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Premières nations et organismes de lutte contre les feux de forêt au Québec : une COHABITATION CHANGEANTE au fil du temps

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Noémie Gonzalez Bautista est candidate au Doctorat en Anthropologie à l’Université Laval sous la direction de Martin Hébert et la codirection de Stephen Wyatt.

Elle travaille avec les Atikamekw de Wemotaci et la SOPFEU depuis sa maîtrise en 2011 en anthropologie de l’environnement. Le sujet des feux de forêt lui permet de faire des liens avec sa première formation en biologie et sciences de l’environnement (Master en sciences de l’environnement obtenu en 2005).

Dans leur article du numéro de l’été 2019 d’Histoires forestières du Québec, Wyatt et Hébert décrivent les changements dans l’implication des peuples autochtones dans la gestion de leurs territoires ancestraux à travers l’analyse des relations entre les Premières nations et le secteur forestier1. Comme ils l’indiquent dans leur conclusion il y a une parcellisation de « la cohabitation en de multiples processus distincts, parallèles, redondants, voire parfois contradictoires, et où l’adhésion à un cadre de cohabitation commun, global et juste reste encore un objectif à atteindre, la possibilité de jouer sur plusieurs tableaux à la fois demeure une ressource importante pour négocier une cohabitation propice à la réconciliation. » J’aimerais aborder ici plus en détail un des processus auxquels ces auteurs faisaient allusion, soit la cohabitation entre les Premières nations et les acteurs impliqués dans la protection des forêts contre le feu.

Au Québec, la lutte contre les feux de forêt a toujours été intimement liée aux activités d’exploitation et d’aménagement forestier. L’appellation de

« protection des forêts contre le feu » au sens de protéger la ressource en bois est d’ailleurs tout aussi utilisée que celle de « lutte contre les feux » pour qualifier ce domaine. Le feu, tant réel que modélisé, est un référent important dans la mise en oeuvre de la loi actuelle sur l’aménagement des forêts au Québec,

1 Wyatt S. et M. Hébert, 2019, « Cohabitation des Premières Nations avec le secteur forestier:. stratégies pour une relation constructive », Histoires forestières du Québec, 11, 1 : 30-33.

contre les feux de forêt au Québec : une COHABITATION CHANGEANTE au fil du temps

Par Noémie Gonzalez Bautista

notamment dans la mesure où la coupe forestière est censée émuler les effets du feu2. Dans cet article, il sera cependant question des feux réels, ceux qui brûlent la forêt, menacent parfois des communautés et ne sont pas planifiés par les ingénieurs forestiers3. Je vais d’abord présenter l’élément central de cet article : le feu. Ensuite je vais retracer brièvement l’histoire de la lutte contre les feux de forêt depuis les années 50 telle qu’elle a été imposée et développée sur le territoire du Québec par les descendants des colons européens. Je porterai une attention particulière aux relations qui se sont établies dans ce contexte avec les communautés des Premières nations. Pour cela je vais m’appuyer sur mes recherches de maîtrise et de doctorat réalisées avec la SOPFEU et la communauté atikamekw de Wemotaci, une communauté des Premières nations située en Haute-Mauricie.

Wemotaci, été 2019. Source : Gerd Herren.

2 Hébert M., 2010, « Faire mieux que le feu. », Histoires forestières du Québec, Société d’histoire forestière du Québec.

3 Le masculin est utilisé dans cet article en raison du fait que le milieu de la foresterie et celui de la lutte contre les feux de forêt, en particulier les aspects que je vais aborder, sont constitués majoritairement d’hommes.

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Les données et les exemples que je vais partager seront donc issus de ces études. Lorsque cet historique nous ramènera à l’époque actuelle je parlerai d’un feu qui a menacé la communauté atikamekw de Wemotaci en 2010. Cela servira à illustrer comment l’histoire influence les relations actuelles entre les Premières nations et les gestionnaires des feux de forêt. Enfin je partagerai quelques réflexions sur le futur de ces relations en illustrant mes propos d’exemples issus d’autres provinces canadiennes.

