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Academic year: 2022

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Texte intégral

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L’euthanasie

de la personne vulnérable

(2)

Nicolas Aumonier Thierry Collaud Paul H. Dembinski

Marc Desmet Laurence Henry David Le Breton Jacques Ricot

(3)

Sous la direction de

Bernard N. Schumacher

L’euthanasie

de la personne vulnérable

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Version PDF © Éditions érès 2017 CF - ISBN PDF : 978-2-7492-5476-0 Première édition © Éditions érès 2017 33, avenue Marcel-Dassault, 31500 Toulouse, France

www.editions-eres.com

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Table des matières

intrOductiOn

euthanasiedelaPersOnnevulnérable :

enJeuxéthiques

Bernard N. Schumacher... 7 vers « leuthanasiedurentier »

Paul H. Dembinski ... 17 Prolégomènes ... 17 Penser le partage intergénérationnel des ressources . 21 Le compte économique d’une génération ... 25 Trois approches de répartition intergénérationnelle des ressources ... 28 Contexte économique et démographie ... 33 L’Union européenne et la Suisse : les logiques de la gestion de l’intergénérationnel au point

de rupture ... 36 Les évolutions lourdes ... 36 La Suisse et l’Union européenne : la longévité ... 38 Les promesses du modèle financier et leurs

limites ... 46 Le système helvétique des « trois piliers » ... 46 Marché financier, garant ultime ? ... 51

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Pour sauver le système, supprimons le resquilleur,

ou la course à la mort ... 54

Une conclusion qui n’en est pas une ... 60

cOnfianceetvulnérabilité danslarelatiOnsOignante Laurence Henry ... 63

vulnérabilité eteuthanasieenquestiOn David Le Breton ... 85

D’un désir de mourir ... 85

Ambiguïtés ... 88

Vulnérabilité ... 93

Choisir sa mort ... 96

l’euthanasieen belgique : évOlutiOns, sOlidarités, défismultiPles Marc Desmet ... 103

Quelques évolutions statistiques de l’euthanasie en Belgique depuis 2002 ... 103

La loi belge relative à l’euthanasie : définition, conditions, contrôle ... 104

Qu’en est-il de la fréquence de l’euthanasie ? ... 107

Réflexion fondamentale : solidarités, défis multiples ... 110

Peut-on faire appel à un droit de mourir lorsqu’on se trouve dans des situations de vie difficiles ?... 110

La personne vulnérable est-elle réellement capable d’un authentique acte libre et d’un discernement pour une telle décision ? ... 115

L’euthanasie admise comme pratique sociale modifie-t-elle le rapport de solidarité vitale entre les citoyens ? ... 119

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Table des matières 225 Comment concevoir un acte libre

dans le contexte d’une pression sociale d’exigence à la performance et de l’insupportable

de la souffrance ? ... 126

Conclusion ... 133

quest-cequunthéOlOgienmOraliste Peutdiredeleuthanasie etdelavulnérabilité ? Thierry Collaud ... 135

La vie comme don... 137

La souffrance comme vie impossible ... 142

L’euthanasie, une validation du désespoir... 145

La responsabilité face à la vulnérabilité ... 150

En conclusion ... 155

lesuicideest-ilundrOitdelhOmme ? Jacques Ricot ... 157

Suicide et sacrifice ... 158

L’intention ... 159

Les motifs du sacrifice ... 161

Suicide et malheur ... 162

Ni réprobation ni approbation ... 167

Le suicide, une liberté ? ... 169

L’assistance au suicide ... 173

La question éthique du suicide assisté ... 177

Conclusion ... 180

est-ilPOssibledevOulOirlibrement êtreeuthanasié ? Nicolas Aumonier ... 183

Liberté du vouloir ... 185

(8)

La volonté peut-elle décider pour elle-même ? .... 187

La liberté de la volonté, éclairée par le bien ... 189

lamOrtest-elleunmalPOurledéfunt ? quelquesélémentsPOuralimenter ledébatsurleuthanasie Bernard N. Schumacher... 193

