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PARIS-ROUBAIX LES DESSOUS DU PAVÉ

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RENE DERUYK

P A R I S - R O U B A I X LES DESSOUS DU PAVÉ

Préface de Laurent Fignon

LA VOIX DU NORD

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Droits de traduction, reproduction et adaptation réservés pour tous pays.

© La Voix du Nord 1990

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Préface

PARIS-ROUBAIX, c'est l'un des plus prestigieux monuments du cyclisme. C'est devenu, depuis pas mal d'années déjà, un mythe. Pourtant, c'est aussi et surtout la course de tous les paradoxes. Nous l'appelons aussi bien L'ENFER DU NORD que LA PLUS BELLE DES CLASSIQUES. Pas seulement parce qu'elle est française. Un petit peu mais pas seulement ! Ainsi n'est-il pas étonnant de trouver toutes sortes de commentaires à son égard.

Roger DE VLAEMINCK l'a aimée d'amour au point de devenir le recordman de l'épreuve avec quatre victoires. Bernard HINAULT l'a dédaignée à maintes reprises et, pourtant, il est allé la remporter alors qu'il portait le maillot arc-en-ciel comme pour y ajouter du panache et du prestige.

Avec PARIS-ROUBAIX, vous n'êtes jamais sûr de rien. Au moment où vous pensez l'avoir apprivoisée, la voilà qui se dérobe (en fait, c'est surtout le boyau qui se dérobe) et vous laisse dans le plus profond des désespoirs quand ce n'est pas avec la plus noire des rancoeurs. Combien de fois avez-vous entendu :

« jamais plus je n'y retournerai, c'est trop injuste ! » Et l'année suivante, tout le gotha du cyclisme ou presque est au départ.

Lorsque vous décidez de participer à cette course, il faut

connaître les règles, les accepter dans leur ensemble et bien

souvent, hélas ! s'y résigner. La règle, car en fait il n'y en a

qu'une, est celle du tout ou rien. Tout, c'est par exemple quatre

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chutes, autant de crevaisons et un abandon sur découragement, malgré une forme du tonnerre de dieu - exemple : ma course de 1989 - Rien ressemble à 1988 où je n'ai pas eu le moindre incident à déplorer et où j'ai terminé troisième.

Ainsi PARIS-ROUBAIX est fait d'innombrables exploits et de pas moins de drames. Tout cela contribue à alimenter la légende.

Pourtant, il est une chose qui n'est jamais relatée dans les gazettes mais qui aide à créer ce mythe : ce sont les anecdotes.

Heureux celui qui a pu assister à une de ces soirées interminables mais ô combien enrichissantes ! Où sont racontées les mésaventures des coureurs du peloton. De par sa configuration, PARIS-ROUBAIX est plus que toute course prédestinée à ce genre d'histoires. D'ailleurs en voici une des plus croustilleuses. Et puis non ! J'empiète déjà sur le livre. A vous de le découvrir tout seul !

LAURENT FIGNON

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Le départ du premier Paris-Roubaix, en 1896 (Ph. Serge Laget)

LES PIONNIERS

Le grand bi avait cédé la place au vélocipède, ultime avatar du sport cycliste. Les confrontations, pourtant, se déroulaient, la plupart du temps, dans des enceintes et offraient des types d'épreuves les plus diverses. Très répandue en Grande Bretagne, appréciée aux Etats-Unis et en Allemagne, suivie, en France, la discipline ne déchaînait pas, néanmoins, les foules.

C'est alors qu'en 1891, des hommes ont, simultanément, un trait de génie : créer une course sur route de longue haleine, susceptible de frapper les imaginations et d'apporter, à domicile, le rêve de l'aventure.

Avec l'appui du journal Véloce Sport, le vélo club bordelais fait naître Bordeaux-Paris, épreuve longue de cinq cent soixante-douze kilomètres.

Dans le même temps, dans le Petit-Journal, important quotidien de la capitale, un nommé Jean-sans-Terre, en vérité Pierre Giffard, chef des Informations audit journal, révèle qu'il a concocté une course qui s'effectuera sur le trajet Paris-Brest-Paris, soit une randonnée de mille deux cents kilomètres. Giffard est un vélocipédiste ardent, qui, en 1892, fondera

« Le Vélo », périodique, commandité par le marquis de Dion, pionnier de l'automobile en France, associé à l'ingénieur Bouton.