LE FEU EN FORÊT BORÉALE

Le feu a sa place et son rôle au sein de la forêt boréale depuis plusieurs milliers d’années. Avant la colonisation, les feux y étaient allumés par la foudre ou par les Autochtones vivant sur le territoire. Dans le deuxième cas, les feux étaient utilisés à différentes fins, comme favoriser certaines espèces végétales, faciliter les déplacements, créer des espaces de culture ou limiter les risques d’incendies allumés par la foudre ou par accident.

Ces feux permettaient de renouveler la végétation en dégageant des espaces plus lumineux favorables à la croissance de nouvelles espèces et de jeunes pousses. Ces changements de végétation attiraient à leur tour de nouvelles espèces animales herbivores. Le feu facilite aussi la reproduction sexuée de certains arbres, comme le pin gris et l’épinette noire4.

Paysage à proximité de Wemotaci brûlé en 2010, hiver 2017 et été 2019.

Source : Noémie Gonzalez Bautista.

Avant la colonisation de ce que l’on appelle aujourd’hui le Canada et la sédentarisation forcée des Premières nations qui en a découlée, la mobilité des peuples autochtones sur le territoire et leur connaissance du réseau hydrographique leur permettaient de cohabiter avec les feux de forêt et de s’adapter aux changements que ceux-ci provoquaient dans l’environnement5.

Le début de la colonisation du territoire a amené la multiplication des feux d’origine humaine attribuables aux activités de défrichage, aux travaux d’exploitation du bois ou à la circulation sur les chemins de fer par exemple6. Le gouvernement ne voyait alors le feu que comme une menace et non comme une source de renouvellement de la forêt.

Ceci a amené le développement de lois pour limiter les risques d’incendies accidentels ou volontaires et la création d’organismes de protection des forêts contre le feu pour faire respecter ces lois et éteindre les incendies7.

4 Duchesne S. et L. Sirois, 1995, « Phase initiale de régénération après feu des populations conifériennes subarctiques », Canadian Journal of Forest Research, 25,307-318.

5 Feit H.A., 2004, « Les territoires de chasse algonquiens avant leur “découverte”? Études et histoires sur les tenures, les incendies de forêt et la sociabilité de la chasse. », Recherches amérindiennes au Québec, 34, 3 : 5-21.

6 Hardy R. et N. Séguin, 2011, Forêt et société en Mauricie. La formation d’une région. 2d éd, Montréal, Septentrion.

7 Hardy R. et N. Séguin, 2011, Forêt et société en Mauricie. La formation d’une région. 2d éd, Montréal, Septentrion.

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ORGANISATION DE LA LUTTE CONTRE LES FEUX DE FORÊT AU QUÉBEC

La première loi limitant l’usage des feux en forêt au Québec date de 18708. Dès le début de la lutte contre les feux de forêt, celle-ci était cogérée et cofinancée par le gouvernement provincial à travers le ministère responsable des forêts avec l’industrie forestière9.

Dans les années 5010, selon leur taille et leurs moyens les entreprises d’exploitation forestière avaient leur propre service de lutte contre les feux ou s’organisaient à plusieurs pour créer une association qui s’en chargeait comme la St-Maurice Forest Protective Association créée en 1912 en Mauricie.

À cette époque, la surveillance du territoire pour détecter et éteindre les incendies était assurée par des garde-feux qui faisaient des patrouilles sur le territoire pour certains et surveillaient le territoire depuis des « tours à feu » pour d’autres.

Tour de feu. Source : SHFQ.

8 Blanchet P., 2003, Feux de forêt : l’histoire d’une guerre, Montréal, Trait d’union.

9 Ibid., p45.

10 Je commence dans les années 50 car les souvenirs des personnes les plus âgées que j’ai rencontrées en entrevues lors de mes recherches remontaient à cette époque.

