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Cours sur l Emile ou De l éducation

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Academic year: 2022

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Cours sur l’Emile ou De l’éducation

En guise d’introduction, l’autocritique de Jean-Jacques Rousseau :

« un tel projet, sur certaines matières, est beaucoup plus chimérique que les miens » (p. 48)

« au lieu de faire ce qu’il faut, je m’efforcerai de le dire » (p. 85)

Rousseau tient compte d’une objection « forte et solide » qu’on pourrait lui faire : où doit vivre Emile pour échapper à toute influence d’autrui ?

« mais vous ai-je dit que ce fût une entreprise aisée qu’une éducation naturelle ? »

Sa réponse : la société a rendu l’éducation extrêmement compliquée.

Je vous dis comment bien éduquer un enfant. C’est le but à se fixer. Peut-être qu’on ne l’atteindra pas mais si on tente ma méthode éducative, on éduquera mieux les enfants qu’actuellement :

« Je montre le but qu’il faut qu’on se propose : je ne dis pas qu’on y puisse arriver ; mais je dis que celui qui en approchera davantage aura le mieux réussi » (p. 183)

« je donne mes rêves pour des rêves, laissant chercher au lecteur s’ils ont quelque chose d’utile aux gens éveillés » (p. 218)

Au lecteur de juger :

« le lecteur sentira pour lui, s’il suit le progrès de l’enfance et la marche naturelle au cœur humain » (p.

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« C’est au lecteur à juger si j’ai réussi » (p. 86)

Il est conscient qu’on ne réussira certainement pas à éduquer un enfant comme il propose d’éduquer Emile, mais il est certain qu’il propose de bonnes idées, capables de révolutionner l’éducation et d’être bonnes pour l’homme.

I. La critique d’une éducation dénaturante

1) Fondement de sa réflexion : les relations entre les hommes, et parmi elles, l’éducation, nuisent à l’enfant car elles le dénaturent.

Vision de la société par Rousseau : l’homme vit « dans les fers », il est soumis, asservi.

Début du Contrat social : « L’homme est né libre, et partout il est dans les fers ».

« L’homme civil naît, vit et meurt dans l’esclavage » (p. 66) A sa naissance, restriction de sa liberté dans un maillot.

A sa mort, cadavre enfermé dans une bière.

Entre les deux, le temps de sa vie, enchaîné par les institutions.

Ainsi, la société étouffe le bon naturel de l’enfant :

« les préjugés, l’autorité, la nécessité, l’exemple, toutes les institutions sociales, […] étoufferaient en lui la nature » (p. 54).

Comparaison de l’enfant avec un arbrisseau (p. 54) qui finira par mourir, heurté par les passants, plié en tous sens : il faut protéger la nature de l’enfant de son environnement social qui ne prend pas soin de lui, et qui, pire, lui fait du mal.

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2 Plus spécifiquement, en quoi l’éducation traditionnelle est-elle mauvaise pour l’enfant, mauvaise car elle défigure sa bonne nature ?

2) On ne forme pas un être humain, mais un être social, enfermé dans son rang de naissance. On vise une perpétuation de l’inégalité sociale.

« dans l’ordre social où toutes les places sont marquées, chacun doit être élevé pour la sienne » (p. 63)

« L’éducation n’est utile qu’autant que la fortune s’accorde avec la vocation des parents » (p. 64).

« peut-on concevoir une méthode plus insensée que d’élever un enfant comme n’ayant jamais à sortir de sa chambre, comme devant être sans cesse entouré de ses gens […] ? s’il descend d’un seul degré, il est perdu » (p. 66).

Rousseau constate qu’il est plus difficile en son siècle de conserver le même rang social.

Donc éduquer un enfant selon son rang de naissance ne lui permet pas de pouvoir affronter toutes les péripéties de sa vie, notamment s’il change de rang, vers le haut ou vers le bas de l’échelle sociale.

3) On prête à l’enfant une mauvaise nature. On le juge mauvais, méchant et l’éducation consiste à le corriger, le dompter

Un enfant casse, dérange les objets qui l’entourent. Il peut même faire du mal à des animaux.

Selon la philosophie traditionnelle, il a des « vices naturels : l’orgueil, l’esprit de domination, l’amour- propre, la méchanceté de l’homme ; le sentiment de sa faiblesse » (p. 127)

La faiblesse conduit à la méchanceté quand on veut outrepasser ses forces, quand on ne se contente pas de faire simplement ce que l’on est capable de faire.

L’enfance est considérée comme le « temps de corriger les mauvaises inclinations de l’homme » (p. 150).

Description des violences portées aux enfants page 149 : une « éducation barbare ».

4) A l’inverse, certains parents surprotègent leur enfant dans l’idée qu’il est faible, vulnérable, fragile.

