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Sous-traitance dans l'industrie et ineffectivité du droit du travail : une analyse économique

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Sous-traitance dans l’industrie et ineffectivité du droit

du travail : une analyse économique

Corinne Perraudin, Nadine Thevenot, Bruno Tinel, Julie Valentin

To cite this version:

Corinne Perraudin, Nadine Thevenot, Bruno Tinel, Julie Valentin. Sous-traitance dans l’industrie

et ineffectivité du droit du travail : une analyse économique. Economie et institutions, Amiens :

Economie et institutions CRIISEA, 2006, 2eme semestre (9), pp.35-56. �halshs-00265959�

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Corinne Perraudin, Nadine Thèvenot, Bruno Tinel, Julie Valentin

Sous-traitance dans l’industrie et ineffectivité du droit du travail : une analyse économique

Mots clés: sous-traitance, subordination, droit du travail, contrat de travail, Enquêtes Annuelles d’Entreprises

Key-words :

Codes JEL : L240, J21, J23, J530, J810, K310 Les propositions visant à alléger ou assouplir la protection de l’emploi se fondent sur l’hypothèse selon laquelle les entreprises font face à une incertitude accrue et à un besoin d’ajustement croissant face aux aléas de la demande et de l’activité. L’objet de cet article est de montrer, à partir de l’étude des pratiques des entreprises en matière de sous-traitance dans l’industrie en France, que l’augmentation du recours à la sous-traitance n’est pas tant liée à une incertitude accrue qui justifierait une adaptation du droit du travail, qu’à des comportements de substitution par lesquels les entreprises privilégient des contrats commerciaux aux contrats de travail. Cet article conclut alors sur le besoin d’un renforcement du droit du travail destiné à améliorer les protections des travailleurs concernés par ces pratiques.

The proposals aiming at reducing or making more flexible job protection are built upon the hypothesis according to which firms are forced to adapt to increasing uncertainty of demand and activity. Analysing firms’ behaviour in French industry, this paper shows that the increase in sub-contracting resort is related less to a rise in uncertainty than to a substitution behaviour giving greater place to commercial contracts to the detriment of labour contracts. In conclusion, strengthening labour legislation would improve protections of workers affected by those practices.

(3)

Sous-traitance dans l’industrie et ineffectivité du droit du travail : une

analyse économique

Corinne Perraudin

1

, Nadine Thèvenot

2

, Bruno Tinel

3

,

Julie Valentin

4

Introduction

Plusieurs institutions d’envergure nationale ou internationale se sont récemment inquiétées de l’extension de pratiques brouillant l’identité de l’employeur effectivement responsable du futur de la relation de travail. En particulier, c’est le cas de la sous-traitance, où le donneur d’ordres n’est pas le signataire du contrat de travail bien qu’il soit celui qui mobilise effectivement la main-d’œuvre. Dans le contexte français, un récent rapport du Conseil économique et social souligne ainsi les conséquences sociales des stratégies d’externalisation mises en œuvre par des donneurs d’ordres qui « substituent à la gestion directe de règles individuelles et collectives du droit du travail la mise en œuvre de règles commerciales » [Conseil économique et social, 2005, p.5] et invite à une réflexion sur les nouveaux besoins en matière de sécurisation des parcours professionnels. Au niveau international, on peut également mentionner l’intérêt porté à ces questions par la Commission européenne [Perulli, 2003] ou la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de travail [Pedersini, 2002]. De son côté, le Bureau international du travail s’est engagé depuis une dizaine d’années dans une série d’études sur les nouveaux besoins de protection des travailleurs associés aux transformations du monde du travail. Si aucune recommandation n’a pu être proposée faute de consensus entre les parties [BIT, 2006], le BIT insiste sur la nécessité de trouver les dispositifs juridiques adaptés à ces nouvelles pratiques.

Cependant, aucun n’interroge le bien-fondé de ces usages, leur viabilité à long terme et leur efficacité, comme si la nécessité d’imposer la « flexibilité » pour survivre dans un monde concurrentiel semblait entérinée. Le rapport du Conseil économique et social, par exemple, part du postulat selon lequel « la sous-traitance a pour objectif principal de permettre à une entreprise de répondre à des fluctuations d’activité à un moindre coût ». L’hypothèse selon laquelle les entreprises font face à une incertitude accrue et à un besoin d’ajustement croissant face aux aléas de la demande et de l’activité, aléas liés en particulier à une concurrence supposée de plus en plus vive dans un environnement dorénavant mondial, est systématiquement évoquée.

Dans ce contexte, les entreprises pourraient chercher à contourner le droit du travail (substitution du licenciement pour motif personnel aux licenciements économiques, recours aux emplois temporaires, filialisation….) et ce contournement serait alors interprété comme une stratégie de « survie » pour des entreprises qui doivent trouver les supports contractuels leur octroyant le plus de flexibilité. On retrouve là le soubassement des propositions récentes visant à rendre plus souples ou à élargir les cas de recours aux emplois temporaires qui se sont développés ces dernières années (mise en place du Contrat Nouvelle Embauche, discussion sur le Contrat Première Embauche ou le contrat unique). Comme pour les emplois temporaires, le recours à la sous-traitance est généralement considéré comme un moyen d’acquérir de la flexibilité.

C’est ce postulat que nous entendons ici mettre en question, à partir de l’étude des pratiques de sous-traitance des entreprises industrielles en France depuis le milieu des années 1980.

