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Texte intégral

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Livresi

Des outils d’analyse de la société

Deux livres viennent apporter leurs contributions pour définir les concepts permettant de comprendre les struc- turations de nos sociétés.

Le premier traite des « Rap- ports sociaux de classes ». Alain Bihr part des travaux de Marx pour intégrer les recherches des sciences sociales – notam- ment celles de Bourdieu – tout en indiquant leurs limites. Il part de cette architecture objective des classes sociales autour des rapports de production pour aller vers des défini- tions subjectives des classes qui exis- tent dans le cadre de la lutte des classes. Via les rapports sociaux – les manières d’être, de se façonner des classes sociales –, il traite à la fois de l’État, des partis politiques, de l’éman- cipation, des relations internationales – le concept de nation – et de l’auto- nomie relative de ces rapports pour éviter tout déterminisme, tout mes- sianisme. La conclusion ouvre de nou- veaux débats sur le concept même de sujet de la lutte des classes. Une façon d’aborder une double crise vécue par le mouvement ouvrier depuis la chute du Mur de Berlin – au moins – une crise du sujet justement, la classe ouvrière semble s’être éva- nouie et une crise de projet, comment transcender les classes pour ouvrir la porte à la fin des classes sociales ? Un petit livre qui traite des sujets importants pour le monde syndical.

Les rapports sociaux de classes, Alain Bihr, éditions Page deux, collection Empreinte, 142 p.

Le deuxième s’inscrit dans la même logique, construire des concepts pour « voir » la société. Son point de départ : les inégalités hommes/femmes.

Elles perdurent dans notre société comme le montre le dernier rapport de l’INSEE « Regards sur la parité ». Pourquoi ? À quoi font-elles référence ? Se poser cette question c’est refaire tout en chemin, celui de la construction de concepts nouveaux dans les sciences sociales dû à la fois aux combats féministes et aux fémi- nistes qui avaient besoin d’un cadre théorique original. Roland Pfefferkorn passe en revue les différentes théori- sations qui permettent de rompre avec le « naturalisme » pour aboutir à la construction sociale du « sexe ».

« Le deuxième sexe » de Simone de Beauvoir publié juste après la Seconde Guerre mondiale avait inauguré cette voie pour aboutir au concept de

« genre » qui, avec toutes ses limites, a permis de renouveler les études sur

Les peuples victimes de cette politique manifestent claire- ment le rejet de l’austérité par des luttes sociales répétées (grèves générales, manifesta- tions, occupations de places publiques). Les élections en Grèce et en France confirment ce rejet. Dans de nombreux pays, les élections partielles ou locales montrent que les gouvernements sont en difficulté.

Austérité sans fin

Pour les peuples les plus touchés, l’austérité c’est concrètement une baisse du niveau de vie, le déman- télement des services publics, de la santé, de l’éducation et de la protection sociale, la remise en cause des droits des salariés et de la négociation collective.

L’austérité paraît sans fin, à peine les précédentes mesures sont mises en œuvre que d’autres sont annoncées. Les luttes continuent, mais elles apparaissent aussi sans fin. Ces peuples ont besoin de perspectives. Les syndicats atten- dent des manifestations concrètes de solidarité et surtout une autre orientation de la politique euro- péenne.

En Allemagne, l’opinion publique apparaît majoritairement acquise à l’idée que la crise est due aux peuples « dépensiers » du Sud, que les autres pays européens doi- vent mener une politique d’aus- térité budgétaire et salariale, comme l’Allemagne l’a fait depuis 10 ans, pour devenir com- pétitifs. Sans mettre en cause les régles de fonctionnement de la

zone euro, dont l’Allemage est aujourd’hui le principal bénéfi- ciaire.

Initiatives

Cependant, les lignes bougent comme le montrent les récentes élections régionales. Le syndica- lisme est divisé, entre les syndicats de l’industrie, sous influence de l’opinion dominante, et les syndi- cats de services (Verdi) qui défen- dent des salariés précarisés et mal rémunérés. La participation de la GEW, le syndicat des enseignants, à la manifestation de Francort du 19 mai, est significative de cette opposition à l’austérité.

Une pétition intitulée « Refonder l’Europe, Stopper la marche vers la catastrophe, Maîtriser la crise

par la solidarité et la démocra- tie » circule à l’initiative de syn- dicalistes allemands et du phi- losophe Habermas.

La manifestation de Francfort, à laquelle participent le SNES et la FSU, a pour premier objectif de susciter le débat en Allemagne.

Altersummit

La CES a pour la première fois pris position contre un traité européen, celui qui, soumis à rati- fication, organise une austérité durable en Europe.

La FSU participe au processus de la Joint Social Conference (http://www.jointsocialconfe rence.eu/) qui, réunie au siège de la CES à Bruxelles fin mars, ras- semble des syndicats et des asso- ciations issues du Forum social européen. Cette réunion a permis de constater que les points de vue sur les solutions altenatives se sont beaucoup rapprochés, mais qu’il manque au mouvement social un rapport de forces au niveau européen. À court terme, il faut un événement visible et rassemblant les forces les plus larges possibles. C’est pourquoi l’organisation d’un « Altersum- mit » pour une autre Europe est envisagée à l’automne.

Daniel Rallet

EUROPE

La mobilisation s’organise

Une situation nouvelle s’ouvre en Europe. Comme attendu, l’austérité a sécrété son propre échec en alimentant les déficits publics qu’elle est censée combattre.

18-US MAGAZINE- Supplément au no720 du 26 avril 2012

©Thierry Nectoux

©Macky_ch / Fotolia.com

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le sujet. Il a été récupéré par les Ins- titutions qui l’ont « vidé » de tout contenu pour éviter de traiter de la division sexuelle du travail. Du coup, l’auteur propose, dans la suite logique des réflexions d’Alain Bihr, un nou- veau concept, celui de « rapports sociaux de sexe » permettant de lier toutes les luttes pour l’émancipation.

