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LITTÉRATURE ET SENTIMENTS

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Academic year: 2022

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LITTÉRATURE ET SENTIMENTS

Assumer ses choix de lectures sur le web

MAGALI BIGEY

Les choix sont parfois difficiles à assumer, surtout en ce qui concerne certaines pratiques de lecture, principalement celles ayant trait à la lecture sérielle, la romance, les mangas… Le public lecteur de ces divers genres populaires est en permanence victime d’un déclassement, allant même parfois jusqu’à une stigmatisation dérangeante. Nous avons recensé sur le web des forums et des blogs évoquant le sujet, des internautes défendant des choix de lectures, tout en dévoilant leurs sentiments quant à une accusation de mauvais choix qui pour certains de leurs détracteurs confine au mauvais goût. Nous verrons de quelle manière nous pouvons analyser ces données, et particulièrement l’expression des sentiments, par le biais des méthodes de l’analyse automatique de textes.

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Introduction

La notion d’opinion, comme celle de sentiments, reste floue quand il s’agit d’expression par le web. Il faut bien définir les limites de chacun des paramètres qui entrent en compte quand il s’agit de penser à l’analyse, et ne pas prendre tout texte pour une expression d’opinion, souvent couplée de sentiments. Les forums et les blogs, merveilleux espaces d’échanges où se côtoient toutes sortes d’individus, sont aujourd’hui à l’instar de la rue

« un premier bien public auquel accède chaque citoyen [… qui] devient le lieu d’expression privilégié des inégalités, des incertitudes et de la non- reconnaissance de l’autre » (Roulleau-Berger, 2004, p. 13).

La comparaison s’arrête ici avec la rue, car pour Laurence Roulleau-Berger,

« la rue met au jour l’augmentation des risques de ne pouvoir accéder à une place, et de ne pouvoir être soi » (ibid.).

En effet, si le web comme la rue sont des lieux privilégiés pour les inégalités, chacun peut à l’envi être soi, sous couvert d’un anonymat salvateur, ou être un autre, n’importe quel autre, sous couvert du même anonymat.

Nous verrons comment, grâce à de salutaires pseudonymes, il est possible d’exprimer ses sentiments (par exemple, sur ses habitudes de lecture), ses avis et ses revendications sur le web ; nous verrons aussi comment l’expression privée sur une sphère publique se fait sans langue de bois, et enfin, comment on peut analyser et reconnaître des sentiments, à partir de quelle méthodologie et pour quels résultats.

Exprimer son avis

Nous nous intéressons aux sentiments exprimés sur le web par des internautes revendiquant leur droit de lire ce qu’ils souhaitent, lectures populaires, sérielles ou non, et au déclassement subi par ces mêmes internautes en raison de leurs choix de lectures. Nous parlons ici du choix de s’adonner à la littérature sérielle, et plus particulièrement au sentimental sériel qui a tendance à déchaîner les passions et à engendrer des préconstruits et des présupposés concernant son lectorat. Nombre d’énoncés pro ou anti-romances sérielles sont postés tous les jours sur le web, à tel point que plusieurs sites, forums et blogs leur sont exclusivement consacrés ; en effet, le lieu est propice à l’expression des sentiments, pour une analyse qui prenne en considération une pression des représentations. Quand il s’agit de littérature sérielle, les représentations sociales sont d’importance, et tout acte de parole en relation avec cette pression est une chose que l’on doit prendre en compte :

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« Un énoncé est ainsi toujours la réalisation d’un acte d’énonciation.

Cette thèse […] implique que l’énoncé […] ne doive pas seulement être référé à l’état de choses, aux événements, aux faits qu’il rapporte, mais aux conditions de son énonciation, contexte et production, destinataires du message, intentions de l’émetteur, qui en déterminent la forme et les significations » (Berthelot, 1996, p. 47).

Dans cette optique, il est capital d’examiner le contexte le plus complet possible avant toute analyse de ce genre, principalement pour ce qui est de l’expression de sentiments ou d’opinions qui, on l’a remarqué, provoquent une sorte d’émulation entraînant parfois la surenchère dans les avis et les critiques.