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Si Bordeaux-Paris, avec ses cinq cent soixante-douze kilomètres, effraie, Paris-Brest et retour semble fou. Un homme est-il capable d'accomplir une telle distance sur une « drôle de machine », sans dormir ? Bordeaux-Paris sera réservé aux amateurs : c'est la condition expresse mise par les Britanniques, qui, longtemps, considéreront le sport comme une activité noble et non pas comme un métier ; ils sont puissants, leur industrie vélocipédique est bien plus avancée que la nôtre. C'est le Londonien George-Pilkinton Mills, âgé de vingt-cinq ans, qui s'impose, à la formidable moyenne de 21,518 km ! (Il était, d'ailleurs, l'un des grands favoris). En cinq jours une heure et quarante-cinq minutes. Il devance ses compatriotes M.A. Holbein et S.F. Edge, respectivement de 1 h 10 mn 50 s et de 3 h 30 ; le premier Français est le Bordelais Jiel-Laval, cinquième, rejeté à 5 h 40 mn 33 s !...

Paris-Brest et retour, lui, n'est pas fermé aux professionnels. La victoire récompense Charles Terront, l'un de nos plus brillants coureurs de fond de l'époque, qui fut un champion de grand bi, sur lequel, en 1888, avant de se tourner vers le vélocipède, il parcourut cent kilomètres, en 3 h 28 mn. Déjà, cependant, se profilent à l'horizon les batailles commerciales.

« Charley » a pour adversaire principal le fameux Jiel-Laval, engagé par une

« maison » solide, après sa bonne tenue dans Bordeaux-Paris. Terront, représentant la marque britannique Humber - son manager est son ancien adversaire, l'Anglais Duncan - utilise des pneus démontables (il crèvera cinq fois) et Jiel-Laval, soutenu par les cycles Clément, est équipé de pneumatiques collés, fabriqués par

Dunlop, en Angleterre ; la majorité de leurs rivaux ont des pneus pleins.

Attardé à 1 h 20 au virage de Brest, Terront s'imposera avec 9 h 28 mn d'a- vance sur son rival. Il est resté 71 h 35 en machine (moyenne 16,814 km).

La légende des cycles est née.

Bien que l'information circule mal, dans ces temps-là, « Charley » deviendra l'homme le plus populaire de France, fastueusement payé : lors d'un match mémorable, sur mille kilomètres (il laissa son adversaire à neuf kilomètres) avec Corre, à la Galerie des Machines, au Champ de Mars, à Paris, en février 1893, il toucha douze mille cinq cents francs-or ; le journal Vélo coûtait cinq centimes et un ouvrier des Forges gagnera, en 1898, huit francs par jour, (douze heures de travail) - chiffres extraits de « La Guerre Sociale » du 26 avril 1898.

Trois « anciens » au départ de 1898 : Jules Dubois, Auguste Stéphane et Mercier Père (Ph. Serge Laget)

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Ces réussites, cet essor fulgurant du cyclisme sur route, dont l'audience s'est extrêmement élargie, va ouvrir des horizons nouveaux. Le vélodrome, installé dans le Parc Barbieux, à Roubaix, est la propriété de deux filateurs, Maurice Perez et Théophile Vienne. L'affaire est prospère, mais ces précurseurs de la mise en valeur d'une ville et d'une région, guidés, aussi, par l'amour qu'ils portent au cyclisme et par l'idée de donner vie à un bien qu'ils légueront à la postérité, songent à mettre sur pied une course entre Paris et Roubaix.

En cette année 1896, Becquerel a découvert la radioactivité, le Sénat a repoussé l'impôt sur le revenu, tandis que Pierre de Coubertin s'apprête, aux côtés du roi de Grèce, Georges 1er, à ouvrir les Jeux olympiques de l'ère moderne, alors que les Goncourt accèdent à l'immortalité, au décès d'Edmond, dont le testament instaure le fameux prix littéraire.

Nos deux filateurs de la « ville sainte des prolétaires », comme Jules Guesde a appelé Roubaix, en 1892, se sont assurés l'appui de Louis Minart, le rédacteur en chef de « Paris-Vélo », afin de gratifier la course du cachet et de l'envergure qu'elle devra mériter. Encore faut-il attirer les coureurs. Qu'à cela ne tienne, il la doteront richement : mille francs au premier, cinq cents au deuxième, trois cents au troisième, les neuf premiers étant récompensés.