La sociologie est aussi un sport de combat ! Nicolas Béniès

Genres et rapports sociaux de sexe, Roland Pfefferkorn, éditions Page deux, collection Empreinte, Lausanne, 2012, 139 p.

Radiographie des policiers...

et des Républiques

Christian Chevandier, profes- seur d’histoire contemporaine, a voulu analyser la place des Policiers dans la ville. Naissance d’un corps, modalités d’exis- tence, carrière, structure de la profession, relation avec la, population, comment réussir à être gardien de la paix… quelques ques- tions qui sont traitées au fil de ce gros volume. Un travail original qui s’appuie sur une documentation faite d’études sociologiques, de déclaration des chefs d’État, des analyses d’auteurs anar- chistes, des archives… Pour arriver à la définition d’une identité spécifique – et en construction – forgée dans les crises que les Républiques succes- sives ont traversées, celle des années 30 – intéressante à rappeler par rapport au contexte actuel de remise en cause des libertés démo- cratiques –, celles de la collaboration pendant le Régime de Vichy, de la Guerre d’Algérie, de Mai 68… Pour sor- tir de tous les clichés sur les forces de police confrontées elles aussi à la cul- ture du résultat et à la RGPP, comme à une hiérarchie forcément tatillonne et à la privatisation. Quelques clés pour comprendre aussi la construction de syndicats plutôt de droite révélant les failles de cette République. N. B.

Policiers dans la ville, C. Chevandier, Folio/Histoire, inédit, 1003 p.

Connaître les États-Unis

La construction des États-Unis d’Amérique a connu un mo- ment-clé, un moment de fon- dation. La guerre de sécession, que les Américains appellent la « guerre civile » – dans tous les sens du terme – qui a duré de 1861 à 1865 a laissé des traces dans la « mémoire collec- tive » de même que dans les « lieux de mémoire ». Les références à cette guerre restent aujourd’hui encore très présentes. Les discours d’Abraham Lincoln sont enseignés aux élèves des

Un temps, un vent d’optimisme a soufflé. Enfin, la BCE comprenait que, devant la profondeur de la crise, de la réces- sion, il était nécessaire de rompre avec la politique d’austérité, de baisse des dépenses publiques. Les deux pactes devenaient contradic- toires, apparemment du moins. La renégociation de ce fameux TSCG semblait à portée de main. Même Angela Merkel changeait aussi son discours.

Aggravation sociale, économique et financière

La relance de l’économie, au niveau des pays de l’Union Euro- péenne et particulièrement de la zone euro devenue l’épicentre de la crise actuelle, est urgente pour éviter les conséquences sociales, écologiques catastrophiques de la profonde récession qui menace.

Le choc de la crise est désormais aggravé par la baisse des dépenses publiques qui a déstructuré les services publics et la protection sociale, comme par la baisse du coût du travail. Un effet de syner- gie qui se traduit par une baisse du marché final de plus en plus pro- fonde. Les salaires se sont res- serrés autour du SMIC, la préca- risation continue de progresser ainsi que le nombre de travailleurs pauvres. Le chômage est à la hausse – et cette hausse se pour- suivra – en fonction des restruc- turations des entreprises et les plans sociaux sont en cours dans tous les secteurs, de l’industrie à la grande distribution en passant par la banque et la finance. La crise financière continue, quant à elle, d’exercer ses effets. Les grandes banques sont menacées de faillite. La quatrième banque espagnole, « Bankia », a été natio- nalisée par le gouvernement de droite pour socialiser les pertes tandis que le Crédit Agricole essaie de se débarrasser de sa filiale grecque « Emporiki » et que les autres grandes banques de la zone euro ont perdu une grande partie de leur valeur bour- sière. La BCE, devant l’ampleur

de cette faillite annoncée, a décidé de leur prêter, à 1%, plus de 1 000 milliards d’euros pour leur éviter de disparaître. D’ores et déjà, la BCE ne respecte plus les termes des traités. Mais aucun gouvernement n’envisage, pour le moment, de les revoir pour transformer la fonction de la BCE et la faire accéder à cette respon- sabilité nécessaire de prêteur en dernier ressort. Hollande propose une banque publique et Merkel de donner plus d’importance à la banque européenne d’investisse- ment...

Quand l’austérité alimente la récession

Pourtant, Mario Draghi avait été mal compris. La relance passera, a-t-il déclaré le 3 mai, par des mesures comme « faciliter les activités des entrepreneurs » pour créer « de nouvelles entreprises [...] et des emplois » par l’ac- croissement de la flexibilité, de la mobilité et « la justice sur le mar- ché du travail » (sic !) tout en réduisant les dépenses publiques.

Autrement dit, il faut selon lui déstructurer totalement le droit du travail, supprimer toutes les garanties collectives et la pro-

tection sociale pour intensifier le travail, en baisser le coût et permettre l’augmentation du pro- fit et la compétitivité... avec le danger d’une récession se trans- formant en dépression. Le

« pacte de croissance » ainsi compris dissimule un arsenal de mesures d’attaque contre tous les salariés, ayant un emploi ou non, public et privé confondus.

Les mots perdent de leur sens lorsque relance veut dire austé- rité ! Une manière de reconnaître l’absence de légitimité de la poli- tique d’austérité.

Pour une véritable relance

La situation en Grèce indique clai- rement que cette politique ne peut ni résoudre ni l’endettement public – qui ne peut que progresser pour sauver les banques – ni combattre la récession qui s’installe, accen- tuée par la politique d’austérité drastique imposée par la troïka, BCE, Commission européenne, FMI. Y compris en Allemagne, les résultats du land de RW mon- trent que la politique de la chan- celière est contestée. Une véri- table relance s’impose donc pour faire reculer l’austérité. ■

Nicolas Béniès

DICTIONNAIRE

Relance Draghi : un leurre ?

