions des pairs EEF étant rares.

Gestes du Chercheur-Formateur

• Sur 35 interventions pendant le visionnement des films (sans l’Introduction et la Clôture, mais y compris les autoconfrontations de E1 et E3 non présentées plus haut), 19 sont des demandes de précision. C’est donc le « geste » le principal posé dans cette

séquence.

• Ces demandes de précisions sont majoritairement orientées vers l’activité concrète des EEF et des élèves (2.2), le vécu subjectif (1.1) et les préoccupations (2.1) des EEF.

• Le reste des « gestes » se partagent entre des reprises synthétiques ou métaphoriques des propos des EEFs, des reformulations (en écho ou non), des formulations de

phénomènes généraux d’enseignement, des jugements sur l’activité visionnée qui sont tous positifs et semblent avoir une fonction soutenante ou de reconnaissance de la qualité du travail des EEF.

• On trouve de plus, tout un ensemble de « gestes » qu’on a appelé de méta-activité liés à la gestion de la séquence et plus largement à l’aide au projet d’enquête des EEF.

• On notera en fin de séquence (partie Clôture) un engagement plus normatif sur ce qu’il s’agirait de faire dans la suite du travail, soit plus se concentrer sur les niveaux concrets de l’activité visionnée.

• On a donc affaire à une position de type accompagnante, non contraignante, visant à aider le groupe d’EEF à tracer sa propre enquête, tout en essayant « d’accrocher » celle- ci à l’activité concrète et vécue par les EEF, en « rabattant » relativement

systématiquement ceux-ci vers ces niveaux.

Du côté des EEF

• Comme déjà noté plus haut, les interventions « spontanées » des EEF face aux films de leurs pairs sont plutôt rares.

• La plupart de celles-ci sont de l’ordre de questions de contextualisation (3.2) avec un peu de jugements positifs (3.3) et un cas de question activité large (3.1) et un cas activité des élèves (2.2). Ainsi, les EEF semblent plutôt formuler des questions qui leur

permettent de mieux comprendre ce qu’ils voient, le contexte semblant jouer, du moins à leurs yeux, un rôle important pour cette compréhension.

• Les interventions des EFF autoconfrontés, ne sont jamais « spontanément » orientées vers leur activité concrète : ils parlent certes de celle-ci, mais toujours sur une demande de précision du CF (à laquelle ils répondent d’ailleurs sans hésitation).

(17)

• Par contre il leur arrive de formuler « spontanément » une préoccupation ou un vécu subjectif.

• Très globalement, on a l’impression que lors de cette première séquence, ils gardent une sorte d’attitude « prudente » et « circonspecte » face à l’activité de leurs pairs et à la leur propre. Par contre, le document écrit en fin de dispositif témoigne qu’après avoir revisionné leurs films en autonomie, ils ont été capables d’identifier, de décrire et

d’analyser de manière fine les difficultés personnelles ou collectives qu’ils rencontraient dans le travail de groupes en classe.

V. Discussion

V.1 À propos de la séance d’autoconfrontation

Il est clair que l’on ne peut juger après une seule séance d’autoconfrontation collective de la capacité d’appropriation par les EEF de « l’attitude pragmatiste » visée par le dispositif, et ce d’autant plus que, cette séquence est pour eux une toute première expérience de travail sur leur propre activité filmée en compagnie de pairs. Ceci dit, les phénomènes que révèlent cette séquence permettent de soulever un certain nombre de questions relatives à la conception du dispositif ainsi qu’aux choix opérés par le CF qu’il nous semble pertinent de thématiser.

Un premier point sur lequel il nous semble intéressant de revenir est le peu d’items saisissant l’activité à ses niveaux possibles de réalisation et ceci quel que soit le niveau de saisie de l’objet lui-même (1.1, 2.1, 3.1), corrélativement la forte dominance des saisies au niveau concret : 2.2, 3.2. Nous n’avons pas d’élément permettant d’expliquer de manière rigoureuse ce genre de phénomène, et peut-être serait-il nécessaire pour cela d’aller voir s’il se répète dans d’autres corpus comparables. On peut cependant remarquer que les interventions du CF opèrent majoritairement à ce niveau, et surtout en 2.2. Du côté des EEF on peut faire l’hypothèse 1) d’une difficulté à entrer dans les

« zones troubles » de l’activité – l’émotionnel, les préoccupations – pas forcément par stratégie défensive, mais parce que ce sont justement des dimensions vagues et peu saisissables, 2) d’une certaine focalisation sur les dimensions contextuelles (2.2) : d’une part étant en début de carrière, tout ce qui relève de la préparation, de l’organisation, de la planification, etc. des leçons, leur semble peut-être un « matériau » plus aisé à

travailler que l’activité in vivo, d’autre part la plus grande partie de leur curriculum de formation est focalisée sur ces dimensions. Mais, ceci dit, cette « sur-focalisation » sur le concret et cet évitement des zones troubles empêchent peut-être les EEF d’entrer dans un processus d’imagination d’autres possibles.

