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Nouveaux enjeux sécuritaires et gouvernance externe de l'Union européenne

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Nouveaux enjeux sécuritaires et gouvernance externe de l'Union européenne

LAVENEX, Sandra, MERAND, Frédéric

LAVENEX, Sandra, MERAND, Frédéric. Nouveaux enjeux sécuritaires et gouvernance externe de l'Union européenne. Politique européenne, 2007, vol. 22, no. 2, p. 5-14

DOI : 10.3917/poeu.022.0005

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NOUVEAUX ENJEUX SÉCURITAIRES ET GOUVERNANCE EXTERNE DE L'UNION EUROPÉENNE

Sandra Lavenex, Frédéric Merand L'Harmattan | « Politique européenne »

2007/2 n° 22 | pages 5 à 14 ISSN 1623-6297

ISBN 9782296042094

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- http://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2007-2-page-5.htm

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!Pour citer cet article :

--- Sandra Lavenex, Frédéric Merand, « Nouveaux enjeux sécuritaires et gouvernance externe de l'Union européenne », Politique européenne 2007/2 (n° 22), p. 5-14.

DOI 10.3917/poeu.022.0005

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Politique européenne, n°22, printemps 2007, pp.5-14

Sandra LAVENEX et Fréderic MERAND

NOUVEAUX ENJEUX SECURITAIRES ET GOUVERNANCE EXTERNE DE L’UNION EUROPEENNE1

Les bouleversements géopolitiques de l’après-guerre froide et les acquis du traité de Maastricht ont replacé la notion deutschienne de

« communauté de sécurité » au cœur de l’identité de l’Union européenne. L’interdépendance croissante, la vulnérabilité face à un environnement international plus instable et l’approfondissement des compétences bruxelloises dans les domaines traditionnellement réservés à l’État-nation ont amené une reconfiguration en profondeur des perceptions et des politiques européennes en matière de sécurité.

Plus concrètement, de nouveaux enjeux sont apparus comme autant de « menaces à la sécurité » qui, loin de relever de l’univers traditionnel des relations inter-étatiques, s’inscrivent plutôt dans les structures sociales ou économiques, comme le crime organisé, les migrations ou la dépendance énergétique.

Ces enjeux non traditionnels de la sécurité qui transcendent le clivage entre politique intérieure et extérieure sont trop souvent évacués d’une analyse de la sécurité européenne centrée sur la PESC, la PESD ou l’OTAN. Bien qu’il puisse paraître banal de dire que la distinction entre sécurité extérieure et sécurité intérieure tend à s’estomper, les approches théoriques et les études empiriques portant sur la sécurité européenne demeurent dominées par une lecture assez étroite, cadrée par les termes classiques de la politique étrangère. Les objectifs comme la défense, la non prolifération ou encore la promotion de la démocratie ont certes leur place dans une analyse du rôle international de l’UE, mais force est de constater qu’ils ne sont ni les seuls, ni les plus importants que poursuit l’Union en ce début de 21e siècle.

Dans ce numéro thématique, nous proposons une contribution empirique et théorique à la littérature émergente, principalement anglo-saxonne, sur le rôle de l’UE comme acteur et comme communauté de sécurité. Théoriquement, les auteurs mobilisés dans ce numéro adhèrent au constat de Knud Erik Jørgensen (2004 : 25),

1 Ce numéro thématique est issu d’un atelier sur la sécurité européenne organisé lors du premier congrès des associations francophones de science politique, Lausanne, 18-19 novembre 2005. Nous remercions les participants à cet atelier ainsi que les évaluateurs externes qui ont contribué à la réalisation de ce numéro thématique.

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selon lequel « on a mal analysé la PESC et surtout pour les mauvaises raisons » ; ils proposent donc des cadres théoriques novateurs, inspirés du constructivisme social, de l’institutionnalisme, des études de sécurité critiques ou de la foreign policy analysis. Empiriquement, ils explorent la gouvernance de la sécurité européenne à travers différentes dimensions extérieures, notamment le crime organisé, les migrations, la politique énergétique, l’aide au développement ou encore la gestion civile des crises.

La prémisse que nous partageons avec ces auteurs est qu’il est nécessaire de prendre du recul par rapport à la conceptualisation traditionnelle de l’UE comme acteur de politique étrangère. De façon explicite ou implicite, la littérature dominante repose sur un modèle réaliste de l’État, vu comme acteur unitaire, ce qui amène souvent les analystes à souligner les lacunes de l’actorness international de l’UE.