Mario Draghi, le président de la BCE, a proposé un « pacte de croissance » pour

compléter le « pacte budgétaire » qui fixe désormais l’objectif de 0,5 % de déficits publics par rapport au PIB au lieu des 3 % du Traité de Maastricht.

Supplément au no720 du 26 avril 2012 -US MAGAZINE- 19

Suite page 20 ➤➤➤

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RÉENCLENCHER LA MACHINE

Quelle politique économique et fiscale pour les prochains mois ?

Chômage élevé, qui devrait encore s’alourdir avec l’an- nonce de plans sociaux dans les entreprises, salaires en berne et déficits publics en hausse, sont les cadeaux laissés par Nicolas Sarkozy à son successeur. Alors que la Commission fait déjà pres- sion par des annonces de crois- sance morose, le nouveau Prési- dent semble vouloir confirmer ses annonces de campagne.

Premières mesures

Certaines mesures veulent agir sur le pouvoir d’achat des ménages modestes, comme le relèvement de l’allocation de ren- trée scolaire de 25 % pour envi- ron trois millions de foyers. Le gel des prix de l’essence pendant trois mois serait également décidé en cas de hausse du baril. Et le nouveau Président devra impé- rativement revenir comme pro- mis sur la hausse de la TVA pré- vue en novembre, dénoncée fermement durant la campagne.

Un coup de pouce au smic serait également le bienvenu. Les écarts de salaires devraient être limités de 1 à 20 dans les entreprises publiques.

Pour financer la croissance, la réforme fiscale est l’arme majeure.

Elle sera présentée en Conseil des ministres dès les élections législa- tives passées, et votée avant la fin de la session extraordinaire au Par- lement (le 2 août). Les premières mesures pourraient entrer en vigueur rapidement, notamment le rétablissement de l’ISF : les hauts patrimoines n’auront pas le temps de profiter de la dernière réforme de l’ISF, car conformément à sa feuille de route, François Hollande entend la moduler dès le mois de juillet, ce qui devrait apporter 2,3 milliards d’euros à l’État. La modu- lation de l’impôt sur les sociétés selon la taille des entreprises (30 % ou 35 %), la révision de la réforme de la taxe professionnelle et la taxa- tion accrue des banques et des

compagnies pétrolières devraient s’appliquer dès cette année. Le pla- fonnement des niches fiscales à 10.000 euros par an et par ménage, la soumission des revenus du capi- tal au barème de l’impôt sur le revenu, la taxation à 75 % des reve- nus supérieurs à 1 million d’euros ne prendront effet qu’en 2013. La suppression de la loi TEPA et donc de la défiscalisation des heures sup- plémentaires devraient permettre de retrouver des recettes dont la politique de Sarkozy avait privé le budget de la nation et financer des créations d’emplois. Ces hausses d’impôt ciblées sur les plus hautes rémunérations et les entreprises qui font des profits ne pénaliseront pas l’activité, contrairement aux poncifs entendus sur le sujet, d’au- tant qu’il s’agit aussi de réorienter les financements, les aides publiques et les allégements fis- caux sur les entreprises qui inves- tissent en France et exportent.

L’emploi

Mais c’est aussi sur la relance de l’emploi que le Président devra très vite prendre des initiatives. À court terme, des contrats d’avenir massifs pourraient être créés dès septembre, notamment dans l’Éducation nationale, afin d’of- frir de premières possibilités aux jeunes. Au-delà du financement de contrats aidés (nouveau

« contrat de génération »), c’est la politique industrielle qui doit être une priorité. Les Régions devraient y avoir un rôle majeur dans l’accompagnement de l’innovation et le développement des PMI.

Emploi, salaires, protection sociale, services publics... il y a urgence à tourner la page du démantèlement, et à reconstruire en France et en Europe des poli- tiques sociales et économiques de développement dans le respect du devenir de la planète. ■

Élizabeth Labaye

20-US MAGAZINE- Supplément au no720 du 26 avril 2012

écoles et ils restent structurants des rapports sociaux et de la construc- tion de la nation. L’Etat fédéral se construit dans cette guerre. On ne sait pas suffisamment que beaucoup de membres de l’AIT, association inter- nationale des travailleurs – la Pre- mière Internationale – ont émigré aux États-Unis et ont combattu pour abo- lir l’esclavage. Marx a commenté cette guerre dans les journaux anglais et il a dressé, au nom de l’Internationale, des adresses à Lincoln. Cet ouvrage reprend des textes de Marx, de Lincoln et il bénéficie d’une (longue) intro- duction de Robin Blackburn pour appréhender le conflit lui-même au- delà de Autant en emporte le vent ou La case de l’Oncle Tom. N. B.

Une révolution inachevée. Sécession, guerre civile, esclavage et émancipation aux États-Unis, Karl Marx/Abraham Lincoln, introduction de R. Blackburn, Syllepse, 297 p.

Quel monde !

Alain Joxe propose une analyse du monde qui prend en compte toutes les dimensions de la crise systémique actuelle, écologique, financière, économique, poli- tique, militaire… pour mettre en garde contre les dangers qui nous guettent. Le plus important, la volonté des dirigeants – qu’ils soient politiques, économiques ou militaires – de bafouer toutes les libertés démocratiques pour asseoir un pouvoir délirant lié à un monde de la finance qui ne raisonne que par la spéculation. La « gouver- nance insécuritaire » remplace l’État protecteur, les guerres deviennent robotisées tout en produisant du spec- tacle, le terrorisme justifie de tous les comportements dictatoriaux. Le salut vient des résistances. Contre la finance mondiale, contre les dictatures et les dictateurs. « L’empire usuraire » est certes victorieux mais il est vulné- rable. L’impératif de la démocratie est inscrit dans ce monde qui ne connaît que la guerre mais des guerres sans victoire. Elles ont donc tendance à se perpétuer. Pour habituer les popula- tions à des conflits permanents qui justifient toutes les remises en cause de nos libertés fondamentales et conduit à des pertes de souveraineté à l’intérieur de l’OTAN. L’ONU n’est pas légitime et devrait être réformé pour le moins. La privatisation de la vio- lence laisse augurer d’un monde éclaté. La barbarie est à nos portes mais elle est plus invisible que dans les années 30. Une lecture salutaire même si quelques vœux pieux se tapissent ici ou là. N. B.