Les garde-feux étaient nombreux dans la province et passaient la saison des feux dans un territoire restreint où ils connaissaient les environs et la population locale. Lorsqu’un feu était détecté, les pompiers de l’association locale s’y attaquaient. En cas de besoin, de la main-d’oeuvre supplémentaire était recrutée. Celle-ci était en particulier mobilisée pour travailler dans les zones où le feu était moins actif, laissant les secteurs plus actifs au personnel formé. Il s’agissait en majorité de personnes qui connaissaient la forêt, mais n’avaient pas de formation spécifique en matière de combat des incendies c’est-à-dire principalement des hommes travaillant dans les camps forestiers et des hommes des Premières nations recrutés dans les communautés locales. À l’époque la sédentarisation forcée des peuples autochtones n’était pas encore complète, mais l’été était une période où les communautés se regroupaient dans un même lieu après un hiver où les familles étaient dispersées sur le territoire11. Ainsi même si beaucoup de familles atikamekw ne se sont pas installées à longueur d’année dans le village avant les années 70, Wemotaci a été un lieu de rassemblement bien avant puisqu’un poste de traite a été installé à cet emplacement en 1821 puis une église en 184612. Un garde-feu se trouvait à Sanmaur, communauté euro- descendante installée sur l’autre rive de la rivière Saint-Maurice, en face de Wemotaci. Ceci facilitait grandement le recrutement dans la communauté. Les habitants de Wemotaci connaissaient le garde-feu, son nom a été souvent cité lors des entrevues que j’ai réalisées dans la communauté. Le garde-feu ne semblait pas se mélanger vraiment avec les Atikamekw de Wemotaci et les informations que j’ai reçues concernant son travail avec les Autochtones montrent qu’il était porteur de stéréotypes vis-à-vis d’eux. Sa présence sur le territoire qui permettait de traduire la lutte contre les feux de forêt en une relation locale et interpersonnelle m’était cependant partagée comme quelque chose de positif qui facilitait l’implication des Atikamekw de Wemotaci dans la lutte contre les feux.

Une part de la lutte contre les feux passait par de la prévention puisque la majorité des incendies étaient allumés par des humains. Cette prévention consistait à diffuser des affiches qui s’adressaient souvent au public en ayant recours à la peur et à la culpabilisation.

11 Clermont N., 1977, Ma femme, ma hache et mon couteau croche : deux siècles d’histoire à Weymontachie. Coll. Civi, Québec, Ministère des affaires culturelles ; Gélinas C., 2000, La gestion de l’étranger. Les Atikamekw et la présence eurocanadienne en Haute-Mauricie 1760-1870., Québec, Septentrion.

12 Ibid

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Affiches de prévention des feux de forêt.

Source : SHFQ.

La sensibilisation pouvait aussi passer par une communication directe entre les garde-feux en patrouille et les personnes fréquentant le territoire. Une mesure plus drastique consistait tout simplement à limiter l’accès au territoire. Dans ces cas, la circulation en forêt nécessitait un permis et impliquait un suivi et des contrôles éventuels des usagers. Ces mesures ont eu des impacts sur les Premières nations et leur lien au territoire. Ces impacts ont été accentués par les autres politiques coloniales qui ont engendré notamment la création des réserves et du système des « pensionnats indiens » qui a perduré jusque dans les années 80-90 sous différentes formes13.

Sur le territoire, il existait également des clubs privés de chasse et de pêche qui étaient fréquentés par une élite, souvent venue des États-Unis. Plusieurs Atikamekw m’ont partagé avoir été embauchés comme guides dans ces clubs pour accompagner des groupes dans le bois, et ils n’hésitaient pas à accomplir à cette occasion un travail de prévention auprès des visiteurs. Les guides demandaient, par exemple, de s’asseoir pour fumer, une mesure qui visait à limiter les risques que des cendres se dispersent ou que des mégots soient jetés mal éteints et oubliés au bord d’un sentier, ce message était aussi véhiculé dans les campagnes de prévention officielles.

