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View of Camille Bloomfield, Raconter l’Oulipo (1960-2000). Histoire et sociologie d’un groupe

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IMAGE [&] NARRATIVE Vol. 18, No.3 (2017) 132

Camille Bloomfield, Raconter l’Oulipo

(1960-2000). Histoire et sociologie d’un

groupe

Jan Baetens

À l’image de l’Oulipo lui-même, du moins quand il suit le premier principe de Roubaud (un texte à contrainte parle de la contrainte qui a permis de le générer), Raconter l’Oulipo est un livre qui dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit : écrire une histoire et en même temps expliquer comment on peut le faire, en général comme à partir du cas singulier en question. « Peut » le faire, et non pas « doit », car Camille Bloomfield défend un approche plurielle et circonspecte du formidable dossier dont elle a la charge. Le fait par exemple que son histoire s’arrête au seuil du vingt-et-unième siècle –un choix longuement discuté dans le texte– au lieu de toucher à des questions plus actuelles, peut-être mieux connues du public contemporain, est une autre preuve de cette modestie fondamentale, assez rare pour ne pas être saluée avec vigueur au seuil de ces lignes.

Très révélateur de ce point de vue est l’emploi du verbe « raconter » dans le titre de l’ouvrage. « Raconter » est en effet un terme moins démonstratif que « exposer », « reconstruire », voire « faire ». De plus, « raconter » est une forme verbale qui met entre parenthèses le jeu des pronoms et des personnes, comme si Camille Bloomfield voulait souligner dès le début qu’elle cherche moins à monopoliser la parole qu’à la donner : aux témoins, aux critiques, aux textes, aux auteurs, aux lecteurs, aux sources mêmes –voire à la rendre à ceux et à celles qui en ont souvent été privés, à l’intérieur de l’Oulipo comme dans les histoires existantes du groupe. On pense ici en tout premier lieu aux femmes, venues tard dans l’Oulipo et longtemps mal intégrées à son fonctionnement interne et public.

Ces précautions expliquent la dialectique essentielle du livre, où se retrouvent deux discours. D’une part, un discours savant, académique, strictement scientifique ; un discours qui s’efforce de se placer en retrait par rapport à son objet d’étude et qui se donne des assises théoriques puissantes à l’aide de la sociologie littéraire, notamment –mais pas exclusivement– celle de Pierre Bourdieu et de sa théorie du champ et des groupes littéraires. Ce discours se voit symbolisé par la première épigraphe du volume, emprunté à l’Histoire du

surréalisme de Maurice Nadeau : « L’auteur n’a pas vécu du dedans la vie surréaliste, et son travail paraîtra

incomplet et insuffisant à ceux qui en ont été les protagonistes. C’est inévitable. Mais si, bien qu’en marge de ce mouvement, il a choisi d’en parler tout de même, c’est que sa position comporte aussi des avantages ; ne serait-ce que celui de l’objectivité qui passe celui du pur témoignage. » Le second discours est presque littéraire, et il se voit explicité par une autre épigraphe, provenant cette fois-ci d’un historien professionnel,

Camille Bloomfield

Raconter l’Oulipo (1960-2000). Histoire et sociologie d’un groupe

Paris : Champion, 2017, 598 p. ISBN : 978-2-7453-3598-2

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Paul Veyne : « Abaisser la prétention explicative, élever la capacité narrative ». Entre ces deux discours, ces deux exigences, Camille Bloomfield a refusé de choisir et cette décision s’est avérée sage. De la même façon, elle s’est également interdit de ne faire rien d’autre que de juxtaposer ou de confronter les deux approches de la sociologie et de la narration.