La mort est un mal dit « comparativement extrinsèque » ... 198

Calculer l’avenir d’une existence humaine ... 202

La mort est toujours un mal ... 213

PrésentatiOndesauteurs... 219

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Bernard N. Schumacher

Introduction

Euthanasie de la personne vulnérable : enjeux éthiques

« Je ne l’ai pas reconnue. Je l’avais perdue et elle était perdue. […] Je ne comprenais plus. Les meubles étaient déplacés, elle avait du beurre écrasé dans les cheveux, des mégots dans le soutien-gorge à moitié défait, elle errait de la cuisine à la chambre et ses yeux étaient devenus tellement épais 1. »

Lorsque Colette Fellous revoit sa mère après une absence de plusieurs mois, voilà le portrait qu’elle en brosse. Comme si sa mère avait disparu. Le mari de la romancière britannique Iris Murdoch, atteinte de la maladie d’Alzheimer, éprouve la même sorte d’impres- sion en présence de sa femme. Il en livre une description plus difficile à lire encore. John (tel est son prénom), en effet, en vient à se demander si cette personne en face de lui est vraiment son épouse, et l’interrogation se fait si pressante qu’il ne peut plus lui attribuer que le pronom

Bernard N. Schumacher, philosophe, maître d’enseignement et de recherche à l’université de Fribourg (Suisse).

1. C. Fellous, Rosa Gallica, Paris, L’Arpenteur, 1989, p. 35.

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(im)personnel « elle » : « Qui est cette elle qui a fait son apparition et avec qui les autres et moi-même sommes d’une familiarité si déplaisante ? Nous sommes fami- liers parce que nous la voyons du dehors. Ma femme est devenue “elle” 2. »

La difficulté à reconnaître la personne que l’on a côtoyée de longues années durant renvoie à une autre question, celle de la valeur de l’existence de cet autre. Le cinéaste espagnol Luis Buñuel affirme quant à lui sans détour qu’une vie ainsi vécue n’en est plus une : « Une vie sans mémoire ne serait pas une vie, pas plus qu’une intelligence sans possibilité de s’exprimer ne serait une intelligence. Notre mémoire est notre cohérence, notre raison, notre sentiment, et même notre action. Sans elle, nous ne sommes rien 3. » La vie d’une personne devenue dramatiquement vulnérable – comme celle d’un malade atteint d’Alzheimer, d’un nouveau-né ou d’une personne gravement handicapée – vaut-elle encore la peine d’être vécue ? Si cette personne est capable de demander à être euthanasiée, peut-on, sur les plans à la fois éthique et sociétal, accéder à sa requête et la tuer ? Par ailleurs, comment se comporter avec celles qui ne sont pas, ou plus, capables de formuler une telle demande ?

Autant de questions qui ne surgissent pas ex nihilo.

En effet, en réaction au contrôle exercé sur la mort des indi- vidus par la médecine et la société dès les années 1960 et 1970, favorisé par de fulgurantes avancées technologiques, une revendication est née : une personne en fin de vie doit désormais pouvoir décider, au nom de son autonomie, de ne plus subir de traitements médicaux qu’elle jugerait trop lourds, et refuser d’être soignée. Elle s’arroge ainsi un droit

2. J. Bayley, Iris Murdoch, le dénouement, traduit par M. Lévy-Bram, Paris, Fayard, 2000, p. 214.

3. L. Buñuel, Mon dernier soupir, Paris, Robert Laffont, 1982, p. 11.

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Introduction 9 à mourir, au sens d’un droit à se laisser mourir, selon la thèse que défend le philosophe allemand Hans Jonas 4. La mort cesse dès lors d’être contrôlée par le pouvoir biomédical et sociétal : elle est la conséquence du choix d’un individu qui manifeste ainsi son refus de se laisser enfermer dans un système médical technocratique. La médecine s’incline devant une volonté personnelle qui décide de l’arrêt de soins qu’elle juge déraisonnables.