1 Centre d’études de l’emploi (CEE) et Samos-Matisse-CES, Université Paris 1. Adresse : CEE, Le

Descartes, 29 Promenade Michel Simon, 93166 Noisy le grand Cedex. Tel : 33 (0)1 45 92 68 37,

Corinne.Perraudin@cee.enpc.fr

2 Matisse-CES, Université Paris 1. Adresse : MSE, 106-112 Boulevard de l’hôpital, 75647 Paris cedex

13. Tel : 33(0) 1 44 07 81 66. thevenot@univ-paris1.fr

3 Matisse-CES, Université Paris 1, btinel@univ-paris1.fr 4 Matisse-CES, Université Paris 1, jval@univ-paris1.fr

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Si le recours à la sous-traitance tient pour partie à une pratique d’évitement des règles du droit du travail, ce qui se joue n’est alors pas l’excès de droit du travail mais son insuffisance. Nous montrerons en effet que la généralisation du recours à la sous-traitance est un facteur d’affaiblissement de la portée des règles du droit. Cet article conclut ainsi sur le besoin d’un renforcement du droit du travail destiné à améliorer les protections des travailleurs concernés par ces pratiques. Nous nous appuierons principalement sur des travaux qui ont permis de mettre en évidence, au niveau empirique et théorique, l’augmentation du recours à la sous-traitance, ses effets sur l’emploi salarié, ses déterminants et le renouveau en termes de subordination réelle ainsi induit5.

Dans une première partie, nous montrons que la sous-traitance relève pour partie d’un évitement du droit du travail, soit par le biais de comportements de substitution des contrats commerciaux aux contrats de travail, soit par le fait que les donneurs d’ordres maintiennent leurs effectifs sous les seuils juridiques qui donnent accès en particulier aux droits à la représentation collective. Il s’agira notamment de mettre à l’épreuve l’hypothèse souvent évoquée selon laquelle les entreprises recourent à la sous-traitance parce qu’elles font face à une incertitude accrue, cette pratique leur permettant alors de s’adapter plus facilement à leur environnement et de bénéficier ainsi de profits plus élevés.

La seconde partie développera alors l’argument selon lequel le recours à la sous-traitance est un facteur d’affaiblissement de la portée du droit du travail. Même si les travailleurs qui sont mobilisés par la médiation de la sous-traitance sont titulaires d’un contrat de travail délégué par leur employeur de fait (le donneur d’ordres) à leur employeur de droit (le preneur d’ordres), la généralisation de la sous-traitance conduit à l’éclatement du collectif de travail. Trois éléments jouent en ce sens : la réduction de la taille des entreprises, les liens de subordination entre preneurs d’ordres et donneurs d’ordres, et la dégradation des conditions d’emploi et de travail dans les entreprises preneurs d’ordres. Parce que le droit du travail ne prend pas en compte la spécificité du travail en sous-traitance, nous serons alors conduits à conclure sur des pistes visant à renforcer le droit du travail face à un besoin de protections plus grand des travailleurs concernés par ces pratiques.

1. Recours à la sous-traitance et évitement des règles du droit du travail :

mise en évidence empirique

Si les économistes industriels ont cherché à mettre en évidence les avantages pour les entreprises à « se recentrer sur leur cœur de métier » plutôt qu’à diversifier leurs activités, à « faire faire » plutôt qu’à intégrer face aux fluctuations de l'activité dans une économie supposée plus instable, la thématique de la sous-traitance reste peu développée en économie du travail. La thèse défendue ici est que les relations de sous-traitance s'inscrivent dans des rapports de force visant, pour les donneurs d'ordres, à réduire leur engagement vis-à-vis d'une main-d’œuvre salariée directe et à garder le contrôle d'une main-d’œuvre externe qu'ils mobilisent via le recours à un contrat commercial (1.1) En effet, la centralité du motif de substitution au recours au travail salarié qui se joue derrière le développement de la sous-traitance peut être mise en évidence au niveau empirique (1.2). Une partie de ces pratiques permet en outre aux entreprises de déroger aux règles légales de représentation des salariés (1.3).

5 Voir notamment Valentin dir, 2006. Les résultats empiriques discutés ici ont été établis sur la base

des Enquêtes Annuelles d’Entreprises, qui décrivent les éléments du plan comptable de l’ensemble des entreprises de 20 salariés et plus, et que nous exploitons pour le champ de l’industrie restreint aux secteurs des biens de consommation, des biens d’équipement et des biens intermédiaires sur la période 1984-2003. Les caractéristiques de la base de données sont données en annexe (voir Tableau 1).

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1.1 Les contours de la sous-traitance : enjeux théoriques et empiriques

En économie industrielle, la sous-traitance est étudiée sous l'angle de la problématique de l'intégration verticale ou de l'organisation efficace des activités par les firmes. On peut trouver néanmoins des divergences entre les corpus théoriques selon qu'ils se focalisent sur la problématique de l'échange ou sur les difficultés de production. Dans la théorie des coûts de transaction notamment, une firme choisit le mode de gouvernance des transactions (marché, hiérarchie, forme hybride) qui minimise les coûts de transaction. La solution (« optimale ») dépend ici des attributs des transactions (fréquence, incertitude qui les entoure, spécificité des actifs nécessaires à leur réalisation) qui influencent le coût associé à leur organisation dans telle ou telle configuration [Williamson, 1991]. Les approches évolutionnistes, quant à elles, mettent l'accent sur les avantages à « se recentrer sur le cœur de métier » afin de bénéficier des effets d'apprentissage propres à la spécialisation [Dosi, Teece, Winter, 1990]. Dans ces approches, cependant, le recours à la sous-traitance par les firmes ne constitue pas une catégorie spécifique dans le processus de désintégration verticale par rapport aux achats de consommation intermédiaire, sauf au regard des clauses contractuelles qui devront permettre de se protéger contre d'éventuels comportements opportunistes et d'assurer la sauvegarde des contrats [Hart, Moore, 1990]. Les termes qualifiant ces accords sont ici révélateurs de l'intérêt mutuel qu'a chacune des parties à « bien se comporter » : accord de « coopération », « partenariat » sont censés ainsi promouvoir l'intérêt général.

