A NNALES DE L ’I. H. P.
H ANS R EICHENBACH
Les fondements logiques de la mécanique des quanta
Annales de l’I. H. P., tome 13, n
o2 (1952-1953), p. 109-158
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Les fondements logiques
de la mécanique des quanta (1)
par
Hans REICHENBACH,
Université de Californie, Los Angeles.
~
CHAPITRE I.
L’
INDÉTERMINISME.
L’indéterminisme associé à la théorie des quanta a été
considéré,
aussi bien par des
philosophes
que par desphysiciens,
comme la dévia-tion de la
physique classique
laplus
forte que l’onpuisse imaginer.
Je ne crois pas que ce
jugement puisse
être défendu. Il me sembled’abord que cette déviation n’est pas aussi
grande qu’elle paraît
àpremière
vue, parcequ’il
existe desdéveloppements
enphysique classique qui
laissent supposer que le déterminisme n’est pas le derniermot de l’homme de science en ce
qui
concerne lesphénomènes
naturels.Ensuite,
d’autres résultats de laphysique quantique
contredisent laconception classique
du mondephysique
à unplus
hautdegré
que ne le fait l’abandon de la stricte causalité. Je veuxparler
duchangement
du concept de la
matière,
de la substancequi
forme les corpsphysiques changement profond qui
s’estattaché à
la découverte de 31. deBroglie
concernant une certaine
équivalence
d’ondes et decorpuscules
etqui
abouleversé tout à fait les théories
philosophiques
issues de la scienceclassique
aussi bien que desexpériences
de tous lesjours.
Permettez-(’ ) Conférences faites à l’Institut Henri Poincaré les 4, 6, 7 juin I952.
II0
moi,
enguise d introduction,
de vousprésenter
cesdéveloppements
d’un
point
de vuecomparatif
c’est-à-dire en les comparant aux idéesclassiques
dont ils sont sortis etqu’ils
ont transformées en un nouveautableau du monde
physique.
Ce n’estqu’après
cette étude de l’arrière-plan philosophique
que l’on pourracomprendre
lasignification
desdécouvertes des
physiciens pendant
les trente années écouléesdepuis
les
premières publications
de QI. deBroglie,
et que l’on sera en mesure d’examinerd’autres conséquences
de laphysique nouvelle, comparables
sinon
supérieures
à celles queje
viens de citer.Le déterminisme
classique
a sonofigine
dans l’astronomie. Les astro- nomes ontl’avantage
des’occuper d’objets grands
etéloignés
les unsdes autres,
objets qui
ne sont donc troublés ni les uns par les autres, ni par l’observateur humain. Cesobjets
célestes se meuvent suivant deslois très
précises, qui
permettent deprédire
lespositions
futures si l’onconnaît les
positions présentes,
ouplutôt qui
permettent desprévisions
très
précises
si l’onpossède
une connaissance suffisamment exacte de leur étatprésent.
Cetterégularité
extrême a été considérée commel’idéal de la nature pour ainsi
dire,
et si l’on nepouvait
pastoujours
retrouver la
précision astronomique parmi
lesphénomènes
terrestres,on a conclu que c’est seulement la lirnitation des
capacités
humainesqui
borne nosprédictions
à l’incertitude deprévisions statistiques.
L’idéal
supposé
de la nature est donc devenu l’idéal de lascience,
et larecherche de lois causales strictes à
pris
la forme d’uneobligation
morale dont la validité est hors de doute.
On n’a
guère
besoin de citer ici le passage fameux danslequel Laplace assigne
à uneintelligence supérieure
lacapaciter
d’embrasser « dans la- même formule les mouvements desplus grands
corps de l’univers etceux du
plus léger
atome : rien ne serait incertain pourelle,
et l’avenircomme le
passé
seraitprésent
à ses yeux»(2 ).
Ces mots seprésentent,
à un
physicien moderne,
comme laprofession
de foi d’unâge passé depuis longtemps,
d’unage
où l’on attribuait aux étoiles lepouvoir de
révéler les lois des
plus légers
atomes, d’unâge
de confiance en l’har-1110nie de la nature aussi bien
qu’en
lacapacité
de l’homme de la traduireen des formules
mathématiques.
