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Grandir au Maroc de la période coloniale

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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PRÉFACE

Grandir au Maroc de la période coloniale

« Tu m’as fait pleurer à ton spectacle de Lyon, viens me faire pleurer à Fès » : ainsi commença mon amitié avec Moha Ennaji, président du Festival de Fès de la culture amazighe, linguiste, enseignant et chercheur aussi bien au Maroc qu’aux

USA. Mais jusqu’ici j’ignorais d’où lui venait cette sensibilité à fleur de peau, cet esprit ouvert sur le monde, curieux de tout, cette droiture empreinte d’un Islam sincère et tolérant.

Après lecture de cette émouvante biographie je le sais : tout cela lui vient de son père, Lahcen Ennaji.

Dans son livre, l’auteur nous dépeint la vie d’un honnête homme marocain, un « résistant » à l’occupation française, mais aussi un résistant dans sa défense de la culture amazighe (berbère), dans son dégoût des inégalités, dans sa lutte contre des conditions de vie parfois difficiles. Né en 1924, à Timoulilt, petit village amazigh du Moyen Atlas dans la province d’Azilal, orphelin de père à quatre ans, Lahcen connut une enfance précaire auprès de Rabha, une mère rebelle, aède inspirée dans sa langue amazighe, toujours prête à chanter ses izlanes (chansons amazighes). C’est dans ses bras qu’il téta le lait amer et nourrissant de la résistance. Fils unique, après le décès de son frère Bennaceur et de sa sœur Fadma, il grandit en effet auprès de celle qui aimait répéter :

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« Je suis Berbère ; je suis libre comme l’oiseau dans le ciel. » (Ch. 4)

Plus tard, pour Lahcen Ennaji, après un mariage arrangé avec Hadda alors âgée de treize ans (et qu’il apprit à aimer au fil des années dans un attachement réciproque indéfectible), ce fut, à dix-neuf ans, l’entrée dans le maquis où, pendant trois ans, il prit une part active à l’insurrection contre la colo- nisation française. À la Libération, il intégra les toutes jeunes Forces Armées Royales jusqu’à ce qu’une tuberculose osseuse l’obligeât à changer de voie. D’abord agriculteur par tradition, doué d’un grand esprit d’initiative, il ne tarda pas à ouvrir à Béni Mellal, une ville voisine, un commerce de bonneterie et de maroquinerie. Il eut sept enfants, deux filles et cinq garçons dont nous suivons aussi le destin, parfois tragique, tout au long de cette chronique familiale. La variété des vocations fraternelles, aussi bien dans le milieu de l’enseignement supérieur, de l’ingénierie que dans celui de la médecine vétérinaire, de la police ou de l’élevage, donnent à Moha Ennaji, l’auteur, l’occasion de nous peindre la diversité du Maroc, de sa jeunesse à travers ses préoccupations sociales, politiques, ses avancées vers le monde moderne contemporain : un pays neuf ouvert à tous les possibles.

Pédagogue, dans un style épris du moindre détail, l’auteur ouvre aussi son travail biographique sur des considérations historiques, nous faisant les témoins des luttes d’indépen- dance marocaine, de la fête de la Libération à Rabat, du décès du roi Mohamed V, du soulèvement des Rifains entre 1957 et 1959... Tout comme il ne manque point de nous éclairer sur les pratiques religieuses de la Confrérie Tariqa Tijania (parfois surprenantes comme celle du « crachat en pleine tête » Ch. 8), ou celles du pèlerinage à La Mecque (Ch. 14), sans oublier de nous instruire sur les bienfaits de l’huile d’olive ou sur la nourriture familiale (Ch. 8).