La sous-traitance renvoie pourtant à une « organisation productive segmentée » [Vennin, 1975] impliquant des rapports de domination. Les dépenses de sous-traitance se distinguent ainsi des achats de consommations intermédiaires dans la mesure où elles contribuent à la réalisation d’un « produit collectif » dont le donneur d’ordres a le contrôle final. C’est d’ailleurs sur cette dimension que s’appuie le Conseil économique et social dans son avis du 21 mars 1973 lorsqu’il définit la sous-traitance comme « l’opération par laquelle une entreprise confie à une autre le soin d’exécuter pour elle et selon un certain cahier des charges pré-établi, une partie des actes de production ou de services dont elle conserve la responsabilité économique finale ».

Les dépenses de sous-traitance se distinguent également des achats de consommations intermédiaires sur le plan juridique et sur le plan comptable. D'une part, d'un point de vue juridique, le contrat de sous-traitance n'est pas un contrat de vente parce qu'il met en jeu une relation de travail. Le critère juridique le plus largement utilisé pour qualifier une relation de sous-traitance est celui selon lequel la production à réaliser fait l'objet de spécifications ou directives précises convenues à l'avance de la part du donneur d'ordres. Le produit réalisé par le sous-traitant est ainsi destiné à répondre à des besoins précis du donneur d'ordres. La définition de la sous-traitance généralement admise est celle de l’AFNOR (Association française de normalisation). La sous-traitance « qualifie ainsi les opérations concernant, pour un cycle de production déterminé, une ou plusieurs opérations de conception, d’élaboration, de fabrication, de mise en oeuvre ou de maintenance du produit, dont une entreprise, dite donneur d’ordres, confie la réalisation à une autre entreprise, dite sous-traitant ou preneur d’ordres, tenue de se conformer exactement aux directives ou spécifications techniques que ce donneur d’ordres arrête en dernier ressort. Posant comme condition que le donneur d’ordres garde en dernier ressort la responsabilité technique et commerciale des produits ou composants, cette définition a conduit à distinguer sous-traitants et équipementiers, notamment dans l’automobile et l’aéronautique. » [SESSI, 2000].

D'autre part, d'un point de vue comptable, les dépenses de sous-traitance se distinguent des achats de consommation intermédiaire et comprennent trois types de charges externes : la sous-traitance générale (poste 611 du PCG), qui correspond à des produits ou prestations qui ne peuvent pas être incorporés directement aux ouvrages, travaux et produits à la réalisation desquels ils concourent (définition AFNOR), les achats d’études et de prestations de services (604) et les achats de matériels, équipements et travaux (605). On appelle sous-traitance totale la somme de ces trois postes. L'hypothèse formulée dans cet article est que la relation de sous-traitance constitue une relation de travail entre deux entreprises, au sens où le donneur d'ordres commande une prestation de travail qui, sans son initiative, n'aurait pas lieu d'être. Elle prend appui sur l'intérêt qu'ont

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pu porter les juristes notamment aux conséquences de la subordination inter-entreprises de nature économique sur l'état de subordination des salariés des sous-traitants.

En économie du travail, et dans une perspective empirique, ce n'est que récemment que des travaux menés essentiellement sur données américaines ont appréhendé la sous-traitance (subcontracting, contracting out) comme une forme de mobilisation du travail. Deux perspectives se dégagent selon que l'on se centre sur la situation des travailleurs concernés ou sur les pratiques des entreprises. Dans le premier cas, la sous-traitance est traitée au sein d'un ensemble plus vaste, regroupant tous les « arrangements contractuels flexibles » qui englobent dans une entité commune, appelée contingent work, l'intérim, les CDD, la sous-traitance de prestations de service et les travailleurs « on call »6. Il s'agit alors de faire

apparaître les différences significatives en termes de conditions d'emploi des travailleurs de cette catégorie par rapport à ceux ayant un contrat de travail dit standard. Sont, entre autres, mises en évidence une moindre stabilité de l’emploi [Houseman, Polivka, 2000] et de plus faibles rémunérations [Erickcek, Houseman, Kalleberg, 2003b, Segal, Sullivan, 1995].

L'analyse des pratiques des entreprises, à laquelle renvoie plus certainement la problématique de notre recherche, a pour objet l’explication du recours à ces formes de mobilisation de la main-d'œuvre. Houseman (2001a, 2001b) met en avant, à partir d’une enquête menée auprès de 550 employeurs, les économies réalisées, non pas tant sur le coût direct de la main-d’œuvre, mais sur la couverture sociale à la charge des entreprises. De même, Erickcek, Houseman et Kalleberg (2003a) montrent, à travers des études de cas sur trois secteurs différents, que le recours à la sous-traitance de service a été un moyen lors de la récession des années 1990 de modérer les salaires des travailleurs employés directement. Dans le même esprit, Abraham et Taylor (1996) réalisent une confrontation économétrique sur données d’établissements de trois motifs de recours. Les deux premiers inscrivent la sous-traitance dans le champ de l'économie du travail en s'interrogeant sur les économies de coût de main-d’œuvre et l’ajustement de l’emploi aux fluctuations de l’activité que permettrait le recours à la sous-traitance. Enfin, la représentation de l'économie industrielle définit le dernier motif autour de logiques de spécialisation. Ils montrent que les trois logiques sont à l’œuvre, et que leur importance diffère en particulier selon le service externalisé. Enfin, cherchant l'interrelation de ces pratiques au cadre légal de la relation salarié, Autor (2003) montre, à partir d’un test économétrique d’un modèle théorique, que les restrictions légales sur le licenciement adoptées par 44 Etats américains peuvent expliquer une part importante du développement du recours à l'externalisation observé entre 1973 et 1995 (20% selon son estimation).