Lephysicien
de nosjours
ne partage(2) P. S. LAPLACE, Essai philosophique sur les probabilités, Gauthier-Villars, Paris,
1921, p. 3.
s
plus
cetteconfiance;
il ne peutguère s’imaginer
un temps ou l’oncroyait
que le monde desgrandes
dimensions offraitl’image
du mondedes
petites
dimensions.Cependant,
laquestion
du déterminisme n’est pas unequestion
defoi,
unequestion
depsychologie
duphysicien
ou de sonépoque.
Ils’agit
d’unequestion physique
ouépistémologique,
d’unequestion
demandant une
analyse logique
et uneréponse
basée sur le raisonne-ment et l’observation.
L’opinion
que tous lesphénomènes
de la naturesont
gouvernés
par des lois strictes estl’expression
d’une théoriephy- sique qui,
en tant quetelle,
doit êtreassujettie
auxrègles critiques généralement acceptées
pour la discussion des théories.Commençons
cette
analyse
en essayant de donner à lathéorie
du déterminisme uneforme
précise qui
permette de lajuger
comme vraie oufausse,
ou dumoins,
comme vraisemblable ou invraisemblable.L’hypothèse
de la causalité seprésente
sous deux formes différentes :une forme conditionnelle et une forme
catégorique.
Dans la formeconditionnelle,
l’énoncé de causalité commence par le mot « si » : si la situation A estcomplètement
décrite au temps t1 par les valeurs u1, ..., unde certains
paramètres,
elle sera suivie au temps t2 par la situation B.Dans la forme
catégorique,
nous tenons comme établi que les valeursui, ... , , Un
existent;
et, omettant laphrase qui
commence par«si)),
nous concluons que la situation B se
produira.
C’est la secondeforme,
la forme
catégorique, qui amène
ledéterminisme,
car le déterministe maintientqu’il
est admissible deséparer
leconséquent
de l’antécédentet d’affirmer la conclusion.
On ne
pourrait
trouver à redire à ceprocédé
si la situation était aussisimple
queje
viens de récrire.Malheureusement,
elle estbeaucoup plus compliquée.
Même si nous sommes
justifiés
à considérer la forme conditionnellecomme
vraie,
nous savons bien que la conditionexprimée
dans laprémisse
n’est pasremplie.
Ladescription
de la situation A par lesparamètres
Ut...., unn’est pas complète. Malgré
cela, nousl’employons ;
et nous sommes
obligés
del’employer
parce que nous nepossédons
pasune
description
meilleure. Heureusement. 1 erreur commise en em-ployant
unedescription
incorrecte n’est pas tropgrande:
laprédiction
de la situation B sera valable
approximativement.
Cela veut direqu elle
sera vraie dans des limites
numériques
étroites pour laplupart
des cas.II2
Les lois des
probabilités
viennent à notre secours ; si nous devonsrenoncer à une
prédiction
exacte, celles-ci nous offrent de laremplacer
par une
prédiction statistique.
La solution
paraît simple,
mais elle montre que 1eproblème
de lacausalité est
inséparable
duproblème
desprobabilités.
Elle nous permet deséparer
la conclusion de la forme conditionnelle auprix
du sacrificede la
prétention
d’arriver à un énoncé vrai : la conclusion n’est queprobable.
Elle substitue donc le concept deprobabilité
à celui devérité ;
et elle nous demande de reformuler leprincipe
de causalité defaçon
à cequ’il
tienne compte de sa liaison avec lesprincipes
desproba-
bilités. Voilà la
réponse qu’une analyse logique
donne à laquestion
dudéterminisme : si un déterminisme
peut
être soutenu, il faut d’abord le formuler comme théorème en fonction desprobabilités.
Si
chaque prédiction
est restreinte à undegré
deprobabilité, l’analyse
causale ne peut que pousser
plus
loin cedegré
deprobabilité.
Leprin- cipe
de causalité est basé sur lasupposition
que cetteaugmentation
dela
probabilité
esttoujours possible ;
et l’idée du déterminisme se rap- porte à un processus de limite concernant lesprobabilités
deprévision.
Si la
description
D(1)prévoit
l’état futur B avec uneprobabilité p(1),
on pourra augmenter cette
probabilité
enemployant
unedescription plus
détaillée D(2). Cette nouvelledescription
de la situation initiale diffère de lapremière
dans lespoints
suivants :1. La nouvelle
description
renferme un rapport des conditionsphy- siques
dans les environsspatiaux
de la situation A.2. La nouvelle
description emploie
des mesuresplus précises
desparamètres,
etajoute
des nouveauxparamètres négligés
auparavant à l’intérieur de A.3. La nouvelle
description emploie
des lois causalesperfectionnées.