De fait, la plupart des grands coureurs, alléchés, ont répondu à l'appel. Comme pour Bordeaux-Paris et Paris-Brest et retour, les compétiteurs peuvent être entraînés par des personnes à vélo, tandem ou autres triplettes, sans limitation de nombre, services organisés ou gens de rencontre. Le course est réservée à deux catégories : les « internationaux » et les « Lillois », seconde fraction qui intéressent les coureurs de l'arrondissement de Lille. Cent dix-huit « internationaux » se sont engagés, mais ils ne seront que quarante-huit au départ.

M. Huré, qui présente l'épreuve dans Paris-Vélo, connaît son affaire : il passe en revue les routiers susceptibles de vaincre, avant de désigner, comme favoris et dans l'ordre : l'Allemand Josef Fischer et les Français Maurice Garin et Paul Guignard. Choix judicieux. Fischer, âgé de trente et un ans, est le plus grand coureur allemand de son époque. Il est toujours, de nos jours, le seul routier germain a avoir conquis Paris- Roubaix et Bordeaux-Paris. Maurice Garin est né voilà vingt-cinq ans, nous aurons l'occasion d'en reparler. Quant à Paul Guignard, qui n'a que vingt ans, il est le futur roi du demi-fond ; il sera le premier à couvrir les cent kilomètres en moins d'une heure, derrière une moto coupe-vent, à Munich, le 15 septembre 1909. « Les motos de l'époque, dit René Jacobs, dans Gotha-Vélo, n'offrant pas un rendement suffisant pour de telles tentatives, son entraîneur, l'Allemand Franz Hoffmann avait monté, sur sa moto, un moteur Anzan, trois cylindres, semblable à celui utilisé, deux mois auparavant, par Louis Blériot, pour sa traversée aérienne de la Manche. »

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Ce phénomène sera professionnel durant ...Trente-deux ans (de 1894 à 1926). En 1935, à cinquante-huit ans, il se produira sur la piste d'Anvers, contre Arthur Vanderstuyf, et à ...soixante-douze ans, il accomplira près de soixante kilomètres dans l'heure, derrière une moto commerciale ! Il mourra à quatre-vingt-neuf ans, en 1965. Il ne gagnera jamais Paris- Roubaix, ni une autre classique.

Le 19 avril, à 5 h 5mn du matin, face au restaurant Gillet, à la porte Maillot, est donné le départ historique. Une armée de vélos, mais également de tandems, de triplettes est prête à aider les champions.

Il existe deux sortes de contrôles, des « fixes », où la signature est exigée, et des « volants », où il suffit de crier son numéro de brassard, car il ne s'agit pas encore de dossards.

Au terme des dix-huit kilomètres initiaux, plusieurs coureurs sont déjà rejetés à dix minutes. Le premier véritable attaquant est le petit Gallois Arthur Linton, dans la forêt de Saint-Germain. Arrêtons-nous, un instant, sur ce Linton, routier de vingt-quatre ans, à l'énergie farouche, qui s'imposera, un peu plus tard dans la saison, dans Bordeaux-Paris, mais figurera au palmarès en compagnie du Français Gaston Rivierre, pour ne pas avoir respecté l'itinéraire dans certaines villes. Mourut-il d'épuisement, quelques semaines après, ou d'une fièvre typhoïde, comme il fut annoncé

? Une légende tenace affirma qu'il avait été la première victime du dopage...

L'allemand Josef Fischer, premier vainqueur, dont le succès fut, dit- on, assez mal accueilli à Roubaix.

(Ph. Serge Laget).

CONTRE BUFFALO- BILL

Fischer neutralise le Gallois, qui, au surplus, tombe en heurtant un chien et doit laisser filer l'Allemand, qui repousse son assaut, puis celui de Maurice Garin, lequel, victime d'une vilaine chute à Seclin, s'incline devant le Danois Charles Meyer, un rude gaillard, le premier étranger à s'être emparé de Bordeaux-Paris (1895). Ce coureur de fond, qui termina sa vie à Dieppe, où il rendit l'âme, en 1931 (« il semble qu'il ait acquis la nationalité française », pense René Jacobs) s'illustrera dans un match singulier, avec le capitaine Cody, connu sous le nom de Buffalo-Bill. A cheval, Cody parcourra 349 km en douze heures, et Meyer, à vélo, 332.