•Les guerres de l’empire global. Spécula- tions financières, Guerres robotiques, résis- tances démocratiques, A. Joxe, La Décou- verte, 261 p.

➤➤➤ Suite de la page 19

Le président François Hollande va devoir « réamorcer la pompe » du redressement économique dans une situation très dégradée par la crise de la zone euro et les politiques d’austérité menées à la hussarde.

©Kirill M/Fotolia.com

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DOSSIER

La justice méprisée

Supplément au no720 du 26 avril 2012 -US MAGAZINE- 21

La justice, comme toutes les missions de l’État, a subi les effets de la politique menée par Nicolas Sarkozy. C’est bien sûr les suppressions d’emplois, la réforme de la carte judiciaire dont le seul objectif affiché était les réductions budgétaires au prix d’une dégradation du fonctionnement de l’institution.

L

’objectif est de réduire le nombre de procédures, en même temps que l’accès libre et gratuit à la justice. Si le pouvoir a reculé sur la réforme particulièrement impopulaire de la suppression du juge d’instruction, il est resté dans une logique du tout répressif, instrumentalisant chaque fait divers tragique pour faire adopter des « lois de circonstances » sans le recul nécessaire à ce type de démarche.

Mais c’est aussi le mépris des plus hautes autorités gouvernementales que les personnels de justice ont dû aussi subir. Le mépris d’abord de l’indépendance de la justice, indépendance qui est une garantie essentielle dans toute démocratie, condition nécessaire à l’égalité de tous face à la justice. Les interventions n’ont pas cessé, dans des affaires que nous avons tous en tête et pour les nominations, souvent au mépris des avis du Conseil supérieur de la magistrature. Les magistrats n’ont pas échappé à la démarche qui voulait faire d’eux des acteurs serviles de la politique gouvernementale. Les promotions étaient trop souvent la récompense de cette servilité plutôt que celle du mérite et de la valeur professionnelle que pourtant le pouvoir prétendait promouvoir.

Même les avocats n’ont pas été épargnés... Désormais les anciens ministres auraient la possibilité de devenir avocats sans aucune condition, oubliant que le métier d’avocat, c’est comme le métier d’enseignant... cela s’apprend. C’est une injure pour ceux qui l’exercent que de laisser penser qu’il est possible de l’exercer sans formation.

Si l’Éducation nationale est à reconstruire, ce dossier montre que la justice l’est aussi.

©Philippe Bonnarme

©Squidmediaro/Istockphoto.com©Mstay/Istockphoto.com ©Philippe Bonnarme©Philippe Bonnarme

Dossier coordonné par Carole Condat, Catherine Gourbier et Daniel Robin ; réalisé par Marylène Cahouet, Catherine Gourbier, Matthieu Niango et Marcello Rotolo

©Philippe Bonnarme

La

nécessaire indépendance

du pouvoir judiciaire

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22-US MAGAZINE- Supplément au no720 du 26 avril 2012 DOSSIER Magistrature assise, magistrature debout

Vers la mort du juge d’instruction ?

Les juges peuvent être juge d’instruction, juge des enfants, juge d’application des peines, juge d’instance, vice-président et président du Tribunal de Grande Instance (TGI), conseiller et président de la Cour d’Appel, voire auditeur, conseiller et président de la Cour de Cassation.

Manifester la vérité

Le juge d’instruction, désigné par le président du TGI, a pour mission de faire « tout acte utile à la manifestation de la vérité », il est saisi, soit par le parquet (voir supra), soit par les victimes qui se constituent partie civile.

Il ne peut donc pas s’autosaisir. Sachant que le parquet est subordonné au ministre de la Justice et que pour certaines infractions les victimes ne sont pas connues il y a donc des affaires qui vont lui échapper. Il n’in- tervient que pour des affaires pénales com- plexes soit environ 10 % des infractions pénales constatées. Le juge d’instruction depuis la loi du 15 juin 2000 doit demander au juge des libertés et de la détention le placement d’un suspect en détention pro- visoire. Il dispose néanmoins de pouvoirs

d’enquêtes extrêmement étendus : audi- tions, comparutions au besoin avec le concours de la force publique, désignations d’experts, perquisitions, réquisitions, sai- sies... Il instruit à « charge et à décharge » (article 81 du Code de Procédure Pénale), ce qui est à l’opposé du système accusatoire anglo-saxon, son but est de faire éclater la

vérité et non de prouver obligatoirement la culpabilité du « mis en examen ». Il est libre d’enquêter comme il l’entend.

Une liberté qui dérange

Cette liberté dérange, en 2009, N. Sarkozy propose de supprimer le juge d’instruction, Le Comité qu’il met en place reprend cette proposition, les pouvoirs du juge étant trans- mis au parquet, lequel resterait soumis au ministre de la Justice. L’indépendance des juges, si une telle mesure était adoptée, ne sera plus qu’un lointain souvenir. Devant le tollé soulevé, le projet est abandonné en 2010. Les juges d’instruction instruisant des affaires dérangeantes pour le pouvoir en place, une mort douce est programmée par restrictions : voilà ce que dit David de Fas, juge d’instruction à Nîmes et représentant syndical dans l’édition du Midi Libre du 19 avril 2012 : « Le gouvernement actuel a échoué dans sa volonté de supprimer le juge d’instruction en raison notamment d’une forte hostilité de la population, mais il sem- blerait qu’il ait décidé de les asphyxier » (en ne remplaçant pas les départs).