L’anonymat permet d’atténuer cette pression des représentations, sans toutefois l’abolir complètement. En effet, chacun, même sous couvert de pseudonyme, livre ses choix individuels et ses sentiments à la communauté, sa connaissance et son savoir ; un déclassement venu de l’extérieur est susceptible de le toucher, les représentations sociales engendrant des opinions personnelles qui deviennent collectives, et s’expriment parfois par le choix d’un bouc émissaire.

Ici, la représentation sociale en matière de littérature sérielle

« est avec son objet dans un rapport de « symbolisation », elle en tient lieu, et d’« interprétation », elle lui confère des significations. Ces significations résultent d’une activité qui fait de la représentation une

« construction » et une « expression » du sujet » (Jodelet, 1989, p. 61).

Dans notre recherche, le roman populaire et sériel provoque dans les forums une expression du sujet en adéquation avec l’image collective, les représentations de ces romans ; les internautes qui revendiquent leurs choix de lecture se font parfois verbalement agresser, ils sont associés à leurs choix déclassés, donc souvent déclassants, qui provoquent parfois de virulents règlements de comptes 1. Pour une communauté donnée, chaque membre se sent attaqué par les critiques, et l’anonymat permet d’entrer peut-être plus aisément dans le jeu et de défendre ses choix.

Des sentiments sur le web ? Pour David Le Breton,

« si socialement il n’est guère pensable de laisser libre court à certaines émotions, les lieux appropriés autorisent en revanche à se vivre sans

1.Voir aussi : Bigey M., « Discorde et règlements de compte autour du romanesque sentimental : une analyse de blogs », Les blogs, écritures d’un nouveau genre ?, Itinéraires LTC, Paris, L’Harmattan, 2010-2.

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détour, sans crainte du jugement des autres, sans nécessité de réfréner sa sensibilité » (Le Breton, 2004, p. 173).

Nous pouvons aisément lire sur le web des exemples d’affirmation de soi et de revendications. Pour Claudine Haroche, on trouve dans ce qu’elle nomme

« les formes d’aliénation contemporaines » l’idée de visibilité de soi :

« un type de visibilité qui, ignorant les frontières de l’intime, du privé et du public, tend à instrumentaliser et réifier l’individu par l’exhibition continue et exhaustive de soi, encourageant et renforçant le voyeurisme, l’exhibitionnisme, l’effacement du privé, de l’intime […] Renforcée par les technologies contemporaines, cette aliénation contraindrait l’individu à présenter non pas une part de soi mais à se livrer à une mise à nu, un dévoilement continu de soi […] La visibilité serait synonyme de légitimité, d’utilité, garantie de qualité : la fréquence, la quantité voire la continuité de la visibilité valoriserait l’individu. L’invisibilité, quant à elle, serait synonyme d’inutilité, d’insignifiance voire d’inexistence » (Haroche, 2008, p. 202).

Tous ces éléments, adéquation du lieu, visibilité de soi synonyme de légitimité, dévoilement continu de soi, donnent à penser que le web est le lieu idéal pour découvrir ses sentiments, être visible et trop en montrer, souvent, tout le temps, sans crainte car anonymement. Vu comme une agglomération d’« espaces sociaux accueillant l’expression des sentiments qui ne pourraient ouvertement se vivre ailleurs » (Le Breton, ibid.), il est donc un lieu (non-lieu ?) d’études unique 2.

Quelle méthodologie ?

D’un point de vue méthodologique, l’étude des sentiments paraît difficile du fait qu’ils sont complexes, structurellement et linguistiquement parlant.

« Les sentiments et les émotions ne sont pas des états absolus, des substances transposables d’un individu et d’un groupe à l’autre […]

Chaque terme du lexique affectif d’une société ou d’un groupe social doit être mis en rapport avec le contexte local de ses mises en jeu concrètes.