Et aujourd’hui, qu’en est-il du pays de Lhadj Lahcen Ennaji ? L’histoire personnelle de cette vie en résistance s’arrête le 26 mai 2006, et l’on sent affleurer au fil des

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PRÉFACE 11 dernières années un nouveau Maroc plus « mondialisé », porté par une jeunesse moins exigeante avec elle-même. La leçon de vie de ce père exceptionnel n’en est que plus néces- saire : pionnier de l’égalité hommes-femmes, soucieux d’en- courager ses deux filles aux études (l’une d’elles, Fatima, passa brillamment un master de linguistique), défenseur de sa culture amazighe, travailleur infatigable, épris de sa femme, de sa terre et de son pays, il laissa à ses enfants un deuil inextinguible mais aussi un exemple à suivre. Qu’il soit rassuré, son fils Moha Ennaji n’a pas trahi sa mémoire : à travers ce livre vivant, varié, parfois tatillon dans le rappel détaillé du passé, comme de peur d’en perdre une seule miette, l’auteur nous restitue la trajectoire de son père, tout comme celle de tout un pays, de toute une époque au quotidien mais aussi au souffle de la Grande Histoire. Et cela il l’écrit la plume au bord des larmes, sans artifices, au point que, en refermant le dernier chapitre, devant ce chagrin paternel qui le hante jusque dans ses rêves, je ne puis m’em- pêcher de lui dire : « Merci, Moha : tu m’as fait pleurer toi aussi. »

Jean-Marie SIMON

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Le village de Timoulilt

Chaque jour, le soleil se lève sur notre petit village baignant dans la quiétude. Un air doux et sec emplit les maisons. Le ciel est dégagé avec un bleu profond sans nuage.

La terre est couverte de brumes et de pâturages dans lesquels le vent s’enroule doucement. La poussière a réussi à s’in- filtrer dans les chambres. La nuit est paisible et le sommeil agréablement enveloppé dans un air frais et détendant. On entend les aboiements des chiens et les hennissements des chevaux. Un lieu idéal pour se reposer, pour faire de belles balades dans la plaine et des randonnées dans la montagne du Moyen Atlas. Les gens y sont très accueillants et charitables contrairement à certains habitants des grandes villes.

Timoulilt est un beau village berbère (amazigh) situé au pied du Moyen Atlas, adossé à la montagne, à cheval sur les Provinces de Béni Mellal et Azilal. Sa population vit essentiellement de l’agriculture, de la culture des oliviers et de l’élevage. Aujourd’hui elle doit avoisiner huit mille habi- tants. Le village de Timoulilt fait partie de la Tribu d’Ait Bouzid, et il est constitué de cinq quartiers : Ait Sri, Ait Massad, Ait Ghassat, Iaattaren et enfin Isouketane.

Le village bénéficie d’un climat méditerranéen mais forte- ment influencé de continentalité et subissant l’effet de versant des montagnes du Moyen Atlas. Il dispose de grandes

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ressources en eau, car il y pleut souvent et de temps à autre il y a des chutes de neige dans les montagnes environnantes.

Les précipitations moyennes annuelles varient cependant d’année en année. C’est pour cela que la population s’ali- mente en eau potable principalement à partir de sources naturelles et de puits.

Les sources, notamment la fontaine principale (aghbalou n Moulilt), la source de Ghessat (aghbalou n Ghassat), et la source (aghbalou n Ayt Lahcen), ont sans doute joué un grand rôle lors du choix de l’emplacement du village et de son expansion. La première est la seule qui irrigue toutes les terres du village à l’aide de canaux maçonnés par les Français pendant le protectorat et toujours en fonctionnement. Les autres sont vite taries pendant l’été, à cause de la sécheresse.

Le froid hivernal vient souvent de la neige qui tombe au sommet de la montagne toute proche, appelée « Ighunayn ».

L’hiver peut s’avérer très rigoureux. Cependant, il paraît beaucoup plus doux que celui des régions de l’Oriental, du Rif, ou du Sud marocain. Le printemps et l’automne sont les deux saisons les plus agréables, comme pour l’ensemble du pays d’ailleurs. L’été, il fait très chaud : les températures moyennes maximales montent jusqu’à 40°C. Mieux vaut sortir tôt le matin et le soir quand il fait frais pour profiter de la diversité des paysages.

Timoulilt se trouve à un emplacement particulièrement avantageux, en bordure de la plaine, au croisement des routes menant à Ouaouizaght, Afourer et Béni Mellal. Les moyens de transport existants sont le taxi et le car. Le village est au cœur d’une région naturellement généreuse, avec des terres relativement fertiles mais partiellement érodées et un climat très dur. Ceci lui permet de survivre et de se développer. Il passe pour être un paisible hameau, connu pour sa vaste réserve de chasse, ses sources, et ses riches prairies. Il regorge d’arbres, d’amandiers, d’orangers, d’oliviers, et les cultures maraichères y sont développées. Un village riche en somme, comparativement à d’autres villages situés dans des

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LEVILLAGE DE TIMOULILT 15 régions montagneuses. Mais ses nombreuses ressources naturelles et humaines demeurent mal exploitées.

