• Aucun résultat trouvé

Fichier PDF La Causerie - n° 1.pdf

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Fichier PDF La Causerie - n° 1.pdf"

Copied!
24
0
0

Texte intégral

(1)

Directeur de la publication & rédacteur en chef : Alphée Roche-Noël ; causeurs : Laurent Chauvet, Évarzec & Alphée Roche-Noël ; promotion : Mickaël Vi d al . Pour toute communication, prière d’écrire à contact@la-causerie.net ; v. aussi www.la-causerie.net.

(2)

La Causerie politique & littéraire DE QUOI CAUSE-T-ON ?

Dans ce numéro, Alphée Roche-Noël nous expose sa vision du Parlement dans la nouvelle architecture institutionnelle, après l’adoption par les députés, le 27 mai 2009, de la proposition de résolution modifiant le Règlement de l’Assemblée nationale (« Parlement de plume, Parlement de plomb », pp. 3-9) ; quelques semaines avant les célébrations de la Fête nationale, Laurent Chauvet revient sur une opération décisive menée le 14 juillet 1918 («Le coup de main du 14 juillet 1918, À petite cause, grands effets » pp. 10-18) ; Évarzec, qui est allé exhumer un arrêt de 1857 dont la portée est fameuse, mais le détail méconnu, prend soin de notre culture juridique (« "Mais, vous n’êtes pas mon mari !", ou la sordide affaire de la femme Laurent » pp. 19-23). Comme chaque fois, les notules biographiques de nos causeurs sont présentées en fin de numéro (p. 24).

Buvez un café,

Lisez La Causerie .

(3)

La Causerie politique & littéraire

PARLEMENT DE PLUME, PARLEMENT DE PLOMB

par Alphée Roche-Noël

P

eu importe que les pouvoirs soient séparés, s’ils ne sont pas équilibrés. Imprégnées des principes établis par Montesquieu, mais méconnaissant l’interprétation qu’en avaient faite les fédéralistes américains, les constitutions républicaines ont favorisé tantôt l’incurie de tous, tantôt l’omnipotence d’un seul, sans jamais parvenir à cette pondération qui est la base du bon gouvernement. La France a pu éprouver l’instabilité fondamentale du régime d’assemblée. Et la Constitution de 1958, en mettant le Parlement au pas, fit cesser la valse des cabinets.

Elle a pu, par la suite, considérer que de trop nombreuses prérogatives étaient aux mains d’un trop petit nombre d’hommes, et souhaiter augmenter à nouveau les droits des chambres, cette fois-ci dans des proportions bien plus raisonnables. Et la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 tend à y remédier.

Y remédier, sans toutefois mettre en question la prééminence de l’exécutif. Il convient dès lors de rendre à la révision constitutionnelle et à la modification des règlements qui l’accompagnent et la complètent la mesure qui est la leur : évolution et non pas révolution. Les quelques idéalistes qui rêvent

(4)

La Causerie politique & littéraire

de voir un jour les assemblées élaborer les lois et congédier les gouvernements doivent comprendre que leurs espoirs ne se concrétiseront pas. Du moins pas sous l'empire de la Constitution issue de la vingt- quatrième révision de la Ve République.

Quoique deux propositions aient été adoptées en première lecture lors des séances d’initiative parlementaire1, il n’est pas douteux que du sommeil où il avait sombré, l’appareil à voter ne s’éveillera pas grand législateur. Car les chambres ne disposent pas, à ce jour, des ressources techniques indispensables à la confection des lois. La révision constitutionnelle n'érige pas non plus le Parlement français en censeur du Gouvernement2.

Quiconque préfère, à l'inconstance des cabinets et à l'inertie collective, l'autorité de l'État et l'action politique, peut se réjouir que l'exécutif n'ait pas été abaissé. Quiconque accorde aux assemblées toute la place qu'elles méritent dans la République peut se féliciter de ce que le législatif ait été relevé. Avec les

1 Celles de Mmes Chantal Brunel, tendant à favoriser l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises, et Marie-Louise Fort, visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre l'inceste sur les mineurs et à améliorer l'accompagnement médical et social des victimes.