Revenons sur un phénomène assez proche. Le CF « rabat » assez souvent les EEF sur leur activité concrète. Ceux-ci répondent à ses demandes, mais sans prolonger ce mouvement de centration sur leur activité (ou peu longtemps). Est-ce donc la bonne stratégie ? Peut-être pourrait-il plus « forcer » le regard, sur les vécus subjectifs (1.1) et les préoccupations (2.1), soit pousser à saisir l’activité dans ses dimensions les plus

« ouvertes » et les plus « potentielles ». Peut-être faudrait-il chercher une manière

« indirecte » de faire parler de l’activité concrète, ceci en la liant à ses dimensions plus

« secrètes » ? (Pour le dire à la manière de Clot, faire voir ce qu’il y a derrière le réalisé pour mieux comprendre celui-ci).

(18)

On peut aussi interroger l’attitude très « libérale » du CF, au sens où, même s’il tente un peu de rabattre les EEF vers l’activité concrète, et même si c’est lui qui intervient le plus souvent, ne force pas le regard des EEF et ne tente pas d’accélérer les choses.

Peut-être trouve-t-on là une sorte de dilemme du formateur dans un dispositif d’enquête collaborative qu’on pourrait énoncer comme suit : laisser l’enquête se développer à son rythme et au gré des préoccupations des EEF telles qu’elles se présentent, mais au risque que ceux-ci restent en surface dans leur saisie de l’activité versus forcer plus le regard vers l’activité fine, ses « zones troubles », soit accélérer l’enquête, mais au risque que celle-ci ne soit plus celle des EEF. Ce même dilemme explique peut-être aussi pourquoi, dans la mesure où le CF cherche à « rabattre » les EEF sur leur activité

concrète, il laisse les extraits de films se dérouler de bout en bout, sans les arrêter pour « forcer » les EEF à revenir sur leur activité.

Si l’on généralise cette problématique, on peut se demander si « enquête collaborative » au sens fort et « analyse de l’activité » peuvent être mises en œuvre simultanément, et si oui, à quelles conditions. De fait, le focus principal de la séance d’autoconfrontation collective porte plus (voire exclusivement) sur les objets de type « analyse de l’activité » (expliciter les ressentis et les préoccupations des acteurs, les ramener à leur activité) et moins sur l’objet d’enquête, comme l’annonce d’ailleurs d’emblée le CF. Le suivi de l’objet d’enquête ne revient que dans la clôture de la séance où l’on voit que le CF essaie de le mettre en lien avec les niveaux concrets de l’activité, mais les EEF repartent sur des considérations et questionnements très généraux.

Dans une perspective d’amélioration du dispositif, on peut aussi se demander, si un travail préalable de scénarisation des séquences filmées relatif à l’objet de recherche ne permettrait pas d’entrer plus directement dans le « vif de l’objet d’enquête » et de

susciter plus rapidement la construction chez les EEF d’un regard « fin » sur leur activité.

Un autre dilemme semble se profiler ici : faut-il contraindre (focaliser) le regard sur un objet pour le rendre plus efficient mais au risque de laisser échapper d’autres objets tout aussi (voire plus) intéressants versus faut-il (au moins dans un premier temps) favoriser un regard flottant et ouvert, mais au risque de ne saisir que des objets vagues, fuyants, et générateurs d’enquêtes très (trop ?) larges ?

Enfin, tout ceci nous renvoie à un ensemble de questions « organisationnelles – fonctionnelles » du type (la liste n’est pas exhaustive) :

- est-il raisonnable d’entrer directement dans une autoconfrontation collective sans passer d’abord par une série d’autoconfrontations simples ?

- est-il raisonnable de travailler sur trois extraits de films en 1h30 ?

- mais sinon, est-il raisonnable dans le cadre de ce dispositif – et au sein d’une formation déjà très chargée pour les EEF, d’augmenter leur temps de travail ? - est-il plus fécond d’adopter la structure « visionnement d’un film – échanges /

visionnement d’un autre film / discussion… » ou la structure « visionnement de X films à la suite / échanges » afin de susciter un mouvement de comparaison entre les films et de projection des organisateurs de l’activité d’un film vers un autre, ceci afin de multiplier les « possibles » ?

- de manière plus générale, est-il raisonnable de mettre sur pied une enquête collaborative « orientée activité », dispositif qui par définition doit prendre du temps (transformation du regard, construction d’objets partagés, mise en

confiance des protagonistes, recueil soigné de données, discussions autour de ces

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données…) 1) dans un cadre temporel restreint, 2) lui-même inscrit dans un curriculum de formation très astreignant pour les EEF (charge de travail, pression évaluative…) et très « orienté didactique » ?