[…] Dans un contexte de comparaison entre les cultures, l’emploi de termes affectifs impose de les mettre toujours entre guillemets pour rappeler le flou qui les entoure, ou bien d’employer les termes

2. Si l’auteur parle ici d’espaces physiques, il est aisé d’ajouter le web, sur lequel l’expression des sentiments se trouve souvent exacerbée.

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vernaculaires pour souligner qu’un tel rapprochement ne va pas de soi et demeure une question posée » (op. cit p. 9-10).

La comparaison effectuée par l’auteur concernant les rapprochements des émotions des différents pays trouve également écho sur le web.

« L’analyse qui part sans crier gare d’un vocabulaire français ou anglo- saxon (puisque l’anthropologie américaine est particulièrement féconde en ce domaine) tombe dans le piège enfantin du nominalisme en universalisant d’emblée les émotions, en les considérant comme des états dont il suffirait de voir anecdotiquement quelques petites variations culturelles. La haine, l’amour, la jalousie, la joie, la peur, la douleur, etc., seraient perçus comme des objets, mentaux sans doute, mais repérables comme on chercherait les mille façons de nommer le chêne ou le chien.

Manière de naturaliser les émotions et d’occulter d’emblée la question de la mosaïque affective qui anime la myriade des sociétés humaines dans l’espace et le temps, dissolvant toute différence. » (ibid.)

Concernant cette idée de la catégorisation des émotions, il est évidemment bien difficile de les recenser toutes, tellement les manières de les dire sont diverses et variées. Parfois, il peut s’agir d’un manque de précision, mais également de vocabulaire disséminé dans un post ou un commentaire, qui va donner cet effet d’empathie ou non au lecteur sans que toutefois il soit possible de repérer systématiquement et automatiquement l’émotion. Même si on pouvait imaginer une harmonisation de l’expression des sentiments et émotions sur des espaces francophones par exemple, on constaterait des différences en fonction des catégories sociales, du vécu, des goûts… de chacun : l’un va aimer beaucoup, l’autre adorer, l’autre encore apprécier infiniment, mais à quel degré, sur quelle échelle ?

« La reconnaissance et l’interprétation du simple vocabulaire du domaine ne sont pas suffisantes le plus souvent pour comprendre un texte, il faut prendre en compte d’autres éléments comme les expressions idiomatiques ou figées, telle « quelqu’un être la prunelle de ses yeux » qui signifie qu’on adore une personne, ou l’interprétation du contexte qui, par exemple, permettra de donner à la phrase « Ton projet est une vraie réussite », son véritable sens qui est « c’est un échec total ». Enfin des sentiments peuvent être exprimés sans l’être de façon littérale, comme dans « Ce projet est plein d’absurdités ! » […] qui peuvent exprimer de la colère, de la frustration, de l’ironie, etc., selon le contexte » (Mathieu, 2008, p. 321-322).

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L’uniformisation de l’analyse est impossible, tout comme l’uniformisation du sens, pourtant nous pouvons étudier certains sentiments en abordant une méthodologie utilisant la lexicométrie et le traitement automatique.

La reconnaissance automatique d’informations sémantiques

Il existe certes de nombreuses méthodes pour analyser de grands corpus de texte et pour en tirer des informations sémantiquement homogènes. Pour cette recherche, nous avons choisi de travailler avec des dictionnaires électroniques spécifiques, auxquels nous avons ajouté des informations sémantiques (par exemple, un code V+sent pour identifier des verbes de sentiment).

Souvent, les logiciels de traitement automatique sont à même de reconnaître les verbes, mais ils ne font en général pas de distinction sémantique. S’il est possible d’extraire tous les verbes d’un corpus, il est ensuite plus ardu de trier, et ce qui nous intéresse serait noyé dans un flot d’informations inutiles pour l’analyse ; nous utilisons donc un dictionnaire électronique spécifique que nous désignons par l’appellation « Vsent » (« Vsent » pour Verbes de Sentiments sera aussi un code appliqué à chacun des verbes du dictionnaire). Le logiciel utilisé pour cela est NooJ 3 ; avec une fonction qui permet l’ajout d’informations sémantiques, il est possible d’identifier les verbes de sentiment afin de dégager de grandes tendances. Évidemment, dans ce cas d’études basées sur le sens, un retour au texte est primordial, afin d’éviter l’écueil des choix arbitraires, soulevé par Jean-Marie Viprey :