Le
point
1 sert à diminuer des interventions inattendues venant de 1 extérieur du volumespatial v auquel
se rapportent la situation A autemps et la situation B au temps l2. Les
points 2
et 3 servent à rendreplus précise l’exposition
des relationsphysiques
à-l’intérieur de ;.En
répétant
ceprocédé,
on arrive à une série dedescriptions
DU) etde
probabilités p(i), qui
nous permet de formulerl’hypothèse
du déter-minisme : cette
hypothèse prétend
que la série desp"1’
converge vers la valeur 1 etqu’en
même temps la série DU) converge vers unedesrrip-
tion ultime D. L’idée du déterminisme peut donc être
symbolisée
par le schéma suivant :(1)
(
D(1), D(’1, D(3) .... D(i), .... + D,~~~
t
t , P (?l ~ ~- C~3) ’ ’ ’ ? ... , ~- ~ ’ ->-iLa
question
se pose de savoir si ce schéma est corroboré par le témoi-gnage
del’expérience.
Pour le
physicien classique
la convergence desprobabilités
nefaisait pas de doute.
Ajournons
donc la discussion de cepoint
et exami-nons d’abord la
question
de l’existence d’unedescription
ultime. Auxpoints 2
et3,
laphysique classique
donnait laréponse
que les lois naturelles définitives avaient été établies dans lamécanique
de Newtonet que les
paramètres
définitifs étaient donnés par le modèlemécanique
de l’atome.
Cependant
il subsistait des difficultés en cequi
concernele
point
1. Sil’espace
estinfini,
ladescription
ultime D doit renfermerun nombre infini de
paramètres ;
unlogicien
aura de lapeine
à accepterune telle
idée,
doutantqu’elle
ait vraiment un sens.La théorie de la relativité
paraît
offrir un remède : la vitesse de trans- mission causale étant limitée à celle de lalumière,
tous lesparamètres qui
peuvent influencer la situation B au temps t2 sontrenfermés,
autemps ti, dans une
sphère
V de volume fini.Cependant,
une autredifficulté se
présente :
au mêmetitre,
on concluraqu’il
estimpossible
de connaître les valeurs de tous ces
paramètres
avant l’instant t2.Donc,
on ne
peut
pas donner autemps t1
unedescription
ultime D permettant laprédiction
de la situation B.La difficulté serait éliminée si l’univers était
spatialement
fini. Dansce cas, du
moins,
lelogicien
n’aurait pasd’objections
contre l’existence de ladescription
ultimeD. Acceptons
donc cettesupposition
afind’aboutir à une forme de
déterminisme
nonexposée
à desobjections logiques.
Or,
même dans ce cas, le déterminismeimplique
unehypothèse
assezdouteuse. En
effet,
il est bienpossible
que la série desprobabilités p(i)
converge vers une
limite,
tandis que la série desdescriptions
ne le fassepas. Cette
conception, qu’on
peutappeler
indéterminismeclassique,
peut être
symbolisée
par le schéma suivant :II4
~ a-t-il une
possibilité
dedistinguer
entre les deuxconceptions (1)
et
(2)
an moyen d’un critèreempirique ?
Je propose
d’employer
le critère suivant : examinons la variation desprobabilités lorsque
laprévision
se rapporte à un instant ~;~> ~2.Étant
donnée la mêmedescription
Dlil de la situation A au temps noussavons bien que la
probabilité
diminuera si t2 estremplacé
par ~.En
répétant
cetteconsidération,
nous arrivons à unegrille probabilitaire
de la forme suivante :
Les indices inférieurs
indiquent
le temps; les indicessupérieurs
ledegré
de détail de ladescription.
