« Prévention intégrée des Troubles Musculo-Squelettiques :
quelles articulations ? »
Yves Roquelaure
Laboratoire d’Ergonomie et d’Epidémiologie en Santé au Travail (LEEST), Unité associée à l’Institut de veille sanitaire, EA 4336, Université d’Angers
Conférence de l’Association Canadienne d’Ergonomie Montréal, 7 octobre 2014
1. Introduction
– Troubles musculo-squelettique (TMS) – Effets limités de la prévention
2. Une représentation des TMS qui détermine l’approche de la
prévention
– Modèle des TMS
– Modèles de la prévention des TMS 3. Favoriser une représentation
partagée du travail pour une prévention intégrée des TMS 4. Conclusion
Plan
I - Introduction
• Contexte de transformation du monde du travail
–Intensification du travail
–Précarisation des travailleurs
–Individualisation des relations de travail
• Vieillissement de la population
• Essor des pathologies de surcharge
–Troubles Musculo-Squelettiques (TMS)
• Douleurs (localisées, multiples)
• Tendinopathies, neuropathies, etc.
• Syndromes douloureux complexes –Psychopathologie du travail
• Difficultés de la prévention des TMS
– Stratégie de prévention
– Intégration des approches préventives
– Coordination des acteurs prévention / soins 3
Faible impact des campagnes de prévention des TMS
Plan Santé Travail (2005-2009) et surveillance des TMS dans les Pays de la Loire
0,0 0,2 0,4 0,6 0,8 1,0 1,2 1,4 1,6 1,8 2,0
2008 2009 2010 2011
‰
Prévalence des TMS MP selon la localisation (taux pour 1000 salariés).
PDL. Evolution 2008-2011 (Carsat)
MP57 poignet-main MP57 épaule MP57 coude MP97 et 98 rachis MP57 genou MP57 autres
0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20
Hommes Femmes Ensemble
Prévalence (%)
Prévalence des TMS-MS (au moins 1 des 6 TMS-MS)
2002-5 2007-10 2007-10standardisé sur l'âge en 2002-5
TMS reconnus en maladie professionnelle
~ 2 ‰
~ 4 000
Source CARSAT Pays de la Loire
TMS diagnostiqués (cohorte COSALI)
~ 12 %
~ 120 000 travailleurs
Source InVS
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Prévention des TMS: une efficacité en question ?
• Modélisation inadaptée des TMS
– Compréhension des mécanismes ?
• Déterminants complexes
• Faisceaux de causes en interaction
– Proportion de cas évitables ?
• Modélisation inadaptée de la prévention
– Modèles théoriques peu
développés(Wijk et Mathiassen, 2011)– Impact théorique insuffisant ?
– Effets sur la santé et/ou le travail ?
– Manque d’identification pertinente des leviers / freins pour prévenir les TMS
• Implémentation insuffisante des interventions de prévention
• Evaluation inadaptée des interventions
• Modèles de type biomédical
– Modèle physiopathologique
(douleur, tendinopathies, syndromes canalaires)– Modèle biomécanique générique des TMS
(Mc Gill, 1997; NRC, 2001)– Modèle du déséquilibre « sollicitations / capacités » musculo-squelettiques – Modèles neurophysiologiques
(théorie des fibres « Cendrillon », Bruxelles)• Modèles de type bio-psycho-social
– Modèles issus des travaux sur les maladies chroniques
(Waddell, 2000)– Modèles issus des travaux sur la douleur chronique
(Vlaeyen et al, 1995)– Modèles de type psychosomatique
(Moon et Sauter, 1976, Pezé, 1998)• Modèles épidémiologiques des TMS
• Modèles de type ergonomique
– Modèles organisationnels du faisceau de déterminants
(ANACT, 1998)– Modèles orientés vers l’intervention
(Marie Belemarre, 2002; Fabien Coutarel, 2012)II - Une représentation des TMS qui
détermine l’approche de la prévention ?