Toutes ces contributions ont pour point commun de poser d’emblée la sous-traitance comme une alternative au contrat de travail. En France, les analyses tant théoriques qu’empiriques de la sous-traitance n’adoptent pas cette perspective [Altersohn, 1997, Quelennec, 1987, les 4 pages du SESSI]. Les approches de l’économie industrielle, comme on l'a vu, ne considèrent pas la main-d’œuvre ainsi extériorisée, mais la « tâche » qu’une entreprise spécialisée est censée mieux réaliser et la nature des contrats inter-entreprises qui en découle. Quant à l’économie du travail, la relation de sous-traitance se trouve, en quelque sorte, hors de son champ dans la mesure où elle se concentre sur l’étude des relations d’emploi. C’est dans des travaux de nature davantage sociologique, ou relatifs à la gestion, que les relations inter-entreprises (filiales et/ou sous-traitance) sont étudiées sous l’angle de leurs conséquences en termes de rapports de subordination [Beaujolin, 1999, Coutrot, 2002, Linhart, 2003]. La question de la sous-traitance dans l’éclatement des collectifs de travail est également posée depuis longtemps par les juristes [Mageaud, 1975] et demeure un objet central pour les travaillistes [Supiot, 1999, Morin, 2001] en tant que source potentielle de contournement du contrat de travail.

1.2 La sous-traitance comme moyen de substitution des contrats commerciaux aux contrats de travail

6 Cette catégorie est une spécificité américaine désignant des salariés qui peuvent être appelés par une

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Les facteurs du recours à la sous-traitance par les entreprises en France peuvent être appréhendés par une estimation économétrique dans la lignée des travaux de Abraham et Taylor (1996). L’enjeu est de tester l’importance du motif de réduction des effectifs de l’entreprise comme déterminant du recours à la sous-traitance, à coté de raisons liées au recentrage sur le cœur de métier ou de réponse à des fluctuations de l’activité tout en contrôlant les effets de variables, telles que la taille, le secteur, l’environnement de marché (voir Valentin dir 2006 et les résultats reproduits en annexe, tableau 2). Afin de corroborer empiriquement l’hypothèse selon laquelle les entreprises recourent davantage à la sous-traitance pour répondre aux besoins d’ajustement face aux fluctuations de l’activité, on doit observer une relation statistique positive entre le taux de sous-traitance une année donnée et un indicateur des fluctuations de l'activité au niveau des entreprises. Or, les résultats économétriques indiquent que le coefficient de l’indicateur d’incertitude (défini par l’ampleur des fluctuations du chiffre d’affaires de l’entreprise relativement à sa croissance moyenne sur la période 1984-2000) n’influence pas significativement le taux de sous-traitance en 2000 dans les secteurs des biens de consommation et des biens intermédiaires. Dans le secteur des biens d’équipement seulement, les fluctuations cycliques de l’activité ont tendance à augmenter le taux de sous-traitance des entreprises7. De plus, le coefficient

obtenu pour l’influence du taux de profit sur le taux de sous-traitance ne permet pas de corroborer l'hypothèse de l'amélioration de l'efficacité productive associée au recours à la sous-traitance. Ce ne sont pas les entreprises dont le taux de profit8 est le plus élevé qui

recourent le plus massivement à la sous-traitance. En effet, lorsqu'on observe un lien statistique entre taux de sous-traitance et taux de profit (uniquement dans le secteur des biens d'équipement), celui-ci est négatif. Finalement, ce ne sont pas les entreprises dont l’activité économique est la plus fluctuante ni celles qui sont les plus rentables (en matière de profit) qui usent le plus intensément de la sous-traitance. Ceci remet en cause le point d’appui des logiques dérogatoires qui se sont inscrites dans le droit du travail, en particulier en matière de travail temporaire9, autant que les tentatives d’atténuation des contraintes

légales censées circonscrire ces pratiques, qui ont parfois pour argument l’effet de contournement du droit du travail qu’induit un besoin d’ajustement à ces fluctuations que le droit ne permet pas.

La représentation de la sous-traitance que nous défendons ici est celle d'un mode de recours à une main-d’œuvre externe motivé par la réduction des effectifs internes qu’il induit. Si le recours à la sous-traitance s’accompagne d’une réduction des effectifs, cela définit selon nous une logique de substitution entre travail interne et travail externe. Dans cette optique, deux configurations sont envisageables. Celle du transfert (vase communiquant) d'une main-d’œuvre interne à un preneur d'ordres, qui implique, de fait, une réduction des effectifs de l’entreprise10, ou celle du recours à la main-d’œuvre d'un

preneur d'ordres que le donneur d'ordres aurait pu mobiliser directement11. La corrélation

entre le taux de sous-traitance individuel en 2000 et la tendance de l’emploi dans l’entreprise12 sur les 17 années passées permet d'évaluer empiriquement dans quelle

mesure la sous-traitance s'accompagne d'une baisse des effectifs dans les entreprises. Toutes choses égales par ailleurs, l’évolution des effectifs des entreprises influence négativement et significativement le taux de sous-traitance en 2000 dans les trois secteurs industriels, alors que l'évolution du stock de capital de l’entreprise (sur la période passée) n’a aucune influence significative dans aucun des trois secteurs (voir tableau 2 en annexe). C'est donc bien une logique d'extériorisation des individus, et non des tâches, qui est à

7 Ces résultats sont par ailleurs robustes en 2003 (voir Perraudin, Thèvenot, Valentin, 2006).

8 Le taux de profit est défini comme le ratio de l’excédent brut d’exploitation sur les immobilisations. 9 Sauze (2006) montre également, en adoptant une méthodologie similaire, que ce ne sont pas les entreprises dont les fluctuations du chiffre d’affaires sont les plus intenses qui recourent le plus aux CDD.

10 On regardera également si l’éventuelle réduction de de l’emploi s’accompagne ou pas d’une baisse

du stock de capital.

11 Dans cette configuration, le recours à la sous-traitance pourrait s’accompagner d’une augmentation

des effectifs du donneur d’ordres. On peut penser par exemple à une entreprise en croissance qui, face à la réalisation de nouvelles activités, décide d'en faire faire une partie par un sous-traitant.