« De cette manière, on finira immanquablement pas intégrer noir au thème de la mort, blanc à celui de la virginité, noir et blanc ensemble aux thèmes de la virginité, du racisme, de l’éthique, du cinéma, etc. ; c’est-à- dire en fait par projeter sur la trame parfois arachnéenne du texte l’appareil mathétique chaque jour appesanti des associations thématiques » (Viprey, 1997, p. 296).

L’objectif est que, par l’intermédiaire du logiciel, on puisse reconnaître ces verbes en particulier et en produire des concordances afin d’effectuer une analyse en contexte.

Réalisation du dictionnaire

L’intérêt d’un tel dictionnaire est de pouvoir réaliser un concordancier réunissant tous les verbes de sentiments d’un corpus en contexte, et par là

3. Développé par Max Silberztein, à l’université de Franche-Comté.

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même, analyser le tout comme un nouveau corpus 4. Pour cette création de dictionnaire, nous avons choisi de nous baser sur les tables 4 et 12 des verbes du lexique-grammaire de M. Gross.

Le lexique-grammaire de Maurice Gross

Le terme de lexique-grammaire a été introduit par Maurice Gross, et son lexique-grammaire recense les structures syntaxiques élémentaires du français, sur des critères distributionnels et transformationnels (Gross, 1975). Nous avons utilisé ces listes de verbes pour baser notre travail de recherche sur les verbes de sentiment ; il a été mis au jour, dans ces tables, des correspondances entre les critères syntaxiques et sémantiques de certains verbes 5, et c’est le cas pour la plupart des verbes de sentiments que nous avons étudiés. Sous forme de tables, cette classification recense de façon systématique les propriétés syntaxiques et sémantiques des verbes, noms prédicatifs et adjectifs du français les plus courants. Elle est basée sur le cadre théorique des transformations syntaxiques de Z. Harris et se présente sous la forme de 19 tables. M. Gross y recense les propriétés d’environ 3 000 verbes, chaque table détaillant une ou deux constructions syntaxiques et propriétés, et rassemble les formes qui entrent ou non dans cette construction. C’est donc à partir de ces différentes propriétés que les classes ont été créées. Il s’est avéré ensuite que les verbes aux propriétés syntaxiques identiques avaient des propriétés sémantiques souvent proches voire identiques, à tel point que

« certaines tables se révèlent sémantiquement homogènes : un examen de l’ensemble des verbes qui les composent déclenche une intuition commune à chacun des éléments. Par exemple, les verbes de la table 2 suggèrent une idée de « mouvement » 6, ceux de la table 3, une unité de

« causatif de mouvement », ceux de la table 12 une idée de « jugement de valeur » (op. cit., p. 218).

La construction de ces tables a permis à M. Gross d’autres observations mettant en lien les propriétés syntaxiques et sémantiques. C’est ce qui nous a particulièrement intéressée pour notre dictionnaire électronique des verbes de sentiments, car il existe deux tables qui regroupent ces verbes.

4. Les détails de ces actions seront définis plus loin.

5. Précisons que certains verbes ne peuvent être considérés spontanément comme des verbes de sentiment, mais nous avons tenu à respecter les listes établies par Maurice Gross.

6. Maurice Gross signale une seule exception qui est le verbe laisser dans la construction Paul laisse Marie faire cela.

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La table 4

Figure 1. Représentation partielle de la table 4

Pour M. Gross, la table 4 peut être considérée comme une table des verbes de sentiments : « les verbes de cette table sont sémantiquement homogènes. La

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grande majorité d’entre eux correspond à un sentiment « déclenché » par N0 et

« éprouvé » par N1 » (op. cit. 170), d’où notre intérêt pour cette table en particulier.

Elle se présente sous forme de tableau. Les principales propriétés qui y sont représentées sont celles de la complétive sujet ainsi que celles de la forme adjectivale associée N0 est V-a pour N1.