Ces lacunes sont associées à l’ambiguïté des compétences formelles de l’UE, à l’absence de reconnaissance légale de son autorité, à la prise de décision incapacitante qui la caractérise, ou plus généralement aux ressources et capacités limitées de l’UE par rapport aux États souverains (Hill 1993; Jupille et Caporaso 1998; Smith 2003). L’autorité légale de Bruxelles en matière de relations extérieures et son autonomie réelle face aux États membres sont en effet toutes deux extrêmement limitées, tandis qu’elle ne dispose pas des capacités militaires qui caractérisent les grandes puissances. L’UE est ainsi souvent incapable de prendre des décisions fortes et cohérentes sur la scène internationale; et lorsqu’elle le fait, il lui manque souvent la crédibilité nécessaire afin de traduire ces décisions en influence concrète.

Néanmoins, nombreux sont ceux qui estiment que le modèle de l’État unitaire et le modèle traditionnel de « grande puissance » ne rendent pas justice au caractère sui generis de l’UE. Ces modèles ne permettent donc pas de saisir et d’expliquer ses particularités comme acteur. Des perspectives alternatives nous amènent plutôt à concevoir l’UE comme un système fragmenté autant sur le plan interne qu’externe.

Afin de souligner le déploiement sur plusieurs niveaux et à travers plusieurs piliers de l’édifice européen des relations extérieures, Christopher Hill propose en effet la notion de « système de relations extérieures », qui serait à la fois un sous-système du système international et un acteur de ce même système (Hill 1993 : 322;

Ginsberg 1999 : 439-40).

Ces propositions sur l’identité internationale de l’UE sont devenues l’objet d’un débat vigoureux sur le type de puissance

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7 représenté par ce système. À certains égards, la notion de « puissance civile », introduite dans les années 1970 par Francois Duchêne qui insistait sur la coopération fonctionnelle et économique, peut être interprétée comme une anticipation de la critique contemporaine des préceptes réalistes en politique étrangère – ou, pour parler comme Duchêne, du « military actorness » (Duchêne 1973; voir Telo dans ce numéro). S’inscrivant dans la continuation de ce débat entre réalisme et constructivisme social, certains politologues se sont récemment penchés sur les différentes logiques qui sous-tendent l’action de l’UE en matière de politique étrangère (Manners 2002; Sjursen 2006). Ian Manners (2002 : 241) met ainsi l’accent sur « l’impact idéel de l’identité et du rôle international de l’UE ». Plutôt que puissance ou puissance civile, il introduit la notion de « puissance normative », qui serait enracinée dans « un contexte historique, un système politique hybride et une constitution politico-légale » ayant contribué à

« l’engagement de mettre les normes et les principes universels au centre » des relations extérieures de l’UE.

Ces différentes approches ont en commun de souligner la continuité entre les structures internes et les relations extérieures de l’UE. Elles convergent autour de l’idée que les objectifs et les instruments de la politique extérieure ont tendance à refléter ceux de la politique interne à l’UE. L’accent mis sur les continuités entre politiques internes et relations extérieures nous amène à une toute autre littérature, celle-ci s’intéressant aux frontières de l’UE. Dans un article influent, Michael Smith (1996) souligne la multiplicité et le caractère mouvant des frontières (boundaries) de l’Union. Il distingue une frontière géopolitique séparant les zones de stabilité/sécurité, une frontière institutionnelle-légale, une frontière transactionnelle (principalement économique) et une frontière culturelle. Ces frontières, qui étaient plus ou moins congruentes durant la guerre froide et, partant, produisirent une « politique d’exclusion », sont devenues ouvertes et floues en raison du développement de formes d’intégration plus flexibles et de la prolifération d’arrangements institutionnels avec les pays non membres de l’UE. Smith estime que cette nouvelle situation doit logiquement mener à une « politique d’inclusion ».

Dans une tentative similaire de reconceptualisation des frontières de l’UE, Thomas Christiansen, Fabio Petto et Ben Tonra partent de postulat que « dans un avenir prévisible », l’UE ne peut pas « se transformer en une entité avec des frontières clairement délimitées et une distinction évidente entre ‘l’intérieur’ et ‘l’extérieur’ »

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(Christiansen et al. 2000 : 391-2). Ces auteurs insistent plutôt sur les

« fuzzy borders » de l’UE créées par des « régimes nouveaux qui ne sont pas à proprement parler ‘à l’intérieur’ ou ‘à l’extérieur’ du système politique » (ibid : 392-3). Avec ses frontières perméables et fluides, l’UE ressemble davantage selon eux à un empire qu’à un État westphalien.