Cette revendication, légitime, du droit à mourir s’est toutefois transformée au cours de ces dernières décen- nies, de manière insidieuse, en un pseudo-droit à la mort, ainsi que certains osent le formuler. C’est-à-dire qu’on ne réclame plus seulement le droit de refuser des traitements – le droit à mourir – mais également celui de fixer l’ins- tant même de sa propre mort. En tant que droit, celui-ci serait porteur d’un devoir corrélatif qui incomberait à la société : rendre possible cette mort délibérée. Cela revient, très concrètement, à exiger le droit de se donner soi-même la mort avec l’aide d’autrui (il s’agit du suicide assisté au cours duquel autrui me donne un poison mortel que j’ingur- gite) ; ou le droit de mettre à mort un être humain si celui-ci le demande explicitement (avec l’euthanasie, c’est autrui qui pose le geste de faire mourir). De fil en aiguille, on en est venu à demander de recourir à l’euthanasie lorsque la personne n’est pas, ou plus, en mesure de la demander ; ainsi du nouveau-né, de l’enfant, de la personne souffrant d’un grave handicap mental ou du dément. L’argument principal en faveur du suicide assisté et de l’euthanasie repose, d’une part, sur une certaine interprétation des notions de dignité et d’autonomie, ainsi que de qualité de

4. D’après le titre allemand de son bref essai, plus explicite : Techniken des Todesaufschubs und das Recht zu sterben, Frankfurt am Main, Insel Verlag, 1985 (Le droit de mourir, traduit par P. Ivernel, Paris, Éditions Payot & Rivages, 1996).

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vie ; d’autre part, sur une éthique utilitariste conséquentia- liste, confortée par une éthique des désirs, des intérêts et des préférences subjectifs.

Cet ouvrage, en s’appuyant sur l’interdisciplinarité, a pour but de nourrir la réflexion sur la question de l’eu- thanasie de la personne vulnérable mais aussi de celle qui n’est plus, ou pas, en mesure d’exprimer sa volonté de manière explicite, au sein d’une société qui promeut le jeunisme et ses performances, marquée par la fragilité des liens sociaux, et atteinte d’une peur panique à l’égard de la souffrance et de la mort.

L’économiste Paul H. Dembinski insiste dans sa contribution au titre provocateur, « Vers “l’euthanasie du rentier” », sur le fait que, depuis plusieurs décennies, l’espérance de vie ne cesse d’augmenter en Europe. Ce qui entraîne au moins trois conséquences : l’allongement potentiel de la durée de la vie active, la pression grandis- sante que subit le système des assurances vieillesse fondé sur le principe de capitalisation, et l’augmentation des coûts de prise en charge des dernières années de la vie.

En d’autres termes, cette évolution accentue le fossé entre les personnes au seuil du troisième âge dont le bien-être individuel (grâce à l’allongement de la vie) augmente, et les générations actives sur lesquelles les charges finan- cières pèsent de plus en plus lourd. Il confirme que le dispositif actuel ne va cesser de se fragiliser. À partir de données générales sur la solidarité intergénérationnelle, il envisage des solutions. Parmi celles-ci, il fait porter notre attention sur l’éventuel contrôle biaisé de l’espérance de vie, grâce notamment à l’euthanasie du rentier, qui pour- rait tenter certains gardiens des équilibres budgétaires.

Dénonçant cette « alliance objective » entre les milieux de la finance, il propose une approche économique qui reposerait sur la responsabilité collective, dans le cadre d’une réflexion autour du bien commun, permettant de

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Introduction 11 préserver l’harmonie entre les générations, et tout parti- culièrement de protéger les personnes les plus vulné- rables. La conclusion de cette contribution soulève une question essentielle : comment préserver cette harmonie dans la relation de soins ?

Cette interrogation, la philosophe et infirmière anesthésiste de formation Laurence Henry l’aborde dans son article « Confiance et vulnérabilité dans la relation soignante ». Bien que la relation patient/soignant se fonde sur un contrat, qui peut être écrit, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’abord d’une relation de confiance entre des personnes, une confiance qui émane même de celle qui ne serait plus en mesure de s’exprimer en paroles de manière consciente. La confiance est bien à la base de la relation soignant/patient, car elle naît de la vulnérabilité, plus ou moins grande, de la personne.