Affiches de prévention.

Source : SHFQ.

Les hommes atikamekw qui m’en parlaient associaient ce travail de prévention à leur rôle de protecteurs du territoire.

Les guides autochtones et les garde-feux semblaient donc travailler dans le même sens, même si cette collaboration n’était pas planifiée ou reconnue.

L’organisation de la lutte contre les feux laissée entre les mains des entreprises forestières rendait la protection du territoire très inégale. Les territoires couverts et les méthodes pour les protéger dépendaient beaucoup des moyens et des choix de chaque compagnie. C’est pourquoi à partir de 1972 sept Sociétés de conservation ayant le statut d’organismes à but non lucratif, dont la Société de conservation de la région de Québec-Mauricie, ont été créées pour prendre en charge la protection des forêts contre le feu. La gestion était toujours partagée entre le ministère provincial responsable des forêts

13 Voir par exemple : Lepage P., 2019, Mythes et réalités sur les peuples autochtones Journal of Chemical Information and Modeling,. 3ème. Vol. 53 Institut Tshakapesh et Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. En ligne : https://www.cdpdj.qc.ca/Publications/Mythes- Realites.pdf, consulté le 16/09/20. Centre national pour la vérité et la réconciliation : https://nctr.ca/fr consulté le 16/09/20.

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et les compagnies forestières à travers leur présence sur le conseil d’administration de ces organisations.

Les Sociétés de conservation ont permis d’harmoniser un peu plus la protection du territoire québécois en le découpant en territoires plus égaux et en améliorant la communication entre ces organismes, notamment à travers la Fédération des Sociétés de conservation.

Carte extraite du mémoire de maîtrise de Lefebvre F., 1988, « La protection des forêts contre le feu : Étude de préfaisabilité pour l’exportation de l’expertise québécoise », Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. (page 10)

Les garde-feux étaient toujours présents sur le territoire et les autochtones étaient aussi impliqués. La plupart des hommes atikamekw les plus âgés (autour de 60 ans et plus) que j’ai rencontrés en entrevue ont vécu leur première expérience de lutte contre les incendies forestiers à l’adolescence (14-15 ans) après qu’eux-mêmes ou des hommes de leur famille aient été recrutés par un garde-feu. Ils s’y rendaient souvent en famille et s’organisaient en campements autonomes dans le secteur indiqué par le garde-feu. Ces expériences m’étaient rapportées comme des moments positifs passés sur le territoire où ils avaient l’occasion d’apprendre de nouveaux savoirs et savoir-faire de leurs aînés tout en vivant une situation stimulante et parfois effrayante (quelque chose qui est souvent apprécié quand on a 14 ans !). Le contact avec les professionnels de la lutte contre les feux semblait se limiter à des moments ponctuels comme le recrutement ou des déplacements d’un site de travail à l’autre.

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À cette époque, la main-d’oeuvre auxiliaire ne suivait pas non plus de formation particulière alors que les employés réguliers étaient souvent formés en foresterie, notamment à l’École de foresterie de Duchesnay. Le savoir transmis par les aînés était constitué de savoirs spécifiques aux Atikamekw en lien avec la connaissance et la relation au territoire qui étaient mélangés à des savoirs accumulés en travaillant dans la lutte contre les feux de forêt depuis le début de son organisation formelle au Québec.

En 1994, la centralisation de la lutte contre les feux a fait un pas de plus avec la création de la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU), qui demeure responsable de ce mandat aujourd’hui.

Encore une fois l’objectif était d’harmoniser les pratiques et d’améliorer l’efficacité de la lutte contre les feux de forêt. Jusqu’à très récemment, il s’agissait toujours d’une cogestion entre le ministère responsable des forêts et l’industrie forestière matérialisée par leur présence dans le conseil d’administration.

Affiche de danger d’incendie de la SOPFEU à la Station Duchesnay, été 2020. Source : Noémie Gonzalez Bautista.