Malheureusement, ces considérations théoriques sur la puissance européenne et les frontières de l’UE souffrent de l’absence de recherche empirique. C’est là tout l’intérêt de ce numéro thématique.

Nos contributions partagent une perspective commune, à savoir que la singularité du système d’intégration régionale qu’est l’UE tient à ses aspects inclusifs (Smith 1996; Filternborg et al. 2002). Il en résulte que les réponses apportées par l’UE aux risques ou aux menaces extérieures ne peuvent être adéquatement appréhendées en terme d’« actorness ». Au contraire, elles doivent être conceptualisées dans le cadre d’une « gouvernance externe » au moyen de laquelle l’UE

« internalise » les risques dans son propre système bien davantage qu’elle ne les confronte (Smith 1996 : 23). Plutôt que de se pencher sur la « grande stratégie » de l’UE, les auteurs de ce numéro thématique soulignent la dynamique décentralisée et fonctionnelle du système de relations extérieures de l’UE, et plus particulièrement la dimension souvent extérieure des politiques intérieures (voir Lavenex 2004 : 681). Ils dressent un tableau contrasté des orientations normatives, civiles et stratégiques de l’UE, un tableau qui dépend du secteur étudié, de son architecture institutionnelle et de l’élaboration des politiques publiques au niveau interne.

Les auteurs réunis ici analysent comment l’UE déploie son action sécuritaire à la fois sur de nouveaux territoires, comme l’Afrique ou le pourtour méditerranéen, mais aussi autour de nouveaux enjeux, comme la question migratoire ou l’approvisionnement énergétique.

Trois thèmes se dégagent ainsi: l’émergence dans le discours européen de nouveaux risques sécuritaires, comme l’immigration ou la dépendance énergétique; la construction sociale de ces « menaces », entre autres par une stratégie de sécurisation d’enjeux sociaux, environnementaux ou politiques; et enfin la redécouverte d’une approche civile, celle proposée par François Duchêne et qui serait le propre de l’Union européenne. Ces trois thèmes ont en commun de recouper les dimensions internes et externes de l’UE.

Dans « L’émergence d’un acteur global », Christian Franck nous offre un panorama fort détaillé sur le plan juridique, qui pose en quelque sorte les fondations institutionnelles des contributions

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9 suivantes, plus théoriques. Franck documente à la fois l’expansion géographique de l’influence de l’UE et l’approfondissement de son rôle en matière de relations extérieures, qui en l’espace de 30 ans est passé de la signature d’accords essentiellement techniques et commerciaux à une action de plus en plus affirmée dans le domaine politique, comme avec la PESC et la PESD. Des premiers accords avec les territoires d’outremer aux sommets Europe-Asie et Europe- Amérique latine, sans oublier le partenariat euro-méditerranéen et un agenda transatlantique fort rempli ces jours-ci, l’UE est véritablement passée « du statut d’acteur régional à un rôle d’envergure mondiale ».

Passant en revue les plus récentes évolutions institutionnelles, notamment celles liées au rôle du Haut Représentant pour la PESC et à celui, encore limité, du Parlement européen, Franck conclut que même si l’UE ne pratique toujours pas la « Machtpolitik », elle a certainement franchit la limite du « civilian power ».

Mario Telo, dans « The EU as an incipient civilian power : a systemic approach », propose un tour d’horizon non moins ambitieux de cette notion de puissance civile. Il confirme que l’UE est bien une puissance civile en émergence, dont l’action se décline selon plusieurs thèmes bien connus : multilatéralisme, influence socio-économique, élargissement, interrégionalisme, gouvernance multi-niveaux.

Entremêlant références philosophiques, théorie des relations internationales et observations empiriques, Telo propose une analyse systémique de la notion de puissance civile qui met l’accent sur les capacités réelles de l’UE dans le système international davantage que sur ses potentialités hypothétiques ou sur un horizon purement normatif, comme c’est souvent le cas dans les études anglo-saxonnes.

Il tente de dégager les conditions d’un multilatéralisme qui soit réellement efficace – qui, sans sombrer dans une vision idéaliste ou téléologique de l’expérience européenne, permette de reproduire les succès du multilatéralisme interne qui caractérise l’UE en le projetant sur la scène internationale, en premier lieu dans le voisinage immédiat.

En effet, si l’UE est une puissance civile, c’est en grande partie à sa propre expérience d’intégration régionale qu’elle le doit. Le « soft power » européen vient du fait que l’UE se voit – et est perçue dans une certaine mesure – comme un modèle pour le reste du monde.