2 Il est notable que l'art. 34-1 de la Constitution, qui dispose en son al. 1 que les assemblées peuvent voter des résolutions, précise en son al. 2 que ces résolutions sont irrecevables si « le Gouvernement estime que leur adoption ou leur rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité ou [si] elles contiennent des injonctions à son égard. »

(5)

La Causerie politique & littéraire

réserves que nous avons émises, il est permis d’affirmer que le Parlement pourra jeter tout son poids dans la balance des pouvoirs, en prenant une plus grande part à la législation, en contrôlant plus fermement le Gouvernement et en évaluant mieux les politiques publiques.

Tout découle de l’article 48 de la Constitution révisée qui, en confiant au Parlement le soin de fixer le quart de son ordre du jour3, c’est-à-dire la faculté de programmer les textes soumis à son examen et les séances consacrées au contrôle du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques, infléchit considérablement la quinquagénaire pratique du parlementarisme rationalisé. Cette disposition est essentielle, puisqu’elle offre aux chambres un authentique pouvoir de blocage de l’initiative gouvernementale. Ce sont désormais elles et elles seules qui décideront, pour une part importante, de l’organisation de leurs travaux. Les compromis entre l’exécutif et la majorité parlementaires auxquels avait pu conduire la procédure d’inscription à l’ordre du jour sous l’empire des règles anciennes donne un bon aperçu de la situation qui pourrait résulter d’un désaccord majeur entre les deux parties au débat.

Cette disposition serait néanmoins insuffisante, si elle n’était suivie de droits qui comblent efficacement

3 Deux semaines sur quatre aux termes de l'art. 48, al. 2, de la Constitution, soit la moitié de l'ordre du jour, à minorer cependant des projets cités à l'art. 48, al. 3 (dont les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, et les textes en navette depuis six semaines au moins).

(6)

La Causerie politique & littéraire

les plages laissées vacantes par la désertion du Gouvernement. Il apparaît justement que ces droits existent désormais, tant en matière législative, que relativement au contrôle du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques.

En matière législative, d'abord, grâce à la règle qui dispose que le texte examiné en séance publique est issu des travaux de la commission, et qui accroît ainsi considérablement le rôle du Parlement dans la rédaction des lois. Grâce aussi à la création d'un délai incompressible de six semaines entre le dépôt d'un projet de loi sur le bureau de l'une ou l'autre assemblée et son examen en première lecture4. Grâce encore à l'obligation faite au Gouvernement de joindre à son projet une étude d'impact comprenant notamment la liste, la date de publication prévisionnelles et l'orientation principale des futurs textes d'application5. (Les parlementaires se sont souvent – et à juste titre – plaints de ce que les projets de loi ne leur étaient communiqués que trop peu de temps avant la date d’examen en commission;

ils ont à présent tout loisir de prendre connaissance des textes qui leur sont soumis, à la lumière des documents annexes.) Grâce enfin au comité d’évaluation et de contrôle, qui pourra, par exemple, estimer la pertinence et les effets d'un amendement parlementaire.

4 Art. 42, al. 3, de la Constitution.

5 Art. 8 de la loi organique relative à l'application des art. 34- 1, 39 et 44 de la Constitution.

(7)

La Causerie politique & littéraire

Relativement au contrôle et à l’évaluation, ensuite, dans le cadre de la semaine consacrée chaque mois à cette tâche parlementaire trop longtemps négligée6. Pour peu qu'il soit correctement pourvu en moyens budgétaires et qu'il ait effectivement recours à des consultants extérieurs, le comité d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale devrait être à même de coordonner efficacement le suivi d'une à deux lois d'importance par session parlementaire.

Députés et sénateurs auront en outre la possibilité de maîtriser partiellement le pouvoir de nomination du Président de la République, lorsque ce pouvoir s'exerce sur les emplois qui engagent la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation7, soit en auditionnant les personnes pressenties pour les postes concernés, soit en opposant leur veto à leur nomination, étant entendu que la simple existence d'une règle prescrivant l'aval des commissions compétentes des assemblées est une manière de contraindre le Président de la République à faire un choix consensuel.