Cette transformation a apporté un important changement au niveau du personnel impliqué dans la lutte contre les incendies forestiers. Le nombre de personnes employées dans la lutte contre le feu a progressivement, mais néanmoins grandement diminué. Le modèle adopté impliquait moins de personnel sur le territoire, un nombre total d’employés moins grand, mais la possibilité de se déplacer d’une région à l’autre selon les besoins.

Ceci a permis d’éviter les situations de l’époque des Sociétés de conservation où une région pouvait se retrouver avec trop de feux à gérer pour son nombre d’employés alors qu’au même moment les employés d’une autre région n’avaient aucun feu à gérer sur leur territoire.

Enlever le personnel sur le territoire qui détectait les incendies et permettre la mobilité d’une région à l’autre n’a été possible que parce que ces changements organisationnels étaient intimement liés à des changements dans la technologie accessible pour la détection des feux, les déplacements et l’extinction. Ainsi, la détection devenue aérienne, de même que le perfectionnement des techniques de prévisions météorologiques et de surveillance de la foudre ont permis une détection des feux ne nécessitant plus autant de personnel sur le territoire.

Également pour la phase d’extinction finale, qui consiste à repérer des foyers de feux susceptibles de relancer un incendie l’emploi de personnes sur le terrain, qui étaient par le passé souvent des autochtones, a fait place à une détection avec des caméras infrarouges par voie aérienne.

Détection par infrarouge. Source : Parcs Canada/Simon Hunt.

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Ces nouvelles technologies nécessitent du personnel possédant une formation spécialisée et des connaissances particulières. De plus, des règles de santé et sécurité qui se sont développées et ont pris la forme de règlementations dans les années 1970-80, donnèrent une importance accrue aux préoccupations liées à la sécurité des travailleurs dans le milieu de la lutte contre les feux. Ainsi même les technologies de déplacement présentent des risques nouveaux et nécessitent une formation par exemple lorsqu’il s’agit de se déplacer en hélicoptère plutôt qu’en camion. C’est pourquoi la main-d’oeuvre auxiliaire ne peut plus être constituée de personnes qui connaissent la forêt, mais qui n’auraient pas suivi les formations spécifiques, généralement élaborées au niveau national et délivrées par la SOPFEU elle- même. De plus, dans un esprit d’optimisation, la main-d’oeuvre auxiliaire est maintenant recrutée en blocs grâce à des accords passés avec diverses organisations. Les jours où il suffisait de se rendre dans un camp forestier ou une communauté autochtone et faire un appel aux personnes disponibles sont révolus. Aujourd’hui des ententes sont passées avec un nombre restreint d’institutions partenaires, en majorité des entreprises forestières, qui garantissent pour plusieurs années de fournir un certain nombre de personnes lorsque la SOPFEU en a besoin. Ces changements auxquels s’est ajouté le durcissement des tests physiques pour être pompier forestier dans tout le Canada, se sont traduits par l’exclusion de la majorité des membres des Premières nations de la lutte contre les incendies forestiers. Ceci m’a toujours été présenté comme une perte regrettable par les Atikamekw rencontrés lors de mes recherches.

Arriver à ces changements ne s’est pas fait du jour au lendemain, il y a eu des réflexions, des discussions et des groupes de travail actifs sur plusieurs années.

Ces groupes de travail chargés d’élaborer la nouvelle approche de gestion des feux de forêt impliquaient essentiellement les gestionnaires des organismes de lutte, le gouvernement et l’industrie forestière. Les Premières nations n’ont pas été impliquées dans ces processus. Tout d’abord ses membres semblent avoir été majoritairement engagés comme main-d’oeuvre auxiliaire et celle-ci n’était pas impliquée dans le processus.