C’est le village de la résistance par excellence. Plusieurs de ses fils et filles furent des résistants contre la colonisation française : ils ont participé courageusement à la libération du Maroc. C’est aussi le village de la fantasia, des meilleurs cavaliers de la région et de la danse collective (Ahidous).

C’est l’une des danses les plus importantes dans la société amazighe au Maroc qui permet au groupe d’exprimer l’émotion partagée par les individus. L’Ahidous est organisé aux fêtes sociales et notamment aux mariages. Il ne se limite pas à la simple distraction, car il met en valeur l’histoire d’une région et reflète sa culture et la beauté de sa nature.

C’est un moyen de communication entre les individus du groupe qui permet l’expression de l’esprit collectif et de la solidarité entre les tribus amazighes.

Les gens du village étaient très pauvres mais heureux. Ils pouvaient compter sur un tissu social solide. Ils étaient attachés à leur religion et connectés à leurs familles, leurs voisins, leurs lieux de culte et leurs communautés. Ils abor- daient la vie de manière optimiste et concentraient leur temps et leur énergie sur ce qu’ils pouvaient contrôler. Ils savaient que c’est bien d’être charitable et aidaient les autres en faisant du volontariat. Ils savaient que les richesses maté- rielles n’occupent qu’une petite part de l’équation. Ils culti- vaient leurs émotions spirituelles en sachant qu’elles sont essentielles à la richesse psychologique et au bonheur, car elles nous aident à surmonter ce qui nous dépasse.

La seule grande mosquée qui existait dans notre village juste après l’indépendance, se dressait sur le mont de Taqarrut dans un quartier modeste. Elle était, comme toutes les maisons d’ailleurs, bâtie en argile. Pendant les années 1970 la mosquée a été déplacée au village, au pied de la colline.

Mais c’est une simple bâtisse en dur, sans dôme ni minaret.

Actuellement, un nouvel édifice est en construction, spacieux, avec son minaret.

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Le village était démuni de toutes infrastructures. Juste après l’indépendance (en 1956), il n’y avait ni toilettes dans les maisons, ni bain maure (hammam). Les gens étaient obligés de faire leurs besoins dans les champs ou sous les arbres et ils se lavaient chez eux. Il n’y avait pas non plus d’électricité ni d’eau courante dans les maisons. Ce n’est qu’à partir des années 1990, que les autorités ont introduit l’élec- tricité et l’eau potable dans les maisons. La plupart des habitants avait cotisé pour en bénéficier.

Il n’y avait ni médecin, ni infirmier, ni dentiste dans le village ni pendant le jour ni pendant la nuit. Bref il ne fallait pas tomber malade. Les gens utilisaient les plantes médi- cinales et la médecine traditionnelle. Celle-ci était très répandue car le système de santé public n’avait que des activités occasionnelles (campagne de vaccination, de lutte contre le paludisme ou la tuberculose...). De même la majorité des accouchements s’effectuaient, à la maison, avec l’aide d’accoucheuses traditionnelles.

La population était presque toute analphabète sous la colo- nisation et pendant les premières années après l’indépen- dance. Aujourd’hui le taux de l’illettrisme a beaucoup dimi- nué, mais il reste élevé. Un peu moins de la moitié des hommes et la majorité des femmes sont toujours analphabètes.

Au début de l’indépendance, tous les habitants parlaient l’amazigh, leur langue natale ; peu de gens maîtrisaient l’arabe dialectal. Mais avec l’introduction de l’enseignement en langue arabe, beaucoup de jeunes sont maintenant bilingues.

Plusieurs d’entre eux sont devenus des cadres et des diplômés dans plusieurs disciplines. Faute de trouver un bon emploi bien rémunéré, un certain nombre de jeunes a émigré vers les villes de Béni Mellal, Casablanca, ou Marrakech ; d’autres ont choisi l’émigration internationale, ils sont allés plus loin en Europe, surtout en France et en Italie.