De cette révision constitutionnelle, la fonction tribunitienne ne sort pas raffermie. La procédure restaurée du temps global, de même que la limitation des amendements défendus, prouvent que celui qui tire avantage de la nouvelle donne institutionnelle n'est pas chaque parlementaire, pris individuellement, mais le Parlement dans son

6 Art. 48, al. 4, de la Constitution.

7 Art. 13, al. 5, de la Constitution.

(8)

La Causerie politique & littéraire

ensemble. Et au sein du Parlement, les groupes politiques. Et parmi les groupes politiques, bien que l'opposition puisse faire bon usage des droits qui lui sont reconnus, c'est incontestablement la majorité qui remporte la mise. Pièce maîtresse de la Conférence des Présidents à l’Assemblée nationale, c'est elle qui, pratiquement, déterminera l'ordre du jour, répartira le crédit-temps entre les orateurs, sélectionnera les amendements défendus en séance publique, orientera les travaux du comité d'évaluation et de contrôle, etc.

La majorité parlementaire saura-t-elle saisir l'occasion qui lui est offerte de contrebalancer l'exécutif ? Il va sans dire que le droit ne sert que ceux qui savent s’en servir. Or, le dernier demi-siècle s’étant écoulé dans un contexte institutionnel d'une telle inégalité que les chambres étaient pratiquement empêchées d'employer les maigres prérogatives dont elles sont les dépositaires, l’on pourrait s'attendre à ce que, par habitude, les pouvoirs issus de la révision constitutionnelle aillent bientôt abonder l’héritage symbolique des rois fainéants, ceux qui règnent, mais ne gouvernent pas.

La capacité des présidents des assemblées à faire appliquer les règles nouvelles, la désignation, à la tête des groupes politiques, de députés assez ouïs de leurs ouailles et la discipline de vote qui s'ensuit, la

(9)

La Causerie politique & littéraire

concomitance de la législature et du second mandat présidentiel, qui prémunit les députés désireux d'être réélus de l'arme de l'investiture, sont autant de facteurs qui contribueront à consolider la commune puissance des parlementaires et, par suite, à faire du Parlement un lieu d’exercice du pouvoir démocratique.

Quant à l’article 18 de la Constitution révisée, qui autorise le Président de la République à s’exprimer devant le Parlement réuni en Congrès, il a beau être noirci aux marges par les gloses de ses contempteurs, il est de nul effet sur le gain total que récoltent les chambres à l’issue de cette réforme. En somme, cette disposition n’aura guère eu d’impact que sur le système nerveux de ceux qui craignaient plus que la mort l’instauration d’une procédure vaguement apparentée au discours du trône des Britanniques, et à qui il conviendrait de rappeler que ces mêmes Britanniques, dont on raille quelquefois les institutions, avaient déjà mis en œuvre, au XVIIIe siècle, les contrepouvoirs que nous commencions tout juste à théoriser.

(10)

La Causerie politique & littéraire

LE COUP DE MAIN DU 14 JUILLET 1918 À petites causes, grands effets

par Laurent Chauvet

L

’historiographie actuelle de la Grande Guerre, qui fait la part belle aux intrigues d’état-major et aux opérations de grande envergure, a tendance à occulter que ce conflit ne se résume pas uniquement à une série d’offensives aussi impersonnelles que meurtrières. Entre deux batailles, en effet, l’intensité des combats ne diminue jamais tout à fait, les belligérants multipliant les escarmouches dont les répercussions sont parfois considérables, en tout cas sans commune mesure avec les effectifs engagés. La meilleure illustration de ce constat en est certainement l’audacieux coup de main réalisé le soir du 14 juillet 1918 par un petit détachement français derrière les lignes allemandes des Monts de Champagne, dont l’histoire mérite d’être contée.