Une mère qui « fait de son enfant son idole » (p. 75).

« elle augmente et nourrit sa faiblesse pour l’empêcher de la sentir ».

Exemple de Thétis qui plongea son fils Achille dans le Styx pour le rendre invulnérable. Malheureusement, comme elle le tenait par le talon, cette partie de son corps n’a pas été imprégnée par l’eau du fleuve des Enfers.

D’où l’expression : avoir un talon d’Achille.

Achille fut tué par Pâris d’une flèche dans son talon vulnérable.

La surprotection ne rend pas les enfants endurants, capables d’affronter toutes les adversités de la vie. Elle favorise même le fait qu’il leur arrivera des périls car ils ne sont pas aguerris, armés contre ce qui peut leur arriver.

« elle accumule au loin d’accidents et de périls sur sa tête ».

La surprotection rend les enfants mous, incapables de réagir, de penser par eux-mêmes, de conduire leur vie.

Elle les rend trop sensibles, trop délicats donc plus susceptibles d’être touchés par des malheurs :

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3 elles « ouvrent leurs pores aux maux de toute espèce » (p. 76).

« vous leur préparez de grandes misères ; vous les rendez délicats, sensibles » (p. 166)

Ces enfants souffriront et surtout ils resteront dans un état de dépendance, de soumission vis-à-vis des autres.

5) On s’empresse de les faire grandir. On ne considère pas les enfants comme des enfants, mais comme de futurs adultes.

On projette sur eux nos façons de penser : on considère qu’ils pensent et raisonnent comme nous.

« Les plus sages s’attachent à ce qu’il importe aux hommes de savoir, sans considérer ce que les enfants sont en état d’apprendre. Ils cherchent toujours l’homme dans l’enfant, sans penser à ce qu’il est avant que d’être homme » (p. 46).

a) Donc on les abreuve de mots auxquels ils ne comprennent rien et on leur demande de les apprendre. On en fait des singes savants.

Portrait de l’éducation condamnée par Rousseau page 80 :

« après avoir chargé sa mémoire ou de mots qu’il ne peut entendre ou de choses qui ne lui sont bonnes à rien » (responsabilité de la mère)

« cet enfant […] plein de science et dépourvu de sens » (puis responsabilité du précepteur). A rapprocher de Montaigne qui préfère une « tête bien faite « à « une tête bien pleine ».

Ou bien « l’écolier écoute en classe le verbiage de son régent, comme il écoutait au maillot le babil de sa nourrice » (p. 134)

Comme ils ne comprennent pas ce qu’ils récitent par cœur, ils prononcent mal ce qu’ils ont appris :

« ce qui les empêche d’acquérir jamais une prononciation aussi nette que celle des paysans, c’est la nécessité d’apprendre par cœur beaucoup de choses et de réciter tout haut ce qu’ils ont appris » (p. 137).

b) Donc on cherche à ce qu’ils parlent trop tôt

« on se presse trop de les faire parler » (p. 135)

Deux conséquences :

• au lieu de leur laisser le temps de bien articuler, de trouver leurs mots, on devine ce qu’ils ont voulu dire si bien que, devenus adultes, ils peuvent garder un défaut d’articulation et de prononciation des mots, puisqu’ils ne les prononcent jamais totalement !

« l’extrême attention qu’on donne à tout ce qu’ils disent les dispense de bien articuler » « un vice de prononciation et un parler confus » (p. 135)

Ils « n’ont besoin que de marmotter pour se faire entendre »

« les mêmes gens étant sans cesse autour d’eux devinent ce qu’ils ont voulu dire plutôt que ce qu’ils ont dit » (p. 136).

• ils ne formulent pas correctement leur pensée, car ils utilisent des mots dont ils ne maîtrisent pas correctement le sens.

« le plus grand mal de la précipitation avec laquelle on fait parler les enfants avant l’âge est [que les mots]

aient un autre sens que le nôtre, sans que nous sachions nous en apercevoir »

« paraissant nous répondre fort exactement, ils nous parlent sans nous entendre et sans que nous les entendions »

donc c’est un dialogue de sourds et non une communication.

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4 Ces défauts « influent sur leur tour d’esprit pour le reste de leur vie ».

Résumé : « Les enfants qu’on presse trop de parler n’ont le temps ni d’apprendre à bien prononcer, ni de bien concevoir ce qu’on leur fait dire » (p. 139).

6) On introduit le mal en eux.

a) Notre manière de répondre à leurs pleurs en fait des êtres soumis ou tyranniques

C’est un point d’éducation important pour Rousseau car il y revient à plusieurs reprises.

La manière dont les adultes vont répondre aux pleurs du bébé est essentielle.