Ensuite, si on regarde la foresterie en général, les Premières nations n’étaient pas du tout considérées dans les processus décisionnels, les lois et les

politiques avant la fin des années 1980 et même à partir de là leur implication a été très partielle et progressive. Il n’est donc pas si étonnant qu’ils n’aient pas été plus impliqués dans les décisions concernant la lutte contre les feux de forêt qui est une des facettes de l’aménagement forestier. Ainsi les hommes autochtones ont surtout vécu le fait qu’assez soudainement ils n’ont plus été recrutés pour aller combattre les feux.

LE FEU DE 2010 PRÈS DE WEMOTACI

C’est dans le contexte de cette histoire de changements qu’un feu s’est trouvé à menacer Wemotaci au printemps 2010. Comme l’expliquent Éloïse Richard et Gérard Lacasse dans un article publié dans les pages d’Histoires forestières du Québec14, le printemps 2010 fut particulièrement actif pour la SOPFEU. L’incendie de Wemotaci fut un de ceux qui ont été allumés par le passage d’un front orageux qui n’a pas apporté de la pluie, mais de multiples impacts de foudre au coeur d’une forêt asséchée par un début de printemps pauvre en précipitations.

Wemotaci est relativement isolée puisque la communauté est située au nord-ouest de La Tuque, accessible par une route forestière d’environ 80 km.

Ainsi le 26 mai alors que la SOPFEU préparait l’intervention d’une de ses équipes de feux majeurs qui nécessite de regrouper les meilleurs éléments de la province, les habitants et habitantes de Wemotaci se sont retrouvés à voir les flammes aux portes de la communauté avant de voir l’intervention des pompiers forestiers.

Les flammes à Wemotaci en mai 2010. Source : capture d’image d’une vidéo de Canouk Newashish.

14 Richard É. et G. Lacasse, 2010, « Petite histoire d’un printemps actif », Histoires forestières du Québec, 3, 1 : 23.

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Ainsi, des hommes atikamekw ont décidé de rester sur place pour protéger leur village contre le feu pendant que l’évacuation de la majeure partie de la communauté vers La Tuque s’organisait. La décision de rester sur place m’a été communiquée comme une conséquence de la proximité des flammes et la nécessité de s’adapter au fait que la SOPFEU n’était pas sur place alors qu’elle était attendue.

Il est possible d’imaginer que vu l’implication des membres des Premières nations, y compris les habitants de Wemotaci dans la lutte contre les feux de forêt historiquement, il n’était pas si étrange pour les hommes de Wemotaci de rester au village plutôt que d’évacuer même si leur réflexe premier était de compter sur la SOPFEU. Cependant, pour les pompiers forestiers et leurs gestionnaires, arriver sur place dans une communauté dont l’évacuation totale leur avait été annoncée et trouver des volontaires qui n’étaient pas prévus dans leur organigramme a pu être déstabilisant.

Ainsi la communication ne s’est pas établie au départ, les premiers jours chaque groupe travaillait de son côté sans réelle communication. D’une part, les volontaires atikamekw étaient perplexes de voir les pompiers professionnels faire ce qui leur semblait être du « 8 à 5 » alors que pour eux chaque instant aurait dû être consacré à protéger leur lieu de vie.

D’autre part, les responsables de la SOPFEU étaient peu rassurés de voir des hommes non formés lutter contre l’incendie d’une manière qui leur semblait désorganisée (même si elle ne l’était pas) et ne leur permettait pas de savoir à qui s’adresser, qui était le chef ou le responsable. Il est important aussi de noter que les récits des expériences des feux passés laissent penser que la main-d’oeuvre autochtone était souvent laissée relativement autonome sur les sites de feu, il y avait donc une certaine latitude dans l’organisation du travail, chaque groupe pouvant adapter ses pratiques à sa façon de faire particulière.

Les frustrations créées par ces incompréhensions viennent en grande partie d’un manque de communication entre ces deux mondes qui s’est installé bien avant ce feu comme nous l’avons vu et qui a été amplifié par les circonstances. Il est sûr qu’au-delà de l’historique, le vécu d’un tel événement ne peut pas être le même entre des personnes qui tentent de protéger leur lieu de vie en portant en eux une responsabilité ancestrale de protéger le territoire et des personnes pour qui il s’agit d’un emploi.