Surchaque ligne,
lesprobabilités
convergent vers la valeur 1. Dans
chaque colonne,
elles diminuent ete convergent vers une
probabilité
moyenned’apparition
de la situationB, indépendamment
de la situation A.Quoique
cettegrille
soit convergente, elle neprésente
pas une conver-gence uniforme. Etant donné un intervalle
d’exactitude
E, on peut trouver, pour letemps
lit, unedescription D ~i’
telle que 1- ~ ; mais pour la mêmedescription
il y a un temps t"2, m >k,
tel quep(i)m
I - E.Donc,
iln’y
a pas dedescription D 1‘’ qui prédise
lasituation future pour tous les temps avec une
probabilité
~ I - ~.Par
conséquent,
on ne peut pasassigner
une valeur définie au coin inférieur droit : en suivant la dernièrecolonne,
on y mettrait la valeur i;en suivant la dernière
ligne
on y mettrait la valeur p.Il me semble que cette
grille probabilitaire indique
quel’hypothèse
du déterminisme n’est pas confirmée par
l’expérience,
même enphysique classique.
Il estvrai,
lasupposition
d’unedescription
ultime I) necontredit pas
logiquement
la structure de lagrille.
Mais si cettedescrip-
tion ultime D
existait,
elle différerait essentiellement de toutes les des-criptions D (ii,
en celaqu’elle
établirait une colonne deprobabilités
nondécroissantes,
tandis que les valeurs desprobabilités
danschaque
colonne introduites par un D(i) décroissent. On peut donc considérer la
grille
de convergence non uniforme comme une preuve inductivecontre
l’hypothèse
dudéterminisme,
ou dumoins,
commel’expression
de l’absence de toute preuve inductive en faveur de cette
hypothèse.
Bien sûr, une preuve déductive contre cette
hypothèse
ne peut pasêtre
donnée ;
en d’autres termes, on ne commet pas de contradictionlogique
si l’onajoute
lasupposition
de l’existence d’unedescription
ultime aux faits d’observations
englobés
dans cettegrille.
Mais cettehypothèse
sera introduite auprix
du sacrifice d’unecontinuité,
parcequ’il n’y
a pas de transition continue de colonnes observables à la colonne ultime D non observable. Et la continuité est l’essence del’inférence
inductive. Il en serait différemment si lagrille
offrait1 aspect
d’une
convergence
uniforme : dans ce cas, onpourrait
la considérercomme preuve inductive de l’existence d’une
description
ultime.En
employant
lelangage
d’une théorie de lasignification qui
se basesur la
vérification,
on peut traduire ce résultat comme suit. Le déter-minisme,
s’ilexiste,
ne se manifeste pas en des relations entre lesquantités
observables. Cesrelations,
bien sûr, n’excluent pas le déter-lllinisme;
mais elles ne le confirment pas nonplus.
Ledéterminisme,
en
physique classique, représente
une addition vide ausystème
desrelations
observables;
s’il estomis,
si l’on renonce àparler
d’unedescription ultime,
rien nechange
dans l’ensemble des énoncésvérifiables.
Enfin,
venons-en à considérer la situation dans lamécanique
desquanta. On sait bien
qu’à
cause de la relation d’incertitude deHeisenberg
on ne
peut
pas augmenter laprobabilité
d’uneprédiction
au delà d’unecertaine
valeur p
I. Nous arrivons donc au schéma suivant :(4) D(1), D(2), D(3), ..., D(i), ..., ~ D,
p(1), p(2) , p(3), ..., p(i), ..., ~ p.
Si les
descriptions
Dlilapprochent
une certainedescription limite,
donnée par la
fonction §
caractérisant la situationA,
lesprobabilités p’i’
1croissent et convergent vers une valeur ~) ~ I . C’est ce schéma
qui
formule l’indéterminisme
quantique.
En comparant les trois
schémas (I),
(2),(4),
on voit bienqu’il s’agit
ici d’une extension continue de concepts. Le déterministe croit en
l’existence d’une
description
ultime à l’aide delaquelle
il arriverait àII6
une connaissance
parfaite,
telle que « rien ne serait incertain pourlui,
et l’avenir comme le
passé
seraitprésent
à ses yeux ». L’indéterministeclassique
abandonne l’idée de cettedescription ultime;
il se contented’améliorer ses
prédictions
pas à pas, sansjamais prétendre
arriver parce
procédé
à uneprédiction parfaite.
L’indéterministe de la théorie des quanta restreint lapuissance
desprédictions
à une limite au-dessous de laprobabilité
i; et ilpeut
admettre l’existence d’unedescription
ultimeparce que cette
description
lilnite n’offre aucune certitude deprédiction.
