A4
revue accueillante
Editeur Gilles F. Jobinconviviale et cordiale
Chêtre 19, 2800 Delémontenvoyée sur demande No 0,19 décembre 2019 lit tous les textes reçus
Le poème n’y a vu que des mots
Tel est le titre d’un livre de James Sacré paru aux éditions L’idée bleue en 2007. C’est aussi le thème d’écriture proposé à des créateurs et des créatrices pour les cinq ans d’existence de la microrevue A4.
Leur inventivité s’est déployée en des formes variées au gré de la liberté que les unes et les autres se sont donnée. Vu la somme des envois, leur parution se poursuivra en mars et juin en 2020.
Un très grand merci aux auteures et auteurs pour la générosité de leur contribution à la réussite de ce travail en commun.
Vous qui recevez ce numéro spécial, vous aurez sans conteste le plaisir de découvrir ce qu’ont écrit Tiphaine Allemann, A.B., Philippe Berger, Patricia Crelier, Françoise Delorme
Léonie Dobler, Anouk Dunant Gonzenbach, Patrice Duret, Michèle Fändrich Colette Fleury, Claudine Gaetzi, Nathalie Garbely, Huguette Junod, Jonas Kocher
Jo(sette) Pellet, Laura Maxwell Scherrer, Cesare Mongodi, Denise Mützenberg Walter Rosselli, Martine Ruchat, Isabelle Sbrissa, Dominique Vallée, Philippe Verlooven
et peut-être quelques autres qui auront bientôt envie de se joindre à ce partage.
Poesia persa e chattada darcheu Poésie perdue et retrouvée Davomezdi aint illa muntogna Cet après-midi dans la montagne Vaina dudi ün fich curius utschè Nous avons entendu un curieux oiseau El chantaiv’ ün’ aigna melodia Il chantait une mélodie singulière
Chi tunaiva rumantsch, eu n’sa perche Qui sonnait romanche, je n’sais pourquoi El favaiva sainza fin : spiz, spaz, spöz… Il faisait sans fin : spiz, spaz, spöz…
D
’eira il principi d’ün pled, ün sböz C
’était le commencement d
’un mot
,une esquisse Eu m’impiss cha’ls prezius antenats Je pense que les précieux anciens
Tadlond quista chanzun misteriusa Entendant cette chanson mystérieuse Han inventà lur vierv müravgliusa Ont inventé leur langue merveilleuse Il bel rumantsch da nossas tarablas Le beau romanche de nos contes de fées
Denise Mützenberg
Poète, éditrice – Le Grand-Saconnex
que des mots, ou même pas, des sons qui sortiraient, qui iraient, mais iraient où, iraient comment, invisibles ils m’envelopperaient, me traverseraient, me rempliraient, ça existerait, ça serait audible, on distinguerait une rumeur, une vague mélodie, et aussi une sorte de cliquetis de pattes d’oiseau sur une plaque de métal rouillé, on ne sait pas pourquoi on penserait à un oiseau, peut-être à cause de la fragilité du squelette des oiseaux, je n’ai jamais entendu un oiseau respirer, il faudrait que dans le poème il n’y ait pas que des mots, mais aussi la trace d’une expérience, même d’une expérience que je n’ai pas vécue, comme entendre un oiseau respirer
Claudine Gaetzi Autrice, éditrice, rédactrice à Viceversa - Orbe
Mouette, récitatif (x 74) Mouette est un mot Mouette est un nom Mouette un concept Mouette dans Larousse Mouette dans le ciel Mouette dans la brousse Mouette à tête blanche Mouette argentée Mouette à col noir Mouette pas colvert Mouette dans la brume Mouette dans les songes Mouette le matin
Mouette au réveil Mouette est laurelle Mouette est obscure Mouette est andine Mouette est relique Mouette est criarde Mouette est colique Mouette célinienne
Mouette radoteuse Message naufrage
Mouette lacanienne
Mouette sibylline Il me manque les mots
Mouette si petite ceux qui servent à dire des choses
Mouette pygmalienne à s’exprimer
Mouette la rieuse j’ai perdu les codes d’accès
Mouette lagaffienne je bafouille dans ma langue maternelle
Mouette la liseuse vous êtes dans l’excès
Mouette la marquise du verbe superbe