Cette confiance, assortie d’un respect mutuel entre les différents acteurs, s’établit sur l’assurance que le médecin ou le soignant aura toujours à l’esprit de travailler au vrai bien de son patient, sans par conséquent toujours aller dans le sens des désirs de ce dernier. Si la confiance est nécessaire à l’observance d’un traitement et à l’obtention des éléments sur lesquels poser un diagnostic, elle l’est certainement bien davantage lorsque la vulnérabilité est irréversible et que la mort s’annonce. Laurence Henry se demande si la confiance que le patient en fin de vie met en son médecin est la même selon que ce patient sollicite l’euthanasie ou rien d’autre que des soins pallia- tifs. Certains éléments altéreraient-ils cette confiance ? L’auteur affirme que la finalité du soin, et donc celle de la relation soignante, est modifiée avec la demande de mort, s’éloignant alors du souci de l’autre (care). La demande de mort devient synonyme de liberté et de dignité ; tandis que la vulnérabilité est transformée en aliénation et en indignité. Dans un tel contexte, l’auteur

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questionne la place qu’occupe aujourd’hui le sens de la vulnérabilité dans le débat sur l’euthanasie. Or, elle soutient que nous peinons à la trouver, à la comprendre : en effet, les contraintes effectives de cette vulnérabilité nous paraissent n’être que des freins à l’exercice de notre liberté. Parce que la perte d’autonomie et la dépendance se confondent, on tente tout pour s’en libérer, jusqu’à changer le sens des mots et de leur contenu.

La question de la confiance dans la relation de soins soulève également celle de la souffrance de la personne vulnérable qui demande l’euthanasie. Le sociologue David Le Breton, dans sa contribution « Vulnérabilité et eutha- nasie en question », interroge cette demande, laquelle correspond rarement à une quête de la mort mais vise plutôt à mettre fin à une douleur, à être délivré. La mort volontaire est en effet le symptôme d’un épuisement du sens de la vie et de la disparition du goût de vivre. L’au- teur analyse les ambivalences et les ambiguïtés d’une telle demande, tout en démontrant la responsabilité de la société vis-à-vis de la personne vulnérable qui souffre. Il fait égale- ment remarquer que l’écoute attentive de la personne en fin de vie – quel que soit son niveau de conscience – apaise la souffrance. Alors, la personne éprouve qu’elle n’est pas un fardeau, qu’elle mérite qu’on se soucie d’elle. Le Breton fait également la distinction entre, d’une part, le refus d’une obstination déraisonnable dépourvue de sens et source de souffrance et, d’autre part, l’interdiction de donner la mort à un malade vulnérable. Cette distinction impose une responsabilité et une sollicitude sans faille qui renforcent les obligations de la communauté.

Sa réflexion théorique à propos des ambivalences et des ambiguïtés liées à la demande d’euthanasie est suivie d’un état des lieux, « L’euthanasie en Belgique : évolutions, solidarités, défis multiples ». Marc Desmet, médecin, présente dans un premier temps la manière dont

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Introduction 13 les statistiques sur l’euthanasie ont évolué depuis 2002 en Belgique, avant de commenter un certain nombre des questions qui y sont débattues : le droit de mourir lorsque la vie devient difficile, la faculté de discerner et de décider librement, la conséquence de l’acte d’euthanasie sur le lien entre les citoyens et, enfin, la pression sociale qui exige la performance et l’insupportable souffrance qui entrave la capacité à poser un acte libre. Il soutient que les évolutions actuelles confirment que l’euthanasie, symbole de la prétendue autonomie de l’individu, n’est rendue possible que grâce à toutes sortes d’assistances, à commencer par celle du médecin.

Un autre médecin, de plus éthicien et théologien, Thierry Collaud, apporte à ce sujet un nouvel éclairage dans sa contribution « Qu’est-ce qu’un théologien mora- liste peut dire de l’euthanasie et de la vulnérabilité ? », en ce qu’il étudie ces deux concepts à la lumière de la catégorie du don gratuit. L’euthanasie nous interpelle, car elle désigne l’impossibilité d’accueillir le don de la vie, don incommensurable et inqualifiable, si fragile soit- il, qui continue à se manifester par-delà la souffrance.

