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Quelle est la valeur de la pratique managériale du dirigeant?

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Numéro

2002/03

Quelle est la valeur de la pratique

managériale du dirigeant ?

Contribution à la

connaissance de la création de valeur du dirigeant

Emmanuel ZENOU

Professeur

Unité Pédagogique et de Recherche Finance et Systèmes Equipe Finance

E.M.LYON

Avril 2002

Version remaniée d’une communication proposée au XVIè Journées Nationales des IAE, 10-11-12 sept. 2002, Paris, dont le thème est « Sciences de Gestion et

Pratiques Managériales »

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Quelle est la valeur de la pratique managériale du dirigeant ?

Contribution à la connaissance de la création de valeur du dirigeant

Résumé :

Cet article propose d’analyser la question de la valeur de la pratique managériale du dirigeant et de son intégration dans la notion de création de valeur. Les conceptions classiques du gouvernement d’entreprise montrent une impasse sur cette importante question, avec une conception de la valeur du dirigeant qui amène à considérer une valeur d'échange du dirigeant mais qui évacue sa valeur d'usage. Comment analyser la valeur de la pratique managériale du dirigeant ? Comment intégrer dans la notion de création de valeur du dirigeant la dimension praxéologique de la valeur du dirigeant, c'est à dire la contribution de la pratique managériale du dirigeant au processus de création de valeur ? Afin de répondre à ces questions, nous proposerons une approche plus dynamique de la création de valeur du dirigeant, par une grille d’analyse transversale entre corporate governance et stratégie.

Mots-clés : dirigeant, valeur, création de valeur, pratique managériale.

Abstract :

This article proposes to analyse the issue of the value of the top manager’s management practices and their integration into the value creation notion. Traditional theories of corporate governance come to a deadlock on this important issue, with a conception of the top manager’s value that induces to consider an exchange value of the top manager but that also forgets his use value. How to analyze the value of the top manager’s management practices ? How to integrate into the conception of value creation the praxeological approach of the top manager’s value, in other words the contribution of top manager’s management practices to the value creation process ? In order to answer these issues, a more dynamic approach of top manager’s value creation wil be proposed, with an analysis that groups corporate governance and strategy.

Keywords: manager, value, value creation, managerial practises.

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Les méthodes d’évaluation de la création de valeur de l’entreprise sont aujourd’hui nombreuses et plutôt bien connues des chercheurs et praticiens en gestion1. Par contre, tandis que les débats actuels sur le gouvernement d'entreprise questionnent constamment le rôle et les pratiques des dirigeants, il n’existe pas de méthodes établies d’analyse de la création de valeur centrées sur l’action du dirigeant. Comment le dirigeant contribue-t-il au processus de création de valeur ? Peut- on analyser la valeur de la pratique managériale du dirigeant et la contribution de celle-ci à la création de valeur dans l’entreprise ?

Pour poser ces questions de façon plus approfondie, nous montrerons dans un premier temps que la question de la pratique managériale du dirigeant a longtemps été évacuée des réflexions sur le gouvernement d'entreprise, puis nous proposerons une approche permettant d’intégrer dans la notion de création de valeur la dimension praxéologique apportée par les pratiques des acteurs.

Nous pourrons alors proposer une approche pour intégrer la pratique managériale du dirigeant dans la création de valeur du dirigeant.

1. LA PRATIQUE MANAGERIALE DU DIRIGEANT : UNE DIMENSION ABSENTE DE QUESTION DE LA VALEUR DU DIRIGEANT

1.1. Un rappel sur la conception classique du rôle du dirigeant dans les théories du gouvernement d’entreprise

Avant de réfléchir à la valeur du dirigeant, il nous faut rappeler combien les théories fondatrices du gouvernement de l’entreprise2 conçoivent la relation entre actionnaires et dirigeant comme la base permettant de comprendre le rôle du dirigeant : la définition de la relation d’agence donnée par Ross (1973)3 pose que l’agent et le principal ont des fonctions d’utilité différentes et qu’ils agissent de façon à maximiser leurs utilités respectives. De là l’élément fondateur induisant la nécessité d’aligner le comportement du dirigeant – l’agent – sur les intérêts des actionnaires – le principal – : les coûts d’agence, bien connus dans la littérature liée à la théorie de l’agence4.

1 Notamment les mesures d’Economic Value Added (EVA) et de Market Value Added (MVA) popularisées par le Cabinet Stern

Stewart & Co

2 Notamment la théorie de l’agence et celle des droits de propriété (voir Gomez 1996, Charreaux 1997).

3 « une relation d’agence survient entre deux parties lorsque l’une d’elles, désignées comme l’agent, agit au nom ou en tant

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Bien sûr cette relation d’agence n’est intéressante à étudier pour la théorie de l'agence que parce qu’il existe une « hypothèse d’agence » selon laquelle il existe une asymétrie d’information entre les parties. Le cas le plus fréquemment étudié étant celui de l’agent qui en sait plus que le principal sur la tâche qui lui est confiée. Aussi, le contrat liant les deux parties est nécessairement incomplet.

Comme le souligne P. Charléty (1994), dès que l’hypothèse d’agence est posée elle entraîne la théorie de l'agence vers une focalisation sur deux questions fondamentales pour la conception et l’analyse du rôle du dirigeant dans l’entreprise :

• Comment bâtir un système d’incitation, de surveillance, de contrôle pour empêcher le dirigeant de nuire aux intérêts des actionnaires, ou mieux : pour aligner les objectifs du dirigeant sur ceux des actionnaires, et donc maximiser la valeur pour ces derniers ?

• Comment, malgré l’information imparfaite entre dirigeant et actionnaire, concevoir des mécanismes permettant une extraction d’information se rapprochant au maximum de la perfection de l’information qui existe (théoriquement) sur le marché ?

Pourtant, malgré sa place centrale au sein du réseau de contrats explicites ou implicites formant l’entreprise, au cœur du système de contrôle et d’extraction d’information, malgré son rôle de représentant des actionnaires et donc de maximisation de la valeur actionnariale de l’entreprise, le dirigeant voit souvent son rôle réduit au minimum dans les analyses liées aux théories contractuelles des organisations. Comme l’a évoqué Charreaux (1997, 1996) son rôle a longtemps été analysé comme un rôle « passif ».

1.2. Le dirigeant : un rôle passif … pour une valeur nulle ?

Charreaux souligne en effet combien dans les analyses fondatrices de Jensen et Meckling (1976) ou d’Alchian et Demsetz (1972) le rôle du dirigeant a longtemps été analysé comme passif ou très réduit, puisque le comportement du dirigeant est censé être contrôlé par différents systèmes disciplinaires. Ces mécanismes de contrôle sont supposés agir de sorte à assurer que le dirigeant accomplisse sa fonction : surveiller l’ensemble des contrats et ne pas détourner de valeur actionnariale à son profit.

Le mode de fonctionnement des principaux mécanismes de contrôle a été longuement étudié dans la littérature liée au gouvernement d’entreprise, c’est pourquoi nous en reprenons ci dessous un

tableau résumé5, distinguant deux catégories de contrôle souvent différenciées dans la littérature : les mécanismes de contrôle internes et externes à l’entreprise.

pour se prouver leur bonne foi, notamment ceux engagés par le dirigeant pour mettre le principal en confiance ; enfin les coûts résiduels liés aux coûts d’opportunité représentés par la perte d’utilité résiduelle subie par les parties du fait de leur divergence d’intérêts.

5 Ce tableau est inspiré de Pochet (1998). Pour une revue de littérature ou un approfondissement voir Gomez (1996) ou Charreaux (1997).

