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expositions De Goya à Max Ernst : le romantisme noir critiques

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Academic year: 2022

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de goya à max ernst : le romantisme noir

oulignons-le d’entrée de jeu : l’exposition que pré- sente le musée d’Orsay jusqu’en juin de cette année, L’ange du bizarre : le romantisme noir de Goya à Max Ernst, est une réussite éclatante. Tout y concourt : la nouveauté de la thématique, l’ouverture de celle-ci sur deux siècles de création européenne – du Sturm und Drang allemand au surréalisme français, en passant par le gothic revival anglais, Goya, Füssli, Khnopff, Max Klinger, Munch, Kubin et bien d’autres –, la pluridisci- plinarité jouant sur les différentes expressions artistiques incluant notamment le cinéma, l’accrochage subtil pro- posant de nombreux rapprochements inattendus, la par- faite mise en scène, enfin, de Hubert Le Gall, qui a su transformer l’ensemble en un opéra fabuleux.

Conçue par Félix Krämer pour le Städel Museum de Francfort, où elle a remporté un succès remarquable, remodelée par Côme Fabre pour le musée d’Orsay, l’expo si tion n’est plus la même. Le constater n’est pas porter un jugement ; il ne s’agit pas de privilégier l’une au détriment de l’autre, mais de noter des différences qui reflètent les cultures muséographiques des deux pays. Or, celles-ci ne tiennent pas d’abord à quelques accents qui ont été déplacés – ainsi, une importance plus grande est accordée, à Paris, au symbolisme français et l’impasse est faite sur quelques romantiques allemands jugés mineurs, ou encore l’intégration bien plus forte à Orsay du cinéma, considéré comme un art à part entière.

Elles sont davantage fondées dans l’idée même que les organisateurs et le public se font d’une exposition de ce type de ce côté-ci du Rhin ou de l’autre. Partant, elles traduisent des spécificités culturelles qu’il n’est pas inu- tile de relever ; une meilleure connaissance de l’autre

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– à commencer par celle de sa langue, de ses pratiques culturelles et donc de sa mentalité – est sans doute la base la plus solide pour une coopération quelle qu’elle soit. (Notons au passage que dans ce domaine – comme dans beaucoup d’autres – les déclarations d’inten tion du traité de l’Élysée sont restées lettre morte. Si l’on a timi- dement célébré son cinquantenaire, on s’est bien gardé de dresser un bilan.)

En Allemagne, les expositions thématiques sont fré- quentes ; en France, elles sont rares. Ainsi, le thème de la nuit et de l’irrationnel a été – au cours des vingt dernières années – au centre de toute une série de manifestations de qualité tant à Munich qu’à Weimar, Nuremberg, Francfort, Zurich, Vienne et ailleurs (la liste en a été fort utilement dressée dans la bibliographie des catalogues du Städel et du musée d’Orsay). En France, en revanche, durant toutes ces années, un Jean Clair a dû batailler ferme pour enfin faire admettre par la Réunion des musées nationaux son projet Mélancolie, génie et folie en Occident (2005), dont le succès parisien a été plus que confirmé à Berlin. Et seul le musée de Strasbourg s’est aventuré dans l’exploration de la pro- blématique qui est ici la nôtre : L’Europe des esprits ou la fascination de l’occulte, 1750-1950 a rencontré un fort intérêt auprès du public et de la critique (de même que lors de sa deuxième étape, à Berne).

Or, quand les conservateurs allemands se lancent dans des parcours transversaux, c’est généralement avec un certain souci d’exhaustivité. Aussi leurs accrochages sont- ils plus souvent fait pour l’esprit que pour les sens. C’est que l’art de la scénographie leur est largement étranger.

Aucun d’eux ne penserait à faire figurer le nom d’un scénographe dans un catalogue, sans doute par crainte de manquer de sérieux. On comprendra mieux ainsi qu’en retrouvant au musée d’Orsay les tableaux d’abord réunis à Francfort, le visiteur a l’impression de voir une exposition différente. La manifestation qui, aux bords du Main, s’inscrivait naturellement dans une tradition muséographique bien établie, crée à Paris l’événement,

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voire la surprise, ne fût-ce qu’en faisant éclater – fort heureusement – les cadres chronologiques d’une insti- tution cantonnée dans la seconde moitié du XIXe siècle.

On ne répétera jamais assez que les dates de 1848 et de 1914 en art ne font pas sens.