Il ne s’agit pas de nier celle-ci, mais de la prendre au sérieux et de la combattre par tous les moyens. L’au- teur soutient que la vulnérabilité est indissociable d’une nécessaire exposition de soi, car autrui représente un don et implique une responsabilité ; en cela, je le reçois et je dois en prendre soin. Sa vie m’est confiée et l’exigence éthique est de tout faire pour qu’elle puisse se développer avec ou malgré sa fragilité. J’ai donc une responsabilité infinie à l’égard d’autrui, qui m’est confié pour qu’il vive.

Même si, parfois, nous pouvons être bouleversés par le caractère insupportable de la souffrance, c’est toujours un échec, cependant, de ne pas trouver d’autre solution que de refuser une vie à cause de sa fragilité.

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La responsabilité fondamentale envers autrui renvoie à cette question : « Le suicide est-il un droit de l’homme ? » C’est le philosophe Jacques Ricot qui y répond ici. Il distingue dans un premier temps les notions de suicide et de sacrifice, en insistant sur ce qui motive l’acte. Après un rapide survol historique de l’évo- lution de la représentation du suicide, il fait remarquer que le suicide est considéré aujourd’hui non plus comme une faute mais plutôt comme un malheur : un malheur que les juristes présentent comme le résultat d’une liberté

« individuelle ». Ricot constate que la conversion de cet acte libre en un droit opposable constitue une mutation considérable. En effet, le suicide dès lors n’est plus seule- ment une éventualité laissée à l’initiative de l’individu dans le désespoir de sa solitude, mais une réponse de la société consistant à le conforter dans le dénigrement de soi. L’auteur souligne qu’il existe un gouffre entre ce type de liberté et un tel droit qui somme le corps social d’ap- prouver cette décision. Une telle liberté est au demeurant bien discutable, car on ne se suicide pas par choix mais bien parce que l’on n’entrevoit pas d’autre choix.

Le philosophe Nicolas Aumonier approfondit cette dernière question dans sa contribution « Est-il possible de vouloir librement être euthanasié ? ». Il semble, à première vue, que la demande d’euthanasie, quelle que soit la souffrance endurée, soit une décision libre.

D’autant que ceux qui la réclament placent la volonté au-dessus des diverses déterminations qui pourraient paraître conditionner leur décision. Or, la volonté peut- elle réellement décider de se faire mourir ? Au bout du compte, cette décision est-elle déterminée par la souf- france ou par le désir de contrôler sa vie de bout en bout ? Se référant à la liberté d’indifférence cartésienne comme au plus bas degré de la liberté, il souligne que la liberté

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Introduction 15 d’euthanasie se caractérise par une compréhension de la liberté qui place la volonté au-dessus du bien, lequel est saisissable par l’entendement. Le choix de l’euthanasie n’est possible que si nous nous coupons fictivement du monde. Enfin, un tel choix ne saurait être un bien car, en plus de tuer, il menace la cité dans son ensemble.

Cette problématique renvoie à la question fonda- mentale, sous-jacente au débat autour de l’euthanasie, qui fait l’objet de ma propre contribution « La mort est-elle un mal pour le défunt ? » En effet, si on pense pouvoir affirmer de manière crédible que tuer un être humain – soi-même ou autrui – est un acte bon sur le plan éthique, on se doit de démontrer que la mort n’est pas un mal, c’est-à-dire qu’elle peut être considérée comme un bien. Je présente dans un premier temps les arguments favorables à l’euthanasie, ceux des philosophes soute- nant que la mort peut être considérée, dans certains cas, comme un bien pour la personne décédée. Dans un second temps, je propose une analyse critique de leurs positions, en mettant notamment en lumière que la condition nécessaire de la présence de désirs subjectifs, voulus et exprimés consciemment, par la personne, n’est peut-être pas un absolu. Après avoir montré la fausseté des deux prémisses sur lesquelles repose la thèse de la mort considérée comme un bien, j’approfondis le débat.