Cette expédition localisée à l’ampleur limitée, qui va cependant contribuer à redonner une bonne fois pour toutes l’initiative aux Alliés sur le front occidental, s’inscrit dans le contexte critique des grandes offensives allemandes de 1918. L’Allemagne, qui vient de conclure une paix avantageuse avec la Russie, souhaite jouer son va-tout à l’Ouest avant que l’armée américaine soit pleinement opérationnelle et

(11)

La Causerie politique & littéraire

redonne la supériorité numérique au camp allié.

Profitant de l’appoint non négligeable des quatre- vingt-une divisions allemandes retirées de l’ancien front russe, de mars à juin 1918, elle lance quatre offensives successives : en Picardie à deux reprises, dans les Flandres, puis sur le Chemin des Dames. Le choc, toutes forces réunies, est formidable. Les pertes humaines et territoriales sont sans précédent depuis la stabilisation du front en 1914, mais les Allemands n’enregistrent aucun succès stratégique digne de ce nom et les armées franco-britanniques tiennent bon malgré leur recul.

Hypnotisé par Paris qu’il menace à la fois par le Nord et l’Est, Ludendorff, quartier-maître général des armées allemandes, est pressé d’en finir et s’apprête donc à déclencher en Champagne le Friedensturm, ou bataille pour la paix, sur laquelle il a fondé tous ses espoirs d’obtenir une paix honorable sinon la victoire. En préparation depuis plus d’un mois, elle mobilise toutes les ressources allemandes dans un effort suprême. La partie qui se dessine est très serrée, pour ne pas dire dangereuse. Un grain de sable va pourtant gripper cette mécanique bien huilée.

L’état-major français, qui sait l’attaque prochaine mais n’en connaît pas les détails, se livre, en effet, à une véritable course au renseignement sur toute la ligne de front, afin d’éventer les plans allemands

(12)

La Causerie politique & littéraire

pour mieux les contrecarrer. En Champagne, dans le secteur du Mont Sans-Nom, c’est au 366ème régiment d’infanterie qu’échoit la mission de sonder les intentions de l’ennemi. Ordre lui est ainsi donné le 9 juillet 1918 de préparer un gros coup de main sur les lignes allemandes, qui bénéficiera d’un important soutien d’artillerie. L’objectif est de capturer à tout prix des prisonniers vivants, de recueillir des indices sur l’offensive à venir et, le cas échéant, de détruire le matériel entreposé par l’ennemi dans cette optique.

Ce régiment lorrain est rompu à de telles opérations.

Sa préparation est donc rapide mais minutieuse. Un détachement d’assaut est constitué ad hoc. Il comprend, d’une part, les trois groupes de grenadiers d’élite du corps (un par bataillon), qui, très autonomes dans la bataille et forts chacun d’une vingtaine d’hommes aguerris, doivent s’infiltrer dans les lignes adverses et produire le choc. Et d’autre part, cent quarante hommes répartis en trois sections – deux d’infanterie et une du génie – ainsi qu’un détachement de pionniers, de téléphonistes et de brancardiers, dont la mission est de faciliter la progression des groupes de choc et de protéger leurs arrières. L’ensemble est placé sous le commandement du très expérimenté lieutenant Balestié, ancien sous- officier rengagé qui a gagné ses galons d’officier au feu.

(13)

La Causerie politique & littéraire

Le front de l’attaque projetée s’étend sur sept cents mètres de large, et les abris souterrains qu’ont à

« nettoyer » les groupes francs de grenadiers s’échelonnent sur cinq cents mètres de profondeur, jusqu’à la quatrième ligne allemande. Mais l’opération s’annonce d’autant plus hardie qu’elle se déroulera contre toute attente en plein jour : le 13 juillet 1918, l’attaque est effectivement fixée au lendemain à 19h55.

Le 14 juillet 1918, peu avant l’heure dite, le détachement d’assaut sort donc discrètement de ses abris en deux groupes principaux et gagne la première ligne française par des boyaux à demi effondrés, sans éveiller l’attention de l’ennemi. Il s’y arrête quelques instants, le temps pour les sapeurs d’ouvrir des brèches dans le réseau de fils de fer barbelés. Puis, sous la protection de l’artillerie française, dont les tirs aveuglent par des fumigènes la première ligne allemande et encagent le détachement en mouvement, les hommes enjambent le parapet pour s’élancer à corps perdu à travers le no man’s land. Ils parcourent à un rythme soutenu quatre cents mètres à découvert, sur une pente légèrement montante, avant d’atteindre la tranchée d’Andrinople, première position ennemie, dont le bombardement s’achève en prélude au corps à corps.