Par exemple :

– On peut voir que parmi les verbes présentés, seul absorber ne peut avoir de sujet Nhum dans cette acception.

Ex : Paul abasourdit Pierre Pierre abat Jean / le sanglier

– Tous les verbes acceptent un complément direct Nhum

Ex : Marie abuse Paul Max accapare Pierre

– Aucun des verbes de cette sélection ne peut entrer dans la construction : N0 V N1 contre Nhum

Ex : * Marie abuse Pierre contre Paul

* Jean abrutit Max contre Marie

Cette table recense plusieurs centaines de verbes.

La table 12

Elle peut être considérée comme une table des verbes de jugement de valeur.

Les verbes qui la composent sont aimer, adorer, admirer, détester, mépriser, envier, haïr… Pour M. Gross, « les verbes de cette table […] sont sémantiquement homogènes et déclanchent en général un jugement de valeur » (op. cit. 210).

Pour ce qui concerne les verbes de la table 12, tous les sujets sont humains et tous les compléments directs qui sont des noms sont aussi des noms humains 7. Nous aurons alors :

Ex : Paul déteste Marie.

Pierre sanctionne Paul.

7. Nous signalons cependant deux exceptions qui sont empêcher et subodorer.

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Les verbes entrent aussi dans des constructions à opérateur du type : N0 a Dét V-n pour N1

Ex. :

Estimer : Pierre a de l’estime pour Marie Admirer : Paul a de l’admiration pour Max

Il existe cinq constructions sujet différentes et il existe aussi 25 constructions complément différentes, certaines n’acceptant que quelques verbes sur l’ensemble de la table. C’est le cas pour la construction N1 est Dét V-n qui n’accepte que abominer, bénir, exécrer, requérir.

Pour un dictionnaire des verbes de sentiment

Un tel dictionnaire permet de ne sélectionner que certains verbes, donc d’opérer une sélection automatique pour travailler sur les verbes de sentiment.

Nous avons recensé tous les verbes de sentiments des tables 4 et 12, et nous les avons saisis afin d’en obtenir une liste. Pour ce qui est du codage du dictionnaire, nous avons choisi des codes simples :

V : verbe

sent : de sentiment

+4 : issu de la table 4 du lexique - grammaire.

+12 : issu de la table 12 du lexique - grammaire.

L’avantage de ces deux derniers codes est double. Dans un premier temps, ils permettent de reconnaître les verbes de sentiments parmi d’autres verbes, et dans un second temps, ils permettent de reconnaître les verbes issus de la table 4 parmi des verbes d’autres tables, dans l’optique de la création d’un dictionnaire électronique complet des tables sémantiquement homogènes du lexique-grammaire.

Le premier dictionnaire ainsi obtenu comprend 538 verbes.

Exemple : Pour le verbe

abasourdir abasourdir,V+sent+4,

abattre abattre,V+sent+4,

abîmer abîmer,V+sent+4

abrutir abrutir,V+sent+4

absorber absorber,V+sent+4

abuser abuser,V+sent+4

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Une fois enregistré sous forme de nouveau fichier muni de ses codes sous un format texte brut dans NooJ, le dictionnaire est utilisable. Il a été compilé afin que les codes de flexions soient insérés automatiquement lors de la phase d’analyse automatique du corpus.

Figure 2. Extrait du dictionnaire des verbes de sentiment de la table 4

L’analyse des forums

Les objets d’étude que nous avons choisis ici sont donc des commentaires postés sur un forum dédié à la littérature populaire de type sériel, en particulier les romances. Les lectrices se sont vu attaquer par les détracteurs de ce genre de littérature, avec pour point de départ pour ce qui nous intéresse l’attaque d’une jeune femme diplômée de lettres, par blog interposé 8. Les réactions épidermiques des internautes sur le forum se traduisent par l’exposition de leurs sentiments face à ces agressions souvent répétées, qui mettent en cause non seulement leurs goûts mais également leur crédibilité 9.