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Tableau 1 : Les mécanismes de contrôle du dirigeant Type de

mécanisme Désignation Mode de fonctionnement

Marché des biens et services Eviction des entreprises non performantes Marché financier Fonction disciplinaire des prises de

participation hostiles

Marché du travail des dirigeants Concurrence exercée par les autres dirigeants Externe

Organismes financiers prêteurs Clauses contractuelles, prises de garanties, rationnement du crédit, taux d’intérêt Contrôle des actionnaires Contrôle exercé en assemblée générale

Contrôle par les salariés

Possibilité d’alerte des tribunaux en cas de non-respect des dispositions légales ou de

difficultés graves pour l’entreprise Interne

Conseil d’administration Détermination de la rémunération du dirigeant et pouvoir de révocation de ce dernier

Le dirigeant a ici un rôle essentiellement passif, il est l’objet de ce système disciplinaire sans véritablement pouvoir exercer de rôle davantage actif ou constructif, y compris à l’égard de l’information. Il subit ce système disciplinaire en étant simple objet de ces mécanismes. Ces derniers en revanche sont eux actifs : ils assurent aux actionnaires, propriétaires de l’entreprise vers lesquels doit être dirigée la valeur, que celle-ci ne sera pas détournée à leur détriment et que les coûts d’agence l’obéreront au minimum de ce que les mécanismes de contrôle pourront assurer.

Le grand absent de la question de la valeur du dirigeant est donc ici le management du dirigeant : le dirigeant est un rouage passif et plutôt discret, dont la valeur est finalement « hors sujet » pour l’entreprise. Le comportement du dirigeant est l’objet de moins d’attention que la mise en place des mécanismes qui assurent aux actionnaires la maximisation de leur valeur.

A quoi sert cette question même de la valeur du dirigeant, quand elle est reflétée directement par le marché à travers le marché financier et celui des biens et services (qui récompense ou sanctionne la valeur de l’entreprise) ainsi que celui du travail (qui évalue le dirigeant par comparaison, sur le marché supposé concurrentiel des dirigeants) ?

Le marché du travail ne peut échapper ici à l’interrogation sur son utilité : quelle est la valeur d’un dirigeant sur le marché du travail ? comment analyser le travail d’un dirigeant passif ?

Le travail d’un dirigeant se mesurera surtout par son incidence sur la richesse des actionnaires (la valeur de leur capital actionnarial), mais celle-ci n’est elle pas mesurée sur le marché financier ? Et n’est elle pas dépendante essentiellement de l’efficacité des mécanismes disciplinaires mis en place6 et non du travail du dirigeant lui même ?

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La vacuité, ici, de la question de la valeur du dirigeant a donc pour corollaire celle de l’utilité du marché du travail. Le marché du travail ne peut donner au dirigeant qu’une valeur d’échange, de comparaison, censée accorder au dirigeant un prix … mais le rôle passif du dirigeant vide de sens cette notion de prix du dirigeant.

Est-ce le prix du dirigeant ou celui des mécanismes mis en place ? En effet, le dirigeant fait du bon travail quand ces mécanismes disciplinaires fonctionnent bien, et quand le marché joue bien son rôle de récompense/sanction.

Le marché semble ainsi s’auto-évaluer à travers le prix qu’il accorde au dirigeant : le marché non seulement attribue une valeur au dirigeant, mais s’auto-analyse également à travers cette valeur puisque l’efficacité du dirigeant n’est que fruit de l’efficacité des mécanismes permettant au marché d’exercer sa discipline.

Si le prix attribué par le marché (notamment le marché du travail) au dirigeant concerne en fait, par la passivité du rôle de celui-ci, l’efficacité des mécanismes par lesquels l’entreprise peut réintroduire le marché dans l’entreprise, alors allons au bout du raisonnement et concluons que le prix attribué au dirigeant est en fait un prix que le marché attribue à ses propres mécanismes et à eux seuls … les seuls à être actifs dans l’entreprise.

Dès lors, le prix même du dirigeant ne le concernant finalement que peu, l’activité du dirigeant étant quasi-nulle, ... la valeur du dirigeant ne devient-elle pas elle aussi nulle ?

Dans cette conception du rôle du dirigeant, il semble finalement que la valeur du dirigeant ne le concerne pas : la conception sous jacente de la valeur du dirigeant ne lui permet en effet ni de s’approprier sa valeur ni d’intégrer la valeur de sa pratique managériale.

la valeur du dirigeant est nécessairement privée de sa dimension praxéologique

1.31. La valeur externalisée, ou l’injonction paradoxale du marché

Pour la théorie de l’agence, la firme a besoin d’un vaste système de contrôle et d’incitations pour connaître la valeur qu’elle crée7. Ces mécanismes, à la fois internes et externes8, agissant de façon complémentaire, sont les seuls à véritablement « gouverner » l’entreprise, et à assurer l’évaluation de la valeur créée. L’information ainsi extraite sur la valeur est dirigée vers le marché en ultime ressort : c’est bien lui qui dit la valeur. Non pas parce qu’il la donne, mais parce qu’il permet l’évaluation et en légitime la définition.

7 Voir Gomez (1996).

8 Nous avons résumé ces mécanismes dans le tableau présenté dans le paragraphe précédent.

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Si c’est le marché qui dit la valeur pour l’entreprise et ses acteurs, qui lui en permet l’attribution, alors nous devons réaliser que le lien entre l’entreprise d’une part et la valeur créée d’autre part est totalement externe à la firme. Le marché externalise la valeur, car lui seul peut (et a pour rôle de) faire ce lien. La valeur créée dans l’entreprise n’obtient une légitimité et une définition que lorsque le marché les lui donne : sans le marché pour attribuer une valeur à ce que l’entreprise et ses acteurs créent ou produisent, le lien entre ces derniers et la valeur créée serait rompu.

Il peut alors sembler paradoxal de créer de la valeur dans les entreprises, si elles ne peuvent pas elles-mêmes lui donner un sens, une définition. Si tel doit être le rôle des entreprises par rapport à la valeur, et si en effet le lien entre elles et la valeur qu’elles créent n’est que ce lien externe permis par le marché, alors les entreprises doivent faciliter la possibilité pour le marché d’attribuer une valeur à ce qu’elles créent.

Il faut dès lors conclure que les entreprises doivent à la fois orienter leurs activités et organiser leur gestion de sorte à ce que le marché puisse évaluer le mieux possible ce qu’elles et leurs acteurs font, et leur préconiser de fonctionner … sur la base d’une fonctionnement de marché.

Comme l’ont souligné Moran et Ghoshal (1996), l’entreprise se dirige alors vers les domaines où un

« contrôle rationnel » est possible, où le marché peut mesurer leur valeur … donc finalement là où le marché est meilleur qu’elle.

Cette affirmation finale de la supériorité des marchés sur les firmes en matière de création de valeur soulève donc un paradoxe, auquel cette notion de valeur externalisée contribue.

Cette conception de la valeur prive également les acteurs de l’entreprise de la valeur de leur pratique managériale.

1.3.2. La rupture praxéologique dans la conception de la valeur : quelle valeur donner aux pratiques des acteurs ?

Nous avons souligné que c’est le marché qui a pour rôle de faire le lien entre la valeur créée par l’entreprise d’une part, et les acteurs de l’entreprise d’autre part. Ce lien ainsi « externalisé », que nous avions évoqué, pose question quant au sens de cette valeur pour tous les acteurs de l’entreprise, et pas seulement le dirigeant : ces derniers agissent, travaillent, adaptent leur comportement, face à une valeur qui est finalement pensée comme donnée par l’extérieur.

La justification de leurs actions mobilise le marché, et est en rupture par rapport à leurs propres pratiques : en quoi le marché comme légitimation de la valeur attribuée à ce qu’ils créent, peut-il leur apporter une information sur leurs comportements et leurs pratiques ?