« Le détachement Balestié va célébrer la Fête

(14)

La Causerie politique & littéraire

nationale à sa façon », proclame le compte-rendu officiel de l’opération. C’est un euphémisme : l’assaut est donné sans délais et les groupes de grenadiers d’élite prennent pied de vive force dans le dédale exigu et enfumé des lignes allemandes, s’égaillant à la poursuite de leurs objectifs respectifs. Commence alors le ratissage méthodique et implacable des abris dans lesquels s’est réfugié l’ennemi pendant les tirs d’artillerie, ligne par ligne, boyau par boyau, à la grenade, au revolver, voire à l’arme blanche. La résistance est sérieuse et plusieurs contre-attaques sont même repoussées, mais le détachement français parvient à mener l’opération à son terme sans désemparer, en une heure seulement.

Le succès est total : pour des pertes minimes – deux morts et trois blessés –, des renseignements d’une importance capitale sont recueillis. Les groupes de choc, qui se sont aventurés au plus profond du dispositif allemand, ramènent vingt-sept prisonniers ainsi que de l’équipement et des papiers importants.

Mais surtout ils rendent compte de la destruction par leurs soins de dépôts ennemis de matériel lourd, dont l’aménagement trahit indubitablement l’imminence d’une offensive. L’interrogatoire des prisonniers et l’analyse des documents saisis confirment cette première impression, faisant prendre conscience de l’urgence de la situation : l’offensive allemande doit débuter le 15 juillet 1918

(15)

La Causerie politique & littéraire

au petit matin ! Immédiatement transmise à l’état- major, l’information est diffusée sur l’ensemble du front occidental, où des dispositions sont prises in extremis face à l’ouragan qui menace.

Une petite opération de routine, impliquant à des degrés divers deux cents hommes au maximum sur un front de moins d’un kilomètre, vient d’entrer dans l’histoire. Ce sont les propres termes du général Gouraud, commandant la 4ème armée à laquelle est rattaché le 366ème RI. En ruinant l’effet de surprise allemand, ce coup de main intrépide aide les Alliés à supporter le choc très violent de la dernière offensive ennemie de la guerre. Profitant des erreurs de Ludendorff, qui sous-estime les capacités alliées, ils sont même en mesure de contre-attaquer victorieusement dès le 18 juillet 1918, et remportent ainsi la décisive seconde bataille de la Marne. À partir de cette date, les Allemands ne font plus que subir la stratégie alliée, retraitant sans cesse jusqu’à l’armistice du 11 novembre.

À ce titre, le coup de main du 14 juillet 1918 peut donc être considéré comme l’amorce du dernier tournant de la Grande Guerre, ce qui n’échappe pas au général Pétain, alors Commandant en chef des Armées du Nord et du Nord-Est, lequel tient à récompenser lui-même certains rescapés de l’opération. L’un des grenadiers d’élite du 366ème RI –

(16)

La Causerie politique & littéraire

le jeune adjudant Joseph Darnand (1897-1945) – est en outre distingué par le président Poincaré en personne, qui le décore de la Légion d’honneur et salue en lui l’un des « artisans de la victoire », insigne honneur dont seuls Foch et Clemenceau peuvent par ailleurs s’enorgueillir. Darnand commandait le groupe de choc ayant poussé le plus loin dans les lignes allemandes et capturé la plupart des prisonniers de l’expédition. Présentant des états de services exceptionnels, il devient naturellement la figure emblématique de cette action d’éclat et accède de ce fait à une certaine notoriété : durant l’Entre- deux-guerres, il n’est pas un ancien combattant qui ne le connaisse pas, lui et « son » exploit, les deux étant désormais indissociablement liés pour le meilleur comme pour le pire.