Les conséquences de ces incompréhensions mutuelles semblent avoir culminé au cinquième jour de l’intervention. Les pompiers forestiers ont évacué le site en raison de l’intensité du feu et de la fumée, qui les empêchaient de faire leur travail. Lorsqu’ils sont revenus le lendemain pour reprendre la lutte, la route était barrée et leurs pompes avaient été récupérées par les volontaires de Wemotaci restés sur place. Le conflit ne s’est pas aggravé, mais a plutôt ouvert la porte à la discussion, un pompier forestier s’est rendu dans la communauté pour parler avec les volontaires atikamekw alors que les gestionnaires de la SOPFEU parlaient avec les gestionnaires de Wemotaci à La Tuque. Ainsi il a été possible de trouver un terrain d’entente pour avoir un moyen de garder une communication continue. De cette manière les volontaires de Wemotaci ont pu continuer à protéger le village et la SOPFEU a pu identifier une personne à qui communiquer les informations nécessaires pour que ceci se fasse de la manière la plus sécuritaire possible.

Suite à ce feu et d’autres qui ont brûlé en 2013 près de communautés Cries, la SOPFEU s’est engagée avec le Programme d’aide à la gestion des urgences des Premières nations du Ministère des Affaires Autochtones (aujourd’hui Services aux Autochtones Canada) dans différentes activités avec les communautés des Premières nations. Ainsi cette situation difficile a entraîné des changements qui sont plutôt positifs, elle peut être vue comme un « conflit constructif » tel que décrit par Wyatt et Hébert (2019)15puisqu’elle a permis un premier pas et une ouverture pour aller plus loin dans la construction d’une relation plus équitable avec les Premières nations du Québec.

Quel avenir pour l’implication des Premières nations dans la protection des forêts contre le feu?

Il est certain que travailler ensemble présente des défis. Il y a des différences culturelles qui peuvent compliquer la communication entre la SOPFEU et les communautés des Premières nations. Cette communication est également influencée par le contexte global de colonisation qui imprègne encore

15 Wyatt S. et M. Hébert, 2019, « Cohabitation des Premières Nations avec le secteur forestier: stratégies pour une relation constructive », Histoires forestières du Québec, 11, 1 : 30-33.

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les relations entre les Premières nations et toute organisation euro-québécoise. Cependant, ces éléments n’empêchent pas de communiquer pour construire une relation plus juste qui contribuerait à une plus grande implication des Premières nations dans la gestion de leurs territoires ancestraux. Pour les organismes de gestion, cela permettrait d’éviter d’avoir à gérer des situations conflictuelles à des moments où l’efficacité d’action est primordiale, comme c’est le cas dans des situations d’urgence et d’intervention.

De nombreuses communautés des Premières nations au Québec se situent en territoire forestier. De plus, il existe un consensus de plus en plus fort sur la probabilité que les changements climatiques entraînent une amplification de l’intensité et/ou de la durée de la saison des feux, y compris au Québec16. La SOPFEU pourrait donc voir de plus en plus de communautés autochtones impliquées dans ses interventions sur les feux. De plus, les communautés autochtones peuvent constituer une source de main-d’oeuvre très intéressante pour la SOPFEU. Elles peuvent fournir une main-d’oeuvre qui connaît le milieu forestier et il n’y a pas de risque d’être impactée par la situation économique globale comme ça arrive avec les compagnies forestières dont l’activité dépend de l’état du marché international du bois. J’ai pu voir un intérêt de la part des communautés autochtones pour ces emplois, il semble exister là un intérêt mutuel à travailler ensemble. Ces dernières années, la SOPFEU a d’ailleurs développé des accords pour du prêt de main-d’oeuvre avec les conseils de bandes de Kitigan Zibi (nation Anishinabeg) et d’Opitciwan (nation atikamekw), de même qu’avec une coopérative forestière de Pikogan (nation Abitibiwinni).