Dans les journaux, le sport, à l'époque, occupait une bien maigre part. Le Grand Echo du Nord ne possédait pas une rubrique journalière, mais il apporta une place importante à l'événement. Importante, si l'on sait qu'elle est inusitée, sous le titre, infiniment banal de « La course

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Dans la côte de Doullens, jadis « épouvantail », Leroux a mis pied à terre, apparemment indifférent à ce qui l'entoure ; un enfant à ses côtés, semble l'interroger du regard, admiratif ou compatissant ? (Ph. Serge Laget)

vélocipédique de Paris-Roubaix ». Il ne faut pas y chercher une description de la confrontation. En revanche, le journaliste s'extasie sur l'intérêt déclenché : « On peut évaluer à quinze mille, le nombre des curieux qui s'étaient rendus, dimanche, au vélodrome roubaisien. La fête a réussi au delà de toute espérance, en dépit d'un ciel nuageux et d'une averse qui a quelque peu contrarié les promeneurs ; les allées du parc Barbieux avaient l'aspect des jours de courses hippiques, tant les équipages, venus de Tourcoing et de Lille, étaient nombreux.

Toutes les mesures avaient été prises pour que les curieux pussent voir l'arrivée des coureurs et assister à la dernière épreuve imposée. A leur entrée sur la piste, ils devaient en faire six fois le tour. Un excellent orchestre jouait la Marseillaise, chaque fois qu'un coureur était en vue . » Il ajoute : « Un accident qui aurait pu avoir des conséquences graves s'est produit. Une des tribunes s'est effondrée et les spectateurs ont culbuté pêle-mêle, au milieu des cris que poussaient les femmes affolées. Il y a eu plusieurs blessés, mais peu grièvement ; ils ont, aussitôt, reçu les soins nécessai- res ». Rappelant, implicitement, que la plaie ouverte par le désastre de 1870 n'était pas encore cicatrisée, il conclut :«

C'est un Allemand, M. Fischer, qui est arrivé le premier... Son succès a jeté un certain froid, et les commentaires allaient bon train quand les accents de la Marseillaise ont salué le vainqueur. » L'itinéraire est également inséré. Le voici, en gros : Porte Maillot, Rueil, Chatou, Saint-Germain, Conflans, Bois de Molle, Breteuil, Dury, Amiens, Villers-Bocage, Talmas, Beauval, Doullens, Mondicourt, L'Arbret, Beaumetz-les-Loges, Arras, Hénin-Liétard, Carvin, Seclin, Wattignies, Faches, Lesquin, Ascq, Forest, Hem, vélodrome de Roubaix.

Il n'était plus question, désormais, d'abandonner cette organisation, même si, méprisamment, dans un premier temps, on la considéra comme une bonne préparation à Bordeaux-Paris. Sur le « Vélo illustré », peut-être fâché que le parrainage eût été proposé à un concurrent, écrivit :« Les coureurs étaient engagés pour se préparer à d'autres tâches, plus rudes, par l'appât du gain. » Ces mauvais prophètes concluent : « Ce n'est pas avec des courses de ce genre que la course sur

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route prendra son essor et volera du public aux vélodromes, qui, seuls, permettent vraiment aux talents de s'exprimer ».

Théophile Vienne en fleurissant Fischer déclara :« Le succès de la course a été tel, que, désormais, elle aura lieu tous les ans, le jour de Pâques ».

L'anticlérical Emile Combes ne s'est pas encore manifesté, et la France s'avère profondément catholique. Il faut, dès 1897, composer avec un rude adversaire :un prêtre de la région, qui menace la course de ses foudres, avec, vraisemblablement, l'assentiment de nombreuses familles.

Les organisateurs obtiennent de l'aumônier de la chapelle des princes d'Orléans, route de la Révolte, à Neuilly, qu'une messe soit célébrée avant le départ : Paris-Roubaix ne sera pas excommmunié !

Lors de la première édition, Maurice Garin a joué de malchance et, aussi, a manqué du sens tactique nécessaire : il a subi, longtemps, la course, supposant que dans la partie la plus dure du parcours, celle qui commence après Arras, il referait aisément son retard, mais il buta sur Fischer et faiblissait dangereusement lorsqu'il tomba et fut contraint de s'effacer de la deuxième place au profit du Danois Meyer. Victor Breyer, un journaliste qui fait autorité, écrit, au seuil de la seconde édition :

« Maurice Garin a fini troisième, l'an passé ; il est très courageux, mais manquera probablement de vitesse au début. » Le raisonnement est impeccable, dans la mesure où le Roubaisien est jugé totalement sur sa production de 1896.