V.II À propos de la suite du travail mené par les EEF

Les EEF sont repartis des questionnements généraux à propos du travail en groupe en classe énoncés à la fin de la première séquence d’autoconfrontation dans le travail en autonomie qui a suivi. Ils ont revu et analysé collectivement leurs films en partant cette fois-ci non plus d’un objectif de documentation de l’activité, mais de l’investigation de l’objet d’enquête. Ils ont produit un rapport écrit sur le travail réalisé en autonomie que nous analysons ci-dessous avec la question suivante : que reste-t-il du regard

pragmatiste ou « orienté activité » dans ce travail mené en autonomie ?

Nous observons dans ce travail un genre « mixte », passablement normé par le genre d’écrit demandé dans les formations professionnelles où les EEF cherchent à articuler des éléments issus de lectures théoriques et des éléments issus de leurs propres

pratiques. Le niveau de discours reste souvent très général et orienté sur les dimensions contextuelles et organisationnelles. Par exemple « Contrairement à celle de C, la classe de D n’a pas été rôdée au travail de groupe. Ici les groupes ne sont plus formés en binômes, mais en trois ou en quatre. Cela change la donne. Concernant la composition des groupes, il n’y a pas de nombre « parfait » : « Cela dépend de l’objectif et de la tâche » que l’enseignant a planifiés, affirme Paul-Marie Leroy. »

Cet extrait nous apparaît représentatif de ce genre d’écrit professionnel, mêlant constats généraux et références théoriques, avec toutefois quelques touches inspirées du travail mené dans le cadre de ce dispositif. En effet, il est intéressant de constater que la

structure utilisée par les EEF « en autonomie » pour analyser les extraits de chaque film comprend d’abord une énonciation factuelle des éléments observés puis une ou des interprétations auxquelles le groupe a abouti. Cela montre une appropriation de la distinction entre description, interprétation et évaluation et une capacité à formuler des points de vue à chacun de ces niveaux.

Ensuite, dès l’analyse du second extrait, des comparaisons avec le premier extrait apparaissent dans les interprétations proposées par les EEF. C’est ainsi une mise en relation des activités les unes par rapport aux autres qui opèrent, ce que nous avons repéré et thématisé comme différences inter-activités dans d’autres de nos recherches (Lussi Borer & Muller, 2013 ; Muller & Lussi Borer, 2014). Ces différences sont

thématisées et problématisées dans la conclusion du travail rendu par les EEF au CF (cf.

extraits précédents). Dans cette conclusion, nous observons également des phénomènes que nous avons observés dans d’autres enquêtes collaboratives (Lussi Borer & Muller, 2014), à savoir

1) des processus d’engagement mimétique et d’expérience fictionnelle créant des insatisfactions : en visionnant et analysant la manière dont leurs pairs organisent et gèrent le travail de groupe, certains EEF actualisent ou ressentent des

insatisfactions quant à leurs propres manières de faire. En comparant d’autres manières de faire, d’autres possibles émergent pour leur propre pratique que certains tentent ensuite de mettre en œuvre ;

2) des processus de renormalisation opèrent, qui permettent aux EEF d’identifier

(20)

les règles et normes qui sous-tendent leur activité (« ne pas perdre de temps »,

« éviter que les élèves fassent trop de bruit »), leur permettant d’expliciter des normes jusqu’alors implicites ;

3) ces processus de renormalisation permettent également de juger de manière plus

« lucide » du déroulement effectif des séances de classe : prise de conscience de l’ambiance de classe, de l’engagement des élèves dans le travail de groupe, importance de la préparation et structuration du travail de groupe.

Conclusion

Cette première étude exploratoire révèle autant les potentialités que les limites d’un tel dispositif d’enquête collaborative « orienté activité ». On voit que tant l’entrée

« enquête » que celle « activité » ne résout pas les questions traditionnelles des

ingénieries de formation et que le choix des artefacts vidéo, l’ordre de leur visionnement, le focus qui est privilégié à chaque visionnement, le rôle du formateur accompagnant ce visionnement sont autant de questions qui restent à investiguer.

D’autre part, l’analyse met à jour une véritable tension entre les pôles « enquête » et

« orientation activité », tension renforcée par l’implantation du dispositif dans un curriculum de formation très « orienté didactique » et dont la structure répond à une forme scolaire (Vincent, 1994) des plus traditionnelles. Cette tension entre trois pôles semble avoir des conséquences sur l’activité des formateurs et celle des EEF : on assiste à une « focalisation oscillante » concernant les objets de travail – objet d’enquête / objet activité / objet didactique – dont témoigne « l’hétérogénéité sémantique » des

productions orales et écrites des uns et des autres. La question est alors de savoir si une telle tension tripolaire peut se révéler féconde pour le développement des EEF – et si oui, à quelles conditions – ou si elle condamne le dispositif à se dissoudre dans un processus

« d’entropie formative ».

(21)

19 Références

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Leplat, J. & Hoc, J.-M (1983). Tâche et activité dans l’analyse psychologique des situations. Psychologie cognitive, 3(1), 49-63.

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