Voilà pourquoi ce fait d’armes historique est aujourd’hui tombé peu ou prou dans l’oubli général : en effet, la trajectoire politique sulfureuse de Darnand, qui en fait un ultra du collaborationnisme lors de la Seconde Guerre mondiale (il est, entre autres, le créateur de la Milice), explique qu’un voile pudique soit jeté depuis son exécution en 1945 sur tout ce qui a trait au personnage.

(17)

La Causerie politique & littéraire Ci

CiCi

Ci----dessusdessusdessus, détail de la citation à l’ordre de l’Armée décernée par dessus le général Gouraud à l’un des participants au coup de main du 14 juillet 1918, le caporal Camille Guillot. Cette très haute récompense, qui comporte l’attribution de la Croix de guerre avec palme, décrit en des termes dithyrambiques la bravoure au feu de ce caporal berrichon, employé de commerce dans le civil : « Brave parmi les braves, s’est lancé à corps perdu au milieu des nombreux Allemands garnissant les lignes ennemies.

A pénétré jusqu’à la quatrième ligne, à plus de cinq cents mètres de profondeur, et a contribué à la prise de vingt-sept prisonniers dont les déclarations ont permis de donner l’alerte à l’Armée. » (Collection de l’auteur.)

(18)

La Causerie politique & littéraire

Ci CiCi

Ci----contrecontrecontre, Camille Guillot contre (1894-1978) vers 1965.

(Collection de l’auteur.) Guillot, malgré son jeune âge au moment des faits – 24 ans en 1918 –, est doté d’une solide expérience militaire : engagé volontaire ayant devancé l’appel sous les drapeaux, il est au front depuis le début des hostilités.

Quoique cassé une première fois de son grade de caporal à cause de sa trop forte personnalité, il termine la guerre avec les chevrons de sergent, après avoir de nouveau gravi les échelons de la hiérarchie militaire.

Courageux jusqu’à la témérité, ce grenadier d’élite est de tous les coups de main exécutés par son régiment, ce qui lui vaut deux blessures et un palmarès final hors du commun, a fortiori pour un simple sergent : Légion d’honneur, Médaille militaire et Croix de guerre avec sept citations !

(19)

La Causerie politique & littéraire

« MAIS, VOUS N’ ÊTES PAS MON MARI ! » ou

La sordide affaire de la femme Laurent

par Évarzec

«

T

out acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. » C’est ce qu’énonce l’article 222-23 du Code pénal.

Si chacun imagine aisément les cas de violence, de contrainte ou de menace, il en va autrement de la surprise. Tant les enseignements de droit pénal dispensés par les universités que les manuels spécialisés renvoient, s’agissant du viol par surprise, à une seule et même illustration : un arrêt rendu, le 25 juin 1857, par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, sur un pourvoi formé contre un arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour impériale de Nancy.

À l’époque, le Second Empire punit « quiconque aura commis le crime de viol » des travaux forcés, sans pour autant définir ce qu’est le viol. C’est donc à la jurisprudence qu’est revenu le soin de dessiner les contours de cette infraction.

Au cas d’espèce, le jour même où James Buchanan devenait le 15ème Président des États-Unis

(20)

La Causerie politique & littéraire

d’Amérique et sans qu’il faille y voir un lien de cause à effet, des compagnons de travail s’étaient attablés, à la nuit tombée, dans un cabaret des Vosges. Le premier broc de vin consommé et le second commandé, l’un des travailleurs, Dubas, quitta précipitamment ses camarades pour se rendre au domicile de l’un d’eux, nommé Laurent. Malgré une totale méconnaissance des lieux, Dubas parvint, profitant de l’obscurité et du demi-endormissement de son interlocuteur, à se faire indiquer par le beau- père de Laurent, qui pensait s’adresser à son gendre et sans éveiller le moindre soupçon, l’emplacement des allumettes. Éclairé par le phosphore, notre homme réussit à se diriger jusqu’à la chambre de Laurent, dans laquelle dormait l’épouse de ce dernier. Alors qu’il s’installait sous la couverture, la jeune femme,

« mariée seulement depuis quatre mois et d’une conduite parfaite », qui croyait s’adresser à son mari et qui était probablement vexée de voir que celui-ci préférait déjà à sa compagnie celle de la boisson, lui reprocha d’être rentré si tard. Dubas, dont nul ne peut dire quelles étaient alors les intentions, murmura quelques excuses et s’approcha de la jeune mariée qui, sans doute encore assoupie, « se prêta à tout ce qu’il voulut ».