Ce tableau
logique
de la situation estprésenté
ici afin de démontrerqu’il s’agit
d’unequestion
dephysique,
et non d’unequestion
de vuesphilosophiques
ou deconception
dumonde.
Je ne crois pasqu’il
y ait desquestions
soit-disantphilosophiques
exemptes de traitenlent scien-tifique.
Si laphilosophie s’occupe
desproblèmes
dé la structure dumonde
y elle doit abandonner l’idée de dériver cette structure d’une, intuition
alléguée
en des vérités éternelles. Les véritésphilosophiques
d’hier sont devenues les erreurs courantes
d’aujourd’hui.
Lephilosophe qui
veut contribuer à rendrecompréhensible
1 univers nepeut
aider lephysicien qu’en
cherchant la forme correcte d’unequestion,
mais pasen cherchant la
réponse. C’est-à-dire,
sa contribution consistera en uneanalyse logique
desproblèmes, qui sépare
le contenuphysique
d’unpthéorie des additions sous forme de définitions et
qui
clarifie lasignifi-
cation des mots au lieu de
prescrire
des formes depensée.
Lephi- losophe
peut définir le déterminisme et aussi bienl’indéterminisme;
mais il ne peut pas
désigner
une de ces formes structurelles comme existante. C’est lephysicien qui
s’assure de la structurequi
corres-pond
aux faits d’observations.D’après
laphysique
desquanta
c’est le schéma(4)
~)qui
décrit lesrelations causales gouvernant le monde
physique; c’est-à-dire,
elle adécidé en faveur de l’indéterminisme. Ce résultat dérive du
principe
que la fonction
ô englobe
tout le matérielqui
peut être fourni par des observations.Si
ceprincipe, qu’on
peutappeler
le «pl’tttCtjJe synoptique
de la théorie des quanta ». est
accepté,
tout le reste est de la inathé-matique;
cequi
veut direqu’on
peut en dérivermathématiquement
lesrelations d’incertitude. Ces relations
expriment uniquement
le fait quel’analyse
de Fourier d’un paquet d’ondes fournit unplus grand
nombrede
fréquences,
ou oscillationsharmoniques,
dans la mesure ou l’exten-sion du paquet. est
plus
réduite. Une fois leprincipe synoptique accepté,
on n’a
plus
besoin de discuter l’existence de variablescachées, préci-
ment parce que de telles variables constitueraient des
quantités physiques
non subordonnées à ce
principe. Donc,
l’étude duproblème
du déter-minisme aboutit à la
question :
àquel
titre laphysique
desquanta
maintient-elle leprincipe synoptique ?
On peut
répondre
que ceprincipe
a été corroboré parbeaucoup
d’observations. On n’a
jamais
rencontré un cas où il étaitpossible
detaire des mesures hors des limites fixées par la relation de
Heisenberg ;
et l’on a
toujours
puexprimer
la somme totale de toutes les observationspar
une fonction~.
Desexpériences
de ce genre, bien sûr, offrent des raisonsd’accepter
leprincipe;
elles servent àindiquer qu’il
est avan-tageux
d’employ er
leprincipe,
mais elles nepeuvent
pas l’établircomme raisonnablement hors de doute. En d’autres mots, elles ne
peuvent pas conférer à ce
principe
le titre d’une loi naturelle. Onpourrait toujours
s’attendre à rencontrer unjour
une situationexpéri-
mentale
qui
admette des observationsqu’on
nepuisse
pasenglober
dansune fonction
~. C’est,
parexemple,
lasupposition d’Einstein ;
il consi-dère la
mécanique
desquanta
comme théoriestatistique comparable
àl’interprétation statistique
de lathermodynamique classique,
théoriequi
nous permet deprédire
les valeurs moyennes de certainesquantités
contrôlables par des mesures, mais
qui
n’exclut pas la construction d’une théorie détaillée déterininant les valeurs individuelles de toutesles
quantités phy siques
à l’aide de lois causales strictes.C’est-à-dire,
leprincipe synoptique
a deux côtés, un côtépositif
etun côté
négatif ;
il admet de calculer à l’avance les résultats de certains arrangementsexpérimentaux, mais,
d’autrepart,
il exclut l’existence d’observationsenfreignant
la loi deHeisenberg.