Le tressage des deux manières de pratiquer l’histoire littéraire ne s’enlise pas dans quelque dialectique négative, où thèse et antithèse ne débouchent jamais sur un moment de synthèse. Il donne lieu ici à de multiples réponses à toute une série de questions clé dont l’intérêt dépasse de loin le seul cas de l’Oulipo : Qu’est-ce qu’un groupe littéraire ? Comment penser le rapport entre le collectif et les individus qui à la fois le constituent et en dépendent, que ce soit pour en profiter ou pour s’y opposer de l’intérieur ? Comment décrire l’évolution d’un groupe dans le temps et l’évolution convergente ou divergente de ses membres ? Quels aspects d’un groupe aident à comprendre son interaction avec le contexte, qui ne coïncide pas forcément avec le champ au sens de Bourdieu ? Quelles sont les articulations du programme d’un groupe, s’il y a quelque chose de tel, et la production de ce groupe et de ces membres, surtout lorsque ces derniers font autre chose que ce qui est dit ou mis en avant par le groupe ? Est-il possible de circonscrire la spécificité d’un groupe comme l’Oulipo, qui en même temps exacerbe le fonctionnement collectif des groupes littéraires et s’en distingue radicalement à bien des égards, notamment sur le plan politique (l’Oulipo, qui est souvent reçu comme un groupe d’avant-garde, adopte une position de neutralité politique qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans l’avant-garde) ?

Archiviste, mais non membre, de l’Oulipo depuis de longues années, Camille Bloomfield était sans conteste la personne la plus qualifiée pour aborder cette histoire et ces histoires avec à la fois suffisamment de connaissance et de distance. Son travail témoigne superbement de chacune de ces qualités. L’auteure est un abîme de savoir, mais qui n’a pas peur de toucher à bien des points névralgiques : la position de la femme dans l’Oulipo, l’importance de l’argent (et de son absence), les disputes et dissensions sur le fond comme sur la forme du groupe, les querelles de personnes, les curieuses lacunes dans des archives censées aussi complètes et exhaustives que possible, les défaillances de la mémoire de plusieurs témoins, les dysfonctionnements dans les activités privées et publiques de l’Oulipo, les racontars, les jalousies, les échecs, les impasses –mais aussi à chaque fois les initiatives et stratégies déployées pour les maîtriser, pour convertir les écueils en tremplins, pour se mettre en question et donner de nouveaux sens à une nouvelle forme de vivre ensemble en littérature.

Le portrait heureusement bougé qui en résulte est fascinant. Pour ma part, j’avancerais ici cinq éléments principaux qui fondent l’intérêt capital de cette publication (au-delà bien entendu de la masse incroyable de documents rendus accessibles, souvent pour la première fois) : 1) les instruments méthodologiques pour l’étude de la constitution, puis la vie d’un groupe littéraire (on trouve ici un modèle tout à fait novateur pour examiner le va-et-vient entre un programme et sa mise en application dans des textes comme dans la production d’un imaginaire) ; 2) l’effort de clarification de nombreuses zones d’ombre dans l’historiographie officielle, si on peut dire, de l’Oulipo (les rapports complexes et souvent pénibles avec le Collège de pataphysique et son patron insupportablement susceptible font l’objet de pages remarquables) ; 3) la manière très nuancée dont Camille Bloomfield questionne la prétendue homogénéité du groupe, sans que le rétablissement de l’individualité de chaque membre nuise à l’éclaircissement du projet collectif ; 4) la valorisation de tous les Oulipiens pris individuellement, chefs de file et autres confondus (paradoxalement Camille Bloomfield arrive ainsi à rendre plus visible encore le rôle des « grands » -mais sans jamais le faire au détriment des « petits ») ; 5) enfin, et

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c’est toujours un plaisir de terminer par un tel compliment, l’écriture élégante du livre, qui a tiré profit avec grande intelligence d’une longue exposition à des textes et des auteurs de première qualité.

Raconter l’Oulipo (1960-2000) n’est pas du tout un livre pour les seuls spécialistes des écritures à contraintes

(après tout, s’il y a une chose qui définit le groupe, c’est bien sa réinvention de ce type d’écriture). Camille Bloomfield nous a fait cadeau d’un texte qui rendra de grands services à plusieurs types de lecteurs. Ceux qui croient « tout connaître » de l’Oulipo verront ici que beaucoup reste à découvrir et surtout à faire ; d’autres y trouveront de nouveaux stimulants pour explorer ce « groupe-monde », comme l’auteure le dit dans sa conclusion, selon leurs propres goûts ; n’importe qui pourra le lire pour s’instruire en se divertissant et vice versa. Mais l’avis sera unanime : une page capitale de l’histoire de l’Oulipo vient d’être tournée.

Jan Baetens est rédacteur en chef de Image (&) narrative.

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