Ne trompons pas sur le sens du mouvement : dans ce modèle les individus doivent en effet adapter leurs comportements en fonction d’une information qu’ils reçoivent, puis traitent, individuellement et rationnellement9. C’est donc l’information sur la valeur qui guide leur comportement .. et non l’inverse. Tirons bien les conclusions de cette remarque : c’est l’information sur la valeur qui crée un comportement créateur de valeur, donc ici le comportement des acteurs ne crée en lui même aucune

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Il y a donc bien une rupture praxéologique : la rupture entre les pratiques des acteurs de l’entreprise et l’information qu’elles donnent. Cette rupture concerne en réalité la contribution des comportements des acteurs au processus créateur de valeur : « comment ma pratique contribue-t-elle à créer de la valeur dans l’entreprise ? ».

La valeur est en effet dans ce modèle une sanction ou récompense ex post : elle constitue dans ce cas une « piètre indication pour élaborer l’action collective et les pratiques managériales »10, et sa valeur praxélogique est plutôt faible …

La valeur signalée par le marché ne concerne pas finalement ce que l’individu construit dans l’entreprise, ce qui est paradoxal pour le dirigeant : ce dernier est l’objet central d’un système d’individualisation de la valeur créée … sans appropriation possible de celle-ci par le dirigeant.

1.3.3. Le paradoxe de la valeur du dirigeant : une individualisation sans appropriation

Le dirigeant est l’objet central d’un système d’individualisation de la valeur créée, consécutif au rôle du dirigeant évoqué précédemment.

Puisqu’il s’agit d’extraire de l’information sur la valeur créée dans l’entreprise, et de contrôler la bonne exécution du contrat entre le dirigeant et l’actionnaire, l’information doit être capable de délimiter la valeur du dirigeant. Le combat contre l’opportunisme toujours possible du dirigeant11 nécessite de pouvoir extraire une information sur la valeur qui le concerne individuellement, de parcelliser une « zone de valeur » dont le dirigeant est lui même responsable, en acteur autonome, rationnel et informé qui agit en fonction de son intérêt bien compris. Les mécanismes disciplinaires de récompense-sanction de la théorie de l'agence incitent d’ailleurs le dirigeant à se comporter « en actionnaire », en alignant autant que possible son comportement sur celui du ou des propriétaires.

Donc la valeur produite par le dirigeant peut et doit être isolée, circonscrite dans une zone. La valeur, attribuée par le marché comme nous l’avons souligné précédemment, va au dirigeant d’une façon individualisée, parcellisée, comme s’il pouvait gérer localement, individuellement sa « zone de valeur ».

Est-ce à dire que l’on peut alors considérer le dirigeant comme propriétaire de la valeur qu’il crée ? Il nous semble que cette déduction est loin d’aller de soi. En effet, la rupture praxéologique précédemment évoquée a montré que l’information que le dirigeant obtient sur la valeur concerne difficilement ce qu’il construit dans ses pratiques : c’est pourquoi à notre sens cette valeur ne peut que difficilement lui appartenir, puisqu’elle ne concerne en rien ce qu’il construit par son comportement.

Le lien entre le comportement du dirigeant et la valeur créée est à sens unique : l’individu adapte son comportement au « comportement adéquat pour créer de la valeur » que les systèmes de récompense-sanction lui signalent. Mais ce comportement ne semble influer en rien sur « la valeur », ses critères, son évaluation.

10 Bréchet et Desreumaux (1998).

11 Sur le comportement opportuniste du dirigeant dans les théories du gouvernement d'entreprise, voir Paquerot (1997).

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La conception dans ces théories du rapport de la valeur au dirigeant est donc celle d’une individualisation … sans appropriation.

Pour que le dirigeant puisse s’approprier sa valeur, il faut aller au delà d’un simple découpage individualisé de la valeur créée dans une entreprise, et penser une possibilité de concevoir une influence de la pratique créatrice de valeur du dirigeant sur la définition et/ou la mesure de cette valeur. Il s’agirait alors de changer de point de vue : pour passer de l’individualisation de la valeur à son appropriation par les acteurs de l’entreprise, il faudrait passer d’une réflexion substantive sur la valeur, à une réflexion davantage procédurale sur les processus de valorisation.

Les théories du gouvernement d’entreprise que nous avons évoquées rendent difficilement compte de ce dernier point. Non par insuffisance ou incomplétude théorique : c’est une question qui, tout simplement, semble ne pas se poser pour ces modèles. La question de l’évaluation et du processus de valorisation ne pose pas de problème : elle se lit dans la valeur elle-même, la valeur doit se lire d’elle-même sur le marché, puisque celui-ci est retenu comme manière de penser l’échange sur la valeur.

Pour pouvoir intégrer une dimension praxéologique dans la question de la valeur du dirigeant, il faut commencer par proposer une autre approche de la création de valeur. Nous pourrons ensuite mieux réfléchir à l’intégration de la pratique managériale du dirigeant dans l’analyse de la création de valeur du dirigeant.

2. VERS UNE APPROCHE PLUS PRAXEOLOGIQUE DE LA CREATION DE VALEUR

2.1. Il faut considérer une conception de la valeur construite par les pratiques des différents acteurs, à laquelle le dirigeant peut prendre sa part

2.1.1. D’une valeur actionnariale à une valeur globale de l’entreprise, construite par ses différents acteurs

Comme le soulignent Bréchet et Desreumaux (1998), il faut remettre au cœur du processus de création de valeur le rôle des pratiques managériales : les différents acteurs de l’entreprise créent de la valeur à travers leurs pratiques.

Il convient donc en premier lieu d’envisager le processus de création de valeur comme un construit des différentes parties prenantes de l’entreprise, ou stakeholders, et ne pas ramener la création de valeur à un jeu entre actionnaires et dirigeants. Cette dernière représentation de la valeur est incomplète, « car les décisions de la firme entraînent des conséquences pour l’ensemble des

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stakeholders, et la notion de valeur créée doit être à même, selon le principe d’efficacité, de prendre en compte l’intégralité de ces dernières »12.

Comprendre les mécanismes de la création de valeur, en intégrant cette dimension praxéologique de la valeur des pratiques des acteurs, nécessite donc de considérer une définition du gouvernement d'entreprise susceptible de considérer que chaque partie prenante a droit a une part de la valeur créée globalement par l’entreprise.

Les défenseurs de la stakeholder value considèrent ainsi que la valeur actionnariale oublie de prendre en compte les intérêts des autres parties prenantes de l’entreprise, qui sont, outre les actionnaires, les dirigeants, salariés, clients, créanciers, fournisseurs, voire pouvoir public …13. Cette théorie, développée notamment par R.E. Freeman (1984), propose ainsi de définir comme stakeholder tout groupe ou individu qui peut être affecté par la réalisation des objectifs de la firme14. L’entreprise est donc ici en interaction avec tous ses « partenaires dans le risque », sans en privilégier l’un ou l’autre : toutes ces entités participent à l’entreprise, ont un enjeu dans l’entreprise, et toutes peuvent en tirer des bénéfices (Donaldson et Preston, 1995). La valeur de l’entreprise devient une valeur globale créée par l’ensemble de ses stakeholders.

La reconnaissance de ce rôle accordé à chacun des stakeholders conduit à remettre en cause l’objectif de maximisation de la valeur actionnariale au profit d’une notion d’équilibre entre les stakeholders, l’arbitrage en revenant aux dirigeants (Caby et Hirigoyen, 1998). Dans cette conception de la création de valeur, le dirigeant a en effet une place particulière.

2.1.2. Le problème de la mesure et le rôle du dirigeant

Albouy (1999) souligne la difficulté à arbitrer entre tous ces intérêts « nécessairement conflictuels », et pense que « l’idée que la fonction des dirigeants soit d’arbitrer entre les intérêts divergents des différentes parties prenantes de l’entreprise revient à leur donner un rôle sans légitimité et sans instrument de mesure de leur efficacité ». L’auteur préfère alors privilégier la valeur actionnariale sur le long terme, laquelle implique de toute façon de prendre en compte les autres stakeholders et leurs attentes. Faut il alors abandonner la recherche d’une mesure de cette création de valeur globale de l’entreprise, créée par toutes ses parties prenantes ?