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DUREE
(contraintes de temps)
effort répétitivité postures extrêmes
SOLLICITATIONS
CAPACITES FONCTIONNELLES
RISQUE
état de santé genre âge
Modèles biomécaniques des TMS
1
(Armstrong et al., 1986; INRS 1990)
expérience
8
• Psychophysiologie
– Théorie des fibres « Cendrillon » – Modèle de Bruxelles
(Hagg, 1991; Johansson, 2003; Madeleine, 2010)
• Epidémiologie
– Modèle «Demande-Autonomie-Soutien social»
– Modèle Déséquilibre « Effort – Récompense »
(Kausto , 2010; Hauke, 2011, Lang, 2012 )
• Recherche clinique
– Modèle bio-psycho-social des TMS
• Chronicisation des douleurs
• Incapacité liés aux TMS
– Modèle des peurs et croyances
(Waddell, 2000; Vlayen et al, 1995; Burton et al, 2008)
Modèle bio-psycho-social des TMS
Approche bio-psycho-sociale de l’incapacité liée aux TMS
• Modèle de Sherbrooke (et dérivés) pour prévenir l’incapacité lombalgiques
(P Loisel et al, MJ Durand et al, Anema et al)
• Intégration des approches
– Individuelle et collective – Multidimensionnelle
• Réadaptative
• Médico-sociale
• Professionnelle
• Protocoles d’intervention de prévention de l’incapacité
– Coordination des intervenants – Intervention individuelle
– Intervention en milieu de travail – Action concertée
– Validation (essais randomisés)
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Modèle épidémiologique de risque de TMS
Etude Pays de la Loire
1) Facteurs de susceptibilité individuelle
• Age
• Genre féminin
• Poids
• Antécédent de TMS, diabète, etc.
2) Facteurs professionnels
1. Facteurs biomécaniques
• Répétitivité des gestes
• Pénibilité (charge) physique
• Postures (épaule, coude, poignet)
• Vibrations (main)
2. Facteurs psychosociaux
• Demande psychologique élevée
• Latitude décisionnelle faible
• Soutien social faible
3. Facteurs liés à l’organisation du travail
Bodin J et al.. Scand J Work Environ Health. 2012 ;38(5):436-446.
« Les TMS, un symptôme de rigidité d’organisations qui se veulent souples »
(F Hubault, 1998)Modèles ergonomiques et organisationnels de TMS
ANACT, Coutarel (2008)
Sollicitation biomécanique
Stress
Marges de manœuvre
insuffisantes
TMS
Altération du geste
Caroly et al., 2007
Processus de régulation
Activité
Production
Conditions et moyens offerts par l'entreprise
Âge, sexe, caractéristiques physiques et mentales, expérience, aspirations...
Exigences de la production
(quantité et qualité)
Équilibre
Santé
Exigences des différents interlocuteurs
N Vézina, UQAM
Marge de manœuvre
TMS
Variabilité
Prévention des TMS : sur quoi et chez qui agir ?
Sur quels facteurs agir ?
• Peu (pas) modifiables
– Facteurs constitutionnels – Histoire professionnelle
– Exposition extra-professionnelle
• Modifiables
– Exposition biomécanique – Climat psychosocial
– Organisation du travail
– Facteurs personnels et professionnels de chronicité des TMS
– Certains facteurs médicaux
• obésité, diabète, etc.
Quelle population cible ?
• Prévention universelle
(Gordon, 1982)
• Population générale
• Population générale active professionnellement
• Prévention ciblée sur groupes à risque
• Macro: santé publique
– secteurs à risque
• Méso : ergonomique
– entreprise ou ateliers à risque
• Micro: clinique
– travailleur(s) à risque élevé (chronicité,
désinsertion, …) ou en difficulté de maintien en emploi
Modèles de prévention en santé au travail
Prévention «de protection»
Sur des risques identifiés
• Réglementation du travail
• Modèle classique de la prévention
– Evaluation des risques – Planification
– Mise en œuvre intervention – Evaluation, …
• Classification de la prévention (OMS, 1948)
– Prévention primaire – Prévention secondaire – Prévention tertiaire
d’après Bourdillon et al (2000)
Prévention « positive »
Sans référence à un risque précis
• Prévention primaire « universelle »
– Améliorer les conditions matérielles et organisationnelles de travail
• Promotion de la santé (OMS, 1986)
– « donner aux individus davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens de l’améliorer »
• Concept positif de la santé (ressources)
• Promotion de la santé au travail
– Rendre les travailleurs acteurs de leur santé – Ergonomie « constructive »
• Environnement « capacitant »
• Développement des « capabilités » (Falzon, Sen)
• Marges de manœuvre individuelles et collectives
• Articulation des parcours de santé/soins
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Prévention des TMS: quelle proportion évitable ?
• Intervention en milieu de travail
– Intervention ergonomique
• Diminution de l’exposition aux déterminants des TMS
• Diminution du nombre de personnes exposées
– Cible : TMS attribuables au travail – Efficacité :
• Niveau d’exposition au risque de TMS
• Méthodologie et stratégie d’implantation de l’intervention
• Participation de l’entreprise, conjoncture économique, sociale,…
• Impact populationnel selon le poids démographique des travailleurs concernés (secteur, entreprise)
• Promotion de la santé (population générale)
– Programmes
• Education physique et posturale
• Diététique, lutte contre sédentarité, obésité, diabète, etc.
– Cible: TMS attribuables ou non au travail – Efficacité :
• intrinsèque probablement faible (?)