Le journaliste se trompe : nous entrons dans l'ère Garin. A l'issue d'une âpre bataille à quatre, dans laquelle Gaston Rivierre, le « roi » de Bordeaux-Paris de l'époque (succès en 1896,97 et 98), un homme venu à la compétition cycliste à ...trente et un ans, plie devant Cordang, ainsi que Frédérick, un Suisse vite oublié. Breyer semble avoir raison : Garin atteint Arras, située à l'entrée du

Le célèbre Nordiste Maurice Garin, au départ de Chatou, en 1898 où il vaincra, comme il l'avait fait l'année précédente. (Ph. Serge Laget)

secteur névralgique, avec un retard de onze minutes, alors qu'il reste soixante-trois kilomètres à couvrir. Il rejoint, pourtant, Mathieu Cordang, un diable de Néerlandais, qui détiendra tous les records sur piste, jusqu'aux...mille kilomètres, sur les pavés entre Seclin et Lesquin. En pénétrant dans le vélodrome, Cordang tombe ; il repart avec deux cents mètres de passif, et viendra mourir à deux mètres de Garin. La légende prétend que le Nordiste aurait dit :« J'ai gagné, mais Cordang était le plus fort. » Le premier amateur est un nommé Louis Trousselier, qui n'a pas encore dix-sept ans; le second « pur », lui concéde 1 h 29 mn !.

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L'année suivante, Garin se rattrapera : il franchira la ligne d'arrivée, au terme d'une journée pluvieuse, avec vingt-neuf minutes d'avance sur le Stéphanois Auguste Stéphane, un coureur d'une résistance incalculable, qui a remporté le premier Bordeaux-Paris réservé aux professionnels, et qui, aux mille kilomètres de Paris, en 1894, a rejeté le deuxième, Jean-Marie Corre, à .... 172 km . Le dernier, le Belge Vanderstuyft accusant un retard de 6 h 57 !

Qui était ce Maurice Garin, un gabarit léger (1 m 63, pour 61 kg), d'une énergie et d'une régularité prodigieuses, dépourvu, disait-on, de brio et de vélocité ? Né à Arviers, de l'autre côté des Alpes, il fut élevé en Savoie et opta, à sa majorité, pour la nationalité française. En souvenir du métier qu'il avait exercé dans sa prime jeunesse, on le surnomma le « petit ramoneur ». En 1893, il avait conquis les « huit cents kilomètres » de Bruxelles, puis les « Vingt-quatre heures » des Arts libéraux, l'année suivante. Il s'installa d'abord à Maubeuge, avant de venir à Roubaix.

Lauréat de Paris-Roubaix, en 1897 et 1898, il s'adjugera aussi Bordeaux- Paris, en 1902, après s'être imposé, en 1901, dans Paris-Brest et retour, couvrant les mille deux cents kilomètres, en 19 h 11 mn de moins que le fameux Terront, dix ans plus tôt.

Luc Lesna : deux succès dans la grande épreuve naissante (1901 et 1902) lui assurèrent la notoriété (Ph. Serge Laget).

Mais l'histoire garde surtout que Garin fut le premier vainqueur du Tour de France, en 1903 ; il l'enleva encore en 1904, mais fut disqualifié et suspendu deux ans, avec ses trois suivants, pour irrégularités. Digne et s'estimant floué, il refusa de signer un recours en grâce. Il vint s'installer à Lens, où il ouvrit un garage ; il y mourut à quatre-vingt-six ans.

Une course cycliste porte toujours son nom, dans la cité artésienne.

En ces périodes pionnières, où l'on tâtonne visiblement, il n'y a pas de tenue type : les uns sont en pantalon et veston ; d'autres osent venir en bras de chemise.

En 1898, l'année donc de la seconde victoire de Garin, l'organisation a innové, bien curieusement, aux yeux actuels : les entraîneurs humains sont remplacés par des automobiles, et, parallèlement à cette course, se disputera également une épreuve d'automobiles et de motocycles.