Charreaux et Desbrières (1998) rejettent l’abandon de cette recherche, et proposent de prendre en compte dans cette mesure la vision pluraliste de la firme contenue dans la stakeholder theory.

Leur proposition est alors d’élargir à l’ensemble des stakeholders une démarche conduisant à mesurer la valeur créée par différence entre les ventes évaluées au prix d’opportunité et la somme des coûts d’opportunité pour les différents apporteurs de ressources. Cette présentation de la valeur créée par les parties prenantes est pour les auteurs conforme à la notion de « rente » : celle-ci équivaut, pour un apporteur de ressources quel qu’il soit, au supplément de rémunération perçu par

12 Charreaux et Desbrières (1998).

13 On peut voir à ce sujet Monks et Minow (1995).

14 « La création de valeur est le fruit de l’entreprise et de son écosystème économique » (R.E. Freeman et J. Liedtka , 1997).

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rapport à la rémunération minimale nécessaire à l’établissement de la transaction. Cette rente est normalement liée à la rareté du facteur.

Intéressons nous alors au cas du dirigeant : « Le dirigeant perçoit une rente si sa rémunération est supérieure à sa rémunération d’opportunité ; ce supplément est lié à la rareté de ses compétences managériales censées créer davantage de valeur » (Charreaux et Desbrières, 1998).

Cette approche ne va pas cependant sans poser problème. Tout d’abord, les auteurs conviennent que les différents stakeholders sont dans des positions très inégales. Seuls les actionnaires voient leur apport bénéficier d’une mobilité des titres de propriété (grâce à leur divisibilité et leur liquidité) sur un marché des actions inexistant de fait pour la quasi totalité des autres stakeholders.

Plus spécifiquement, le dirigeant, qui perçoit une part de la valeur globalement créée par l’entreprise, peut-il mobiliser cette valeur sur un marché ? Sa « valeur managériale [est] censée être fonction de la performance réalisée sur le marché du capital humain », mais ce marché peut-il fonctionner de façon efficace ? Charreaux et Desbrières conviennent en effet que ce « marché » manque de transparence et qu’il ne peut permettre, contrairement au marché financier, de fixer un prix du capital managérial, même si « on peut cependant prétendre que le capital managérial est indirectement évalué par le marché financier ».

Cette dernière possibilité reste elle aussi peu convaincante, en raison de la difficulté pour ce marché de mesurer, déceler ou démontrer la compétence ou l’incompétence managériale (Charreaux, 1997).

On peut aussi souligner combien il est globalement difficile et coûteux de mesurer les efforts déployés par le dirigeant, notamment par la difficulté à éliminer les effets dus à l’environnement et la complexité inhérente aux taches managériales (Dherment-Ferrere, 1998).

Ces recherches montrent que la mesure de la contribution du dirigeant à la valeur de l’entreprise par la notion de rente est difficile à appliquer et utiliser, notamment par les faibles capacités du « marché managérial » ou du marché financier à évaluer cette contribution. Nous proposons pour cette raison une approche différente de cette création globale de valeur permise par l’ensemble des stakeholders.

Considérer cette valeur de l’entreprise comme fruit d’une création globale de valeur à laquelle les dirigeants prennent leur part comme les autres apporteurs de ressources de l’entreprise nécessite de passer par un travail sur les représentations de la valeur . Il est possible d’analyser la contribution du dirigeant à la valeur globale, « partenariale », créée par l’entreprise en comprenant pourquoi le dirigeant est au cœur d’un travail d’équilibrage des ambiguïtés propres à la polysémie de la valeur.

Cette polysémie de la valeur est le fruit de sa construction même : intégrer le rôle des pratiques managériales dans la création de valeur, c’est comprendre cette dernière comme un processus construit à partir des confrontations des pratiques des acteurs. Il faut comprendre le processus de valorisation comme une construction commune de sens par les acteurs autour de ce qu’ils valorisent dans l’entreprise.

Dans ce processus, le dirigeant joue un rôle d’arbitre et de constructeur de cohérence.

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2.2. La création de valeur comme un processus de construction de cohérence à partir de la confrontation des pratiques des acteurs et des représentations sur la valeur

Intégrer les pratiques managériales dans le processus de création de valeur à l’œuvre dans l’entreprise, c’est, comme le soulignent Bréchet et Desreumaux (1998), réaliser que ces pratiques

« confrontent les acteurs, individus ou groupes, à des choix qui reposent sur des processus d’évaluation et des indicateurs ou états valorisés ». Les auteurs montrent que ce processus d’évaluation est le fruit des perceptions et des représentations des individus et des groupes. Muni d’un postulat de rationalité limitée (March 1991), on convient que l’ambiguïté présente dans les comportements individuels rend l’évaluation elle même parfaitement ambiguë. Dès lors, la prise en compte des pratiques managériales des différents groupes d’acteurs dans l’entreprise renforce la conception de l’évaluation comme fruit d’une construction collective dans l’organisation, autour d’un débat sur les normes, préférences, conventions issues de rationalités plurielles.

Dès lors, une réflexion « pragmatique » sur la valeur considèrera que la construction de cette dernière se fait malgré (ou plutôt avec) l’incertitude et l’ambiguïté présente dans les pratiques managériales et leur confrontation. Le processus de création de valeur passe donc par un travail d’élaboration de l’action collective à travers la confrontations des représentations de la valeur véhiculées par les pratiques des acteurs.

Créer de la valeur dans l’entreprise, c’est donc gérer la polysémie de la valeur. Le rôle du dirigeant prend donc ici toute son importance : puisqu’il lui revient notamment une fonction d’arbitrage des intérêts des différentes parties prenantes de l’entreprise, cet arbitrage prend une part entière essentielle dans le processus de création de valeur. Ce processus étant fruit des confrontations des pratiques des acteurs et des représentations de la valeur, « l’équilibrage » de ces dernières, qui fait la fonction du dirigeant, contribue de façon fondamentale à la gestion de la polysémie de la valeur évoquée précédemment.

Dans la question de la pratique managériale du dirigeant, cette gestion de la polysémie de la valeur prend donc une place essentielle. La pratique managériale du dirigeant tirera sa valeur de la qualité de cette construction de sens dont la gestion de la valeur est le vecteur. Pour Bréchet et Desreumaux (1998), cette construction est « nécessaire, car les conflits autour de ce que l’on valorise sont des confrontations des modèles de l’entreprise et la gestion, portés par des individus ou groupes ». Donc, non seulement « la mesure de la valeur et des coûts est largement une construction ou une convention » (1998, op. cit.), mais en outre le rôle du dirigeant donne dans sa pratique managériale une importance centrale à l’équilibrage des points de vue des différentes parties prenantes autour de « ce que l’on valorise ».

Pour tenter d’analyser la valeur de la pratique managériale du dirigeant, il faut donc considérer deux types d’analyses de la création de valeur du dirigeant : par quels critères peut on repérer la contribution de la pratique managériale à la création de valeur dans l’entreprise, mais aussi comment le dirigeant pratique-t-il son rôle d’équilibrage des conflits autour de ce que l’on valorise dans l’entreprise ?

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3. COMMENT INTEGRER LA PRATIQUE MANAGERIALE DU DIRIGEANT DANS L’ANALYSE DE LA CREATION DE VALEUR DU DIRIGEANT ?

3.1. Il faut des critères exprimant la contribution de la pratique managériale du dirigeant à la création de valeur

Dans cette analyse, il nous faut joindre des conceptions issues de certains développements théoriques du gouvernement de l'entreprise et des éléments empruntés à la littérature stratégique pour valoriser la pratique managériale du dirigeant.