12 L’évolution des effectifs est mesurée par le taux de croissance moyen des effectifs de l’entreprise sur

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l’œuvre. En effet, dans ce dernier cas, cela aurait dû impliquer une relation elle aussi négative de la tendance du capital avec le taux de sous-traitance dans ces secteurs industriels où travail et capital sont en partie complémentaires. L'appréhension de la sous-traitance comme mode de mobilisation de la main-d’œuvre est renforcée par l’influence d'autres indicateurs de gestion de l'emploi (coût salarial moyen, dépenses d'intérim, part des ouvriers employés). Au total, le déterminant le plus nettement établi au niveau économétrique est celui de la réduction des effectifs qui produit une substitution entre main-d’œuvre interne et main-d’œuvre externe. Or, au niveau sectoriel, ce sont près de 9 entreprises (de 20 salariés et plus) sur 10 qui traitent en 2003 et leur taux de sous-traitance a doublé en 20 ans [Perraudin, Thévenot, Valentin, 2006].

1.3 Les pratiques liées au contournement des seuils d’effectifs

Quel que soit le motif de recours à la sous-traitance, la diminution des effectifs réduit la contrainte juridique. En effet, le droit du travail est en partie modulé en fonction des effectifs. En particulier, le seuil juridique de 50 salariés13 modifie les droits en matière

d’hygiène et de sécurité (obligation de création du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), d’emploi (règlement du licenciement collectif, en particulier l’obligation d’élaborer un plan social), de formation (attribution de congés formation par exemple) et surtout de représentation collective (obligation de création du comité d’entreprise). Même si le comité d’entreprise (CE) ne constitue pas une instance de décision, mais seulement de consultation et d’information, sa présence est un moyen de contrôle de l’activité des dirigeants susceptible d’améliorer le rapport de force des salariés au sein de l’entreprise. En outre, il peut être le vecteur de garanties sociales additionnelles pour les vacances, le restaurant du personnel, la mutuelle, l'accès à la culture, l'aide sociale14. Au

total, un salarié sur quatre est exclu « légalement », du fait de la présence des seuils juridiques, des institutions représentatives du personnel (établissements de moins de 11 salariés) et seule la moitié des salariés bénéficient d’un comité d'entreprise15. Du point de

vue des entreprises, ces droits des salariés, conditionnés aux seuils d’effectifs, non seulement accroissent sans doute quelque peu les coûts fixes mais induisent en outre une limitation, certes relative, de la capacité des donneurs d’ordres à subordonner la main-d’œuvre.

Or, on peut faire apparaître que, pour une partie, des entreprises peuvent sous-traiter une partie de leur activité pour éviter certaines de ces dispositions du droit du travail, notamment le franchissement des seuils d’effectifs fixés par le droit du travail. Si ces comportements, quand ils tentent de faire échec à certaines règles de droit, sont illégaux en vertu du principe fraus omnia corrumpit16 et récriminés par le droit, ils sont en général

inopposables, car ils ne violent aucune obligation légale [Collin et alii, 1980], et se trouvent donc, par là même, difficiles à repérer et quantifier. Si l’on ne peut pas ici repérer les cas de fraudes, il est possible d’évaluer les modifications des pratiques à l’approche des seuils en étudiant dans quelle mesure les taux de sous-traitance sont différents dans les entreprises n’atteignant pas le seuil d’effectifs de 50 salariés et celles le dépassant. Pour cela, l’échantillon des entreprises des secteurs des biens de consommation, des biens d’équipement et des biens intermédiaires peut être désagrégé en 7 classes de taille d’entreprise (voir tableau 3 en annexe) dont la moyenne des taux de sous-traitance individuels est calculée pour chacune des classes en 2003. Il ressort que les entreprises ayant un effectif compris entre 40 et 50 salariés, donc au voisinage du seuil juridique, ont un taux de sous-traitance, en moyenne, supérieur à celui des entreprises de taille plus

13 La base de données que nous exploitons ne comprend que des entreprises de 20 salariés et plus.

Mais, la différenciation en matière d’accès au droit du travail est encore plus forte pour ce qui concerne les entreprises de moins de 11 salariés. Seuls 5 % des salariés des établissements ou entreprises de moins de 20 salariés bénéficient d'une représentation syndicale, contre plus de 80 % pour les établissements de plus de 200 salariés (chiffres CFDT 1997).

14 Ces avantages sociaux dépendent aussi de la taille de l'entreprise : la dotation d'un CE d'une grande

entreprise correspondait à 6 000 F par an et par salarié, celle d'un CE d'une PME correspond à environ à 650 F. Elle est en moyenne de 1 750 F toutes tailles d'entreprises confondues (chiffres CFDT 1997).

15 En pratique, moins de 40% de salariés élisent un CE.

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petite. Or, ceci n’est pas lié à un taux de sous-traitance qui augmenterait avec la taille de l’entreprise puisque le taux de sous-traitance des entreprises ayant plus de 50 salariés diminue ensuite avec la taille17. Le taux de sous-traitance des entreprises ayant un effectif

tout juste inférieur à 50 salariés est aussi plus élevé que le taux de sous-traitance moyen de l’ensemble des entreprises. Le comportement de sous-traitance s’intensifie donc à l’approche du seuil juridique pour se réduire ensuite.

2. Recours à la sous-traitance comme moyen de hiérarchisation du capital :

conséquences pour le droit du travail

L’accroissement de la sous-traitance durant ces 20 dernières années est un processus qui contribue à la réduction de la taille des entreprises, alors même que la structure productive de l’économie française est dominée par les petites entreprises [Passet, Du Tertre, 2005]18, et

cela de deux façons. D’une part, parce que les donneurs d’ordres qui font réaliser une partie de leur activité par d’autres entreprises extériorisent une partie de la main-d’œuvre, réduisant ainsi la taille de leur entreprise. D’autre part, parce que ce développement est source de création d’entreprises preneur d’ordres dont les effectifs sont significativement plus faibles. Dès lors, l’unification des conditions d’accès au droit du travail, quelle que soit la taille des unités productives, constituerait ici l’une des voies par lesquelles pallier la réduction de la portée du droit du travail qu’induit la diminution de la taille des entreprises par la sous-traitance (2.1).