• cible potentielle importante
• Impact des approches combinées
Prévention globale et intégrée (OMS, 2007)
• 1. Volet de santé publique
– Action sur les facteurs personnels (style de vie), sociaux et culturels modifiables par des actions communautaires
• Education
• Promotion de la santé (générale, au travail)
• 2. Volet de santé au travail
– Actions sur les facteurs modifiables par des interventions en milieu de travail
• Prévention primaire (priorité)
• Prévention secondaire, tertiaire et maintien en emploi
• Promotion de la santé au travail
• 3. Volet sanitaire
• Amélioration accès et qualité des prises en charge des TMS
• Coordination des parcours de santé et de soins
• Intégration de tous les secteurs et acteurs de santé et de soins
• 4. Démarche participative
• Employeurs, travailleurs et leurs représentants
• Combiner les approches préventive
– Prévention primordiale Prévention intrinsèque à la source (Directive Machine, UE)
– Prévention primaire Réduire le danger ou l’exposition
– Prévention secondaire Dépister-traiter tôt les formes (sub)aiguës de TMS – Prévention tertiaire Réadapter tôt les formes chroniques pour éviter
l’incapacité et la désinsertion professionnelle
• Eviter le cloisonnement des approches
– Prévention primordiale Fabricant de machine : logique réglementaire – Prévention primaire Entreprise : logique sociotechnique, certification
– Prévention secondaire Service de Santé au W : logique assurantielle ou médicale – Prévention tertiaire Secteur de soins et de réadaptation : logique médicale
• Intégrer les approches dans le temps
– Evolution variable des TMS
• Guérison « spontanée », récurrences, chronicisation, évolution ou non vers l’incapacité, etc.
– Coexistence de travailleurs « sains » ou souffrant de TMS à différents stades d’évolution
• Améliorer les parcours de prises en charge en santé au travail
Prévention globale et intégrée des TMS
Prévention intégrée
Interventions multidimensionnelles (lombalgies)
recommandations de la Société Française de Médecine du Travail (2013)
Prévention primaire / secondaire
• Programmes multidimensionnels
combinant :
1. Composante éducative
(manutention, ergonomie),
2. Intervention ergonomique
(aménagement, modification des tâches ou de l’organisation du travail, etc.)
3. (et/ou) Entraînement physique
• Efficacité prouvée
– niveau de preuve modéré
– sans pouvoir déterminer les dimensions les plus pertinentes ni leur proportion relative
Prévention tertiaire /
désinsertion professionnelle
Programme multidimensionnels
combinant :
1- Intervention médico-psychologique ciblant les individus,
– programme de réentraînement à l’effort
– programme de type cognitivo-comportemental
2- Intervention ciblant le travail
– de la simple visite sur le lieu de travail (…) à la conduite d’un projet
ergonomique.
3- une coordination des interventions
• Efficacité prouvée
– niveau de preuve élevé
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« Que du Bonheur au Travail … » SELF 2013
III. Favoriser une représentation partagée du travail pour une prévention intégrée des TMS
• Littérature scientifique
– Approche multidimensionnelle des TMS – Actions individuelles et collectives
– Concertation des intervenants
• Nécessaire partage des représentations pour faciliter l’action concertée
• Quelle représentation ?
– TMS et déterminants – Travail / Emploi
– Tâche / Activité
– Patient / Travailleur
– Entreprise / organisation du travail
• Influence du statut du « demandeur »
– Médecin (prévention secondaire/tertiaire) – Travailleurs / patient (maintien en emploi) – Entreprise (prévention primaire)
« Les 6 aveugles et l’éléphant »
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Prévention globale et intégrée des TMS
quelles représentations des « TMS » ?
• Variabilité des représentations sociales des TMS et de leur déterminants
– « Mal du siècle » (TF1, journal de 20h, 2009) vs. « maladie imaginaire » (Debré et Even, 2012)
– Symptôme d’usure vs. expression d’une fragilité des travailleurs
– Désordre du travail vs. effets de l’oisiveté (loisirs) ou activités domestiques
• Nécessité d’une représentation « partagée » ou au moins « congruente » des TMS pour favoriser l’alliance thérapeutique entre le travailleur / patient et les intervenants du soins / réadaptation
– Représentation des TMS au cours du processus de réadaptation au travail
(MF Coutu et al, 2008; R Baril et al, 2008)
• Compréhension des représentations du travailleur
• Transformation des représentations « négatives » du travailleur
• Co-construction et partage des représentations des TMS
• Partage de la décision thérapeutique favorise la cohérence de la prise en charge – Représentation des TMS pour les campagnes grand public de prévention des TMS – Représentation des TMS pour le médecin de soins primaires
• Intérêt d’enrichir la compréhension des déterminants des TMS par les
intervenants du secteur sanitaire et social
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Prévention globale et intégrée des TMS
Q uelles représentations des « TMS » ?