3.1.1. Les théories de l’enracinement : vers un rôle actif des pratiques managériales du dirigeant dans la création de valeur

Comment les théories du gouvernement de l'entreprise sont-elles venues à considérer un comportement actif du dirigeant ?

Ce comportement actif du dirigeant procède au départ d’une analyse de son simple opportunisme : selon la théorie de l’agence, les dirigeants disposent d’une latitude importante pour définir la politique d’investissement, qu’ils peuvent utiliser pour faire preuve d’opportunisme en réduisant leur effort ou en s’enrichissant au détriment de leur mandant (Paquerot, 1997).

Pour exprimer leur opportunisme, les dirigeants doivent bénéficier d’un pouvoir discrétionnaire, qui est lui même synonyme (Pochet, 1998) du concept de latitude managériale introduit par Charreaux (1996) : ce pouvoir discrétionnaire désigne la zone de pouvoir des dirigeants qui échappe au contrôle de l’un ou l’autre des stakeholders. Il dépasse donc bien le simple cadre des relations actionnaires- dirigeants pour englober l’ensemble des partenaires de la firme ou stakeholders. Ce même pouvoir discrétionnaire ne s’exprime que parce que les mécanismes disciplinaires jouent de façon imparfaite (Charreaux, 1997).

L’enracinement procède alors du comportement actif du dirigeant qui va chercher à échapper au contrôle des stakeholders et créer un processus créant les conditions de l’accumulation progressive d’un pouvoir discrétionnaire. La logique d’enracinement du dirigeant vise donc à préserver ou élargir la latitude managériale du dirigeant.

Le lien très fort entre cette notion d’enracinement et celle d’opportunisme managérial explique qu’une grande partie de la littérature consacrée à l’enracinement du dirigeant envisage celui-ci sous un angle négatif pour la valeur de l’entreprise : dans cette perspective en effet, le dirigeant est dans une logique d’expropriation des rentes de certains stakeholders (les actionnaires étant le cas le plus traditionnellement envisagé) au profit des dirigeants.

A l’inverse, d’autres recherches montrent que le dirigeant peut rendre sa stratégie d’enracinement

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stakeholders sont indirectement bénéficiaires. Il s’agit donc bien ici d’un enracinement jouant positivement sur le processus de création de valeur.

L’enracinement du dirigeant joue donc sur le processus de création de valeur en prenant différentes facettes, mais celles ci sont parfois ambiguës : en effet la littérature sur l’enracinement envisage certaines pratiques managériales sous un angle à la fois positif et négatif à l’égard du processus de création de valeur.

Nous allons préciser ces différentes facettes de l’enracinement, en résumant les critères possibles d’analyse de l’influence de certaines pratiques managériales du dirigeant sur le processus de création de valeur, tels qu’ils sont donnés par la littérature sur l’enracinement.

Ces critères d’analyse des pratiques managériales du dirigeant seront résumées dans le tableau n°2, présenté en fin de chapitre.

La mise en place ou utilisation des outils internes de contrôle :

Elles concernent d’abord les capacités du dirigeant à mettre en place ou renforcer les outils de contrôle de la gestion dans l’entreprise.

En raison des possibles stratégies de neutralisation des systèmes de contrôle développées par le dirigeant15, ces capacités devraient jouer de façon importante sur la création de valeur de l’entreprise.

La qualité de sa relation avec le conseil d’administration est également concernée ici : toujours en raison des stratégies de neutralisation, et en raison des possibilités d’action du dirigeant sur le conseil d’administration, des éléments tels que la clarté du choix des administrateurs, des nominations, et les signes d’indépendance des membres du conseil d'administration, doivent jouer de façon importante sur la création de valeur16.

Le contrôle des ressources financières et la rémunération du dirigeant :

La rémunération du dirigeant est-elle un repère de sa valeur ? Si l’on maintient l’argument d’une efficacité du marché du travail, alors comme l’avions souligné la rémunération du dirigeant, produit de l’évaluation du capital humain du dirigeant sur le marché du travail17, devrait être considérée comme un élément permettant de repérer sa valeur … mais ce point est fortement contesté par la littérature18.

Quant à la structure du capital de l’entreprise et la part du capital détenue par le dirigeant, nous avons encore un critère ambigu. La littérature sur l’enracinement suggère que la détention d’une part du capital de l’entreprise par le dirigeant peut être un facteur d’enracinement supplémentaire et un moyen de contrôler davantage les ressources, notamment financières, de l’entreprise19. Mais la

15 Charreaux (1996), Pochet (1998), Werner et Tosi (1995).

16 Westphal et Zajac (1995), Alexandre et Paquerot (2000).

17 Fama (1980).

18 Charreaux (1997), Dherment-Ferrere (1998).

19 Pochet (1998), Morck, Shleifer & Vishny (1988)

(15)

théorie de la convergence des intérêts plaide au contraire pour un influence positive sur la création de valeur dans l’entreprise20.

La composition de la rémunération du dirigeant est une conséquence directe du critère précédent : si la détention d’une part du capital de l’entreprise par le dirigeant est un critère jouant positivement sur création de valeur de l’entreprise, alors la composition de la rémunération du dirigeant devient elle aussi un critère intéressant : la part de la rémunération du dirigeant en actions devrait aussi jouer positivement sur la création de valeur de l’entreprise. Mais l’ambiguïté du critère précédent rend ambiguës les conséquences de ce critère.

La revue de littérature suggère aussi que la pratique managériale du dirigeant joue positivement sur la création de valeur de l’entreprise lorsqu’elle évite le choix privilégié de certaines ressources financières trop propices à son enracinement : la préférence pour l’autofinancement notamment, par rapport aux autres types de ressources financières, est à cet égard caractéristique. Elle peut être interprétée comme un facteur supplémentaire de contrôle des ressources en faveur du dirigeant et au détriment des autres stakeholders, notamment des actionnaires21.

La qualité de l’information produite par le dirigeant :

Le pratique managériale du dirigeant quant à l’information est souvent étudiée dans cette littérature : ainsi les efforts de visibilité sur les actifs gérés, d’information sur les investissements effectués22, de

« transparence » doivent jouer positivement sur la valeur de l’entreprise. De même, la fréquence de cette information est à prendre en compte comme élément à part entière de ce type d’effort.

En raison des possibilités de manipulation de l’information liées à l’information comptable et la présentation des rapports annuels et des résultats23, la clarté des choix de communication financière liés à ces rapports périodiques, la fréquence de ces communications, doivent jouer positivement sur la création de valeur.

L’analyse de l’enracinement « externe », c'est à dire visant en premier lieu les évaluateurs externes du dirigeant, notamment le marché du travail, montre dans cette littérature que le dirigeant peut manipuler sa réputation externe sur ce marché24. Aussi il doit éviter la focalisation sur des indicateurs de performance à court terme25.

De même, il doit « tout dire » … même les mauvaises nouvelles ! Son souci de réputation externe peut en effet le conduite à favoriser les nouvelles favorables26 aux dépens des autres.

20 Jensen & Meckling (1976)

21 Jensen (1986).

22 Shleifer et Vishny (1989), Pochet (1998), Charreaux (1997).

23 Watts et Zimmermann (1978, 1986), Pochet (1998).

(16)

Compétences propres au dirigeant et caractéristiques personnelles :

Des éléments plus rares dans la littérature sur le gouvernement d'entreprise sont davantage liés aux caractéristiques propres au dirigeant, à ses propres compétences personnelles, même si ces critères restent encore parfois très généraux. Les théories du gouvernement d'entreprise envisagent en effet un enracinement créateur de valeur pour l‘entreprise (contrairement à sa forme négative habituelle) dès lors que le dirigeant développe un capital managérial susceptible de créer des rentes managériales pour l’entreprise. La littérature nous suggère dès lors d’envisager l’existence des critères suivants :

Le dirigeant doit montrer visiblement une capacité à se différencier des autres dirigeants, à adopter un comportement original et spécifique dans ses projets et prises de décision stratégiques. En effet, une des sources de manipulation de l’information et de sa réputation externe réside dans l’adoption de stratégies d’imitation visant à adopter les décisions des dirigeants les plus réputés et réciproquement27. Il semble donc qu’un comportement de « différenciation du courant dominant » d’action managériale soit apprécié ici par la littérature, contrairement aux réflexions portant sur le coût des investissements idiosyncrasiques et le renchérissement du coût de remplacement du dirigeant28. Cela signifie-t-il que le dirigeant doit avoir un style de gestion visiblement personnalisé ? qu’il doit se différencier durablement du mouvement ?