8. http://blogdifferent.canalblog.com/archives/2006/06/06/437139.html, dont le sujet a été posté en 2006 et qui continue à faire des émules en 2010, tout comme les réactions sur le forum de discussion objet de la discorde.

9. Précisons que ces lectrices, que nous avons identifiées pour les besoins d’un autre projet, sont pour la plupart diplômées du supérieur, et exercent un regard critique sur leurs lectures.

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Figure 3. Extrait de concordance des verbes de sentiment

Dans un premier temps, nous avons obtenu une concordance des verbes de sentiments fléchis ou non, avec leur environnement immédiat, c’est-à-dire 10 mots avant et 10 mots après le verbe10. A partir de cette concordance, il est possible d’effectuer une autre analyse, celle du vocabulaire proche des verbes de sentiment. Ensuite, nous avons extrait les digrams de cette concordance, c’est-à- dire les segments répétés par deux. Il est intéressant de comparer les sentiments exprimés avec ces digrams, en rapport avec le sujet du forum, à savoir le déclassement subi par les lectrices. S’il n’est pas étonnant de voir dans les digrams les plus fréquents c’est, qu’elle, je ne, on trouve immédiatement ensuite aime pas, d’aimer, j’aime, dans leur ordre d’apparition.

Voici un extrait du tableau de ces segments avec leurs fréquences :

aime pas=14 […]

d aimer=10 ce que=10 n aime=10 j aime=9 […]

la perdre=7 pourrait la=7

est le=4 Moi j=4 elle a=4 […]

la chick=4 pas être=4 des livres=4 qui me=4

et nous=3 forum est=3 pas parce=3 elle ne=3 comme vous=3 […]

d ailleurs=3 les gens=3 que le=3

10. Cette sélection est modifiable, et une moyenne de 10 mots de part et d’autre du verbe nous a semblé minimale pour obtenir des informations suffisantes pour l’analyse.

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meilleure façon=7 on pourrait=7 dire qu=7 toute chose=7 […]

se dire=7 est meilleure=7 que se=7 aimer toute=7 […]

je comprends=6 Il n=6

romans

sentimentaux=6 […]

d être=5 les livres=5 […]

peu de=5 le forum=5 chick lit=5 dire que=5 […]

ce genre=5 pas compris=5 […]

je me=4 genre de=4 […]

du forum=4 […]

à l=2 s amuser=2 avis et=2 […]

d humour=2 et en=2 et de=2 le sujet=2 pour le=2 aimer ce=2

[…]

la colère=3 pour elle=3 […]

on peut=3 il faut=3 […]

mon avis=3 pour une=3 à lire=3 je pense=3 […]

les lectrices=3 veut dire=3 […]

le fantasme=3 […]

une fois=3 on ne=3 je passe=3 les romans=3 on aime=3 Je ne=3 lire les=3 le niveau=3 je trouve=3 la peine=3 ça veut=3 ce blog=3 qu ils=3 je lis=3 tous les=3 de littérature=3 lire des=2 livres de=2 de romans=2 […]

l auteur=2 les premières=2 et le=2

roman historique=2

des choses=3 fait que=2 air d=2 comme si=2 en purée=2 […]

livres que=2 a quelques=2

Les Romantiques=2 aime lire=2

à comprendre=2 absolument pas=2 […]

tendresse pour=2 […]

fantasme du=2 […]

ces livres=2 mal dans=2 […]

si elle=2 plus strict=2 elle lit=2

des suppositions=2 aimerais bien=2 ailleurs c=2 colère Je=2 j étais=2 dos de=2 ai lu=2 dans votre=2 viol et=2 journée de=2 l histoire=2 aux cerveaux=2 mots et=2 du monde=2 sur terre=2 je crois=2 […]

à chacun=2

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second degré=2 d accord=2 mais la=2

bien contente=2 de nous=2 Harlequin qui=2 être un=2

me met=2 à connaître=2 la traduction=2 de bien=2 l orthographe=2 […]

du viol=2 […]

pas harlequin=2 dans la=2 la vie=2 histoire de=2 elle nous=2 est la=2 pas bon=2 nous lisons=2 pas pu=2 j espère=2 forum il=2 des Harlequin=2 qui aiment=2 […]

les harlequin=2 pourquoi on=2

comprends que=2 nous sommes=2 les autres=2 l air=2

sociologiquement intéressant=2 ça finit=2 […]