Mouette tamponneuse du dire moderne
Mouette forte queue du jour de tous les mondes
Mouette est fourchue je façonne
Mouette est membrane un lexique
Mouette est sournoise que j’essaie de comprendre
Mouette est plumette je perds mes phrases
Mouette atricille le long du chemin de ma gorge
Mouette scopuline je les sème
Mouette pélicane sans le vouloir
Mouette est si rose de ma bouche
Mouette tend son bec elles tombent
Mouette au contact pour ne pas fleurir
Mouette mon amie sur le sol
Mouette mon Eros elles sont mes gestes muets
Mouette dans la glace parfois
Mouette nous observe je marche dessus
Mouette nous agace trébuche
Mouette tombe à l'eau j’entends le frottement
Mouette mouille sa robe de l’impact lent
Mouette dans la bise je suspecte
Mouette dans le port vos mots
Mouette sur le phare d’écorcher mes pensées
Mouette sur le chat j’entends vos proverbes
Mouette est racaille mais ne les comprends pas
Mouette est crachat j’esquisse de fragiles réponses
Mouette arroseuse qui s’envolent vers des abîmes
Mouette sous la pluie
Mouette arrosée Tiphaine Allemann
Mouette monte au mât Graphiste - Delémont Mouette monte au front
Mouette monte d'un cran Mouette s'encanaille Mouette s'enflibuste Mouette broie du noir Mouette en soutane Mouette rompt le pain Mouette prend un bain Mouette au sauna Mouette aux graviers Mouette aux rochers Mouette dans la soute Mouette sur le toit Mouette sur le doigt Mouette ça fait ouille Patrice Duret
Poète, bibliothécaire - Genève
haïku inversé
le silence est le poème le plus court qui soit mais aussi le plus intense Walter Rosselli
Poète, traducteur - Montreux
Images d’elles L’image n’offrait rien de ce que j’avais vécu avec elle
Rien ne ressemblait aux souvenirs d’elle pourtant J’avais devant les yeux une autre personne qu’elle Son prénom était bien écrit avec une flèche pourtant L’image révélée ne renvoyait à rien d’elle
Rien d’autre n’était écrit pourtant
Radieuse son plaisir devenait le mien grâce à elle Enterré dans les souvenirs il se métamorphosait pourtant Il n’y avait que le sien et le mien rien d’autre.
Une seconde fois L’image n’offrait rien de ce que j’avais vécu pourtant
Rien ne ressemblait aux souvenirs d’elle
J’avais devant les yeux une autre personne pourtant Son prénom était bien écrit avec une flèche vers elle L’image révélée ne renvoyait à rien pourtant
Rien d’autre n’était écrit avec elle
Radieuse son plaisir devenait le mien pourtant
Enterré dans les souvenirs il se métamorphosait par elle Il n’y avait que le sien et le mien rien d’autre.
Martine Ruchat Auteure - Genève
Poème, tu n’y as vu que des mots, tandis que la terre n’y voyait que du feu.
Quand Ouranos, son fils indigne, couronné d’étoiles maudites, accroché à ses hanches épuisées, enfantait son ventre chaque nuit, lui donnant des fils qu’il dévorait au berceau.
Ouranos, comme des milliards d’humains, a baisé sa mère dans sa généreuse poitrine et elle n’y a vu que du feu.
De cet acte insigne dégénéré et répété, elle n’a même pas poussé un cri.
Ses enfants gorgés d’orgueil, accrochés à son sein, ignoraient qu’ils tétaient avidement le lait qu’ils avaient eux-mêmes pollué.
Ces fils orgueilleux ont lancé des étoiles maudites dans les lacs turquoise de leur mère. Inconscients, ils ont assombri leur propre ciel, leurs océans et leurs lacs.
Ils sont des coloristes chaotiques qui ont déversé du noir charbon dans ses vagues bleues. Car Gaia avait des lacs aux reflets sauvages, aux teintes émeraude.
Après la curée, les fils indignes retourneront dans cette béance originelle qu’on appelle le chaos.
Gaia n’y aura vu que du feu et le poème que des mots.
Laura Maxwell Scherrer Auteure - Vésenaz
et viendront d’autres textes et poèmes en mars et en juin 2020