La qualité de l’accès à des ressources stratégiques permettant un accès privilégié à des réseaux sociaux et réseaux d’information apparaît aussi comme un critère intéressant pour relier les compétences et caractéristiques propres du dirigeant et la création de valeur : l’accès facilité ou privilégié du dirigeant à des sources ou réseaux d’information est en effet repéré par la littérature comme composant essentiel du capital managérial, créateur de valeur pour l’entreprise29. La qualité de son réseau d’information, son appartenance à des réseaux d’anciens élèves ou de décideurs influents, doivent donc être des critères à retenir.

Enfin un critère équivoque mais intéressant concerne l’âge du dirigeant, et son ancienneté dans le poste : la littérature suppose un lien positif entre l’âge du dirigeant ou son ancienneté dans le poste et un pouvoir d’expertise du dirigeant. Ceci est notamment dû à l’influence que l’âge ou l’ancienneté ont sur le développement du réseau de relations stratégiques du dirigeant30, ces dernières étant essentielles au renforcement de son capital managérial . Ces critères semblent donc avoir un lien positif avec la création de valeur. Pourtant, la littérature analyse ce même critère (âge et/ou ancienneté) comme jouant négativement sur la valeur de l’entreprise en raison de son influence31 sur le pouvoir de propriété32 du dirigeant, qui lui même est présumé renforcer un enracinement négatif du dirigeant par sa possibilité de contrôle renforcé des ressources33.

27 Ibid.

28 Shleifer et Vishny (1989), Pochet (1998), Charreaux (1997).

29 Charreaux (1997).

30 Pochet (1998).

31 Ibid.

32 C'est à dire le pouvoir conféré par la détention du capital de l’entreprise (Finkelstein, 1992).

33 Voir auparavant notre paragraphe sur le contrôle des ressources financières par le dirigeant.

(17)

Il pourrait même exister un « cycle de vie » du dirigeant au cours duquel l’ancienneté du dirigeant ferait évoluer sa stratégie d’enracinement vers un jeu négatif sur la création de valeur après avoir dans un premier temps permis au dirigeant d’apporter des compétences plutôt créatrices de valeur34.

La littérature sur le gouvernement d'entreprise suggère ainsi plusieurs critères pour comprendre la contribution de la pratique managériale à la création de valeur dans l’entreprise. Globalement, peu de critères apparaissent reliés directement au dirigeant, à ses compétences et caractéristiques personnelles. Beaucoup recouvrent des éléments que le dirigeant met en place de façon non spécifique dans l’entreprise : des outils de contrôle, d’information … des éléments fournissant les preuves qu’il agit dans l’intérêt des autres stakeholders, notamment des actionnaires.

Les éléments reliant la valeur du dirigeant à celle de l’entreprise montrent ainsi que la valeur du dirigeant s’apparente ici à un outil de contrôle, de discipline.

Le postulat d’agence et d’opportunisme du dirigeant à en effet renforcé dans cette littérature la méfiance liée à tout ce qui pouvait être spécifique au dirigeant, propre à ses capacités et caractéristiques personnelles. Comme nous l’avons vu, la spécificité du dirigeant a d’abord été vue comme un facteur de coût supplémentaire avant d’être progressivement envisagée comme un possible élément de création de valeur pour l’entreprise.

Il reste que les éléments spécifiques au dirigeant permettant de mieux comprendre comment la pratique managériale propre au dirigeant peut contribuer au processus de création de valeur sont encore frustrants quant à leur nombre et leur précision. Peut-on mieux trancher l’ambiguïté relative à ce qui concerne, comme nous l’avons vu, l’investissement spécifique du dirigeant en termes notamment de compétences, de capital managérial ? Comment mieux analyser les composantes de ce « capital managérial » évoqué dans cette littérature comme étant facteur d’un enracinement positif pour la valeur de l’entreprise ?

La littérature sur le gouvernement d'entreprise reste sur ces points allusive, mais ses présupposés théoriques rendent cette « incomplétude » bien compréhensible.

Nous devrons donc nous tourner vers la littérature en stratégie pour trouver des éléments complétant ces interrogations.

(18)

Tableau 2 : Pratiques managériales du dirigeant et création de valeur dans la littérature sur le gouvernement d’entreprise

Eléments d’analyse du jeu des pratiques managériales

du dirigeant sur la création de valeur Auteurs Mise en place ou utilisation des outils internes de contrôle Capacités du dirigeant à mettre en place ou renforcer les

outils de contrôle et tableaux de bord

clarté des nominations au conseil d'administration , indépendance des administrateurs

Charreaux (1997), Pochet (1998), Werner et Tosi (1995), Westphal et Zajac (1995), Alexandre et Paquerot

(2000) Contrôle des ressources financières et rémunération

Niveau de rémunération du dirigeant et sa composition (part en actions de l’entreprise)

Fama (1980), Charreaux (1997), Dherment-Ferrere (1998) Structure du capital de l’entreprise : détention d’une part du

capital par le dirigeant

Morck, Shleifer & Vishny (1988), Jensen & Meckling (1976), Pochet

(1998) Choix des ressources financières : éviter la préférence pour

l’autofinancement Jensen (1986)

Qualité de l’information produite Efforts de visibilité sur les actifs gérés, d’information sur les

investissements effectués

Clarté des choix et fréquence de la communication financière Préférence pour des indicateurs de performance à court

terme

Transparence dans l’annonce des informations : « tout dire », même les mauvaises nouvelles

Shleifer et Vishny (1989), Pochet (1998), Charreaux (1997), Paquerot (1997), Watts et Zimmermann (1978

et 1986), Hirshleifer (1993)

Compétences propres et caractéristiques personnelles Capacité à développer un style personnalisé de

management, sans stratégie d’imitation / différenciation Accès à des sources d’information stratégique, des réseaux

de contacts, d’information

Age du dirigeant, ancienneté dans son poste

Charreaux (1997), Hirshleifer (1993), Pochet (1998), Paquerot (1997)

(19)

3.1.2. Des emprunts à la littérature stratégique pour mieux comprendre la contribution de la pratique managériale du dirigeant au

processus de création de valeur

La littérature stratégique permet de compléter ou préciser les critères abordés par la littérature sur le gouvernement d'entreprise concernant la contribution de la pratique managériale du dirigeant à la création de valeur. Elle permet notamment de comprendre en quoi les caractéristiques des pratiques et du comportement managérial du dirigeant deviennent des éléments contributeurs à part entière au processus de création de valeur dans l’entreprise.

A la base des théories permettant de concevoir le dirigeant comme ressource stratégique et sa pratique comme source de création de valeur, de nombreux auteurs35 soulignent l’importance des théories ou approches basées sur les ressources, qui ont contribué à construire une nouvelle vision de la performance des entreprises.

Ces approches suggèrent en effet que les différences de performance entre firmes sont principalement dues aux types de combinaisons de ressources utilisées par les entreprises. Ces ressources critiques ou actifs stratégiques constituent ainsi le fondement d’avantages compétitifs pour les firmes si elles sont non commercialisables, non imitables et non substituables36. En retour, ces avantages compétitifs produisent de meilleures rentabilités pour l’entreprise37, ce qui concourt à créer de la valeur pour cette dernière. Il n’y pas d’unanimité sur l’identité ou la hiérarchie des ressources à considérer38. Barney (1991), distingue les ressources physiques, les ressources humaines et les ressources organisationnelles. Grant (1991) étoffe ces catégories de ressources en ajoutant aux trois précédentes les ressources financières, les ressources technologiques et la réputation.