Si la sous-traitance rend ineffective une partie des règles du droit du travail, en raison du processus de réduction de la taille des entreprises, elle produit simultanément un éclatement formel du collectif de travail orchestré par le donneur d’ordres. Ce dernier s’affranchit ainsi d’une partie des contraintes du droit du travail pour l’ensemble de la main-d’œuvre qu’il « extériorise », c’est-à-dire qu’il fait travailler sans s’engager dans une relation d’emploi mais en ayant recours à un contrat commercial. La responsabilité de l’emploi se trouve ici questionnée dans la mesure où le donneur d’ordres n’entretient pas de lien juridique avec les travailleurs extériorisés, même s’il est responsable, dans les faits, des conditions d’emploi et de travail liées à l’état de subordination réelle dans lequel se trouvent les travailleurs extériorisés. Or, les différences de profitabilité entre les deux catégories d’entreprises traduisent l’existence d’une contrainte de marché exercée à l’encontre des preneurs d’ordres, ainsi qu’un capital fortement hiérarchisé, dont la tête peut s’affranchir du droit du travail. L’une des réponses juridiques pour ces nouveaux besoins de protection a trait aux modalités par lesquelles il convient de reconstituer les liens de dépendance et les canaux d’influence afin d’identifier les responsables de l’emploi (2.2).

2.1. La sous-traitance produit le développement de preneurs d’ordres de petite taille et appelle à une unification des conditions d’accès au droit du travail

Le développement des pratiques de sous-traitance est souvent présenté comme un renouvellement de la division du travail guidé par la recherche d’une meilleure efficacité productive. Perçu alors comme un facteur de gain de productivité, il apparaît porteur de création d’emplois au plan macro-économique. Si le recours à la sous-traitance permet aux entreprises donneurs d’ordres de disposer d’une main-d’œuvre sans avoir à intégrer les règles du droit du travail dans la gestion de leur emploi, la main-d’œuvre qui travaille indirectement pour ces entreprises a un statut de salarié auprès des preneurs d’ordres. Pour autant, ce mouvement n’est pas neutre du point de vue de l’accès au droit du travail car la qualité d’un emploi chez un preneur d’ordres n’est pas comparable à celle d’un emploi chez un donneur d’ordres.

17 On notera que le taux de sous-traitance augmente à nouveau pour les grandes entreprises qui

dépassent les 200 salariés.

18 En 2005, sur 2,6 millions d’entreprises, 93% sont très petites (moins de 10 salariés), 6% sont des

« petites entreprises » (de 10 à 49) et seulement 0.2% ont plus de 200 salariés (INSEE, Répertoire des entreprises et des établissements, Champ de l’Industrie, de la Construction, du Commerce et des Services).

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En effet, la sous-traitance participe à la reconfiguration du tissu industriel non seulement au sein des branches, mais aussi du point de vue de la structure par taille du tissu productif du fait de l’accroissement du nombre d’entreprises preneurs d’ordres qu’elle suscite. Pour le voir, on peut comparer la répartition par taille d’effectif des entreprises preneurs d’ordres exclusifs et celles qui ne sont pas preneurs d’ordres [Thèvenot, Valentin, 2005]19. Comme attendu, les petites entreprises (de 20 à 49 salariés) sont sur-représentées

chez les preneurs d’ordres tandis que les plus grosses (plus de 250 salariés) le sont chez les non preneurs d’ordres. De même, la part des entreprises preneurs d’ordres est plus importante parmi les plus petites entreprises (voir tableau 4 en annexe).

Cette répartition pourrait n’être que le produit de la sur-représentation du secteur des biens intermédiaires chez les preneurs d’ordres, secteur où les petites entreprises sont les plus nombreuses. Or, les résultats d’un test économétrique à partir de l’estimation d’un modèle Logit, montrent que, à structure sectorielle donnée, il est plus probable pour les entreprises de petite taille d’être preneur d’ordres (voir tableau 5 en annexe).

Au-delà, on perçoit des différences significatives entre les preneurs d’ordres et les autres en matière d’éclatement du collectif de travail. En effet, les preneurs d’ordres, indépendamment de leur taille, se distinguent aussi des non preneurs d’ordres par leur recours plus intense à la sous-traitance et à l’intérim, qui amplifie encore le mouvement de réduction de la taille des entreprises (voir infra)20.

Au total, par effet de taille, les salariés des entreprises sous-traitantes disposent de protections dans le cadre du droit du travail amoindries, notamment en matière de droits à la représentation. Or, cet affaiblissement des protections des salariés ne doit rien à l’abrogation de normes légales antérieures, il est le produit de mutations économiques que le droit ne vient pas accompagner21. Ceci plaide pour une réforme du droit du travail visant

à étendre aux petites entreprises les protections accessibles aux salariés des plus grandes. En supprimant les seuils d’effectifs comme clause dérogatoire pour les entreprises, cette extension permettrait de donner les mêmes droits aux salariés, indépendamment de la taille de leur entreprise. Si les petites entreprises, de par leur taille, n’exercent pas leur activité productive dans les mêmes conditions que les plus grandes, notamment parce qu’elles sont subordonnées au donneur d’ordres, des droits nouveaux pourraient être accordés aux petites entreprises en matière d’encadrement des contrats d’entreprise. On s’attacherait ainsi, non pas à limiter les droits de leurs salariés, mais à leur permettre de réaliser leur activité de production dans des conditions concurrentielles sécurisées par un droit commercial rénové.