Pour Elsa Tulmets, c’est en projetant ses principes de fonctionnement internes vers l’extérieur que l’UE peut réduire le fossé entre, d’une part, les grandes attentes dont elle est l’objet et, d’autre part, ses capacités tout de même limitées. Tulmets montre que

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la dernière vague d’élargissement aux PECO a suggéré des pistes désormais suivies par l’UE pour initier des changements structurels à long terme dans sa zone d’influence, le Voisinage. Ce « pouvoir structurel » opère par la socialisation des pays candidats aux politiques internes de l’UE, effaçant ainsi la frontière entre dimension interne et dimension extérieure. De nouveaux principes de conditionnalité fondés sur le partenariat, la décentralisation et la participation ont été

« testés » pendant le dernier élargissement. Ces principes, qui ne sont pas sans rappeler la méthode ouverte de coordination, ont ensuite été transférés à la Politique européenne de voisinage (PEV). Tulmets propose un récit fascinant de ce processus, éclairant entre autres le parcours des fonctionnaires qui ont porté ce transfert. La politique qui en résulte n’est pas exempte des contradictions qui ont affligé le processus d’élargissement, notamment les problèmes de cohérence institutionnelle interne (entre les trois piliers, par exemple) qui affectent naturellement la cohérence de l’action extérieure de l’UE.

Le texte de Nicole Wichmann, « Promoting the Rule of Law in the ENP : Strategic or Normative Power EU? », contribue également à la littérature sur la construction d’une dimension extérieure à ce qui fut pendant longtemps un projet essentiellement de nature interne : l’espace de sécurité, de liberté et de justice. Wichmann s’intéresse particulièrement à un élément externe du pilier Justice et Affaires intérieures, la promotion de l’État de droit, afin d’expliquer les variations que l’on retrouve dans la mise en œuvre de ce principe au sein des pays tiers. Se penchant sur la lutte contre la corruption, la lutte anti-drogues et la réforme de l’appareil judiciaire dans quatre pays couverts par la PEV (Tunisie, Maroc, Moldavie et Ukraine), Wichmann démontre que la promotion de l’État de droit suit parfois une logique normative mais aussi souvent une logique strictement sécuritaire; elle est parfois mise en œuvre sur le mode du partenariat mais aussi souvent sur un mode asymétrique par lequel l’UE impose ses objectifs aux pays de la PEV. Il existe donc une tension entre les impératifs de sécurité intérieure de l’UE et le discours de bonne gouvernance propre à la PEV qui se reflète dans la mise en œuvre des politiques de promotion de l’État de droit. Cette tension et les variations qui en résultent s’expliquent principalement par la nature hybride et les objectifs ambigus du principe de promotion de l’État de droit. Dans un contexte inter-pilier, l’ambiguïté des objectifs a permis aux acteurs bureaucratiques, notamment le Conseil et la Commission, de développer des stratégies intéressées, c’est-à-dire orientées vers l’élargissement de leurs propres compétences.

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11 Wichmann adopte une approche inspirée de celle de Graham Allison (1971) pour éclairer, dans une comparaison d’études de cas rigoureuse et fascinante, ce phénomène.

Un autre domaine classique de politique intérieure qui se démarque dans la PEV et au-delà est celui de la sécurité énergétique.

Dans « L’action de l’UE face au défi de la sécurisation de son approvisionnement énergétique », Alessia Biava part du constat que la dépendance énergétique de l’Europe (qui importe environ 50% de son énergie) représente peut-être la menace non conventionnelle la plus sérieuse qui pèse sur l’UE. Elle en est, en tout cas, une des plus médiatisées. Biava dresse un bilan très complet de la situation et décrit comment l’UE mobilise à la fois ses instruments politiques internes (réduction de la demande, libéralisation du marché) et ses ressources externes (création d’un cadre extérieur fondé sur les règles, diversification de l’approvisionnement, coopération bilatérale) afin de

« sécuriser » son avenir énergétique. Un des arguments les plus intéressants avancés par Biava est à l’effet que, à travers ses différentes actions, l’UE tente de « transposer » son modèle de puissance non seulement civile mais également libérale. Bloc économique fondé sur le libre marché, l’UE est peut-être un nain politique, mais elle demeure un géant économique dont les effets sur la libéralisation des échanges, et donc sur la gouverne mondiale, ne devraient pas être sous-estimés.