C’est ce secondaspect
qui
estattaqué
par les déterministes,qui
ne doutent pas de lalégitimité
du
premier.
Pour trouver une
solution, procédons
par une méthode que l’on peut l.
appeler
la méthode de la situation retournée.Supposons
que lapartie positive
duprincipe
soit correcte, tandis que lapartie négative
doiveêtre abandonnée.
Quels
seraient les résultats dérivables pour lesobjets physiques,
pour lesparticules qui
auraient une existence bien définircomme les molécules de la
physique classique ?
Il faut d’abord se
rappeler
l’étatlogique
de lastatistique classique
deBoltzmann et Gibbs. L’existence de lois
probabilitaires n’;
contreditII8
pas la
supposition
d’un déterminisme gouvernant latrajectoire
de lamolécule individuelle. Boltzmann a établi son fameux théorème H tout en supposant que la
mécanique
newtonienne détermine et le mouvementde
chaque
molécule et leurs collisions.En effet,
Boltzmann a pu dériverla
métrique probabilitaire
existant dansl’espace
dephases,
deséqua-
tionscanoniques
du mouvement à l’aide du théorème deLiouville, qui
fournit des
probabilités égales
pour des volumeségaux
dans cet espace.Et de nos
jours,
von Neumann et Birkhoff ont réussi à déduire le théo- rèmeergodique
de ces mêmeséquations,
théorème que Boltzmann avaitajouté
à ses calculs comme axiomeindispensable,
maisqu’il
nepouvait
pas démontrer.
Or,
lastatistique classique
des gaz et le déterminismesont bien
compatibles ;
ce sont des enfants du mêmepère,
pour ainsidire,
lepère
étantNewton,
et les enfants vivant en harmoniepréétablie
par les
équations canoniques.
Laphysique classique,
même si elle étaitincapable d’apporter beaucoup
de raisons en faveur del’indéterminisme,
ne
pouvait
certainement pasinvoquer
de preuves décisives contre son existence.Examinons maintenant l’état
logique
de lastatistique des quanta.
Lastatistique
deBoltzmann y
a étéremplacée
par celles de Bose et deFermi,
selonlesquelles
lesparticules
élémentaires sontindiscernables,
c’est-à-dire ne
possèdent
aucune individualité. Parconséquent,
cettethéorie donne des
nombres
différents pour les combinaisonspossibles
des
particules,
résultatqui
à son tour fournit des valeurs nouvelles pour lesquantités thermodynamiques. Or,
ces valeurs ayant été confirmées par desobservations,
on conclutqu’inversement
lesexpériences
nousinforment que les
particules
sontindiscernables,
ou du moins se comportent comme si elles l’étaient. Il faut étudier lasignification
de ce résultat.Personne n’aurait
dit,
au temps de laphysique classique, qu’il
étaitcapable
dedistinguer
véritablement deux molécules l’une del’autre,
ouqu’il
seraitjamais capable
de le faire. On ne peut pas observer unemolécule
individuelle,
moins encore la marquer, comme leszoologues
marquent les
poissons
uu les oiseaux. L’afnrmation duphysicien
clas-sique
suivantlaquelle chaque
moléculepossède
une individualité doit êtrecomprise
indirectement : les moléculespossèdent
des individualités parce que leur comportementstatistique indique
que deux arrangementsde molécules doivent être
comptes
comme différents, si 1 un dinere de l’autre seulement par unchangement
deplace
dequelques
molécules.L’inférence
globale remplace
la vérification directe. Or,appliquant
lamême
inférence,
nous dironsqu’en physique quantique
lesparticules
n’onl. pas d’individualité.
Les
déterministes,
par contre, croienl en 1 individualité desparticules ;
ils refusent de fermer la
porte
à lapossibilité qu’un jour
onparvienne
àlocaliser et à observer de
façon
continue uneparticule
individuelle.Examinons
quelle
en serait laconséquence.
Nous serionsobligés
d’inter-préter
lesstatistiques
de Bose ou deFermi, qui
demeureraientvalables,
comme
produites
par un ensemble departicules
individualisées. Ceciest
possible,
mais amène desconséquences
assezétranges.
Imaginons
que nousjouions
àpile
ou face. Enjetant
deuxpièces
demonnaie
simultanément,
nousdistinguons
quatre combinaisons pos-sibles, qui peuvent
êtresymbolisées,
Adésignant pile
et Bface,
sous laforme
suivante,
endistinguant
les deuxpièces
de monnaie par des indices :(5) A1A2, A1B2, B1A2, B1B2.
La combinaison
pile-face quel qu’en
soit1 ordre,
seproduira
dans lamoitié des cas, tandis que chacune des deux autres combinaisons ne se
produira
que dans un cas surquatre.
Supposons
maintenant que lejeu
depile
ou face soitgouverné
par lastatistique
de Bose. Nous aurions donc le caspile-face
dans un cas surtrois;
et la même fraction serait observée pour le caspile-pile
et pour lecas face-face. Est-ce que nous serions
obligés
de conclure que lespièces
de monnaie sont indiscernables ?
Point du tout. On peut les
distinguer
facilement par observation directe. Nous arriverions à une conclusion différente: nous conclurions que les coups notaient pasindépendants
les uns des autres. Nous dirions que si lapremière pièce
montrepile,
il v a une tendance pour l’autrepièce
à montrer le même côté, telle que laprobabilité
de la combinaison soit réduite à-’
Le même raisonnements applique
à la combinai-et la
probabilité
de ladisjonction
ouprend
la120
valeur observée
,3 ~
Cetteinterprétation
peut être étendue, defaçon cohérente,
à unedisjonction
de r caspossibles ( ~7 ).
L’interprétation
seraplus compliquée
si l’onemploie
trois désqui
fournissent la
statistique
de Bose. Dans ce cas, il n’existe pas seulementune
dépendance
liant un dé à chacun des autres ; il existe aussi unedépendance
entre un dé et les deux autres,pris
en combinaison. Celaveut dire que nous devons considérer des
probabilités
relativesqui
ontune classe de référence à deuxtermes, telle que
l’expression P(A1.B2, C~;~, qui signifie
laprobabilité
d’avoir face C au troisième dé si lepremier
montre la face A et le second la face B. Nous avons ici (6) P (A 1 . B2, C3) ~ P(A1, C3),
~
P(A1.B2, P(B2, C~).Examinons les
conséquences
de cette considérationprobabilitaire
pour le
problème
de lastatistique quantique
des gaz. Le fait que la sta-tistique
des gaz fournit la distribution calculée par Bose ou par Fermiest bien confirmée par
l’expérience.
Si nous devons la mettre en accordavec l’idée de
particules discernables,
il nous faudra introduire des forces entre lesparticules qui
les entraînent ou les repoussent defaçon
que leurs mouvements ne soient
plus indépendants
les uns des autres.Chaque particule dépendrait
non seulement dechaque
autreparticule,
mais aussi de la totalité des
positions
des autresparticules.
Ces forcesseraient d’une nature assez
étrange
parcequ’elles
seraient transmises instantanément à traversl’espace
et nepourraient
être observées que par leurs effets sur lastatistique
seule.On voit bien que le
problème
du déterminisme se pose, en théorie des quanta, sous une forme essentiellement différentequ’en physique classique.
Lastatistique classique
des gaz estcompatible
avec le déter-minisme;
etquoiqu’on puisse
considérer ledéterminisme,
enphysique classique.
comme une addition peunécessaire,
cettephysique
n’offreaucune indication
contraire.
Lastatistique
des quanta, par contre, ne peutguère
ètre conciliée avec le déterminisme. Cela ne veut pas dire que le déterminisme soit absolument exclu. S’il y avait des méthodes permettant d observer les mouvements individuels desparticules
sans(3) 1 Voir mon livre The Theory o f Probability, Berkeley, I949, p. 156.
les
déranger,
et si ces observationsprouvaient
l’existence de lois strictesà l’aide
desquelles
onpourrait prédire
exactement les chemins des par-iicules,
le déterminisme serait établi. Mais dequelle
sorte dephysique
nous
aurait-il
fait cadeau ! Ce serait unephysique
de forcesmystiques,
loin de l’idée de force
acceptée
enphysique classique;
et laphysique
résultante ne ressemblerait
guère
à celle de Newton et deLaplace.
En
effet,
elle seraitplus éloignée
desprincipes
du bon sens que laphy- sique
indéterministedes quanta acceptée aujourd’hui.’