• Variabilité des représentations des TMS et de leurs déterminants au sein de
l’entreprise
– Historique de l’entreprise / TMS
– Apports des données de surveillance épidémiologique (InVS en France)
– Apports du débat social sur les TMS
• Importance d’une représentation
partagée pour favoriser la recherche de solutions préventives
‒ Ex. groupe prévention durable des TMS
(Danielou, Caroly et al, 2008)
– Enjeu de l’intervention ergonomique – Apport de connaissances sur les TMS – Intérêt du modèle ergonomique des TMS
orienté vers la recherche de solutions collectives
– Co-construction d’une représentation partagée au cours de l’intervention
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Prévention globale et intégrée des TMS :
quelles représentations du « travail »
• Variabilité des représentations du travail
• Vision « appauvrie » du travail
– Confusion catégorie socioprofessionnelle / emploi / travail – Confusion travail prescrit / travail réel
– Vision statique du travail / exigence de flexibilité
– Surestimation des contraintes des situations de travail ?
– Sous-estimation des ressources des situations de travail et des travailleurs ?
• Rôle de l’organisation du travail et dimensions collectives du travail
• Aspects positifs de l’Activité pour la promotion de la santé
(sens du travail, satisfaction au travail, développement des compétences et habiletés, etc.)• Ressources et « capacités » mobilisables par les travailleurs (P Falzon)
• Nécessité d’enrichir la compréhension du travail par les
intervenants du secteur sanitaire et social et de l’entreprise
Méthodes et outils d’analyse du travail
pour les acteurs « médicaux » du soin et de la prévention
• Entretien non dirigé
• Représentation du clinicien +++
• Niveau « macroscopique »
– Catégorie socio-professionnelle
» Définition par qualification
» Masque la diversité des emplois – Intitulé d’emploi
» Niveau générique
» Non prise en compte de la flexibilité des emplois
» Approche par facteurs de risque (manutention, répétitivité)
» Masque la diversité des situations de travail
• Documentation
» Matrices emploi-exposition (risque chimique)
» Photos - vidéo
• Questionnaires
– Santé perçue, échelle de stress, qualité de vie – TMS (facteurs de risque)
• Peu d’outils disponibles pour comprendre le travail du
travailleur / patient
• Mêmes types d’outils
• Focalisation sur les éléments du modèle bio-psycho-social des TMS
– Facteurs pronostiques (« Drapeaux ») – Echelles d’évaluation, scores, grilles – Peu d’approches centrées sur l’activité
de travail
• Outils dans les centres spécialisés
– Diagnostic des Situations de Handicap au Travail (Durand et al, 2001)
– Guide OMRT (Stock et al, INSPQ, 2005)
– Tests fonctionnels en centre spécialisé
• Tâches types
• Outils standardisés de type Ergokit®
• Manque de diffusion
Psychologiques ou comportementaux
« Croyances » inappropriées Stratégie de « coping » Stress
Volonté de changer, … Sociaux et
économiques
Soutien familial Statut professionnel
Prestation de santé, d’assurance Litige, …
Professionnels
Satisfaction au travail Conditions de travail
Caractéristiques poste de travail Politique sociale, …
Méthodes et outils d’analyse du travail
pour les acteurs « médicaux » du soin et du maintien en emploi
Méthodes et outils d’analyse du travail pour l’intervenant d’entreprise
– Entretiens
• Individuels
• Collectifs
– Documentation (entreprise) – Liste de contrôle (ex. OSHA)
– Questionnaire (ex. INRS, ANACT)
– Observation situation réelle de travail – Verbalisations
• En cours d’observation
• Post-observation
– Photos-vidéo
– Instrumentation biomécanique
Méthodes et outils d’analyse du travail pour l’intervenant d’entreprise
Quelles possibilités de transfert pour des non-spécialistes ?
Entretien, questionnaire Observations (photos, vidéo)
Intérêt des concepts de régulation et de marge de
manœuvre pour saisir les dimensions dynamiques,
collectives et développementales de l’activité
Intérêt du développement de questionnaires ou guides prenant
en compte ces dimensions de l’ergonomie de l’activité pour les
cliniciens et préventeurs non spécialistes
• Intérêt de l’analyse de l’activité
– démêler l’écheveau de la complexité des situations et remonter la chaîne des déterminants des TMS
– Favoriser une représentation partagée ou congruente du problème « TMS » – Articuler les points de vue et
approches des acteurs de l’entreprise, de la prévention, du soin et du
maintien en emploi
– Permettre une approche intégrée et
globale des TMS
« Que du Bonheur au Travail … » SELF 2013