Le souk de Timoulilt s’appelle souk latninie (le souk du lundi) ; c’est le nom qu’il portait déjà pendant la colonisation.

Il est toujours bien animé car c’est l’occasion pour les villa- geois de s’approvisionner en viande, légumes, blé, et autres

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LEVILLAGE DE TIMOULILT 17 aliments. On y trouve aussi bien de l’alimentaire que de l’habillement, des bijoux berbères, des poteries, etc. On y trouve également de nombreuses sortes d’épices qui par- fument les ruelles. Avec la nouvelle partie du village cons- truite au bord de la route principale entre 1985 et 1993, les habitants peuvent acheter presque tout dans les boutiques et épiceries même pendant la semaine.

Il y avait une seule école primaire, construite après l’indé- pendance en 1959. C’était une école semi-laïque et bilingue (arabe-français) mais les élèves devaient y mémoriser quelques versets du Coran, en conformité avec le programme de l’éducation nationale islamique (attarbiya al-islamia). Elle disposait d’une cantine qui servait des repas modestes (ver- micelles, soupe, etc.) mais gratuits. Mais avant 1959 il n’y avait ni école ni cantine pour les élèves. Il n’y avait que des écoles coraniques qui leur apprenaient le Coran et la langue arabe écrite. Aujourd’hui les infrastructures dont dispose le village ont été améliorées. Au total, Timoulilt compte trois écoles primaires, un collège, une école maternelle dirigée par l’association du village et trois écoles coraniques pour les petits enfants de moins de 6 ans. En 1983, l’État a construit un collège. Maintenant, les élèves ont la possibilité d’aller au collège dans leur propre village, ce qui est une aubaine pour les enfants du village qui y obtiennent leur certificat de fin d’études primaires. Avant, ils étaient obligés d’aller à Béni Mellal, la ville la plus proche, à 20 km, sans route goudronnée, pour continuer leurs études secondaires (collège et lycée). Cependant, à l’heure actuelle, pour conti- nuer les études au lycée, il faut toujours se déplacer à Afourer ou à Béni Mellal.

Avant, la plupart des enfants arrêtaient les études rapide- ment car leurs parents ne pouvaient pas prendre en charge les frais du loyer et des repas en ville. Presque toutes les filles abandonnaient l’école après le primaire soit par décision de parents analphabètes soit parce que l’école était loin de leur maison. Souvent, lorsque le revenu familial était insuffisant, les parents préféraient scolariser les garçons. Vu le contexte

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socioculturel dans lequel étaient éduqués les hommes et les femmes, celles-ci étaient considérées comme des créatures inférieures à l’homme. Mais pour mon père le progrès était une éducation identique pour les filles et pour les garçons. Il disait « Je pense que les sensibilisations doivent être orientées non seulement vers les enseignants, mais encore plus vers les parents qui jouent un grand rôle dans la prise en charge des enfants ».

Bien sûr, l’augmentation remarquable du nombre d’enfants inscrits à l’école primaire après l’indépendance fut encoura- geante. Le nombre d’enfants non scolarisés a diminué sensi- blement. Malgré tout, l’obligation de travailler était l’un des obstacles majeurs à une enfance décente (sur le plan physique comme intellectuel). Les parents vivant dans la pauvreté devaient souvent choisir entre éduquer leurs enfants ou les envoyer travailler pour aider la famille financièrement. Dans d’autres cas, l’accès à l’éducation pouvait être difficile en raison de longues distances pour atteindre l’école. Ils pouvaient également être confrontés à une éducation de qualité insuffisante, à des locaux inadaptés, à une hygiène déficiente ou absente et un manque de supports pédago- giques. Du côté des enseignants, il pouvait y avoir un manque de soutien, de formation ou de rémunération. De surcroît, les frais d’inscription, de manuels et d’uniformes pouvaient être excessivement élevés compte tenu du pouvoir d’achat faible des familles. C’est d’ailleurs toujours le cas actuellement.