Plus que jamais la vigilance s’impose envers toutes réformes qui porteraient atteinte à l’in- dépendance de la justice : à cet égard, le rôle du juge d’instruction est emblématique. Il y a deux catégories de magistrats : assis (dit du siège) et debout (dit du parquet). Les magistrats assis sont les juges car ils rendent la justice « assis ». Lors des procès, ils conduisent les débats et prennent les décisions. Ils sont théoriquement

indépendants de leur hiérarchie et représentent 75 % des effectifs. Leur inamovibilité est gage de leur indépendance et de leur impartialité. Les magistrats debout prennent la parole debout, lors des procès, ils représentent et défendent les intérêts

de la société, ils sont subordonnés à la hiérarchie et au ministre de la Justice, ils ne sont pas inamovibles.

Réforme de la carte judiciaire

Engagée en 2007 « afin d’éviter la dispersion des hommes ou des moyens susceptibles d’assurer la continuité du service judiciaire » la réforme de la carte judiciaire est achevée en 2010.

2007-2010

La contestation du monde judiciaire est forte face à une réforme menée au pas de charge et sans concertation. Les magistrats sont en grève dès le 29 novembre 2007.

29/11/2007 17

Dix-sept tribunaux de grande instance (TGI) ont été fermés. Il s’agit des TGI de Marmande, Abbeville, Saumur, Dole, Lure, Avranches, Hazebrouck, Tulle, Montbrison, Saint-Dié, Rochefort, Dinan, Guingamp, Morlaix, Riom, Bernays et Saint-Gaudens.

La France compte 819 juridictions contre 1 206 avant la réforme. 401 juridictions ont été fusionnées avec une juridiction voisine.

819

Son but est de faire éclater la vérité

et non de prouver obligatoirement la culpabilité de l’accusé

Une mort douce est programmée par restrictions

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23-US MAGAZINE- Supplément au no720 du 26 avril 2012

Institués en 1806, les conseils de prud’hommes sont les « juges du droit du travail », autrement dit, ils ont compétence pour les litiges entre employeurs et salariés. Les conseillers élus par les salariés et les employeurs sont issus du monde du travail.

C

ette institution a toujours été regardée comme un exemple de bonne admi- nistration de la justice. Par nature, le conseil des prud’hommes cherche d’abord à concilier les parties, juge assez rapidement, et se prononce très souvent en faveur du salarié.

Son coût est peu élevé, puisque les conseillers ne perçoivent pas de traitement, et sont prati- quement bénévoles, même s’ils bénéficient de mesures leur permettant d’exercer libre- ment leur mandat. En somme seuls les frais de fonctionnement liés aux greffes et aux locaux en constituent le coût réel.

Conséquences graves

Mais sous la pression inavouée du patronat, le gouvernement depuis 2007 organise l’as- phyxie de la justice prud’homale.

En cinq ans, 61 conseils des prud’hommes ont été supprimés. Les conséquences sont graves : la centralisation des dossiers et le manque de greffiers entraînent une explosion

des délais d’instruction des affaires (on passe de six mois à deux ans), et dans certains cas ce retard affecte même la notification des juge- ments(1), empêchant les salariés de faire valoir leurs droits. À cela s’ajoute la nouvelle « pré- détermination » du temps d’activité du juge, sans prise en compte des spécificités de chaque dossier. Les conseillers sont ainsi inévitable- ment submergés. Cette forfaitisation a minima

méprise la qualité des décisions et l’égalité de traitement entre les différentes juridictions.

Décourager le salarié

En amont de la saisine du juge, la nouvelle organisation cherche à décourager le salarié.

Les frais de déplacements liés à la suppres- sion des conseils de prud’hommes de proxi- mité et l’atteinte au principe de la gratuité de l’accès à la justice (obligation d’un timbre fiscal de 35 euros : plus de 95 % des deman- deurs à l’instance sont des salariés), sont des obstacles majeurs pour ces derniers, le plus souvent privés d’emploi et de salaire.

D’autres projets de réforme sont en cours, préconisant de nouvelles atteintes graves sur le fonctionnement paritaire, l’oralité des débats, et la remise en cause de l’élection des conseillers au suffrage universel. L’ensemble cherche à complexifier la procédure aux fins que les salariés ne puissent se passer des services d’un avocat dont le coût en décou- ragera certains.

La justice prud’homale est donc peu à peu asphyxiée et mise au pas, pour protéger les principaux bénéficiaires : des employeurs peu scrupuleux.

(1) Par exemple, au conseil des prud’hommes de Compiègne, 800 dossiers sont en attente, alors que cette juridiction n’est capable de traiter que 300 dos- siers par an. En outre, 140 jugements n’ont pas été notifiés. Le Parisien, 16 février 2012

Plus de 1 800 agents ont été concernés par la réforme. Ils devaient bénéficier d’un plan d’accompagnement social.

Plus de 1 800

Le rapport parlementaire sur le budget de la justice pour 2011 évalue à 427 millions d’euros le seul coût des investissements immobiliers liés à la réforme de la carte judiciaire.

427millions d’euros

314 postes de fonctionnaires du ministère de la Justice ont été supprimés en 2010 alors que l’activité judiciaire s’accroît.

314

Il faut désormais 4 heures aux habitants de Haute-Corrèze (Bort, Ussel) pour l’aller-retour au tribunal de grande instance de Brive dont ils dépendent.

4 heures

Le ministère de la Justice a reconnu que le délai moyen de traitement des affaires civiles s’était dégradé.

Ainsi à Libourne, le délai moyen de traitement des dossiers est de 6,7 mois.

6,7 mois

Réformes

Les conseils des Prud’hommes asphyxiés !

Jury populaire

« La justice » a diverses approches : longtemps il n’y a eu que la pénale, qui punit les méchants, et la civile, qui donne raison à l’un ou l’autre. En France, la Révolution a fait passer le pouvoir du juge, symbolisé par Saint-Louis sous son chêne, sous le pouvoir de la loi, que le juge doit appliquer.