Comme ce fut le cas de Mélancolie, redevable à la grande enquête de Fritz Saxl, d’Erwin Panofsky et de Raymond Klibansky, ou encore d’une autre exposition de Jean Clair, la Grande Parade, pour partie inspirée d’un livre de Jean Starobinski (Portrait de l’artiste en saltimbanque), le « romantisme noir » a d’abord été une thématique étudiée par les littéraires. C’est le grand angliciste et comparatiste de l’université La Sapienza de Rome, Mario Praz (1896-1982), qui en a lancé l’idée – mais non l’expression – dans un livre fondateur, la Carne, la morte e il diavolo nella letteratura roman- tica, publié pour la première fois en 1930. C’est dans le sous-titre de la traduction allemande, intervenant en 1963 seulement, qu’apparaît le terme de « schwarze Romantik ». Il a été repris par la traduction française, en 1977, et s’est généralisé depuis.

S’opposant à l’histoire des idées telle que la pratiquait Benedetto Croce dans le sillage de Hegel, en faisant se suivre classicisme, romantisme, symbolisme comme autant de styles caractéristiques d’une époque, Mario Praz s’est attaché aux persistantes résurgences de quelques figures romantiques et décadentes – Méduse, Satan, le divin marquis, la belle dame sans merci, Byzance –, dont il traque les métamorphoses dans les littératures européennes sur une période longue, qu’il refuse de fragmenter en -ismes successifs, c’est-à-dire de la fin du XVIIIe au début du XXe siècle. Toutes ces figures ont en commun d’exprimer la face nocturne de l’existence, de se s’aventurer dans les zones d’ombre du psychisme humain, de cultiver l’ambivalence et l’ambiguïté, et ceci à une époque qui prétend privilégier les Lumières et de faire avancer l’huma nité. Elles sont autant de contrastes apportés à l’imagerie de la perfectibilité et du mythe du progrès.

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En effet, l’intérêt à peu près simultané d’écrivains anglais, français, allemands, italiens pour le rêve, le cau- chemar, les apparitions de toutes sortes, les revenants, les figures fantastiques, les morts-vivants, les sorcières, les succubes, les vampires, les magiciens, est rigou- reusement contemporain du culte de la raison et des Lumières. Les Night Thoughts d’Edward Young, traduites par Letourneur, puis illustrées par Blake, paraissent dans les mêmes années 1740 que les premiers textes maté- rialistes de La Mettrie et de Diderot. C’est également l’époque des Carceri de Piranèse. Le Château d’Otrante d’Horace Walpole, un des premiers récits fantastiques, prisé par les romantiques autant que par les symbolistes et les surréalistes, date de la même année 1764 que le Dictionnaire philosophique de Voltaire. Et la Critique de la raison pure de Kant paraît alors que Füssli expose le Cauchemar (1782). Il était ainsi tentant de suivre, en peinture, ce courant qui, en littérature, sous-tend toute la seconde moitié du XVIIIe siècle et court, à travers le romantisme, le symbolisme et le décadentisme jusqu’au surréalisme. André Breton et ses amis ont en effet été de grands lecteurs de gothic novels, de romans noirs et de textes de Sade.

Des figures étudiées par Mario Praz, Satan est sans doute celle qui a le plus souvent sollicité peintres, dessina- teurs, graveurs. Le ciel s’est progressivement vidé tout au long du XVIIIe siècle et Satan a fini par pendre la place de Dieu. Le meilleur des mondes, voué grâce aux sciences et aux techniques à un progrès matériel irrésis- tible, semblait mal fait aux yeux de beaucoup d’autres.

La révolution française, bouleversant l’Europe tout entière, avait provoqué plus de déception encore qu’elle n’avait suscité d’espoir. La foi en la raison avait de quoi être sérieusement ébranlée. Le problème du mal était plus que jamais à l’ordre du jour. Il devait obséder les peintres autant que les poètes.

Ainsi Füssli, tournant apparemment le dos à l’histoire de son temps pour se réfugier dans un monde imaginaire, nourri de mythes anciens et modernes, n’a pas laissé

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moins qu’une cinquantaine de tableaux inspirés par le Paradis perdu de Milton. Cette œuvre fondatrice à la fois des Lumières et du romantisme, avait été traduite en allemand par un de ses amis zurichois, Johann Jakob Bodmer ; Chateaubriand l’avait adapté en français pen- dant son exil anglais ; John Martin et William Blake y puisaient leur inspiration et Baudelaire trouvait dans la tête de Satan sa définition du beau.