Les réactions de l’adulte créent une première éducation, dès la naissance, dont va dépendre l’autonomie et l’indépendance future de l’individu encore bébé.

« ici se forge le premier anneau de cette longue chaîne dont l’ordre social est formé » (p. 122).

Le bébé est réduit à ses besoins et étant faible, il est dépendant d’autrui qui doit lui venir en aide pour répondre à sa faim, sa soif, son besoin de bouger ou de dormir, sa température.

Répondre aux besoins du bébé est normal et naturel. Sinon, il tomberait malade, voire mourrait.

Le problème est quand on n’a pas trouvé la raison de ses pleurs ou quand on a pourvu aux besoins du bébé mais qu’ils continuent de pleurer.

On va le bercer, lui parler, chanter avec lui ou bien on va s’énerver, voire le frapper.

Donc la réaction de l’adulte va transformer le bébé dès son entrée dans la vie en un être tyrannique, capricieux qui exige qu’on soit à son service (quand on le berce, il est tout-puissant) ou en un être dépendant, asservi, soumis (quand on le menace ou frappe, il est humilié, meurtri).

« Les premiers pleurs des enfants sont des prières : si l’on n’y prend garde, ils deviennent bientôt des ordres ; ils commencent par se faire assister, ils finissent par se faire servir ».

Il faut donc « démêler l’intention secrète qui dicte le geste ou le cri » (p. 124).

Même passage p. 79 :

« ou nous nous soumettons à ses fantaisies, ou nous le soumettons aux nôtres : point de milieu, il faut qu’il donne des ordres ou qu’il en reçoive »

« avant de pouvoir parler, il commande, avant de pouvoir agir, il obéit »

« c’est ainsi qu’on verse de bonne heure dans son jeune cœur les passions qu’on impute ensuite à la nature »

Même idée p. 131 :

« Les longs pleurs d’un enfant qui n’est ni lié ni malade, et qu’on ne laisse manquer de rien, ne sont que des pleurs d’habitude et d’obstination » (p. 131).

NB : 1) on est obligé de s’occuper d’un bébé qui pleure, pour vérifier s’il a faim, froid, envie de dormir ou autres. Donc, de toute façon, il est habitué à ce que l’adulte vienne quand il pleure. Rousseau explique qu’il faut distinguer le vrai pleur (venant d’un besoin) du faux pleur. Mais quand ils sont tout petits, avant de savoir si c’est un faux pleur, il faut bien aller voir si le bébé a un problème !

2) ce n’est pas si évident de comprendre le besoin d’un bébé. On n’arrive pas toujours à s’expliquer ses pleurs. Donc oui on le berce parce qu’on n’y arrive pas autrement !

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5 3) si un bébé continue de pleurer quand tous ses besoins sont comblés, et si on doit le bercer ou lui chanter des chansons, il a peut-être tout simplement besoin d’être câliné, bercé... Un bébé n’a pas que des besoins primaires (manger, dormir, bouger), il a également besoin de contact humain. Pourquoi cela serait-il forcément un caprice dont il prendrait l’habitude par notre empressement à le servir ? C’est peut-être un besoin !

3) Le fait d’être bercé, flatté, câliné peut lui apporter du réconfort, l’apaiser, lui donner de la confiance.

Pourquoi en ferait-il un moyen de nous asservir ? S’il redemande des câlins, ce n’est pas par tyrannie mais parce qu’il sent que cela lui fait du bien. Les relations humaines peuvent être douces et réconfortantes ! Mais ce n’est pas le postulat de départ envisagé par Rousseau qui considère que les relations entre les hommes sont mauvaises.

4) je suis d’accord avec le fait qu’on ne le menace pas ni qu’on le batte, bien entendu !

5) le fait d’employer le terme « l’intention secrète » prête à l’enfant une intention. Or Rousseau se contredit ici : puisque l’enfant n’a pas encore sa raison développée, il ne peut pas avoir d’intention !

Quand l’enfant et plus grand et capable de parler, il doit user du langage pour expliquer ce qui lui arrive et non pleurer.

« S’ils continuent alors à pleurer, c’est la faute des gens qui sont autour d’eux » (p. 145).

Ainsi s’il se blesse, il ne faut pas accourir auprès de lui, en étant alarmé car on augmente sa crainte, on le rend plus sensible et il pleurera davantage.

« Tout mon empressement ne servirait qu’à l’effrayer davantage et augmenter sa sensibilité. Au fond, c’est moins le coup que la crainte qui tourmente, quand on s’est blessé » (p. 146)

NB : Pourquoi pas. Mais de là à écrire que « quelque mal qu’un enfant se fasse, il est très rare qu’il pleure quand il est seul », je ne suis pas d’accord. