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De la tendresse dans le monde des juges : la soft law devant les juridictions internationales

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Franck Latty

To cite this version:

Franck Latty. De la tendresse dans le monde des juges : la soft law devant les juridictions interna-

tionales . Deumier, Pascale and Sorel, Jean-Marc. Regards croisés sur la soft law en droit interne,

européen et international, LGDJ/Lextenso, pp.387-401, 2018, 978-2-275-05723-1. �hal-01782973�

(2)

De la tendresse dans le monde des juges

La soft law devant les juridictions internationales Franck L

ATTY

Professeur à l’université Paris Nanterre

L’étude du droit positif laisse généralement une place de choix à la déclinaison contentieuse des énoncés juridiques. Cette approche « pathologique » du droit, qui peut devenir un prisme déformant, est par la force des choses atténuée dans la doctrine internationaliste. C’est que dans l’ordre juridique international, l’existence de procédures juridictionnelles de règlement des différends est loin d’être systématique, même si elle tend à devenir moins exceptionnelle qu’elle ne l’était il y a encore quelques décennies

1

. Dans de nombreux domaines encore, la détermination de l’état du droit international laisse à l’écart la parole du juge, puisque de juge il n’y a pas.

Pour autant, nul ne conteste que l’approche contentieuse – même si elle n’est qu’une ombre portée du droit en vigueur – est riche d’enseignements sur la nature, le contenu, les effets, etc., des règles mises en œuvre, à plus forte raison lorsqu’un halo d’incertitude les encercle. Dès lors, le sort que le juge international réserve à la soft law constitue un marqueur assez fiable de la force normative de ces règles « tendres », ou à tout le moins de leur rôle dans la résolution des litiges.

Les « classiques » de la doctrine internationaliste sur la soft law

2

ne se réfèrent guère à des décisions juridictionnelles internationales, vraisemblablement parce que celles d’alors ignoraient en grande partie le droit mou. Les choses ont aujourd’hui changé. Bien que le développement des juridictions internationales thématiques (dans les domaines des droits de l’homme**388**, pénal, économique, de la mer, etc.) dans des cadres différents (universel ou régional) n’ait pas donné naissance, faute de schéma d’ensemble, à un authentique ordre

1 CIJ, Sud-Ouest africain (Liberia c/ Afrique du Sud ; Éthiopie c/ Afrique du Sud), arrêts du 18 juill. 1966, CIJ Rec. 1996, p. 46, § 86 (« Dans le domaine international, l’existence d’obligations dont l’exécution ne peut faire en dernier ressort l’objet d’une procédure juridique a toujours constitué la règle plutôt que l’exception »).

2 V. supra la contribution de BRUNET P.

2 V. supra la contribution de BRUNET P.

(3)

juridictionnel international, une tendance générale au développement de l’usage de la soft law par le juge international est nettement perceptible

3

. Le phénomène de « pollinisation jurisprudentielle »

4

de la soft law observé devant les cours régionales des droits de l’homme ne s’y limite pas. Même la Cour internationale de justice, qui ne s’attarde traditionnellement pas sur le droit souple, a semblé céder à ses sirènes : dans son arrêt remarqué de 2014 dans l’affaire de la Chasse à la baleine dans l’Antarctique, la CIJ s’est à plusieurs reprises référée aux résolutions et lignes directrices de la Commission baleinière internationale que le Japon avait l’obligation « de prendre dûment en considération

5

».

Le travail de recensement, forcément non exhaustif au vu de l’ampleur du phénomène, et d’analyse des décisions faisant appel à la soft law conduit tout d’abord à interroger le contenu de la notion, dans la mesure où, devant le juge international, le départ entre le hard et le soft a partie liée avec le droit applicable (I). Si, par ailleurs, l’examen de la pratique permet de dégager d’utiles éléments sur la force normative de la soft law (II), l’approche systématique se heurte à d’importantes limites (III).

I – LA REMISE EN CAUSE DES CONTOURS DE LA SOFT LAW

Nombreuses sont les décisions juridictionnelles internationales se référant à de la soft law au(x) sens classique(s) du terme (A). La position particulière du juge international, devant lequel la question du droit applicable est centrale, invite néanmoins à remettre en cause la distinction ordinaire entre ce qui relève de la soft law et ce qui ressortit à la hard law (B).

**389**

3 Seront couverts par le champ d’étude les organes internationaux dotés de compétences juridictionnelles, qu’ils soient permanents ou ad hoc, universels ou régionaux. Sont exclus du champ d’étude la Cour de Justice de l’Union européenne, les tribunaux nationaux (même s’ils font application du droit international), les tribunaux arbitraux du droit du commerce international, les organes de suivi ou comité d’experts parfois présentés comme étant quasi juridictionnels (comités thématiques des droits de l’homme par exemple) – leurs décisions seront toutefois prises en considération en tant qu’elles ressortissent à la soft law.

4 HENNEBEL L., TIGROUDJA H., Traité de droit international des droits de l’homme, Paris, Pedone, 2017, p. 181.

5 CIJ, 31 mars 2014, Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c/ Japon ; Nouvelle-Zélande intervenant), CIJ Recueil 2014, p. 271, § 144. V. ASCENCIO H., « Soft law : cinquante nuances de gris », in ASCENCIO H. et a., Dictionnaire des idées reçues en droit international, Paris, Pedone, 2017, p. 543-544 ; MARIE A., AFDI 2014, p. 481-482.

(4)

A. La place importante de la soft law « classique »

Classiquement, le caractère soft d’une norme internationale procède de deux facteurs : soit il provient du contenu de la norme (droits ou obligations « mous » même s’ils sont contenus dans un instrument « dur »), soit il découle de la source (instrument mou) de la norme. Ces critères d’identification guident au moins dans un premier temps le recensement des décisions internationales recourant à la soft law.

S’agissant du premier facteur de « tendresse », nul n’ignore que de nombreux actes juridiques internationaux formellement contraignants (les traités en premier lieu) accueillent en leur sein des dispositions matériellement creuses, qui recèlent des déclarations d’intention, posent des principes plus politiques que juridiques ou fixent des objectifs plus ou moins lointains, au soutien desquels de vagues obligations de moyens, en matière de coopération par exemple, sont parfois posées. Ces dispositions faiblement normatives, contenues par exemple dans le préambule des conventions, sont couramment prises en considération par le juge international, notamment au stade de l’interprétation des stipulations conventionnelles

6

.

En se concentrant sur le deuxième facteur de tendresse, sans doute le plus intéressant à scruter, plusieurs distinctions permettent de mieux identifier l’étendue de l’empire de la soft law devant le juge international.

- Soft law « textuelle » et soft law « prétorienne »

7

: la soft law textuelle est celle provenant de textes non contraignants adoptés par les États, organisations internationales (voire autres entités), quand la seconde consiste dans les positions des organes de suivi ou de contrôle. Dans la première catégorie, sont inclus les projets de traité, recommandations, codes de conduite, résolutions, directives, déclarations, lignes directrices que le juge international mobilise dans ses décisions

8

. Dans la seconde figurent les rapports, constatations,

6 Ex. : CIJ, 20 avr. 2010, Affaire relative à des usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay, CIJ Rec. 2010, p. 73, § 173 (au sujet de l’art. 1er du Statut du fleuve Uruguay) – CPI, Le Procureur c/ Al Mahdi, n° ICC-01/12- 01/15, jugement du 27 sept. 2016, § 66 (finalité des sanctions pénales déterminées au vu du préambule du Statut de Rome). V. infra II, A.

7 FLAUSS J.-F., « L’effectivité et l’efficacité de la soft law européenne dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », in ILIOPOULOS-STRANGAS J., FLAUSS J.-F. (éd.), La soft law des organisations européennes, SIPE, Baden-Baden/Bern/Athènes, Nomos/Stämpfli Verlag/Ant. N. Sakkoulas Verlag, 2012, p. 338.

8 V. ibid. les références citées. Ex. : CEDH, 24 févr. 2009, Abramiuc c/ Roumanie, § 123 où la Cour se réfère à l’Étude sur l’effectivité des recours internes en matière de durée excessive des procédures de la Commission de Venise (2006).

(5)

conclusions, observations, avis des instances d’expertise, de suivi ou de contrôle

9

. Même si cette pratique concerne au premier chef la Cour européenne des droits de **390**l’homme, la distinction proposée conserve toute sa pertinence devant d’autres juridictions. Les arrêts de la Cour internationale de justice, par exemple, se réfèrent occasionnellement à des résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies (soft law textuelle)

10

comme aux positions des organes de suivi ou de contrôle (soft law prétorienne)

11

.

- Soft law d’origine publique et soft law d’origine privée : alors que dans les litiges devant les juridictions internationales, au moins l’une des parties est un État souverain, les normes de soft law mobilisées par les juges ne sont pas nécessairement d’origine publique. Le cas particulier des normes ISO devant le juge de l’OMC peut déjà être mentionné

12

. Par ailleurs, il n’est pas exceptionnel que des textes émanant d’associations professionnelles trouvent une pertinence dans les décisions de justice internationale : rapport du Conseil maritime baltique et international et règles générales des clubs de protection et d’indemnisation des armateurs

13

; textes d’association médicales, notamment l’Association psychiatrique mondiale

14

; directives de l’International Bar Association (IBA) relatives aux conflits d’intérêts dans l’arbitrage international

15

ou règles de l’IBA sur l’administration de la preuve dans l’arbitrage international

16

.

D’autres distinctions émergent :

- Soft law adoptée sur le fondement d’instruments dur (ex : recommandation d’assemblée des États parties, de comités de suivi d’un traité) et soft law

9 « Partageant » certaines des conclusions de la Commission de Venise dans son Opinion On the Issue of so- called « Propaganda of Homosexuality » in the light Light of Recent Legislation in Some Member States of the Council of Europe (2013), v. CEDH, 20 juin 2017, Bayev c/ Russie, § 76.

10 Ex. : CIJ, 19 déc. 2005, Activités armées sur le territoire du Congo (RDC c/ Ouganda), § 162, 244.

11 Ex. : CIJ, 30 nov. 2010, Ahmadou Sadio Diallo (Guinée c/ RDC), § 66 (prise en considération de l’interprétation du Pacte de 1966 par le comité du Pacte sur les droits civils et politiques).

12 V. infra II.

13 CEDH, Gde Ch., 28 sept. 2010, Mangouras c/ Espagne, § 48 et 55.

14 CIADH, 4 juill. 2006, Ximenes Lopes c/ Brésil, série C, n° 149, § 51.

15 V. p. ex. CIRDI, 9 juin 2015, Highbury International AVV, Compañía Minera de Bajo Caroní AVV, et Ramstein Trading Inc. c/ Venezuela, n° ARB/14/10, décision sur la demande de récusation de B. Stern, § 76.

16 V. p. ex. CPA (CNUDCI), 21 juill. 2015, South American Silver Limited c/ Bolivie, n° 2013-15, ordonnance procédurale n° 7 sur la production de documents, passim, spéc. § 4, où le Tribunal dit qu’il « may refer to the IBA Rules when deciding on document production requests ».

(6)

« autonome » (déconnectée d’un traité ou autre instrument dur applicable – par exemple les règles de l’IBA).

- Soft law à vocation prescriptive (fixant des normes souples de comportement) et soft law à vocation informative (ex. : études ou rapports**391** d’organes de contrôle ou de suivi)

17

. Le caractère « normatif » (et donc de « law ») de cette dernière catégorie peut néanmoins être discuté.

Toutes ces distinctions reposent sur la source des normes soft. L’examen de la soft law du point de vue du juge international peut néanmoins conduire à modifier le champ de ce qui relève et de ce qui ne relève pas du droit mou, ou tendre.

B. La relativisation des critères de softness/hardness devant le juge international

Une autre manière de délimiter l’étendue la soft law consiste à rentrer dans la peau du juge international saisi d’un litige. Pour lui (ou elle), la norme soft est celle qui, bien que dépourvue de force obligatoire, a une pertinence (une « relevance ») dans la résolution du différend et mérite à ce titre d’être « prise en considération »

18

. Le caractère soft ou hard d’une norme internationale a alors partie liée avec la question du droit applicable. Est ainsi imprégnée de relativité la question de la hardness ou de la softness de la norme. En effet, le juge international n’est que rarement conduit à appliquer « tout le droit international », dans la mesure où sa compétence repose souvent sur un instrument déterminé : convention européenne ou interaméricaine des droits de l’homme pour la Cour éponyme, conventions commerciales pour le juge de l’OMC, tel traité d’investissement pour tel tribunal arbitral, etc.

Ainsi, des normes dures par nature peuvent n’être que molles devant un juge international donné

19

: c’est le cas des dispositions hard d’un traité international non applicable

20

, d’un jugement ayant autorité (relative) de la chose jugée

21

, ou des obligations

17 Ex. CEDH, 16 juill. 2009, Féret c/ Belgique, § 74 (référence aux rapports concernant la Belgique de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance).

18 V. supra la contribution de PATAUT E.

19 Implicitement en ce sens, v. FLAUSS J.-F., loc. cit., p. 337.

20 V. p. ex. CEDH, Gde Ch., 10 févr. 2009, Zolotoukhine c/ Russie, § 79 (référence, au sujet du principe non bis in idem, au Pacte relatif aux droits civils et politiques, à la Charte des droits fondamentaux de l’UE, à la Convention interaméricaine des droits de l’homme, à la Convention d’application de l’accord de Schengen, au Statut de la Cour pénale internationale…). V. aussi CPA (CNUDCI), 17 déc. 2015, Philip Morris Asia Ltd c/

Australie, n° 2012-12, sentence sur la compétence et la recevabilité, § 400 (référence à la Convention antitabac de l’OMS – non applicable – en tant qu’élément de contexte essentiel).

21 V. p. ex. CEDH, Gde Ch., 10 févr. 2009, Zolotoukhine c/ Russie, § 79 (référence à la position de la CJCE et de la CIADH sur non bis in idem).

(7)

tirées d’une résolution du Conseil de sécurité non invocable devant un juge régional

22

. Bien que non immédiatement applicables dans le litige donné (et présentant à cet égard**392** un caractère soft pour le juge), ces normes sont susceptibles d’être prises en compte par le juge international.

Inversement, le juge pourra être conduit à conférer à des normes soft par nature une autorité renforcée – cas du Codex alimentarius ou des normes ISO devant le juge de l’OMC.

Mais en l’occurrence, l’autorité renforcée – bien que non obligatoire

23

– découle des instruments de l’OMC (accord SPS, accord OTC) qui posent une présomption de compatibilité avec le GATT des normes prises sur le fondement de ces normes soft externes

24

. Dans cette perspective (celle de l’identification de la soft law non par ses sources, mais par l’applicabilité molle de la norme devant le juge international), des normes tirées de la jurisprudence (en particulier celle de juridictions extérieures

25

) ou même de la doctrine

26

seraient susceptibles de rejoindre la catégorie « soft law » dès lors qu’elles sont employées par le juge international au même titre que des instruments tendres par nature.

Ainsi, devant le juge international, la soft law est moins définie par ses modes de production que par ses effets : les normes souples sont celles qui ne sont pas applicables en tant que telles à un litige, mais auxquelles la juridiction va se référer à un titre ou un autre, leur conférant par là même une certaine pertinence

27

. Reste à évaluer ce degré de pertinence.

22 Ex. : CEDH, Gde Ch., 7 juill. 2011, Al-Jedda c/ Royaume-Uni, § 76 s.

23 Communautés européennes – Mesures communautaires concernant les viandes et les produits carnés (hormones), rapport de l’Organe d’appel du 16 janv. 1998, WT/DS26/AB/R et WT/DS48/AB/R, § 165 ; Communautés européennes – Mesures affectant l’approbation et la commercialisation des produits biotechnologiques, WT/DS291/R Add.4, WT/DS292/R, WT/DS293/R, rapport du groupe spécial du 29 sept.

2006, § F-66 et F-130.

24 V. CAZALA J., « Les renvois opérés par le droit de l’Organisation mondiale du commerce à des instruments extérieurs à l’organisation », RBDI 2005, n° 1-2, p. 527-558.

25 V. p. ex. CIJ, 19 juin 2012, Ahmadou Sadio Diallo (Guinée c/ RDC), indemnisation, § 13 – CPI, 11 juill. 2012, Le Procureur c/ Thomas Lubanga Dyilo, ICC-01/04-01/06-2901, décision relative à la peine, § 12.

26 V. p. ex. TPIY, 2 oct. 1995, Le Procureur c/ Dusko Tadic, arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, IT-94-1-A, passim, où les références à la doctrine abondent.

27 V. JACOB P., LATTY F., DE NANTEUIL A., « Arbitrage transnational et droit international général », AFDI 2016, p. 610.

(8)

II – A LA RECHERCHE DE LA FORCE NORMATIVE DE LA SOFT LAW

Devant le juge international, la soft law est par hypothèse dépourvue de force obligatoire. Un État qui ne respecte pas une norme molle n’engage **393**pas, en principe, sa responsabilité internationale

28

. Pour autant, de nombreuses décisions juridictionnelles internationales témoignent que la soft law possède une certaine force normative, en ce sens qu’elle contribue à fixer la norme dure (A) ou à en évaluer le respect (B).

A. Le tendre pour déterminer le dur

1) Le tendre pour déterminer le droit coutumier ou jurisprudentiel

De nombreux instruments soft par nature codifient des règles coutumières ou comportent des énoncés qui par la suite ont acquis cette valeur

29

. Il est courant que le juge international s’y réfère à ce titre

30

. C’est notamment le cas de nombreuses dispositions des Articles de la Commission du droit international des Nations unies sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement licite (2001) et des commentaires qui l’accompagnent, qui sont mobilisés par les juges internationaux (CIJ – quoique non systématiquement

31

, Tribunal international du droit de la mer

32

, tribunaux arbitraux d’investissement

33

, etc.) en tant qu’ils reflètent l’état du droit coutumier. D’autres instruments sont susceptibles de refléter l’état du droit jurisprudentiel, à l’image de la « note d’information » (Background Paper) du Secrétariat du CIRDI sur l’annulation des sentences arbitrales, sur laquelle de nombreux comités ad hoc s’appuient en toute confiance

34

.**394**

28 Ex. : CIADH, 8 déc. 1995, Caballero Delgado et Santana c/ Colombie, série C, n° 22, § 67.

29 V. CIJ, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif du 8 juill. 1996, CIJ Rec.

1996, p. 226, § 69 (au sujet de la valeur normative des résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies).

30 Concernant l’interdiction des dommages transfrontières environnementaux ou le principe de développement durable, v. p. ex. CPA, sentence partielle, 18 févr. 2013, Indus Waters Kishenganga (Pakistan c/ Inde), n° 2011- 01§§ 448-449 – CPA, sentence, 24 mai 2005, Rhin de fer (Belgique c/ Pays-Bas), n° 2003-02, § 58-59.

Concernant la définition des crimes de guerre, v. TPIY, 2 oct. 1995, Le Procureur c/ Dusko Tadic, arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, IT-94-1-A, § 63 (référence au Code Lieber et au projet de la CDI de code sur les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité).

31 V. p. ex. CIJ, 3 févr. 2012, Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c/ Italie ; Grèce (intervenant)),

§ 58, 137. Concernant les travaux de la CDI sur l’immunité de l’État, v. ce même arrêt § 64, 69, 77, 89.

32 TIDM, avis consultatif, 1er févr. 2011, Responsabilités et obligations des États qui patronnent…, § 182, 196

33 Par ex. sur la question de l’attribution, v. CIRDI, Electrabel SA c/ Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable et la responsabilité du 30 nov. 2012, § 7.60.

34 Ex. : Comité ad hoc CIRDI, 1er févr. 2016, Total SA c/ Argentine, n° ARB/04/01, décision sur l’annulation,

§ 159-160, 177-178, 240-241.

(9)

Plus étonnamment, la soft law peut être employée par le juge aux fins d’identifier par ses propres moyens une norme coutumière, en tant qu’élément de la pratique générale acceptée comme étant le droit. C’est ainsi qu’un tribunal CIRDI a sans complexe apparent déduit de divers instruments soft, combinés à des décisions arbitrales éparses et quelques échantillons conventionnels, le caractère coutumier de la doctrine des police powers

35

.

2) Le tendre pour interpréter le droit conventionnel

Les juges internationaux font un usage plus ou moins abondant de la soft law aux fins d’interprétation de la règle dure. Le recours à la soft law s’inscrit alors dans le cadre des techniques interprétatives codifiées aux articles 31 et suivants de la convention de Vienne sur le droit des traités (1969). Dans certains cas, il s’en émancipe.

a) Recours à la soft law dans le cadre des articles 31 s.

Les articles 31 s. de la convention de Vienne ne mentionnent pas explicitement la soft law en tant qu’aide interprétative. Son usage par le juge peut néanmoins être rattaché à l’une ou l’autre des techniques interprétatives codifiées dans le traité des traités.

Au titre du « contexte interne

36

», une disposition introductive – matériellement soft – du traité pourra être mobilisée afin d’éclairer le contenu de dispositions dures

37

. Au titre du

« contexte externe

38

», des instruments soft pourront aider à l’interprétation, conformément au paragraphe 3, lit. a et b, de l’article 31, s’ils sont la manifestation d’un « accord » ou d’une

« pratique » ultérieure entre les parties au traité. C’est vraisemblablement dans cette perspective que, en l’affaire de la Chasse à la baleine, la CIJ a retenu que les recommandations de la Commission baleinière internationale aux États (formellement soft) pouvaient être pertinentes aux fins de l’interprétation de la convention ou du règlement annexé « lorsqu’elles sont adoptées par consensus ou à l’unanimité

39

». **395**

35 CIRDI, sentence, 8 juill. 2016, Philip Morris Brands SARL et a. c/ Uruguay, n° ARB/10/7, § 290. V. aussi CIRDI, sentence, 8 déc. 2016, Urbaser SA et Consorcio de Aguas Bilbao Bizkaia, Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa c/ Argentine, n° ARB/07/26, § 1195 s.

36 SOREL J.-M., « Article 31 », in CORTEN O., KLEIN P., Les Conventions de Vienne sur le droit des traités.

Commentaire article par article, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 1317.

37 V. supra I, A.

38 SOREL J.-M., loc. cit., p. 1319.

39 CIJ, 31 mars 2014, Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c/ Japon ; Nouvelle-Zélande intervenant), CIJ Rec. 2014, § 46 (v. aussi § 83 et MARIE A., AFDI 2014, p. 481-482).

(10)

La faculté qu’a l’interprète de prendre en compte « toute règle de droit international applicable dans les relations entre les parties » (art. 31, § 3, c) laisse incertaine la possibilité de mobiliser la soft law (peut-on l’élever au rang de règles applicables ?). Toujours est-il que le juge international n’est pas insensible à l’« interprétation systémique » et peut à cet égard s’appuyer sur des normes souples qui la favorisent

40

. Ainsi de la CIJ qui, dans l’arrêt Diallo, a accordé une « grande considération à l’interprétation » du Pacte sur les droits civils et politiques par le Comité institué par ledit Pacte : « il en va de la nécessaire clarté et de l’indispensable cohérence du droit international ; il en va aussi de la sécurité juridique

41

[ … ] ». Peut encore être mentionné l’exemple de tribunaux arbitraux qui, pour interpréter la disposition d’un traité d’investissement relative à l’indemnisation pour expropriation licite, se réfèrent aux directives de la Banque mondiale sur le traitement des investissements (1992) en tant qu’elles « provide reasonable guidance as to the content of the standard chosen by the States Parties to the BIT as the standard of compensation to be applied in cases of lawful compensation, where the investment constituted a going concern at the time of the taking

42

».

Dans l’affaire Diallo, la soft law vient formellement asseoir une interprétation à laquelle la Cour était parvenue par ses propres moyens

43

. Devant le CIRDI, l’article IV des directives de la Banque mondiale a été mobilisé tantôt pour initier le raisonnement des arbitres – avant qu’ils relèvent que plusieurs tribunaux ont retenu une solution analogue

44

, ou inversement pour « renforcer une conclusion » à laquelle le tribunal est parvenu par d’autres moyens (à l’aide de la jurisprudence et de la doctrine en l’occurrence)

45

, tantôt de manière autonome, en tant qu’élément du « standard de compensation

46

». On ne saurait en tout état de cause s’en tenir à la rédaction des décisions – la présentation des arguments peut venir a

40 Ex. : TIDM, avis consultatif, 1er févr. 2011, Responsabilités et obligations des États qui patronnent…, § 116, où le tribunal pour déterminer la nature de l’expression « veiller à » (art. 139 de la convention de Montego-Bay) se réfère au commentaire de la CDI de l’article 3 de ses Articles sur la prévention des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses. V. aussi § 15-16 (référence à la déclaration de Rio de 1992).

41 CIJ, 30 nov. 2010, Ahmadou Sadio Diallo (Guinée c/ RDC), § 66. S’agissant de l’interprétation de la Charte africaine des droits de l’homme, la CIJ se réfère également à la « jurisprudence » de la Commission africaine des droits de l’homme et à celle des cours européenne et interaméricaine (§§ 67 s.).

42 CIRDI, sentence, 13 mars 2015, Tidewater Inc., et a. c/ Venezuela, n° ARB/10/5, § 152. V. aussi CIRDI, sentence, 16 sept. 2015, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c/ Bolivie, n° ARB/06/2, § 344.

43 « L’interprétation qui précède est pleinement corroborée par la jurisprudence du Comité […] » (§ 66).

44 Ibid., et sentence Tidewater, § 152-153.

45 Sentence Tidewater, § 140.

46 Ibid., § 155.

(11)

posteriori justifier la**396** solution juridique voulue par les juges

47

– pour établir que la soft law est susceptible de jouer, au titre du « contexte externe », un rôle important dans le processus interprétatif ou du moins sa motivation.

b) Recours à la soft law au-delà des articles 31 s.

Les cours régionales des droits de l’homme sont réputées pour leur audace en matière de techniques interprétatives, qui peut les conduire à prendre du champ par rapport aux directives de la convention de Vienne afin d’assurer à l’individu une protection renforcée de ses droits

48

. La créativité du juge est ainsi mise au service de l’effectivité des droits garantis.

L’interprétation dynamique et évolutive de la Convention européenne par la Cour constitue à cet égard un cheval de Troie de la soft law, dès lors que ses normes sont le signe d’une

« communauté de vue dans les sociétés modernes

49

». Aux fins d’interprétation de la Convention, la Cour assume ainsi se référer à « textes intrinsèquement non contraignants du Conseil de l’Europe », à des « normes émanant d’autres organes du Conseil de l’Europe dépourvus […] de toute fonction de représentation des États parties à la Convention » et d’autres « éléments de droit international dont relève la question juridique en cause »

50

, sans que l’absence de signature des textes (y compris soft) par l’État concerné soit dirimante. Des instruments non contraignants sont à cet égard susceptibles de refléter un « consensus européen » justifiant une interprétation évolutive de la Convention

51

. Il y a en somme une dérégulation de l’usage de la soft law à des fins interprétatives dans la mesure où il n’est plus rattachable aux bases codifiées dans les articles 31 s. de la convention de Vienne.

B. Le tendre pour jauger le respect du dur

Il est courant que le juge international se réfère à des études, rapports ou autres conclusions afin d’établir des données factuelles, en ce compris des pratiques juridiques

52

,

47 SUR S., L’interprétation en droit international public, Paris, LGDJ, 1974, p. 265-266.

48 V. TOUZE S., « Les techniques interprétatives des organes de protection des droits de l’homme », RGDIP 2011, n° 2, p. 517 s., ainsi que les commentaires de TULKENS F., idid., p. 533 s.

49 CEDH, Gde Ch., 12 nov. 2008, Demir et Baykara c/ Turquie, § 85-86.

50 Ibid., §§ 74-76.

51 FLAUSS J.-F., loc. cit., p. 351-352 ; TULKENS F., loc. cit., p. 539.

52 CEDH, 11 juill. 2002, Christine Goodwin c/ Royaume-Uni, § 84 : prise en compte des études de l’ONG Liberty sur la reconnaissance juridique par les législations nationales des transsexuels, attestant d’une tendance internationale en la matière.

(12)

utiles à la résolution du différend

53

. Cette soft law – **397**à supposer qu’elle en soit, la distinction entre droit mou et non-droit étant parfois entourée d’incertitude

54

– à caractère plus informatif que prescriptif peut s’avérer déterminante dans l’appréciation du respect par l’État de ses obligations internationales. La sentence Electrabel de 2015 s’est par exemple appuyée sur un rapport de la Banque mondiale sur la privatisation du secteur gazier et électrique en Hongrie et au Kazakhstan, ainsi que sur un rapport de l’Agence internationale de l’énergie de 1999 consacré à la Hongrie (formellement des instruments soft donc), afin de montrer que lorsque la société requérante s’est implantée dans cet État, elle ne pouvait ignorer certains changements qu’emporterait pour les opérateurs l’adhésion de l’État d’accueil à l’Union européenne

55

. L’investisseur devant s’attendre à ces conséquences, le tribunal a considéré que l’État n’avait pas manqué à son obligation de traitement juste et équitable.

Par ailleurs, le non-respect de la soft law prescriptive, à défaut d’engager en soi la responsabilité de l’auteur du manquement, est susceptible de produire des effets indirects.

Dans le droit de l’OMC, des mesures contraires aux normes ISO ou au Codex alimentarius se trouvent dépouillées de leur présomption de régularité

56

. Dans l’affaire de la Chasse à la baleine, le non-respect par le Japon de l’obligation de tenir dûment compte des recommandations invitant les États à évaluer la faisabilité de méthodes non létales a constitué un élément (parmi d’autres) permettant de conclure à une violation de l’article VIII de la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine qui permet la chasse

« en vue de recherches scientifiques

57

». Autre exemple, dans l’affaire Slawomir Musial c.

Pologne, la Cour européenne a considéré que le non-respect par la Pologne des recommandations du Conseil de l’Europe en matière de détention de personnes souffrant de

53 Ex. : CIJ, Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c/ Fédération de Russie), ordonnance du 19 avr. 2017, § 97 : prise en compte du rapport du HCNUDH et du rapport de la mission de l’OSCE sur la situation en Crimée pour établir prima facie la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvent les Tatars de Crimée et les Ukrainiens « de souche » ; CEDH, 13 janv. 2009, Aliev c/ Géorgie, § 80 : les rapports du Comité contre la torture constituent une « base fiable » pour fonder l’allégation du requérant affirmant qu’il était amené à dormir à tour rôle avec ses codétenus en raison de la surpopulation de la prison de Tbilissi.

54 V. supra I, A.

55 CIRDI, sentence, 25 nov. 2015, Electrabel SA c/ Hongrie, n° ARB/07/19, § 177.

56 V. supra.

57 Arrêt préc., § 144. Pour la Cour, l’existence de ces résolutions fait partie des « raisons pour lesquelles les auteurs du plan de recherche de JARPA II auraient dû, d’une manière ou d’une autre, se poser la question de la faisabilité des méthodes non létales » (§ 137).

(13)

troubles mentaux participait – cumulativement à d’autres éléments – de la violation par cet État de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants

58

.**398**

La violation d’une norme dépourvue de caractère obligatoire constitue en ce sens un élément potentiellement déterminant dans la décision juridictionnelle internationale : en remontant le fil, elle contribue à établir la violation d’une norme dure.

III – LES LIMITES DE LA SYSTEMATISATION

Un certain nombre d’éléments systématiques ont pu être avancés : tendance globale au développement de la soft law devant le juge international selon des formes mouvantes ; force normative détectable, selon que la norme soft permet de déterminer la norme dure ou d’en apprécier le respect. Des raisons générales au développement de l’usage de la soft law par les juridictions internationales pourraient également être avancées, au premier rang desquelles figure l’exigence de motivation dans un contexte international où le juge dispose de grandes marges de manœuvre dans le choix de ses arguments. L’usage de la soft law – généralement en lien avec la hard law – est de nature à expliquer sa décision et convaincre qu’elle est la bonne. Le développement tous azimuts de l’activité normative soft, qui permet de compenser la complexité du processus international de fabrication de la norme hard, est à l’origine d’une abondance normative à la disposition des parties en litige et du juge. La diffusion de cette

« logorrhée » normative via les nouvelles technologies (Internet, moteurs de recherche, etc.) participe d’ailleurs sans doute de son succès dans le cadre contentieux. Lorsque les parties se réfèrent à ces normes – et elles n’ont guère de réticence à mobiliser le soft s’il sert leur position –, le juge est incité à les examiner dans sa décision. Il le fait d’autant plus facilement que la norme soft permet de remédier à la faible densité du tissu normatif international hard à laquelle il est souvent confronté

59

.

Cet effort de systématisation pourrait néanmoins s’avérer déformant s’il occultait l’anarchie certaine qui caractérise la mise en œuvre de la soft law par les juridictions

58 CEDH, 20 janv. 2009, Slawomir Musial c/ Pologne, § 96.

59 Au sujet du critère de nécessité en matière de mesures conservatoires, v. p. ex. CIRDI, 3 mars 2016, Hydro Srl et a. c/ Albanie, n° ARB/15/28, ordonnance sur les mesures conservatoires, § 3.31-3.32, où le tribunal fait application de la loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international.

(14)

internationales. La cohérence du rapport à la soft law fait ainsi largement défaut d’une juridiction à une autre (A), voire au sein d’une même juridiction (B). **399**

A. Variabilité du rapport au tendre selon la juridiction

La place qu’occupe la soft law dans la pratique juridictionnelle peut varier du tout au tout selon la juridiction examinée. Ainsi le phénomène d’« “estompement” de la distinction hard/soft »

60

qui semble caractériser la pratique de la Cour européenne des droits de l’homme ne se retrouve assurément pas devant la Cour internationale de justice ou les juridictions pénales internationales, où la ligne tracée entre ce qui est obligatoire ou interdit, d’une part, et ce qui ne l’est pas, d’autre part, reste nette. C’est que la Cour de La Haye reste traditionnellement fort respectueuse de la souveraineté de ses augustes « clients » quand celle de Strasbourg semble davantage attachée à la préservation des droits fondamentaux de leurs ressortissants. Quant aux juridictions pénales internationales, elles sont liées par le principe de légalité – nullum crimen, nulla poena sine lege – et des règles de preuve a priori difficilement compatibles avec le recours fantaisiste à la soft law.

La question est nettement visible à l’examen des techniques interprétatives privilégiées par chaque juridiction. Marquée par le volontarisme étatique, la CIJ fait un usage classique des règles d’interprétation de la convention de Vienne sur le droit des traités au sein desquelles la soft law ne parvient qu’occasionnellement à s’insérer

61

. À l’opposé, l’usage abondant de la soft law par les cours régionales des droits de l’homme s’inscrit largement dans l’interprétation dynamique et évolutive qu’elles déploient aux fins de garantir l’effectivité des droits consacrés

62

. Il a ainsi été noté que la Cour de Strasbourg s’abstient de hiérarchiser les différents types de normes souples (soft law textuelle ou prétorienne ; publique ou privée) alors que la légitimité de la norme – du moins sa proximité avec le consentement exprimé des États – n’est pas la même

63

. Mais quand ces mêmes juridictions, dans un mouvement d’« autolimitation »

64

, entendent préserver les intérêts des États ou leur

60VAN DROOGHENBROECK S., « Le soft law et la Cour européenne des droits de l’homme », in AILINCAI M.

(dir.), Soft Law et droits fondamentaux, Paris, Pedone, 2017, p. 188.

61 V. supra II.

62 V. supra II.

63 FLAUSS J.-F., loc. cit., p. 339.

64 TOUZE S., loc. cit., p. 531.

(15)

ménager une large marge d’appréciation, elles privilégient des techniques interprétatives qui ont pour effet d’exclure ou de minorer le poids la norme soft

65

. **400**

La question du rapport à la soft law est partant très révélatrice de la politique jurisprudentielle de chaque juridiction, laquelle est, de plus, susceptible de varier au gré des questions examinées… ou des circonstances.

B. Variabilité du rapport au tendre au sein d’une même juridiction

Les modalités du recours à la soft law au sein des juridictions internationales qui en font un usage décomplexé – cours régionales de droits de l’homme, tribunaux arbitraux d’investissement – ne reposent sur aucune méthodologie assumée ; elles semblent à vrai dire échapper à toute forme de rationalisation.