Elle pouvait cependant être qualifiée de justice de classe. Guizot disait qu’il n’y avait pas de meilleurs défenseurs de la propriété que les propriétaires eux-mêmes. Il a fallu être moins manichéen quand le patrimoine mondial s’est enrichi de principes fondamentaux tels que le «droit à un procès régu- lier», que sous l’explosion de la demande, la fonction judiciaire est devenue service public, et que l’origine sociale des juges s’est diversifiée.

Sont apparues les juridictions modernes prud’homale et administrative, et la pratique et la jurisprudence des tribunaux ont évolué, telle qu’annoncée par le célèbre « bon juge de Château-Thierry », et illus- trée maintenant par des procédures qui sévissent jusque dans les allées du pouvoir.

Mais cela fait que la crise de société se traduit aussi par une crise de la justice.

D’abord le coup de frein : l’introduction des jurys populaires, pour privilégier le primitivisme sécu- ritaire sur le droit protecteur, et la menace sur le juge d’instruction, obstacle à la toute-puissance du pouvoir politique par le bras du procureur.

Et puis le sort de tous les services publics : le manque de moyens entraînant lenteur des procédures, mutilation du débat, alourdissement bureaucratique des procédures, avec de surcroît l’abolition de la conquête qu’avait été sa gratuité, par l’exigence d’une taxe de 35 euros sur toutes les demandes et de 150 euros pour les appels, le tout pour dissuader d’y recourir. À politique de rigueur, justice de rigueur... donc en perte de rigueur. Roland Weyl, avocat à la Cour, cabinet Weyl-Porcheron

D’autres projets de réforme sont en cours, préconisant de nouvelles atteintes graves sur le fonctionnement

paritaire

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24-US MAGAZINE- Supplément au no720 du 26 avril 2012 DOSSIER Jeunesse

Mort annoncée de la justice des mineurs

Ce n’est pas un scoop : l’ordonnance de 1945 concernant la justice des mineurs ne cesse d’être remise en cause depuis une dizaine d’années.

Elle est le fruit d’une longue histoire.

En 1810, la responsabilité pénale est à 16 ans. Elle passe à 18 ans en 1908. La loi de 1912 instaure les tribunaux pour enfants ainsi que la liberté surveillée. Les moins de treize ans ne peuvent être condam- nés car ils bénéficient d’une présomption absolue d’irresponsabilité. Progressivement aussi, l’idée s’affirme que tout jeune est édu- cable et rééducable. L’ordonnance de 1945 reconnaît la spécificité de la délinquance des mineurs et la nécessité de la prendre en charge positivement : « La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains », proclame son préambule.

Un être en devenir

Le jeune n’est pas un adulte en miniature mais un être en devenir, pris en charge par des professionnels tels que des éducateurs ou des assistants sociaux. Des juridictions spécifiques sont créées comme les tribu- naux pour enfants. Priorité est donnée à l’éducatif : le jeune qui doit avant tout être protégé, y compris de lui-même, bénéficie de mesures éducatives. C’est le sens aussi de

l’ordonnance de 1958 relative à la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger qui prévoit notamment l’intervention pré- ventive du juge pour enfants et la mise en œuvre de mesures éducatives au bénéfice du jeune dont la santé, la moralité, l’éduca- tion ou encore la sécurité sont menacées.

Premier durcissement pénal vers les années

1980. Les mesures répressives se multiplient au détriment des mesures préventives et édu- catives alors que le budget de la Protection Judiciaire pour la Jeunesse (PJJ) voit son budget éducatif diminuer. Les années les plus fortes se font sentir avec la loi Perben de 2002 avec notamment la généralisation de l’incarcération à partir de 13 ans dans les Établissements Pénitentiaires pour Mineurs, ou les Centres Éducatifs Fermés. Le juge pour enfants voit son rôle diminuer au profit du parquet. La loi LOPSI 2, en 2007, aggrave cette politique : baisse de la responsabilité pénale à 10 ans, comparution immédiate, suppression de l’excuse de minorité, généra- lisation des peines planchers aux 16 ans.

Dangereux glissement

En 2011, la loi supprime de fait ce qui restait de la spécificité de la justice des mineurs en opé- rant un dangereux glissement vers la justice des adultes, notamment par la création d’un tribu- nal correctionnel pour les récidivistes âgés de 16 à 18 ans dans lequel le juge pour enfant est en minorité, dispositif en parfaite contradiction avec le Comité des droits de l’enfant et la Convention internationale des droits de l’enfant signée par la France : « toute personne de moins de 18 ans ne doit ni être jugée comme des adultes ni par des tribunaux pour adultes ».

Les jeunes, certains jeunes : ennemis publics numéro un ?

Les mesures répressives se multiplient au détriment des mesures préventives et éducatives

Vocabulaire

Personnel de l’administration pénitentiaire qui intervient en prison et à l’extérieur. Il aide les magistrats à la prise de décision judiciaire et à la mise à exécution des décisions pénales. Il prépare la personne détenue à sa sortie et à sa réinsertion.

Juge des libertés

et de la détention (JLD)

Magistrat du siège du tribunal de grande instance, ayant rang de président ou de vice-président, désigné par le président de la juridiction. Créé par la loi du 15 juin 2000, ce juge possède diverses attributions en matière d’atteinte à la liberté individuelle.

L’US : Peux-tu nous décrire ton parcours et quel était ton métier lorsque tu as commencé à l’exercer ?

Je suis entrée par concours en 1982 à l’Éducation Surveillée (ancêtre de la PJJ : ndlr) et j’ai ensuite été formée pendant deux ans à L’École nationale de la PJJ. J’ai d’abord exercé en Foyer éducatif d’hébergement puis en unité éducative en milieu ouvert à Rouen, qui est toujours mon affectation actuelle.

En 1982, nous suivions à la fois les mesures d’assistance éducative (pré- vention) et les mesures pénales et judiciaires. L’engagement militant était fort, sous tendu par la confiance en l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs et le temps (parfois plusieurs années) donné pour concevoir le jeune dans sa globalité (relationnel, famille, école) et mettre en place des projets très individualisés.