L’entreprise doit donc être approchée comme un portefeuille de ressources matérielles et immatérielles. Celles ci permettent le développement de compétences nécessaires à l’établissement des avantages compétitifs de l’entreprise, et donc à l’amélioration de sa rentabilité. La valorisation de ces ressources est donc un levier essentiel de détermination et d’affirmation d’avantages compétitifs, eux mêmes sources de création de valeur pour l’entreprise39.

Parmi ces ressources, le capital humain a été nettement repéré comme ressource critique pour de nombreuses entreprises, et parmi cette ressource les dirigeants40 représentent une ressource organisationnelle unique. L’importance grandissante de leur prise en compte tient au fait que les connaissances et le « knowledge management » sont devenus des atouts de plus en plus critiques pour gagner des avantages compétitifs, notamment depuis l’irruption de la nouvelle économie41.

35 Voir par exemple Bounfour (2000), Hitt, Bierman & alii (2001).

36 Barney (1991)

37 Peteraf (1993)

38 Bounfour (2000)

(20)

Pour Caby et Hirigoyen (1997, p. 301), le rôle du dirigeant sur la stratégie et la performance de l’entreprise a longtemps été minoré, en raison de la place secondaire à laquelle la plupart des travaux en théorie des organisations ont relégué le rôle du dirigeant jusqu’à une période récente, face aux impératifs de la turbulence environnementale, des processus technologiques ou des exigences du traitement de l’information.

Pour mesurer et figurer l’importance du dirigeant et de son rôle sur les performances et les résultats de l’organisation, Hambrick et Finkelstein (1987) ont forgé le concept de latitude managériale (managerial discretion)42. Cette latitude managériale est composée de trois types de facteurs : les caractéristiques de l’environnement de l’organisation, celles du secteur, et celles du dirigeant lui même.

Les caractéristiques des pratiques managériales du dirigeant et de son comportement managérial deviennent donc des éléments d’analyse et d’explication de la stratégie, des résultats, des performances de l’entreprise. Ils deviennent des facteurs de création de valeur de l’entreprise, et méritent de voir plus précisément pourquoi le jeu des caractéristiques des pratiques managériales peut être considéré comme un élément contribuant à créer de la valeur dans l’entreprise.

Les éléments suivants seront résumés dans le tableau 3, présenté en fin de chapitre.

Les caractéristiques personnelles du dirigeant :

La réflexion sur l’influence des capacités et caractéristiques managériales des dirigeants sur la performance et la valeur de l’entreprise a reçu un renfort déterminant avec la perspective « upper echelons » développée par Hambrick et Mason (1984). Dans celle-ci, les auteurs posent que les caractéristiques de l’équipe dirigeante expliquent, au moins partiellement, la performance de l’entreprise et ses résultats organisationnels via leur influence sur les choix stratégiques.

L’organisation devient alors un reflet de son équipe dirigeante, et les caractéristiques et le fonctionnement de celle-ci ont un grand pouvoir explicatif sur les résultats de l’entreprise comme sur ses choix et positions stratégiques, ce qui a été prouvé empiriquement43. Même si ces critères apparaissent davantage liés à des caractéristiques du dirigeant qu’à ses pratiques, ils permettent tout de même de repérer indirectement ces dernières :

- L’âge ou l’ancienneté dans le poste du dirigeant :

Cette littérature nous suggère l’hypothèse que l’âge du dirigeant joue sur la valeur de l’entreprise. En effet, pour Hambrick et Mason (1984) les jeunes dirigeants favorisent davantage la croissance de l’entreprise que les dirigeants plus âgés, ils développent une stratégie plus propice à la prise de risque et à l’innovation, ce qui se traduit sur la performance financière de l’entreprise et la croissance de son activité. Indirectement lié à l’âge du dirigeant, la notion d’ancienneté dans le poste44 semble également un critère pertinent à prendre en compte : la littérature concernée considère généralement

42 Cette notion a été ensuite reprise dans l’analyse du gouvernement de l'entreprise, notamment par G. Charreaux (voir par

exemple Charreaux, 1996).

43 Daily et Johnson (1997), Norburn et Birley (1988), Hambrick, Cho et alii (1996), Boeker (1997)

44 Equivalent du terme de job tenure dans la littérature anglo-saxonnne.

(21)

qu’un dirigeant possèdant une longue ancienneté dans son poste était moins susceptible d’impulser un changement à l’organisation45.

Ce critère influence donc la contribution des pratiques managériales du dirigeant à la création de valeur, même si le sens net de cette contribution (positif ou négatif) liée au dirigeant reste encore en discussion dans la littérature. Il en va de même des éléments suivants.

- L’expérience professionnelle du dirigeant :

Sur ce point Hambrick et Mason (1984) distinguent deux types d’influence : l’expérience fonctionnelle et celle en termes de carrière externe.

La première cherche souvent à savoir si le dirigeant présente un profil d’expérience fonctionnelle davantage tournée vers les « output fonctions »46 (marketing, ventes, recherche et développement produit …) ou les « throughput fonctions » (production, comptabilité, ingénierie des processus …).

Pour les auteurs, le premier type d’expérience favorise la croissance de l’entreprise, et le deuxième sa profitabilité : ce critère joue donc possiblement sur la création de valeur, mais il est difficile de savoir en quel sens. Pour Norburn et Birley (1988), les dirigeants ayant une expérience de type

« output fonction » ont de meilleurs résultats sur la performance de l’entreprise que les autres.

Ce critère de l’expérience professionnelle du dirigeant concerne aussi l’importance de sa carrière externe. Selon Norburn et Birley, une carrière externe importante joue favorablement sur la performance de l’entreprise. De même, un dirigeant d’origine interne est repéré dans la littérature comme moins susceptible d’impulser le changement stratégique à son entreprise qu’un dirigeant d’origine externe47. Parallèlement, un dirigeant interne a plusieurs avantages par rapport à un dirigeant d’origine externe48 : d’une part une meilleure connaissance des produits, marchés, clients et partenaires de l’entreprise, et d’autre part des réseaux sociaux par lesquels ils obtiennent des informations stratégiques que les dirigeants d’origine externe mettent plus de temps à obtenir.

- L’éducation du dirigeant :

La littérature donne sur ce point aussi un écho contrasté. Hambrick et Mason (1984) relèvent dans leur revue de littérature qu’un niveau élevé d’éducation du dirigeant est positivement relié à sa capacité à adopter et stimuler l’innovation dans l’entreprise. En revanche, les dirigeants possédant une éducation moins formelle et davantage « self made men » apparaissent plus incités à prendre des risques … l’influence de ce critère sur la création de valeur de l’entreprise est donc difficile à supposer. Norburn et Birley (1988) trouvent cependant qu’une formation de type généraliste est positivement relié à la performance de l’entreprise.

45 Boeker (1997)

(22)

L’impact des pratiques managériales du dirigeant sur la création de valeur a été analysé sur des aspects divers, tentant de valoriser l’impact d’éléments différents des simples caractéristiques descriptives personnelles des dirigeants.

Nous allons présenter ces différents éléments.

Les attributs du pouvoir du dirigeant

Daily et Johnson (1997) ont proposé une recherche testant l’impact du pouvoir du CEO sur la performance financière de l’entreprise. Ils se sont pour cela basés sur les distinctions faites par Finkelstein (1992), concernant les différentes sources de pouvoir du dirigeant. Finkelstein souligne combien ces éléments représentent des caractéristiques managériales concernant les pratiques et le comportement du dirigeant, et influencent fortement la stratégie et la performance de l’entreprise.