En effet, la mort ne prive pas seulement la personne de la capacité d’actualiser ses désirs, ou d’exercer sa raison et son autonomie, mais aussi, et plus fondamentalement, de son existence même. J’en conclus que la mort est toujours un rapt et un mal pour le défunt ; elle inter- rompt brutalement la vie d’une personne singulière dont l’existence n’est pas une simple donnée quantifiable, mais un don surpassant toute représentation que l’on peut s’en faire et tout calcul visant à la maîtriser.

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Paul H. Dembinski

Vers « l’euthanasie du rentier »

« Un vieil homme vivait avec son fils, sa belle-fille et son petit-fils. Le fils et sa femme le considéraient comme un fardeau et ne voulaient plus dans leur foyer d’une personne âgée et physiquement diminuée. Ils décidèrent de se débarrasser du problème. Le fils installa son père handicapé dans un panier et s’enfonça dans la forêt, où il comptait abandonner le vieillard. Le petit-fils, observant son propre père, lui dit : “Père, n’oublie pas de ramener le panier”, “Pourquoi ?” demanda le père. “Parce que j’en aurai besoin quand tu seras vieux”, répondit l’enfant. » Conte populaire bengali 1.

PrOlégOmènes

La prise en charge des aînés n’a jamais coulé de source, comme en témoigne la petite histoire en exergue.

La tentation de l’asphyxie économique, voire de l’eutha- nasie du vieux devenu encombrant et, parfois, bloquant l’accès à l’héritage, a très probablement existé sous toutes

Paul H. Dembinski, économiste, professeur associé, Faculté des sciences économique et sociales, université de Fribourg (Suisse).

1. Cité dans Voix d’Afrique, no 92, septembre, disponible en ligne sous : http://peres-blancs.cef.fr/vieux_en_afrique.htm.

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les latitudes et à toutes les époques. Cela explique en partie la genèse des systèmes modernes de retraite qui sont aussi nés pour diminuer la dépendance des aînés par rapport au bon vouloir de leurs descendants. Aujourd’hui ces systèmes montrent de plus en plus clairement leurs limites, ce qui repose les vieilles questions. Notre époque ne fait donc pas exception en s’interrogeant sur la juste répartition du poids économique des anciens et sur ses modalités de prise en charge.

Le titre fait allusion aux propos de John Keynes, dans les notes conclusives de sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie 2. Il y évoque en effet le caractère d’après lui inexorable de « l’euthanasie du rentier et du capitaliste oisif », qui se produira au moment où le capital sera pléthorique et où donc rien ne justifiera plus sa rémunération. Dans un commen- taire récent, Paul Krugman a remis la problématique du rentier au goût du jour, en faisant le parallèle entre les propos de Keynes et le bas niveau des taux actuels, voire négatifs 3. En effet, les taux proches de zéro depuis 2009 soumettent les retraites par capitalisation à une pression sans précédent, celle-ci n’étant qu’une des facettes d’un

2. J. Maynard Keynes (1936), Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, traduit par J. de Largentaye, Paris, Payot, 2005. Dans la dernière des « Notes finales sur la philosophie sociale à laquelle la Théorie générale peut conduire », Keynes fait la réflexion suivante : « La généralisation de la rente nous paraît constituer une phase de transition du capitalisme ; elle prendra fin lorsqu’elle aura rempli son objet. Et la disparition de la rente du capital entraînera bien d’autres changements radicaux dans ce régime. Le grand avantage de l’évolution que nous préconisons, c’est que l’euthanasie du rentier et du capitaliste oisif n’aura rien de soudain, qu’elle n’exigera aucun bouleversement, étant simple- ment la continuation par étapes, mais longuement poursuivie, de ce que nous avons connu récemment en Grande-Bretagne » (p. 369-370).

3. Voir P. Krugman, « The euthanasia of the rentier », New York Times, 22 janvier 2014.

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