De ce récit pudique de la Cour de cassation, qui nous cache le détail de ce que Dubas voulut réellement, il faut comprendre qu’il y eut un rapport sexuel.

(21)

La Causerie politique & littéraire

Toutefois, gagnée par le doute, la jeune femme finit par s’apercevoir qu’elle s’était prêtée à tout ce qu’avait voulu quelqu’un qui n’était pas celui qu’elle avait épousé quatre mois auparavant. Dubas interrompit alors son ouvrage et « se retira précipitamment », bousculant au passage le père de la mariée, attiré par les cris de sa fille.

La chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Nancy considéra que Dubas n’avait pas commis le crime de viol. L’arrêt fut néanmoins cassé par la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui estima que ce n’était qu’en recourant à des manœuvres que le coquin avait pu s’introduire, successivement, dans la demeure, la chambre, le lit et l’intimité de la jeune femme.

La Cour de cassation vit également dans la fuite de Dubas, une fois celui-ci démasqué, et dans la bousculade assénée au père de la naïve, une confirmation desdites manœuvres. Elle en conclut qu’usant de surprise pour abuser la jeune femme contre la volonté de celle-ci, Dubas avait bel et bien commis le crime de viol. La cause fut donc renvoyée devant la cour impériale de Metz.

Fort heureusement, la condition féminine a quelque peu évolué depuis cette sordide affaire. Plus question, pour la femme Laurent contemporaine et

(22)

La Causerie politique & littéraire

occidentale, de se prêter à tout ce que voudrait son mari. Surtout, aucune juridiction n’oserait évaluer la qualité d’une victime d’infraction sexuelle à la lumière de sa conduite antérieure, « parfaite » ou non. Un viol est un viol. Mais telle n’est pas la question qui nous intéresse.

Aussi pittoresques que soient les faits de la cause, ils constituent bel et bien, à ce jour, la seule illustration connue du viol par surprise. Sauf tout le respect qui lui est dû, la Chambre criminelle de la Cour de cassation semble avoir intégré au viol qui, il est vrai, n’était pas défini par la loi, les éléments constitutifs d’autres infractions.

Les manœuvres reprochées à Dubas relèvent davantage du champ lexical de l’escroquerie. Une telle infraction aurait d’ailleurs pu lui être reprochée puisque, usant effectivement de « manœuvres », il a déterminé le beau-père de Laurent à lui remettre des allumettes.

Relativement au viol, en revanche, il paraît difficile de reprocher à Dubas une quelconque manœuvre.

S’il a pu s’introduire chez Laurent, c’est au préjudice de celui-ci, qui avait déserté son foyer et qui persistait à s’enivrer. S’il a pu obtenir des allumettes et se faire indiquer la chambre à coucher, c’est au détriment du père de la jeune femme, qui a cru reconnaître son

(23)

La Causerie politique & littéraire

gendre. Rien, donc, qui ait à voir avec le viol.

Peut-on décemment blâmer Dubas de s’être excusé, une fois parvenu dans la chambre, et de l’avoir fait à voix basse, pour ne pas réveiller ceux qui, dans la maison, dormaient à poings fermés ? Probablement pas.

Peut-on lui reprocher la soumission de la femme Laurent qui, sitôt que celui qu’elle croyait être son mari s’est glissé sous les draps, s’est prêtée « à tout ce qu’il voulut » ? Assurément pas, d’autant que la femme Laurent a objectivement consenti à l’acte.