L’US : Et le métier aujourd’hui ?

Il est radicalement différent, la prévention a disparu. Le temps du suivi des jeunes s’est considérablement raccourci en raison des procédures

rapides de jugement. On n’a plus le temps de déployer notre compétence, le flux des jeunes est continu, il faut afficher très vite qu’ils ne com- mettent plus de délits. Le travail n’est pas fait en profondeur, à cause aussi du manque d’autres professionnels dans les équipes (psycho- logues, assistantes sociales). Et pourtant il existe des mesures en attente dans certains services.

On devient plus des contrôleurs que des éducateurs et les jeunes nous perçoivent comme ça.

L’US : Tu es aussi syndicaliste, quels seraient les remèdes à cette situation ? Il nous faut du temps pour nouer des vraies relations avec les jeunes, des moyens ambitieux en éducateurs, psychologues et assistantes sociales (il n’y a plus de recrutement d’AS aujourd’hui). Il faut récupérer l’aspect prévention et les mesures de protection des jeunes.

On assiste à une perte de savoir-faire, nous sommes centrés sur des actes et non des individus. Cette situation engendre une vraie souffrance au tra- vail des éducateurs.

Trois questions à Maria Ines, éducatrice à la protection judicaire de la jeunesse et syndiquée au SNPES-PJJ(Syndicat national des personnels de L’éducation et du social PJJ)

Conseiller d’insertion et de probation (CEF)

© KeithBishop/Istockphoto.com

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Entre 2000 et 2010 la part du budget de la justice consacrée à l’administration péni- tentiaire est passée de 30 à 40 % (chiffres arrondis). Deux organes indépendants nous renseignent sur l’état des prisons en France : L’Observatoire International des Prisons (le dernier rapport date de décembre 2011) et le rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (le rapport sur 2011 a été rendu public en février 2012).

Que pointent-ils ? Surpopulation carcérale

Le taux de mortalité par suicide reste iden- tique depuis 2003 (14,6 pour 100 000 détenus soit 6 fois plus que pour les hommes libres).

La surpopulation carcérale est une réalité, les derniers chiffres du ministère de la Justice avec 67 171 détenus au 1eravril 2012 font état d’une augmentation de 4,7 % par an et d’un taux d’occupation de 117,3 %. La consé- quence directe est que le nombre de peines en attente a atteint 85 000. La loi votée en février 2012 prévoit d’augmenter le nombre de places de prison à hauteur de 80 000 à l’ho-

rizon 2017 (au lieu de moins de 58 000 aujourd’hui). Mais pour autant ce ne réglera ni le problème de traitement digne des déte- nus (pour lesquels la France est régulière- ment condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme), ni le problème des manques d’effectifs des surveillants (25 873 au 1erjanvier 2011 soit 2,6 détenus par sur- veillant alors que ce ratio est de 1,3 au Dane- mark par exemple : souvent un surveillant est seul sur une coursive, soit pour une centaine de détenus).

Traiter dignement

Le Contrôleur général a rappelé que dans un contexte sécuritaire les détenus sont traités non seulement en conséquence des actes commis mais surtout par rapport à leur dangerosité supposée, « si on traite les gens comme des bêtes fauves, elles deviennent des bêtes fauves. Alors si on ne traite pas dignement les personnes privées de liberté durant leur temps d’enfermement, dans quel état sortiront-elles ? ». La question contient malheureusement la réponse.

Quelle réinsertion après la prison ?

Le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), service de l’administra- tion pénitentiaire, a été créé en 1999, fusion entre les comités de probation et d’assis- tance aux libérés, nommé maintenant le milieu ouvert/hors détention, et les services sociaux éducatifs (SSE) qui concernent le milieu fermé des établissements péniten- tiaires. Il existe actuellement un peu moins de cent SPIP. Leurs missions sont définies par le code de procédure pénale et ont notamment pour but de favoriser la réin- sertion des personnes majeures, d’assurer le suivi des mesures judiciaires de milieu ouvert, de proposer aux magistrats des amé- nagements de peine, de prévenir les effets désocialisants de l’incarcération, de main- tenir les liens familiaux et sociaux de la per- sonne détenue, et d’aider les sortants de prison après avoir préparé leur retour à la vie libre. En milieu fermé, le SPIP assure le lien entre l’intérieur et l’extérieur. En milieu ouvert, il travaille avec les magistrats et les autorités locales.

Comme dans les autres services publics, la justice souffre des insuffisances budgétaires et des réformes imposées. En 2008, à plu- sieurs reprises, les personnels UGSP-CGT et SNEPAP-FSU appellent à se mobiliser contre un projet de réforme de la pénitentiaire. En 2011, face aux propos de Nicolas Sarkozy sur le laxisme de la justice, ce sont tous les corps de professionnels de la justice (dont les agents du SPIP) qui font grève dénonçant l’enlisement de la justice, la complexité crois- sante des lois et le manque de moyens. Par ailleurs, si la lutte contre la récidive fait l’ob- jet de discours politiques, c’est trop sou- vent pour justifier des mesures répressives.

Oui, « la lutte contre la récidive est un objec- tif essentiel » déclare le SNEPAP-FSU. « Elle doit (…) avoir comme objectif une réinté- gration citoyenne dans la société des per- sonnes. Elle repose sur une prise en charge qui nécessite entretiens individuels, travail interdisciplinaire. Mais cela impose que les personnels des SPIP, avant une formation renforcée, soient acteurs de leur métier et qu’on leur donne les moyens d’accomplir leurs missions. »

Si on traite les gens comme des bêtes fauves, elles

deviennent des bêtes fauves

25-US MAGAZINE- Supplément au no720 du 26 avril 2012

Défenseur de droits

Créé par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, le Défenseur des droits reprend les missions du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants, de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) et de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE). Il est nommé par décret pris en Conseil des ministres.