2.1. Subordination formelle et réelle des preneurs d’ordres et responsabilité de l’emploi

Les différences entre preneurs d’ordres et non preneurs d’ordres ne se limitent pas à leur structure par taille. La sous-traitance produit un éclatement formel du collectif de travail et une apparente fragmentation du capital, mais celui-ci conserve malgré tout son unité car les donneurs d’ordres gardent de fait le contrôle sur le procès de production extériorisé : les donneurs d’ordres gardent le pouvoir d’évaluer le résultat mais aussi celui de contrôler les moyens d’exécuter le travail par la mise en place d’une série d’indicateurs et de procédures, et par là, de prendre des décisions de gestion chez les sous-traitants. La mise en place de ces indicateurs par les donneurs d’ordres les conduit à intervenir de façon quasi-directe dans la gestion de la main-d’œuvre des traitants. De ce fait, la sous-traitance contribue à une hiérarchisation formelle mais aussi réelle du capital entre

19 Dans l’échantillon utilisé ici, près des deux tiers des entreprises de l’industrie ne sont pas preneurs

d’ordres. Pour les entreprises preneurs d’ordres, ces contrats forment l’essentiel de leur chiffre d’affaires, en moyenne 75%. Plus précisément, 60% des entreprises preneurs d’ordres le sont exclusivement, c’est-à-dire que la sous-traitance reçue représente plus de 97% de leur chiffre d’affaires.

20 Alors même que les petites entreprises (qu’elles soient preneurs d’ordres ou non) ont au contraire un

taux de recours à la sous-traitance et à l’intérim significativement plus faible que les entreprises de 50 salariés et plus.

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donneurs et preneurs d’ordres [Tinel, 2005]. Ceci se traduit par des différences de profitabilité entre les deux types d’entreprises qui s’expliquent par la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvent les preneurs d’ordres.

Ainsi, en 2003, année disponible la plus récente, les preneurs d’ordres enregistraient, en moyenne individuelle, un taux de profit de 18,2% alors que celui des non preneurs d’ordres était de 44,8% [Tinel, Perraudin, Thèvenot, Valentin, 2006]. Estimer, à partir d’un modèle Logit, les déterminants de la probabilité d’être preneur d’ordres permet de vérifier que ces différences de profitabilité résultent de l’état de dépendance des preneurs d’ordres et non des caractéristiques de taille ou de secteur d’activité. On constate alors que la présence d’un taux de profit plus faible accroît la probabilité d’être preneur d’ordres, confortant ainsi l’hypothèse de dépendance économique vis-à-vis de leurs donneurs d’ordres (voir tableau 5 en annexe). Or, cette profitabilité dégradée des preneurs d’ordres se traduit dans les conditions d’emploi et de travail de leurs salariés, lesquels bénéficient de salaires en moyenne moins élevés et subissent eux-mêmes un éclatement de leur collectif, les preneurs d’ordres recourant davantage à la sous-traitance et à l’intérim. La faiblesse du taux de profit a donc un lien propre avec le fait d’être preneur d’ordres, indépendamment de la taille de ces entreprises, tandis que les éléments participant à la dégradation des conditions d’appartenance à un collectif protecteur se cumulent dans les entreprises preneur d’ordres.

Finalement, la dépendance économique des preneurs d’ordres, confirmée ici par une profitabilité plus faible, se traduit aussi par une protection de l’emploi dégradée avec des rapports de dépendance multiples : subordination formelle du salarié traduisant sa dépendance économique face au chômage de masse, subordination formelle du sous-traitant vis-à-vis du pouvoir de mobilisation du travail du donneur d’ordres, subordination réelle du sous-traitant liée au pouvoir d’ingérence du donneur d’ordres dans ses modes de gestion, subordination liée à la situation « juridique » du salarié aux ordres et directives de son employeur preneur d’ordres, et il reste un terme à inventer pour la subordination du salarié aux ordres et directives du donneur d’ordres, employeur de fait qui n’a pas de responsabilité en droit.

En rompant l’unité formelle du capital par l’introduction d’une discontinuité juridique entre donneur et preneur d’ordres, discontinuité qui n’existait pas à l’intérieur de la grande entreprise entre les différentes unités, la sous-traitance crée de toute pièce une « contrainte de marché » qui augmente le pouvoir de discipline du capital et représente une nouvelle modalité dans le processus de subordination du travailleur au capital, entamé depuis la révolution industrielle. Or, le rapport du BIT sur la « relation de travail » (2006) rappelle dans sa conclusion que « la vocation du droit du travail est, entre autres choses, de compenser le déséquilibre qui peut exister dans le pouvoir de négociation des parties à la relation de travail. Le problème est de rendre les critères suffisamment clairs et homogènes entre les pays ; or les changements de la structure du marché du travail et de l’organisation du travail compliquent la détermination des parties responsables à la relation de travail et posent question sur la pertinence des critères traditionnels (subordination) ». Ainsi, les principales propositions des travaux de juristes et de sociologues [Peskine, 2004, Morin, 2005, Supiot, 1999] en la matière s’attachent à responsabiliser les donneurs d’ordres vis-à-vis de la main-d’œuvre de leurs sous-traitants. La thèse d’Elsa Peskine met l’accent sur la nécessité de trouver les moyens juridiques permettant de reconstituer, formellement, les collectifs de travail éclatés dans les réseaux, pour identifier les responsables de l’emploi. Cette voie de recomposition des collectifs nous semble particulièrement féconde. Dès les années 1970, les juges ont introduit le concept d’ « Unité Economique et Sociale »22 pour

assurer une meilleure représentation aux salariés en construisant un cadre global comprenant les véritables détenteurs du pouvoir de décision [Blanc-Jouvan, 2005]. Au niveau des groupes d’entreprises, plusieurs dispositions ont été prises. En particulier, il est possible de créer des comités de groupe représentant l’ensemble des salariés du groupe ; les

22 Au départ, cette idée a été conçue pour lutter contre les fraudes commises par des employeurs cherchant à éviter d’atteindre les seuils du code du travail ouvrant des droits de représentation aux salariés.