Avec les voitures s'intercalant sans vergogne et sans reproche, cette édition fut pour le moins mouvementée. Le motocycle le plus rapide, Degrais, mit

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quarante-quatre minutes de moins que Garin, qui se plaça, cependant, troisième, au classement toutes catégories, malgré un bris d'axe, subi à Beauvais, qui le pénalisa de dix-sept minutes. Le Nordiste avait couvert les deux cent quatre-vingts kilomètres, à la moyenne horaire de 32,616 km.

On a vu aussi des tandems à pétrole.

Deux ans encore, les promoteurs conservèrent cette formule absurde, qui favorisa deux spécialistes de la course avec entraîneurs : le Parisien Albert Champion et le Normand Emile Bouhours.

A partir de 1901, on revint aux entraîneurs humains, et l'on assista à deux succès consécutifs de l'Ebroïcien Lucien Lesna, considéré, par d'aucuns, comme Helvète parce que né en Suisse, ce qu'il niait énergiquement. Il n'abordera la compétition cycliste qu'à vingt-six ans.

Superbe pistard, qui accomplira de nombreuses tournées aux Etats-Unis et en Australie, il emportera ses grandes courses sur route, sur le tard : Bordeaux-Paris, à trente et un et à trente-huit ans ; Paris-Roubaix à trente- huit et trente-neuf ans ; il empochera également un fameux Marseille-Paris, qui inoculera l'idée du Tour de France à Henri Desgranges et à Géo Lefebvre. Ce globe-trotter, en 1901, a envoyé de Berlin son engagement pour Paris-Roubaix, et lorsqu'on apprend qu'il va gagner, le chef de fanfare consulte la liste des engagés et constate, avec effroi, que le nom de Berlin est accolé au nom de Lesna et que, lui, ne possède pas la partition de l'hymne allemand...

LES COMMISSAIRES AU CAFE !...

Vient, ensuite, le tour d'Hippolyte Aucouturier, connu sous le sobriquet du « terrible » en raison de ses facultés offensives, qui en font un adversaire redoutable. Lors de son second succès, en 1904, alors qu'il est âgé de vingt-huit ans, Aucouturier, originaire de Commentry, à deux pas de Montluçon, se présente au vélodrome, en compagnie de César Garin, le frère de Maurice. Les deux hommes ont bénéficié d'un fort vent et sont arrivés à 13h30, alors qu'on les attendait vers quinze heures ; les gradins sont quasiment déserts et il faut aller chercher les commissaires au café.

Certains prétendent que ce furent Aucouturier et Garin, eux-mêmes, qui s'y rendirent pour annoncer le classement auxdits officiels. Pour tout renseignement, dans ces temps-là, on ne possédait que les télégrammes expédiés par les commissaires chargés des contrôles intermédiaires. Aux alentours des arrivées, on postait des clairons qui annonçaient ainsi la venue du coureur.

Louis Trousselier, considéré comme le successeur de Maurice

Garin, ne gagna qu'une fois la « Pascale », tout en y accumulant les places

d'honneur. De famille aisée faisant commerce de plantes vivaces, « Trou-

Trou », fut un « flambeur », si l'on en croit Pierre Chany : « Trousselier était

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Hippolyte Aucouturier signe la feuille de départ de l'édition de 1903, qu'il remportera (Ph. Serge Laget).

un joueur impénitent. Il remporta le Tour de France quelques mois après sa victoire dans Paris-Roubaix, reçut vingt-cinq mille francs-or, dont il perdit la plus grande partie à la passe anglaise, le soir même, dans une cabine du vélodrome Buffalo ! »

Il était également un joyeux drille, aux procédés parfois peu recommandables. Voici ce qu'en dit, dans ce domaine, Georges Berretrot, le fameux présentateur des plus grands spectacles sportifs, dans son livre, « Minuit, l'heure des primes » : « Avec deux ou trois camarades, Trousselier se rendait par la route de Melun à Fontainebleau ou à Rambouillet ; là, ils choisissaient de préférence l'hostellerie la meilleure. Ils commandaient le repas le plus cher et discutaient de leur valeur athlétique en mangeant, faisant semblant de se quereller, se lançant des défis et prenant le patron à témoin. Alors, après le café, on voyait ceci : l'hôtelier, avec sa serviette, donnait le départ du sprint qui, soi-disant, devait avoir lieu sur un kilomètre, et qui, en réalité, durait jusqu'à Paris... car nos gaillards oubliaient toujours de revenir pour régler la note ».