Les sources de pouvoir du dirigeant, au nombre de quatre selon Finkelstein, nous semblent donc intéressants pour comprendre la contribution des pratiques managériales du dirigeant au processus de création de valeur :

- Le pouvoir structurel :

Il se réfère au pouvoir donné par la position hiérarchique du dirigeant. Daily et Johnson (1997) intègrent dans cette catégorie, se référant à Finkelstein (1992), les critères liés à la relation du dirigeant avec le conseil d'administration (son pouvoir de nommer des administrateurs indépendants ou non : une marque de ce pouvoir est de repérer la proportion d’administrateurs externes) et au niveau relatif de rémunération du dirigeant (mesuré ici relativement à la deuxième rémunération mieux payée de l’entreprise). Ces deux critères ont été testés comme positivement reliés à la performance financière de l’entreprise, ce qui peut sembler étonnant notamment par rapport à l’abondante littérature recommandant de développer la part d’administrateurs externes49.

- Le pouvoir de propriété :

Il dérive principalement de la part de capital détenue par le dirigeant , mais aussi du statut du dirigeant quant à la création de l’entreprise : son pouvoir est réputé dans la littérature plus important sur l’organisation si le dirigeant est le fondateur ou de sa famille, que dans le cas inverse.

Daily et Johnson (1997) ne déduisent pas de leur travail empirique d’influence nette de ces variables sur la performance financière de l’entreprise, mais soulignent, tout comme Finkelstein (1992), combien ce pouvoir peut influencer les décisions stratégiques de l’entreprise. Ces critères restent des repères de valorisation du dirigeant dont il est pertinent de tenir compte quant à l’influence de ses pratiques sur le processus de création de valeur.

- Le pouvoir de prestige du dirigeant :

Il est lié à l’effet de réputation du dirigeant, en interne comme en externe, qui peut aider à poser la légitimité de l’entreprise, à la faire profiter de réseaux influents. Un parcours par une école

49 La revue de littérature sur le gouvernement de l'entreprise nous aurait en effet plutôt amené en ce sens.

(23)

renommée, une institution de formation prestigieuse et cotée renforcera ce prestige (ce point précis peut être relié au type d’éducation du dirigeant, critère que nous avions déjà relevé auparavant). Ce pouvoir peut se mesurer notamment au nombre de postes d’administrateurs assurés pour d’autres firmes par le dirigeant : Daily et Johnson (1997) trouvent ce critière positivement relié à la performance de l’entreprise. En revanche, ils trouvent que le prestige du parcours éducatif du dirigeant est négativement relié à la performance de l’entreprise.

- Le pouvoir d’expertise du dirigeant :

Il concerne les capacités du dirigeant à affronter les enjeux de l’environnement de l’entreprise et ses incertitudes. Plus l’expérience fonctionnelle du dirigeant est importante est variée, plus il est capable50 de faire face à ces enjeux et d’accumuler ce pouvoir.

Le dirigeant créateur de valeurs en interne

Souhaitant proposer une relation directe entre le dirigeant et la notion de valeur créée dans l’entreprise, Prahalad et Doz présentent le dirigeant comme « la main visible de la création de valeur » (Prahalad et Doz, 1997). Dans le rôle de « main visible de la création de valeur » de l’entreprise qu’ils accordent au dirigeant, Prahalad et Doz soulignent le rôle de créateur de valeurs du dirigeant.

Pour les auteurs, le processus de création de valeur dans l’entreprise est en effet fruit de l’harmonie entre trois éléments : le portefeuille d’actifs et d’activités stratégiques de l’entreprise, la logique de création de valeur liée à ces activités, et la logique interne de gouvernance dans l’entreprise. Dès lors, le dirigeant crée de la valeur pour l’entreprise en créant cette harmonie entre la logique de création de valeur et les croyances, valeurs, comportements en interne dans l’entreprise : il a alors la tâche importante de convaincre l’organisation de ces valeurs, de leur caractère essentiel, et de ce qu’« on » s’attend à ce qu’elles soient suivies au quotidien. Le dirigeant est donc bien ici un créateur de valeurs avant d’être créateur de valeur.

Outre sa capacité à convaincre les acteurs de l’organisation de ces valeurs, il doit apporter de la clarté à ces valeurs, aux attentes de l’organisation en termes d’objectifs et de performance. Ces critères sont donc eux aussi intéressants à repérer pour analyser la contribution du dirigeant à la valeur créée par l’entreprise, et intégrer la valeur du dirigeant dans celle de l’entreprise.

Pour accomplir ce rôle, la qualité de l’image publique du dirigeant (interne et externe) est importante, ce qui peut indirectement et partiellement être relié à l’effet de réputation lié au pouvoir de prestige identifié par Finkelstein (1992). Les auteurs évoquent enfin, comme qualité nécessaire pour tenir ce rôle de création de valeurs, l’importance du leadership du dirigeant. D’autres recherches, comme nous allons le voir, ont en effet souligné ce point.

(24)

Le leadership du dirigeant

La notion de leadership du dirigeant est en effet liée cette capacité à donner forme aux valeurs de l’entreprise51, mais d’autres auteurs donnent une analyse plus développée du lien entre d’une part le leadership du dirigeant, et d’autre part a performance et la valeur de l’entreprise.

Hart et Quinn (1993) analysent ainsi l’impact sur la performance financière et organisationnelle52 de l’entreprise de quatre formes de leadership du dirigeant. Leur résultats empiriques montrent que deux surtout sont à retenir comme ayant une relation significative avec la performance de l’entreprise53 :

- Le dirigeant doit créer une vision :

Le dirigeant doit donner du sens à la mission et l’identité de l’entreprise, articuler les objectifs de l’entreprise avec son orientation future. Cette capacité nécessite aussi de savoir analyser l’environnement de l’entreprise et ses évolutions futures, pour en repérer les « signaux forts » à donner à l’entreprise.

- Le dirigeant doit créer de la motivation :

Le dirigeant doit mobiliser l’ensemble de l’organisation vers les objectifs visés, traduire aux acteurs de l’organisation les valeurs à atteindre.

Cette caractéristique peut être reliée à la capacité à donner forme aux valeurs de l’entreprise soulignée par Ciulla (1999). Elle est proche également de la capacité du dirigeant à clarifier et expliquer les valeurs de l’entreprise, dont Prahalad et Doz (1997) ont souligné l’importance sur le processus de création de valeur. Cette capacité permet de susciter l’engagement des acteurs de l’entreprise par la création de métaphores, d’exemples, de symboles … articulés aux valeurs de l’entreprise.

Ces critères, même s’ils peuvent sembler parfois difficiles à tester dans une optique empirique, peuvent renseigner la contribution du dirigeant à la création de valeur de l’entreprise, et précisent en quoi les pratiques managériales du dirigeant peuvent jouer sur le processus de création de valeur dans l’entreprise.

Cette approche nous confirme l’intérêt de voir le dirigeant comme un élément contributeur spécifique et décisif à la création de valeur de l’entreprise, et montre que l’on peut trouver dans cette littérature stratégique une autre facette pertinente pour notre problématique, complémentaire aux éléments fournis par les théories de l’enracinement.

Afin d’enrichir notre approche de l’intégration d’une dimension praxéologique dans l’approche de la création de valeur du dirigeant, il nous faut aborder un dernier volet d’analyse de celle-ci : la pratique

51 Ciulla (1999)

52 Les auteurs ont utilisé 3 mesures de performance : performance financière (rentabilité économique, financière et profitabilité sur les ventes), « business performance » (parts de marché, croissance des ventes …), et « efficacité organisationnelle » (satisfaction des employés, qualité des produits …).

53 Nous traduisons ces formes de leadership d’après les termes originaux de « vision setter », et « motivator ».

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