Du « Wider Europe » lié à la Politique européenne de voisinage, on passe avec les articles de Haingo Rakotonirina et Lorenzo Gabrielli à l’Afrique subsaharienne. Dans « Le dialogue interrégional UE-Afrique depuis Cotonou », Rakotonirina explore les relations politiques entre l’UE et l’Afrique. L’UE a joué un rôle important et surtout conscient dans le développement d’organisations régionales à son image, notamment en Afrique avec l’Union africaine. S’inspirant de l’institutionnalisme historique, Rakotonirina y voit là un exemple de mimétisme institutionnel : « L’institutionnalisation croissante du dialogue UE-UA, écrit-elle, doit être partiellement attribuée à la Commission européenne qui, s’appuyant notamment sur un dialogue direct avec la Commission de l’Union africaine, poursuit l’exportation du modèle européen tout en assurant sa propre place dans le dialogue interrégional euro-africain ». Comme Wichmann, Rakotonirina identifie une tendance à la sécurisation de l’aide au développement et de la relation UE-Afrique. La Facilité pour le soutien à la paix illustre bien à la fois cette sécurisation et l’émergence de l’Union africaine comme interlocuteur privilégié du dialogue euro-africain.

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Rakotonirina s’interroge toutefois sur la dépendance de l’UA envers Bruxelles, qui laisse craindre que l’institutionnalisation encore ténue des relations interrégionales ne résiste pas à un éventuel désintéressement des Européens.

Gabrielli s’intéresse aussi aux relations asymétriques entre l’Europe et l’Afrique, mais en prenant pour exemple les enjeux migratoires. Dans un article très proche de celui de Rakotonirina par ses références conceptuelles, il défend l’hypothèse que la sécurisation de la question migratoire tient les relations UE-Afrique en otage. La gestion des migrations, illustrée par la demande que des zones tampons soient créées sur le continent africain, devient une forme de conditionnalité imposée par l’UE aux pays tiers pour des motifs propres à la politique intérieure des États européens. Cette

« conditionnalité migratoire » relèguerait la conditionnalité politique au second rang, et « détournerait » ainsi l’aide au développement de ses finalités. Sceptique quant au discours lénifiant que tient Bruxelles, Gabrielli conclut que « l’orientation sécuritaire des politiques migratoires européennes produit, autant dans la sphère intérieure qu’extérieure, des frictions significatives entre les pratiques de contrôle des flux et le respect des droits humains et des conventions internationales en matière d’asile, autour desquels l'UE a partiellement créé son image de puissance civile. »

En définitive, Franck, Telo, Tulmets, Wichmann et Biava accordent donc un certain crédit à la thèse de l’« Europe, puissance civile », alors que Rakotonirina et surtout Gabrielli la relativisent fortement et soulignent plutôt la sécurisation imposée de façon asymétrique par l’UE à un grand nombre de ses voisins. Cette tension entre puissance civile et sécurisation est au cœur de l’article de Stéphane Pfister. Ce dernier, dans « Le volet civil de la Politique européenne de sécurité et de défense », estime que la dimension civile de la politique européenne de sécurité est trop souvent occultée par le thème plus séducteur d’« Europe de la défense ». Cela peut surprendre en raison de la place enviable accordée aux instruments civils dans la Stratégie européenne de sécurité et surtout du nombre important de missions « civiles » menées par l’UE depuis quelques années dans le cadre de la PESD : missions de police, soutien à l’État de droit, formation de policiers et de magistrats irakiens, réforme du secteur de la sécurité, observation de cessez-le feu et de surveillance des frontières, etc. Pfister nous livre un vibrant plaidoyer en faveur d’une conception « non militaire » de la PESD mais aussi un éclairant exercice de définition théorique de la gestion civile des crises (GCC).

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13 Son article restitue à la GCC la dimension centrale qui est la sienne dans l’action extérieure de l’UE, et surtout ce qui en fait sa singularité.

Pour Pfister, « la gestion civile des crises développée par l’Union pourrait dès lors contribuer à façonner une notion sui generis de la puissance dont l’UE pourrait être à la fois le précurseur et le modèle. »

En plongeant dans les particularités des politiques européennes et de leur dimension extérieure, les contributions à ce numéro thématique soulignent la complexité et la diversité de la communauté européenne de sécurité. De nouvelles pistes de recherche s’ouvrent sur le rapport entre politiques internes et gouvernance externe, sur les effets concrets de la puissance dans un nombre croissant d’enjeux et de territoires, et plus généralement sur la façon dont les acteurs de l’UE construisent « leur » sécurité européenne. Elles méritent d’être explorées.

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