Ce Trousselier jouit d'une popularité énorme ; au terme de sa carrière, il s'établit fleuriste et son magasin fut le plus couru de la capitale.

Après son succès dans Paris-Roubaix, en 1905, il s'aligna, quelques mois plus tard, dans un Tour de France novateur (première ascension du Ballon d'Alsace, du col de Bayard et de la côte de Laffrey) qu'il s'adjugea, au demeurant, et dont, militaire, il prit le départ avec, en poche, une permission de ... vingt-quatre heures ; on pardonna à ce déserteur pour la bonne cause. De lui, Eugène Christophe dira : « Trousselier, aux moustaches à la Vercingétorix, était un routier capable de gagner n'importe quelle course ».

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Henri Cornet, de son vrai nom Jardy, natif de Desvres, dans le Pas- de-Calais, fut appelé le « Rigolo », sans que ce surnom eût un rapport quelconque avec la qualité propre de ce rouleur remarquable. Plus jeune lauréat du Tour de tous les temps (il avait vingt ans), il souffrit de cette victoire, acquise sur « tapis vert » en 1904, où les quatre premiers furent disqualifiés. Cornet et Georges Passerieu, dont le succès entre dans un contexte original et fait donc l'effet d'une étude spéciale, annonçaient l'ère Lapize et précédèrent le succès du premier Belge, dans l'épreuve.

A vrai dire, l'avène- ment de Cyrille Van Hauwaert (Vanhouwaert) était prévisible. Celui que l'on gratifia du sobriquet de

« Lion des Flandres », avait laissé grosse impression, en 1907, où, inconnu, il avait poussé Passerieu dans ses derniers retranchements dans Paris-Roubaix, avant de remporter Bordeaux- Paris, sur sa lancée. En cet- te année 1908, il a déjà conquis Milan-San Remo, devant le réputé Luigi Ganna, une primavera inaugurée, l'année précé- dente, par un succès de Lucien Petit-Breton, devant Gustave Garrigou.

Le peloton, dans la traversée du Pecq, pas loin du départ, où une côte effectue le premier tri. On reconnaît, de gauche à droite : Trousselier, Lorgeou et Wattelier (Ph. Serge Laget) En vérité, il appert que la « Pascale » lui échappera: depuis le

contrôle d'Arras, un grand routier en gestation, François Faber, est sorti seul d'un groupe de six hommes, sélectionnés par la côte de Doullens : Van Hauwaert, Garrigou, Trousselier, Ringeval et Cornet ; rien que du beau monde. Faber touche au vélodrome. « Soudain, rapporte le journal l'Auto, un cycliste passe à côté de lui, passe en trombe. C'est Vanhouwaert, revenu on ne sait d'où et qui fonce vers la porte ouverte avec une brutalité de sanglier. Maladresse de quelqu'un parmi cette foule compacte ; mouvement nerveux de Faber, surpris, qui le saura ? Toujours est-il que le malheureux Faber tombe lourdement ! Il était à cent mètres à peine de la porte du vélodrome et cinquante mètres auparavant, c'est son nom seul que hurlaient vingt mille bouches en folie.. Faber se relève, ensanglanté, étourdi, assommé ». Victime à la fois de sa lassitude, de son immense déconvenue, il choira encore quatre fois dans les virages ; il boira la coupe jusqu'à la lie : Lorgeou lui soufflera la deuxième place sur le fil. Ce n'est que partie remise. Van Hauwaert, lui, triomphe.

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G r a n d reporter à La Voix du Nord et à la Voix des Sports,

René DERUYK est attaché à la rubrique de cyclisme de ces deux

journaux depuis les années cinquante. Il est le responsable de

cette rubrique depuis 1958. Il a cotôyé Fausto Coppi, Louison

Bobet, Ferdi Kubler, Roger Rivière, Jacques Anquetil, Felice

Gemondi, Luis Ocana, Eddy Merckx, Roger De Vlaeminck,

Bernard Hinault, Francesco Moser et, bien entendu Stephen

Roche, Greg Le Mond, Sean Kelly, Laurent Fignon et Charly

Mottet, avec lequel il converse sur notre photo.

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Le marquage M+S apposé sur le flanc du pneu indique qu’il s’agit d’un pneu toutes saisons conçu pour être utilisé toute l’année, y compris par temps froid, dans la neige