Peut-on lui tenir rigueur d’avoir quitté les lieux, une fois démasqué ? Pas davantage. Il faut, bien au contraire, lui reconnaître le mérite d’avoir cessé toute matérialisation de sa lubricité aussitôt qu’une opposition lui a été formulée.

Bien qu’il méritât, sans conteste, un châtiment pour ses frasques, il est regrettable que Dubas, dont la doctrine n’a pas retenu le nom, soit présenté aux étudiants comme le parangon du violeur par surprise. Au-delà de l’anecdote, cet arrêt nous interroge sur notre propension, cette fois-ci bien contemporaine, à confier à la loi pénale le soin de régir tous les comportements humains.

(24)

La Causerie politique & littéraire NOS CAUSEURS

Laurent Chauvet Laurent ChauvetLaurent Chauvet

Laurent Chauvet est né en 1985. Titulaire d’un master en droit (histoire du droit), étudiant à l’Institut d’études judiciaires de l’université Panthéon-Assas, il est lieutenant de réserve en escadron de gendarmerie mobile. Sa passion pour l’histoire en général et pour la phaléristique en particulier, ainsi que son habitude des dépôts d’archives civils et militaires, l'ont conduit à consacrer son mémoire de master à la question du traitement des membres de la Légion d'honneur au XIXe siècle, à écrire pour la presse spécialisée française (« Croix de guerre 1939 et 1939-1940, tentative de classification des variantes », Tenue de campagne, 2008, n°1, pp. 44-51 ; « La médaille de la Paix du Maroc et ses variantes (1927 )», inédit, 2009, 10 p.) et à contribuer activement à la publication d'un article sur la Croix de guerre 1914-1918 dans la presse spécialisée italienne.

Évarzec ÉvarzecÉvarzec

Évarzec est né en 1984. Titulaire d’un master en droit (droit processuel) et des certificats de sciences criminelles et criminologiques, il est élève avocat à l’École de formation du barreau de Paris. Son mémoire de master, consacré à l’étude des dysfonctionnements du procès dit « d’Outreau », reflète son intérêt pour la procédure pénale.

AlpAlpAlp

Alphée Rochehée Rochehée Roche----Noëlhée RocheNoëlNoël est né en 1984. Titulaire d'un master en Noël droit (droit processuel), élève de l'Institut d'études politiques de Paris (affaires publiques) et assistant parlementaire à l'Assemblée nationale, il a fondé et dirige La Causerie. Suite à son mémoire de master, consacré à la mise à exécution des sanctions pénales, il a publié un « Essai d'appréciation du système du bureau de l'exécution des peines » (Archives de politique criminelle, 2008, n° 30, pp. 183-200). Il s'intéresse tout particulièrement à l'histoire des institutions.

Vous souhaitez écrire à nos causeurs ? Veuillez adresser vos messages à La Causerie (contact@la-causerie.net), qui les leur transmettra.

Références

Documents relatifs

FN03, BP 2612, 03206 Vichy cedex www.fnallier.blogspot.com www.fnallier.blogspot.com www.fnallier.blogspot.com www.fnallier.blogspot.com Je souhaite adhérer et recevoir un

Ut volorem dolore dolorem vel exerosto cons er acidui ea consendignim eu feuisit praesequisim adio dolorer ip exeriur rosto commodo oborem quatuer amet, sum do dunt praesectem ing

Trois antennes-relais surplombent l’école, à quelques mètres seulement de la cour de récréation où jouent quotidiennement près de 200 enfants!. En silence et sans la moindre

Le Tournoi de Qualification Club sera annoncé sur le forum de votre club et un mail sera envoyé par un des administrateurs de votre forum à chaque membre qui aura donné une

Si vous êtes seul et que vous voulez commencer une conversation, allez tout d’abord dans le sous-forum dans lequel vous souhaitez poster.. Prenons un exemple, vous voulez

Pour chevaux entiers, hongres et juments de 4 ans et au-dessus, ayant, cette année, couru une course PMU et n’ayant, lors de l’une de leurs cinq dernières courses, ni été

- Le montant des frais mis à la charge de la personne qui demande la reproduction d'un document administratif est fixé par l'autorité administrative qui assure

[r]