Delacroix, à son tour, prendra la direction de l’enfer, en s’embarquant sur la Barque de Dante, puis en transpo- sant les aventures de Faust et de Méphistophélès dans une série de gravures. Dante, Shakespeare et Goethe prenaient la place de Milton. Victor Hugo partageait les mêmes admirations, précédé ou suivi par Ary Scheffer, Louis Boulanger ou Jean-Jacques Feuchère. Quant au grand cinéaste expressionniste Friedrich Wilhelm Murnau, il n’a pas seulement repris la fable de Faust, il a illustré presque tous les thèmes du romantisme noir : ses films fourmillent de diables, de monstres, de fantômes, de vampires. C’est un vrai plaisir de les voir au milieu de Blake, de Goya, de Füssli.

Font cortège à Satan les diablesses, les sorcières et les vampires. Goya est, avec Füssli et Blake, ici encore le grand initiateur du romantisme noir. La planche 43 du cycle des Caprices en définit parfaitement la probléma- tique : « Le songe de la raison engendre des monstres ».

Ne serait-ce pas plutôt le sommeil de la raison ? En effet, Goya, à travers quelque quatre-vingts planches, à peu près contemporaines de la révolution française, explore en rêve toutes les horreurs et les monstruosi- tés dont l’imagination humaine est capable. La série, postérieure d’une quinzaine d’années des Désastres de la guerre, suggère que ce n’est pas seulement en ima- gination, hélas ! que l’humanité est capable du pire, mais bien dans la réalité. Chacun reconnaîtra ses frères dans les fameux tableaux représentant des scènes de cannibalisme (prêtés par le musée de Besançon). De même que chacun reconnaîtra dans Sade de pos- sibles humains.

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Les ombres des Lumières s’épanouiront avec le roman- tisme. L’effroyable désormais aspire au sublime. C’est le cas chez Géricault peignant, en vue du Radeau de la Méduse qui ramènera définitivement l’enfer sur terre, des membres déchiquetés et des têtes de condamnés à mort.

À l’avenir, le monstrueux fera partie de l’art. Il était déjà arrivée en littérature avec Sade, dont les petits roman- tiques puis Baudelaire, avant les surréalistes, étaient des lecteurs assidus. Si l’imagination l’emporte sur la raison, c’est pour le meilleur et pour le pire. Victor Hugo obéira à la dictée de la bouche d’ombre aussi bien qu’à celle des tables tournantes. Pour beaucoup, le ciel est bien moins peuplé que l’enfer ; il semble même aussi désert que certains paysages de Caspar David Friedrich.

Le deuxième temps fort de cette exposition est consa- cré aux symbolistes, de Gustave Moreau à Odilon Redon, de Félicien Rops à Lucien Lévy-Dhurmer et à Paul-Élie Ranson. Mais aussi de Böcklin à Franz von Stuck, Edvard Munch, Mucha et Kubin. Ce ne sont plus les Lumières qui sont en cause, mais le positivisme scientifique et l’idée démocratique. Sans parler des conventions morales de la société bourgeoise. Si la contestation emprunte toujours certaines images à Dante, à Shakespeare et à Milton, les mythologies orientales et nordiques fournissent égale- ment aux artistes avides de liberté un réservoir de figures contestataires. Tout comme l’Antiquité tardive ou la Bible.

Font désormais partie du cortège la Méduse et le Sphinx, Cléopâtre et Salomé, à moins que ce soit la mort elle- même qui invite au bal. À travers le romantisme et le symbolisme, c’est toute une imagerie baroque de la danse macabre et du memento mori qui ressurgit.

C’est au moment même où dadaïstes et surréalistes constatent la faillite de la civilisation européenne dans la Grande Guerre, menée au nom des valeurs de cette civilisation, que Mario Praz mène son enquête. Une manière de dénoncer les forces obscures à l’œuvre dans l’Italie d’alors. Les paysages angoissants et déso- lés de Max Ernst ne le cèdent en rien à ceux de Carl Gustav Friedrich, de Thomas Ender ou de Carl Blechen

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un siècle plus tôt. Ils sont peints avec la même acri- bie. Et Masson, Klee ou Bunuel expriment à leur tour l’horreur du monde moderne et les abysses de l’âme humaine. Ce n’est pas par hasard enfin que c’est dans les années trente que le Frankestein de Mary Shelley, qui date de 1818, connaît un regain d’actualité, notamment au cinéma grâce à James Whale. Le sous-titre du livre, le Prométhée moderne, prend une signification particuliè- rement sinistre à l’époque où, en Allemagne et en Union soviétique, l’ambition était de créer un homme nouveau, avec les résultats que l’on connaît. Autre sujet d’une exposition de Jean Clair (Les années trente. La fabrique de « l’homme nouveau »), montrée en 2008 au musée des Beaux-arts du Canada, à Ottawa, mais que Paris n’a pas voulu accueillir. Raison de plus de féliciter Guy Cogeval d’avoir fait un sort particulièrement brillant au « roman- tisme noir ». n

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