Paysage boisé et fleuve Saint-Maurice au coucher du soleil à l’entrée de Wemotaci, été 2019.

Source : Noémie Gonzalez Bautista.

Les Premières nations revendiquent depuis longtemps leur droit à avoir de plus grandes responsabilités dans la gestion de leurs territoires ancestraux et des ressources qui s’y trouvent. Ceci implique tant un rôle pratique avec les ac- teurs locaux que des dialogues politiques avec les gouvernements17. La gestion des feux de forêt pourrait en être une des facettes et les communautés autochtones pourraient apporter à la lutte des savoirs et savoir-faire complémentaires à ceux déjà en place.

Des exemples allant en ce sens existent dans d’autres provinces canadiennes. En Saskatchewan, un pro- gramme scolaire a été développé afin d’enseigner les bases de la gestion des feux de forêt dès le secondaire en intégrant à la fois les savoirs des praticiens allochtones avec ceux des peuples autochtones de la province.

Le programme « Iskotew (Fire) Response » est construit pour permettre aux élèves du secondaire de pour- suivre avec un emploi dans la lutte contre les feux en intégrant des apprentissages acquis auprès d’experts des organismes de lutte avec des apprentissages donnés par des aînés autochtones sur le feu et sa relation au territoire, mais également de mieux connaître ce domaine et les feux de forêt eux-mêmes.

16 Lajoie G., J. Portier, D. Houle et A. Blondlot, 2017, « Impacts des feux de forêt sur le secteur forestier québécois dans un climat variable et en évolution », Ouranos.

17 Wyatt S. et M. Hébert, 2019, « Cohabitation des Premières Nations avec le secteur forestier: stratégies pour une relation constructive », Histoires forestières du Québec, 11, 1 : 30-33.

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Il est aussi pertinent d’aller au-delà de l’embauche de membres des Premières nations comme main-d’oeuvre auxiliaire pour la construction d’une relation plus équitable. Les intégrer à la planification et à la gestion est également cohérent avec l’esprit du milieu de la lutte contre les feux de forêt, qui cherche toujours à s’améliorer et à innover par différents moyens. Ainsi en Colombie-Britannique les organismes responsables de la lutte contre les feux se basent sur les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation du Canada18 pour travailler à améliorer les relations avec les Premières nations. Ceci est une base pour développer un milieu de travail exempt de stéréotypes et de préjugés à l’égard des peuples autochtones pour vraiment atteindre un travail collaboratif de qualité. Le BC Wildfire a ainsi créé un poste de « director of partnership and First Nations relations » et est sur la voie d’embaucher des agents de liaison dans différentes communautés autochtones pour améliorer la communication locale en cas de feu de forêt et adapter l’organisation à la participation des Premières nations.

Comme nous l’avons vu, depuis 2013 des activités s’organisent pour impliquer les Premières nations du Québec dans la lutte contre les feux. Il est important de garder à l’esprit la complexité qu’il y a à gérer des relations et des situations locales, sur le terrain, alors qu’elles sont influencées par un processus colonial qui s’étale sur plusieurs siècles et des enjeux plus larges de négociations territoriales comme pour le secteur forestier dans son ensemble19. Ainsi il reste encore du travail, mais la situation semble aller vers un rapprochement qui pourrait, en s’y prenant bien, permettre la construction d’une relation équitable entre les Premières nations et le milieu de la gestion des feux de forêt au Québec.

Je tiens ici à saluer la mémoire de M. Denis Hamelin qui a été un précieux collaborateur à ma recherche de doctorat.

18 Voir : https://nctr.ca/fr/reports2.php, consulté le 18-09-2020

19 Wyatt S. et M. Hébert, 2019, « Cohabitation des Premières Nations avec le secteur forestier: stratégies pour une relation constructive », Histoires forestières du Québec, 11, 1 : 30-33.

Références

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