Aujourd’hui le village souffre de la détérioration du niveau de vie de la population en raison des années succes- sives de sécheresse, et de l’augmentation des prix des denrées alimentaires. L’accroissement du nombre des veuves et des personnes âgées, dont les sources de revenu sont très faibles, ne pouvant pas satisfaire aux besoins vitaux minimum, est aussi un facteur de détérioration du niveau de vie.

Toute la région d’Azilal est une région montagneuse dont la population est fondamentalement agraire depuis la nuit des temps. Un terrain, fortement érodé et des conditions clima- tiques dures rendent très difficile l’établissement de zones

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LEVILLAGE DE TIMOULILT 19 cultivables à grande échelle, ce qui explique que la terre ait une très grande valeur et soit régie par l’indivision au sein de la famille agnatique. Cette particularité a engendré une orga- nisation sociale particulière à plusieurs niveaux : le premier est l’axxam, c’est-à-dire la maison, la cellule familiale conjugale parfois élargie aux grands-parents. Le deuxième est l’ighess qui se compose de la famille étendue liée par un ancêtre commun. En troisième lieu, on a la tajemaât ou jemâa qui est l’assemblée générale des représentants mâles des familles du village dont les accords sont adoptés par consensus. Celle-ci exerce l’autorité souveraine puisque elle jouit des trois pouvoirs basiques : législatif, exécutif et judi- ciaire. Elle est la seule institution compétente pour élaborer les normes et se charge aussi de faire exécuter ses décisions et de sanctionner les contrevenants avec toute la force d’une loi souveraine. Le rôle de cette assemblée est très important puisqu’elle organise la vie en collectivité en planifiant les travaux et les devoirs collectifs. Le quatrième et dernier niveau est la taqbilt ou la tribu. Un certain nombre d’entre elles peuvent s’unir devant la menace d’un danger ou d’hosti- lités extérieures.

Les dispositions de lois élaborées par la tajemaât de chaque village ou par une tribu importante vont constituer l’azerf ou droit coutumier. Cette organisation sociale est toujours en partie d’actualité mais seulement sur le plan culturel. Elle est aujourd’hui une notion utilisée sous des sens variables par des acteurs sociaux différents en des termes identitaires. Depuis une décennie, on relève dans des discours émanant de l’État et de milieux associatifs militants un regain d’intérêt pour les communautés rurales berbérophones dans les régions rurales.

Après l’indépendance, la politique de l’État marocain, durant plusieurs décennies, visa la modernisation des structures sociales et l’émancipation des citoyens hors des cadres tribaux restreints. Du coup, le processus de margina- lisation des populations berbères s’est prolongé après l’indé- pendance à travers une exclusion socio-économique et un

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déni des spécificités culturelles des populations arabophone et berbérophone, au profit d’une idéologie officielle faite d’un mélange de référentiels arabo-musulman et francophone.

Dans cette organisation sociale, bien que le droit musulman soit plus favorable aux droits des femmes en matière d’héritage, la pratique réelle du droit coutumier s’est écartée des préceptes coraniques, étant donné que, dans la société amazighe, la terre est presque sacrée et, en général, régie par l’indivision.

La femme, quand elle se mariait, sortait de sa famille pour entrer dans celle de son mari. Selon le droit coutumier, la fille était exclue de l’héritage, surtout des terres. Elle était poussée par les membres de sa famille à renoncer d’elle-même à son droit à l’héritage dans le but de sauvegarder l’unité et la solidarité familiale. Ceci est en flagrante contradiction avec la loi islamique. Donc, pour éviter la perte du patrimoine de la tribu d’origine de l’épouse, sans droit à l’héritage, elle n’apportait aucun bien immobilier à sa nouvelle famille. Pour bien comprendre un sujet comme l’exhérédation des femmes, il faut tenir compte de l’organisation sociale amazighe dans laquelle l’individu est attaché à son groupe, lequel est basé sur le lien de la parenté. La filiation s’établit par voie patri- linéale et la succession est transmise par la ligne agnatique, c’est-à-dire, de mâle en mâle, en partant d’un ancêtre commun.

De fait, le mariage est une espèce de contrat social qui concerne toute la tribu.