Peine plancher

Le concept de « peine plancher » n’est pas un terme juridique : il désigne la règle qui empêche le juge, dans certaines situations définies par la loi et dès lors que la culpabi- lité du prévenu ou de l’accusé est reconnue, de prononcer une peine dont le quantum serait inférieur à un seuil minimal.

Détention provisoire

Privation de liberté prononcée à titre excep- tionnel contre une personne mise en examen dès la phase d’instruction. Il s’agit d’une mesure grave, qui consiste à incarcérer une personne encore présumée innocente. C’est la raison pour laquelle elle est entourée de diverses garanties.

La place de la prison en France

Être emprisonné

pour quoi faire ?

Longtemps l’emprisonnement n’a pas été considéré comme une peine, ce n’était qu’un moment et un lieu d’attente du procès, et du châtiment. On ne connaît alors (au moins pour le droit laïque) que la prison préventive et non la prison répressive.

Il faut attendre le code pénal de 1791 pour que les peines d’emprisonnement figurent parmi l’échelle des peines encourues. La prison est depuis devenue la peine symbole de la répression pénale.

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26-US MAGAZINE- Supplément au no720 du 26 avril 2012 DOSSIER

L’US :Le Syndicat de la magistrature dénonce régulière- ment le manque de moyens de la Justice. Quelle est la situation actuelle ?

Matthieu Bonduelle :Catastrophique. Dans son dernier rapport (2010), la Commission européenne pour l’efficacité de la jus- tice classe la France au 37erang des États du Conseil de l’Eu- rope pour le budget alloué à sa justice. Pour le nombre de fonc- tionnaires, elle est 39esur 45. Elle compte deux fois moins de juges et trois fois moins de procureurs que ses voisins.

Cette fameuse question des « moyens », lassante à force de devoir être posée, est trop souvent dépouillée de sa dimension idéologique. Il s’agit pourtant de l’application à la justice – comme aux autres services publics – des principes néolibéraux du New Public Management, au cœur de la « réforme de l’État » entreprise dans les années 1990 et qui porte depuis 2007 le doux nom de « révision générale des politiques publiques ». Les conséquences en sont multiples : augmentation des délais de jugement, allongement des trajets imposés aux justiciables, explosion de la durée des audiences, non-paiement des heures supplémentaires des fonctionnaires, défense pénale toujours plus inégalitaire, peines exécutées tardivement, réduction de l’aide aux victimes, mesures socio-éducatives ineffectives...

L’US :Quelles ont été les conséquences de la réforme de la carte judiciaire ?

M. B. : Cette « réforme », entreprise en 2007, tient davantage du saccage, puisqu’elle a consisté à créer 14 juridictions et... à en sup- primer 401, dont plus d’un tiers des tribunaux d’instance (178 sur 473) qui traitent les contentieux de proximité (conflits locatifs, sur- endettement, tutelles...). Dans certaines régions, notamment en Bretagne, cette réforme « ni faite mais à faire » si j’ose dire a créé de véritables déserts judiciaires. Conséquences : on a éloigné la jus- tice du peuple ; on a déplacé des personnels dans des conditions sou- vent inacceptables et provoqué de la souffrance au travail ; on a gas- pillé de l’argent. Nous demandons depuis plusieurs années qu’une commission d’enquête parlementaire l’évalue, en vain. Mais nous savons que des juridictions flambant neuves ont été fermées, tan-

dis que d’autres, qui étaient hébergées gratuitement dans des locaux communaux, ont été transférées dans des préfabriqués loués très cher.

L’US :En quoi le quinquennat qui s’achève a-t-il particu- lièrement mis à mal l’indépendance de la justice ?

M. B. : On ne compte plus les petites phrases de responsables politiques, chef de l’État en tête, conspuant telle ou telle déci- sion judiciaire en violation de la séparation des pouvoirs. La ritournelle est connue : il n’y a pas de justice, vive le gouver- nement ! On ne peut davantage recenser ici les multiples mani- festations de la reprise en main des parquets par l’exécutif, qu’il s’agisse de contrôler la carrière des procureurs ou de pilo- ter les affaires sensibles. Mais le plus simple est encore de ligoter les magistrats avec des textes : loi du 9 mars 2004 pour asseoir l’autorité du garde des Sceaux sur les procureurs géné- raux, loi sur les « peines-planchers » du 10 août 2007 pour entra- ver la liberté d’appréciation des juges, réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 pour recomposer le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) à l’avantage de la majorité au pouvoir…

L’US :Le problème de l’indépendance semble structurel…

M. B. : En réalité, notre justice n’a jamais été indépendante, parce que le pouvoir politique n’a jamais voulu qu’elle le soit.

En gros, la carrière des procureurs dépend à 100 % du gouver- nement – puisque le CSM n’a pas le dernier mot – et celle des juges à 95 % – puisque c’est le garde des Sceaux qui a l’initia- tive de leur nomination.

L’US :Travaillant essentiellement seul, critique vis-à-vis de son administration, souffrant de manque de moyens, désintéressé sur le plan matériel, le juge d’instruction ressemble à un professeur…

M. B. : En effet. C’est sans doute pour cela que Nicolas Sarkozy veut le supprimer !

L’US :Qu’attends-tu du prochain quinquennat en matière de justice ?

M. B. : Beaucoup ! Et nous n’avons pas l’intention de baisser la garde. La question n’est pas seulement de savoir comment rompre avec le sarkozysme, mais comment rompre avec tout ce qui a fait obstacle à l’avènement d’une justice pleine et entière dans ce pays. Nous avons formulé près de 200 propositions, on peut les retrouver sur notre site : www.projetjustice2012.org L’US :Tu as quelque chose à ajouter ?

M. B. : Nous ne lâcherons rien !

Entretien

« Rompre avec tout ce qui a fait obstacle à une justice pleine et entière »

Matthieu Bonduelle,président du Syndicat de la Magistrature et juge d’instruction à Bobigny, dresse un bilan des années Sarkozy en matière de Justice.

©DR

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