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maisons-mères ont également une obligation de reclassement des salariés de leurs filiales qui licencient.

Ce qui existe déjà aux niveaux des unités économiques et sociales et des comités de groupe pourrait servir de cadre pour formaliser les relations de travail intermédiées et identifier les employeurs de fait de telle sorte qu’il soit possible de leur attacher les obligations qui incombent aux employeurs de droit.

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ANNEXE

Tableau 1 : Caractéristiques de la base de données pour l’étude du recours à la sous-traitance

Base totale Base pérenne 1984 2003 1984 2003

Nombre de salariés dans l'entreprise

20-50 salariés 56,3 58,7 46,1 40,2 50-100 salariés 19,7 19,0 22,0 23,0 100-200 salariés 11,9 11,4 14,2 17,5 200-500 salariés 7,7 7,3 11,0 12,4 +500 salariés 4,3 3,7 6,7 6,9 Total 100,0 100,0 100,0 100,0

Secteur d'activité de l'entreprise

Industrie des biens de consommation 29,2 22,9 23,3 23,3 Industrie des biens d'équipement 17,7 25,5 21,5 21,5 Industrie des biens intermédiaires 53,0 51,6 55,3 55,3 Total tous secteurs 100,0 100,0 100,0 100,0 Nombre d'entreprises 21302 19853 5225 5225

Source : EAE, in Perraudin, Thèvenot, Valentin, 2006

Tableau 2 : Significativité des variables explicatives du taux de recours à la sous-traitance en 2000

Secteur des biens de consommation

Secteur des biens d’équipement

Secteur des biens intermédiaires Constante 3.9604** 1.7412 -0.6978 Tendance de l'emploi -0.5908*** -1.0357*** -0.4434*** Cycle du CA 0.0165 0.2448*** -0.0028 Cycle de l'emploi 0.0714** -0.1329*** 0.0296 Salaire Moyen 0.0088*** 0.0196*** 0.0022

Part des ouvriers et employés -4.9956*** -10.1447*** 1.2628 Part de l'interim -0.1445 0.2551** 0.1117** Tendance du CA 0.5045*** 0.9673*** 0.5263***

Taux de profit -0.0021 -0.0181*** 0.0000

Nombre d'entreprises par APE 0.0053*** 0.0086*** 0.0074***

Part de marché -0.0545 0.0374 0.0735***

*** indique une significativité au seuil de 1%, ** au seuil de 5%, pas d’indication indique l’absence de significativité (au seuil de 10%).

Seules les variables significatives pour l’un des trois secteurs ont été retenues dans l’estimation. Ainsi ne figurent pas les variables non significatives dans les trois secteurs : il s’agit de la taille des entreprises en tranche, le taux de variation du chiffre d’affaires entre 1999 et 2000 et la tendance du capital.

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Tableau 3 : La sous-traitance au seuil des 50 salariés – 2003

Taille d’effectifs Nombre d’entreprises Moyenne du taux de sous-traitance (en %)

[20-30[ 4992 7,53 [30-40[ 3701 7,97 [40-50[ 2953 8,93 [50-70[ 2007 8,12 [70-100[ 1764 7,86 [100-200[ 2270 7,92 [200-...[ 2169 8,75 Total 19856 8,09

Source : EAE, Calculs des auteurs, in Valentin dir (2006), p.143

Tableau 4 : Répartition des entreprises preneurs et non preneurs d’ordres selon la taille, en % (2000) De 20 à 49 salariés De 50 à 99 salariés De 100 à 249 salariés De 250 à 499 salariés Plus de 500 salariés Ensemble 55,54 19,65 14,95 5,50 4,35 Non preneurs d’ordres 62,58 64,53 67,24 71,87 64,91 64,38 60,03 19,53 13,16 3,89 3,39 Preneurs d’ordres 37,42 35,47 32,76 28,13 30,09 35,62 Ensemble 57,14 19,60 14,31 4,93 4,01 100

Sources : EAE. Calculs des auteurs, in Thèvenot, Valentin (2005).

Lecture : Parmi les entreprises qui ne sont pas preneurs d’ordre, 55,54% ont entre 20 et 49 salariés, cette proportion étant de 57,14% dans l’échantillon total. Parmi les entreprises ayant entre 20 et 49 salariés, 62,58% sont non preneurs d’ordres alors que cette proportion est de 64,38% dans l’échantillon total.

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Tableau 5 : Significativité des variables explicatives du fait d’être preneur d’ordres exclusif – 2003

Variable expliquée : probabilité d’être preneur

d’ordres exclusif Coefficients (écarts-types) Constante Taille de l’entreprise De 20 à 49 salariés De 50 99 salariés De 100 à 250 salariés Plus de 250 Secteur Biens de consommation Biens d’équipement Biens intermédiaires Taux de profit Taux de sous-traitance

Part des salaires dans la valeur ajoutée Salaire moyen Taux d’intérim 0.7133 0.4335*** 0.2481*** Réf -0.3375*** -1.0076*** -1.0228*** Réf -0.00050*** 0.0594*** 0.00191*** -0.0245*** 0.0621*** (0.1385) (0.0603) (0.0712) (0.1013) (0.0529) (0.0522) (0.000165) (0.00277) (0.000599) (0.00233) (0.00213) *** indique la significativité au seuil de 1%.

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Figure

Tableau  2  :  Significativité  des  variables  explicatives  du  taux  de  recours  à  la  sous-traitance  en  2000
Tableau 3 : La sous-traitance au seuil des 50 salariés – 2003
Tableau  5 :  Significativité  des  variables  explicatives  du  fait  d’être  preneur  d’ordres  exclusif  –  2003

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