Mais je=2 […]

petit message=2 je dis=2

[…]

critique littéraire=2 une histoire=2 […]

de livre=2 plus que=2 droit le=2 sont des=2 des lectrices=2 […]

une journée=2 […]

en nous=2 le roman=2 […]

l humour=2 cerveaux en=2 je vous=2 on sait=2 les propos=2 aime ce=2

article de=2 […]

premières à=2 pourquoi je=2 […]

lit commerciale=2 j aimerais=2 quand je=2 finit bien=2 ne les=2 hors norme=2 des études=2 […]

gens qui=2 n était=2

comprendre qu=2 moi je=2

la science=2 […]

d écrire=2 est rigolo=2 de débiles=2 […]

nous autres=2 qui se=2 et dans=2 est tellement=2 le monde=2 des gens=2

Dans le contexte d’étude que nous avons mis en place, ces segments permettent également de revenir au texte et de représenter les sentiments qui ont été exprimés par les internautes. En effet, les nombreuses occurrences du verbe aimer, mais aussi la présence de colère, humour ou cerveau peuvent donner des indications quant à la recherche. Avec la présence des concordances et des possibilités de sélection, il est possible de trier les sujets, et même de voir quels sont les sentiments plutôt exprimés par des hommes, et ceux plutôt exprimés

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par des femmes 11. Ici, les internautes sont attaquées sur leurs pratiques de lecture de romances ; on peut donc aisément imaginer que l’immense majorité de ces protagonistes sont des femmes.

Les occurrences les plus fréquentes, ainsi que les retours au texte, nous permettent de mettre au jour des liens entre l’objet-roman et le lectorat, les représentations qu’en ont les internautes du forum, mais également les représentations en dehors du forum, par l’analyse et l’observation. Les avis et réactions sont pléthoriques, mais plus abondants du côté des défenseurs de l’un des droits imprescriptibles du lecteur de D. Pennac, à savoir le droit de lire n’importe quoi.

Quelques résultats

Les occurrences de cerveau, cervelle et débilité nous donnent à voir des pistes de réflexion quant aux représentations de l’objet-roman et de son lectorat. Les concordances nous renvoient au texte, et ci-dessous, à quelques citations grâce aux liens suivis par les concordances de verbes de sentiment et les digrams associés, parmi la masse de données du sujet dans le forum :

Posté par Elora Danon

A écouter tous ces gens-là, on ne doit vraiment avoir qu’un petit pois dans la cervelle... [ …]

Enfin notons tout de même que nous sommes la référence de la débilité profonde... En même temps, je trouve son texte assez ambiguë 12... Un billet posté pour tromper son public ?

Posté par Dubarry

Enfin bref, je ne m’estime pas comme étant lobotomisée parce que je lis de la romance, je pense que le niveau intellectuel sur le forum est très satisfaisant, même le plus souvent très intéressant.

Dans tous les cas cela fait de la pub pour le forum... Tout de même je n’ai pas lu toute la prose de cette « critique chez Albin Michel », c’est par trop indigeste.

11. Sous réserve que comme les pronoms personnels utilisés, les pseudonymes rendent compte de ces différences, mais dans l’absolu on peut obtenir des résultats.

12. Les coquilles présentes dans le texte original du forum ont été respectées dans la copie.

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Posté par Eglantine

Je viens de le lire, et j’ai bien envie de lui répondre, non mais t’as vu elle a donné l’adresse des Romantiques pour dire qu’on étaient les débiles qui lisent cette littérature de seconde zone. Je suis en colère.

