La Lettre du Cancérologue • Vol. XXV - n° 11 - décembre 2016 |
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ÉDITORIAL
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ESMO 2016 :
l’immunothérapie fait bouger les lignes
ESMO 2016: immunotherapy moves the lines
L’ immunothérapie a, en peu d’années, acquis ses lettres de noblesse dans le traitement du cancer. Ce principe thérapeutique représente
une référence dans la prise en charge de certains cancers avancés, en général après échec des traitements standards classiques. Les exposés scientifiques récemment présentés à la réunion 2016 de l’European Society for Medical Oncology à Copenhague ont cependant relégué ce panorama global au rang de photo jaunie à classer
dans les archives. Voyons ce qui permet d’affirmer qu’un tel changement s’est produit.
L’ipilimumab en est un bon exemple. Il s’agit d’un inhibiteur de checkpoint de l’immunité qui bloque le CTLA-4, autrement dit le Cytotoxic T Lymphocyte
Antigen-4. Il était approuvé depuis 2011 en première ligne de traitement des mélanomes
avancés aux États-Unis et en Europe grâce à de très belles études de phase III qui avaient permis d’obtenir chez nombre de patients traités un accroissement de survie globale au-delà de 24 mois.
Forts de leur expérience en situation avancée, les investigateurs ont souhaité, dans le cadre de l’EORTC, répondre à la question : “L’ipilimumab est-il utile en situation adjuvante ?” De 2008 à 2011, 951 patients ont été randomisés entre ipilimumab
et placebo dans l’essai EORTC 18071. Il s’agissait de patients atteints d’un mélanome de stade III à haut risque de rechute, et opérés. À 5,3 ans de suivi médian, un impact significatif sur la survie globale a été observé, correspondant à une réduction du risque relatif de décès de 28 % (HR = 0,72 ; p = 0,001). Ces résultats confirment les données déjà obtenues en survie sans récidive et survie sans métastase (HR = 0,76).
Selon A. Eggermont, directeur de l’institut Gustave-Roussy Cancer Campus – Grand Paris (Villejuif), qui était le premier auteur de cette étude, “l’ipilimumab donné en adjuvant apporte une amélioration significative de la survie globale et un ratio bénéfice/risque favorable”. En effet, la toxicité de grade 3-4 était avant tout gastro-intestinale (16 %, dont 11 % hépatique) et endocrine (8 %). Tous ces effets indésirables étaient gérables selon des algorithmes établis et étaient résolus, en général, en 4 à 8 semaines (en dehors de certains événements endocriniens dont la résolution était plus longue ou requérant un traitement hormonal substitutif permanent).
Selon O. Michielin du centre hospitalier universitaire vaudois de Lausanne,
“il s’agit du premier essai de blocage d’un checkpoint en situation adjuvante du mélanome”. Son effet est statistiquement et cliniquement significatif puisque l’on constate un gain absolu de 11 % en survie globale à 5 ans. Il a ajouté que c’est là une importante découverte scientifique puisque l’ipilimumab semble fonctionner en stimulant le système immunitaire contre des antigènes tumoraux résiduels, même lorsque leur quantité est faible. Cette étude s’inscrit comme un jalon essentiel dans la prise en charge adjuvante du mélanome. On attend bien sûr avec impatience les résultats d’autres études, comme celle menée avec l’EORTC et évaluant l’intérêt du pembrolizumab, un inhibiteur de PD-1.
Le deuxième exemple vient de ce même pembrolizumab, mais dans les cancers avancés du poumon. En effet, cette molécule n’avait jusqu’alors montré son efficacité que chez les patients chez lesquels le traitement standard échouait.
L’étude de phase III KEYNOTE-024 vient battre en brèche cette idée. Elle a évalué l’efficacité du pembrolizumab, en le comparant à une chimiothérapie à base de cisplatine chez des patients naïfs de traitement, atteints d’un cancer du poumon non à petites
Service d’oncologie et hématologie, hôpital Paul-Brousse, Villejuif ; rédacteur en chef de La Lettre du Cancérologue.
Pr Jean-François Morère
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cellules et ayant une forte expression du PD-L1 (définie comme une expression dans au moins 50 % des cellules tumorales). Au total, 305 patients ont été inclus dans cette étude randomisée 1 pour 1. Un crossover était possible pour les patients du bras chimiothérapie dont la maladie progressait. Quarante-quatre pour cent de ces patients en ont bénéficié. Les résultats sont spectaculaires. Non seulement le pembrolizumab améliore significativement la survie sans progression d’environ 4 mois par rapport à la chimiothérapie (10,3 versus 6 mois ; HR = 0,50), mais il prolonge également significativement la survie globale puisque 80 % des patients sous pembrolizumab étaient vivants à 6 mois, contre 72 % dans le bras chimiothérapie (HR = 0,60). Selon M. Reck, du département d’oncologie thoracique de la Lung Clinic de Grossendorf (Allemagne), “ces données vont complètement changer la prise en charge des patients atteints de cancer du poumon non à petites cellules”. Ce d’autant que tous les critères d’efficacité et de tolérance étant en faveur du traitement par pembrolizumab,
“cela pourrait suggérer que ce traitement devienne un standard de traitement en première ligne chez ces patients atteints d’un cancer non à petites cellules avancé, associé à une expression forte de PD-L1”. Selon J. Vensteenkiste, professeur à l’université catholique de Louvain (Belgique), cette étude pourrait changer la pratique courante :
“Pour ces patients, c’est la première fois qu’une thérapeutique améliore la survie sans progression par rapport au traitement standard de première ligne fondé sur un doublé de chimiothérapie à base de platine.” Une des raisons pour lesquelles cette étude KEYNOTE-024 a atteint ses buts réside probablement dans le fait qu’elle n’a inclus que des patients dont l’expression de PD-L1 était au moins de 50 %, ce qui les désignait comme des candidats optimaux. L’intérêt de ce paramètre biologique reste cependant aujourd’hui très discuté puisque d’autres études réalisées ne montrent aucun impact du marqueur PD-L1 sur l’efficacité de l’immunothérapie (étude OAK).
Dans l’indication du cancer du poumon, les investigateurs du Johns Hopkins hospital (Baltimore) et du Memorial Sloan Kettering Cancer Center (New York) font même une percée dans les lignes avec la première étude du nivolumab (un anti-PD-1) en situation néo-adjuvante dans les cancers non à petites cellules. Les patients recevaient 2 cures de nivolumab 3 mg/kg 28 et 14 jours avant la chirurgie. La première conclusion
de cette étude est que cette procédure est envisageable : selon P. Forde du Johns Hopkins hospital, le nivolumab en néo-adjuvant n’interfère pas ou ne retarde pas la chirurgie, et il ne semble pas exister de signaux de toxicité. Sur les 18 patients évaluables, 7 ont eu une réponse pathologique significative et 3, une réponse radiologique partielle.
On le voit par ces exemples, l’immunothérapie avance à grands pas de la deuxième ligne vers des stades beaucoup plus précoces, adjuvants, voire néo-adjuvants.
La question cruciale reste, bien entendu, posée : “Tous les patients pourront-ils en profiter ?” La réponse étant probablement non, reste donc à déterminer les biomarqueurs pertinents qui permettront de savoir quels patients sont les plus à même d’en profiter et quels patients doivent éviter en situation précoce ces traitements non dépourvus d’effets indésirables si l’efficacité n’est pas au rendez-vous.
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