Voilà la raison pour
laquelle
leprincipe synoptique,
suivantlequel
lecontenu des observations peut
toujours
êtreenglobé
dans une fonction~.~,
est solidement établi par la
physique
desquanta,
dans sapartie négative
tout aussi bien que dans sa
partie positive.
Ce n’est pas seulement l’absence d’autres formes d’observationqui
apersuadé
lephysicien d’accepter
ceprincipe.
Lesystème
de laphysique quantique,
dans satotalité,
constitue une preuveintrinsèque
en faveur duprincipe
synop-tique
et donc contre la validité du déterminisme. Toute réunion de lapartie positive
de laphysique quantique
et le déterminisme nous amène- rait à desconséquences
si absurdesqu’elles
nepeuvent
êtreacceptées
comme
plausibles ; inversement,
la déduction de cesconséquences pré-
sente un argument inductif contre le déterminisme.
On peut comparer la situation à celle
qui
existe dans la théorie de la relativité .en cequi
concerne leprincipe
de la vitesse limite dessignaux, qui
estégale
à la vitesse de la lumière. Ceprincipe
d’Einstein n’est pas basé seulement sur le faitqu’on
n’a pas trouvé designaux
ayant une vitessesupérieure
à celle de la lumière. Il estfondé, plutôt,
sur letémoignage
d’une théoriecomplète
et couronnée de succès dont lesconséquences
seraient absurdes si leprincipe
d’Einstein était faux.La
partie négative
de ceprincipe,
l’exclusion designaux plus rapides
que la
lumière,
est donc basée sur des raisonspositives ;
c’estpourquoi
le
principe
a étéaccepté.
La
statistique
des quanta et le déterminisme sont des ennemis natu-rels ;
ils neproviennent
pas du mêmepère.
J’aiprésenté
dans cequi précède quelques
idéesqui
peuvent servir à éclairer cettedivergence.
Cependant, il y
abeaucoup
àajouter.
Les difficultés queje
viens dedécrire pour la
statistique
de Bose et de Fermi ne formentqu’une partie
d’un
problème plus général, problème qui
apris
une tournure inatten-due dans la
physique
des quanta : leproblème
desobjets
inobservés.122
C’est à
quelques
idées concernant ceproblème général qu’est
consacréle
chapitre
suivant. -CHAPITRE II.
LES OBJETS INOBSERVÉS . ET LA
LOGIQUE
A TROIS VALEURS.Le temps où Newton et
Huyghens
discutaient la nature de la lumière marque le commencement d’undéveloppelnent historique qui se
diviseclairement en trois
phases.
Pendant environ les cent annéesqui
sui-virent l’oeuvre de
Newton,
la théoriecorpusculaire
étaitgénéralement acceptée.
La secondephase
commençaquand,
avec les découvertes deYoung
etFresnel,
la théorie ondulatoire reçut unsupport inattendu ;
etlorsque
Maxwell et Hertz eurent démontré l’existence d’ondesélectriques,
la théorie ondulatoire devint « une
certitude,
humainementparlant
)),si
je
peux me permettre de citer les termes de Heinrich Hertz lui-même.Le
développement qui
suivit a montré que l’intuitionprofonde
de cegrand physicien
ne s’estjamais
manifestée aussi lucidement que dansces mots «
humainement parlant )).
Ces mots ontanticipé
latroisième phase,
laphase
de la dualitéondes-corpuscules, qui
s’est rattachée auxdécouvertes de M. de
Broglie
etqui représente
ce que nous pouvonsappeler aujourd’hui
« la formedéfinitive,
humainementparlant
».Essayons
depréciser
lasignification
de cettesolution, qui
n’est pas res-treinte à
l’interprétation
de lalumière,
maissupplique
tout aussi bien àcelle de la matière.
Il est arrivé à
plusieurs reprises
que desquestions physiques
aientinvité le
physicien
à devenirphilosophe.
Bien sûr, saphilosophie
n’estpas du genre des
systèmes qui
ont en stock desréponses
toutesprêtes
àtoutes les
questions qui
peuvent êtreposées.
Lephysicien
est satisfaits’il peut trouver une
réponse
à la seulequestion
dont ils’occupe
àce
moment-là ;
mais il insiste pour que laréponse
soit donnée en unelangue précise,
aussiprécise
que leséquations
de laphysique,
et neI
s’évanouisse pas dans un brouillard de mots et
d’images. Heureusement,
une telle