L’aspect le plus remarquable de cet accord, est que son introduction implique des contradictions avec les règles du droit islamique, car le droit coutumier l’emporte sur la loi religieuse1. Les changements majeurs apportés par l’islam à cette forme de mariage sont l’exigence d’assentiment de la

1. Voir Garratón Mateu Carmen, 2014, « L’exhérédation des femmes kabyles dans le contexte du droit coutumier », in Langue maternelle et diaspora maghrébine, Fès, Publication Centre Sud Nord, p. 31-40.

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LEVILLAGE DE TIMOULILT 21 mariée et sa consécration comme bénéficiaire de la compen- sation matrimoniale. En principe, la femme acquiert donc le droit de disposer de sa personne et de la compensation matri- moniale (la dot ou sadaq en arabe).

Une autre contradiction entre le droit coutumier et l’islam est que chez les Berbères, le témoignage d’une femme était recevable contre quiconque commet une infraction ou un délit, notamment lorsque ce témoignage apporte des éléments de conviction à l’assemblée. Mais il n’est pas reconnu par la loi islamique qui requiert le témoignage d’hommes.

Après l’indépendance, le droit islamique fut relancé et son champ d’application s’étend désormais à des domaines dans lesquels il remplace les lois d’origine française et les cou- tumes amazighes. Ainsi, les droits que les femmes avaient obtenus tels que le droit à l’héritage et le droit des succes- sions, vont subir des régressions surtout au niveau de l’appli- cation des lois par les tribunaux et les administrations publiques. Pourtant en théorie, le droit musulman est plus favorable que le droit coutumier en ce qui concerne le code de la famille, mais il est en-deçà des aspirations et des attentes des femmes modernes après l’indépendance. Ces femmes qui avaient activement lutté pour l’indépendance du pays ont ainsi vu, d’une certaine façon, leurs aspirations trahies.

L’objectif était l’unification des règles du droit succes- soral, considérant qu’une homogénéisation de ces règles répondrait plus aux visions idéologiques de la nouvelle souveraineté nationale par opposition à la diversité provoquée par la législation antérieure à l’indépendance.

La question se complique davantage encore dans la mesure où les quelques modifications introduites par les lois ne s’appliquent toujours pas dans certaines zones isolées comme les petits villages amazighs où la société maintient une forme d’organisation sociale endogène et particulière qui ne rend pas toujours nécessaire le recours aux instances juri- diques officielles, par méconnaissance des lois en vigueur ou, simplement, par habitude de recourir à l’institution tradition- nelle (la jemaâ).

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Dans ces régions, où le droit musulman et le droit coutu- mier continuent de coexister, la mise en vigueur de l’un ou l’autre modèle juridique dépend, en premier lieu, des intérêts masculins et leur est favorable. Car, qu’il soit musulman ou coutumier, le droit est le domaine exclusif des hommes et l’instrument de leur autorité sur les femmes. Ces dernières n’ont qu’une vague idée des règles musulmanes et coutu- mières qui régissent les institutions. À titre d’exemple, les litiges résultant des problèmes de succession ou de délimi- tation des terrains continuent d’être résolus par la jemaâ.

Cette coexistence du droit coutumier et des lois islamiques est une question d’actualité bien débattue par les Marocains, sur le Net et dans la presse.

Depuis la période précoloniale, la population de Timoulilt est connue pour son hospitalité, sa générosité et son dyna- misme, malgré le manque de ressources et d’infrastructures.

C’était dur de vivre dans un village au Maroc profond dans ces conditions. Et ça l’est toujours. Si le village a évolué positivement au fil des années, il mérite mieux que ce triste sort qui lui est réservé depuis l’indépendance. Il y a toujours des problèmes socio-économiques graves, tels que le chômage des jeunes, l’illettrisme, la pauvreté et la négligence des autorités et des élus.

C’est un magnifique village qui a tous les atouts pour devenir un des sites touristiques les plus beaux de la province d’Azilal.

C’est un lieu paisible où chacun vit avec ses qualités et ses défauts mais surtout dans le plus grand respect d’autrui. Nos anciens nous ont inculqué cela, et j’espère que les générations futures respecteront cette ligne de conduite. Pensons à le valoriser car c’est un bel endroit où chaque habitant aspire à vivre en quiétude et dans la dignité.

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