Ce constat a été fait au sujet de la Cour européenne des droits de l’homme dont l’usage du droit souple repose largement sur une « pratique d’aubaine » et sur des « considérations d’opportunité judiciaire »

66

. Dans cette veine, il a été remarqué que la Cour de Strasbourg fait montre d’un déficit de justification et de pédagogie lorsqu’elle recourt à la soft law

67

. Ce vide incite la doctrine à introduire de la cohérence et de la transparence dans le tohu-bohu. S. van Drooghenbroeck préconise ainsi une méthode faite de sept propositions « à la frontière de la lex lata et la lex ferenda

68

» reposant sur le principe selon lequel « le poids d’une source externe est déterminé en fonction de sa capacité à dénoter un consensus entre les [ É ] tats membres du Conseil de l’Europe sur une question litigieuse

69

». Reste que, dans un contexte de contestation de son audace jurisprudentielle, le juge strasbourgeois a adopté une position

65 Ex. : CIADH, 8 déc. 1995, Caballero Delgado et Santana c/ Colombie, série C, n° 22, § 67 (« le terme recommandation utilisé par la Convention américaine doit être interprété conformément à son sens ordinaire, en vertu de l’article 31 § 1 de la convention de Vienne sur le droit des traités. Pour cette raison, une recommandation n’a pas le caractère d’une décision juridictionnelle obligatoire dont le non-respect entraînerait la responsabilité de l’État »). V. aussi les exemples donnés par VAN DROOGHENBROECK S., « Le soft law et la Cour européenne des droits de l’homme », in AILINCAI M. (dir.), Soft Law et droits fondamentaux, op. cit., p. 189 s.

66 FLAUSS J.-F., loc. cit., p. 341. V. CEDH, Gde Ch., 27 avr. 2010, Tanase c/ Moldova, § 176, où la Cour dit que

« pour interpréter les garanties offertes par la Convention et déterminer s’il existe dans le domaine concerné une norme européenne commune », il lui revient de « décider des instruments et rapports internationaux qu’elle juge dignes d’attention ainsi que du poids qu’elle entend leur accorder ».

67 FLAUSS J.-F., loc. cit., p. 341.

68VAN DROOGHENBROECK S., loc. cit., p. 203.

69 Ibid., p. 199 (italiques dans le texte). V. les sept propositions formulées p. 199 s.

(16)

de repli en certains domaines

70

. Il n’est donc pas exclu que son rapport à la soft law devienne plus prudent

71

. **401**

Devant d’autres juridictions, la notion de consensus a pu être ponctuellement employée pour expliquer la mise en œuvre même limitée de normes soft. Ainsi un tribunal CIRDI a-t-il justifié la référence aux directives de l’International Bar Association relatives aux conflits d’intérêts dans l’arbitrage international par le fait que cet « instrument très utile [ … ] reflète un consensus transnational sur la matière

72

». Mais tel autre tribunal se contente de présenter ce même instrument comme « une référence

73

», quand un troisième le juge peu pertinent dès lors que le Règlement d’arbitrage CIRDI régit la question discutée (l’obligation de divulgation)

74

. Le caractère ad hoc des tribunaux arbitraux ne suffit pas à expliquer cette absence de cohérence dans la justification du recours à – ou de la mise à l’écart de – la norme souple. Elle est le signe plus général d’une absence généralisée de questionnement quant à la manière de traiter rationnellement la soft law.

À défaut d’une méthodologie globale en la matière, difficilement envisageable au vu de l’éclatement du « système » juridictionnel international même si la notion de « consensus » constitue une piste commune intéressante, les impératifs de sécurité et de prévisibilité juridiques devraient inciter les différentes juridictions internationales à clarifier leur rapport à la tendresse du droit.

70 SUDRE F., « Le recadrage de l’office du juge européen », in SUDRE F., Le principe de subsidiarité au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 240.

71 CEDH, Gde Ch., 20 oct. 2016, Muršić c/ Croatie, § 113, où la Cour se dit « attentive » aux normes du Comité européen pour la prévention de la torture, mais estime qu’elles ne sont pas déterminantes pour elle, notamment parce que ses fonctions (juger du respect de la Convention) différent de celles du comité (fixer des normes en amont dans un but de prévention). Contra v. l’opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque qui s’emploie à démontrer que « l’interprétation évolutive, le consensus européen et l’endurcissement de la soft law constituent les trois piliers du système normatif du Conseil de l’Europe » (§ 2).

72 Comité ad hoc CIRDI, 26 août 2015, Total SA c/ Argentine n° ARB/04/01, décision sur la demande de récusation de T. Cheng, § 98, traduction libre (« un instrumento muy útil, en cuanto reflejan un consenso transnacional sobre la materia »).

73 CIRDI, 9 juin 2015, Highbury International AVV, Compañía Minera de Bajo Caroní AVV, et Ramstein Trading Inc. c/ Venezuela, n° ARB/14/10, décision sur la demande de récusation de B. Stern, § 76.

74 CIRDI, 15 déc. 2015, ConocoPhillips Petrozuata BV, ConocoPhillips Hamaca BV, ConocoPhillips Gulf of Paria BV c/ Venezuela, n° ARB/07/30, décision sur la demande de récusation de M. Yves Fortier, QC, § 37 (« More relevant in this context is the continuing obligation of arbitrators in ICSID cases under Rule 6(2) of the ICSID Arbitration Rules »).

Références

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Ici l’objectif est de s’interroger sur la manière dont ces chaînes internationales d’information sont un vecteur d’internationalisation de l’information dans