Posté par Domino33

Je viens de lire ce billet d’humeur, qui n’est rien qu’un ramassis pseudo- intellectuel. Une fois de plus, des « gens brillants et intelligents » jugent de façon prétentieuse et condescendante mes lectures. Et je continue à me poser la question, en quoi gêne-t’on ces bien-pensants ? Ou alors, faut-il y voir l’expression d’une rancœur larvée pour ne pas avoir pu « se faire du fric vite et facilement » en écrivant un roman Harlequin ?

J’ignore encore si cela vaut la peine de jeter un pavé dans la mare en leur disant ce que je pense de leur prose !

En furetant sur le blog, j’ai découvert le pourquoi de son animosité envers Harlequin, elle a postulé pour de la traduction (toujours pour se faire du fric vite et facilement) et s’est fait jeter... ceci expliquant peut- être cela ! Comme dit le renard en parlant des raisins qu’il ne peut attraper « ils sont trop verts et bons pour les goujats ! »

Posté par Callixta

Bon encore une fois, on en revient à la même chose...

La seule chose qui m’étonne dans les propos de cette personne et dans ceux qui répondent: c’est la violence de leurs propos. Il y est question de nausée, de profonde répulsion, d’ennui souverain... et sous jacent, il y a à chaque fois une sorte de soulagement: « heureusement je n’ai pas ce vice ! ». Il y a même un message où l’auteur nous cite ce qu’elle lit en ce moment, histoire de bien nous le confirmer !

Je comprends que ça n’intéresse pas les gens, ce type de littérature, je comprends même qu’on y voit une façon de se faire du fric facilement sur le dos de lectrices faciles à berner. Je comprends qu’on préfère lire absolument n’importe quoi d’autre que ça mais...je ne comprends pas qu’on soit tellement content de ne pas être dans ce cas là et qu’on pense forcément que les gens qui le font sont débiles (ce qui ferait d’après les statistiques d’harlequin) pas mal de débiles !

Personnellement ces genres de ricanement sont presque suspects je trouve. Il me rappelle ceux des gens qui disent ne jamais lire la presse people dont pourtant les chiffres de vente explosent mais sont au courant de tout.

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Les analyses lexicales avec les verbes de sentiments permettent d’effectuer un tri pertinent de l’information, afin d’extraire les posts et commentaires concernant les opinions et les sentiments. Un même travail est envisageable avec les noms de sentiments, qui peuvent à leur tour être munis d’informations sémantiques dans le logiciel. On peut imaginer travailler avec les noms dérivés de verbes pour compléter un lexique des sentiments.

Pour ce qui concerne les forums, une difficulté est souvent liée à l’orthographe parfois aléatoire, c’est pourquoi pour l’instant nous nous attachons à travailler avec des forums où l’orthographe a une importance. Dans le cas du forum sur les romances, cela fait partie de la crédibilité, des représentations positives que de s’exprimer dans un langage correct, peut-être afin de ne pas donner encore plus de grain à moudre aux détracteurs de romances et de leur lectorat. Pour les néologismes, ainsi que pour les verbes principalement issus du langage oral qui passent dans la langue écrite (et c’est souvent le cas avec les forums), nous souhaitons évoquer le cas du verbe kiffer employé dans un premier temps uniquement dans sa forme orale, puis utilisé régulièrement dans les forums, comme un verbe du premier groupe. Nous avons dû l’intégrer au dictionnaire, car il est de plus en plus usité pour exprimer l’appréciation, en remplacement d’aimer, adorer, raffoler, apprécier, se passionner, affectionner, admirer… Sa présence n’est donc pas à négliger.

Beaucoup de possibilités s’offrent au chercheur avec les outils d’analyse automatique appliqués au web, cependant il est important de prendre en compte, et ce systématiquement, un retour au contexte, seul garant de la bonne interprétation des données.

Bibliographie

Berthelot J.-M., Les vertus de l’incertitude, PUF, Essais Débats, 1996.

Bigey M., « Discorde et règlements de compte autour du romanesque sentimental : une analyse de blogs », Les blogs, écritures d’un nouveau genre ?, Itinéraires LTC, Paris, L’Harmattan, 2010-2.

Gross M., Méthodes en syntaxe : régime des constructions complétives, Paris, Hermann, 1975.

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Références

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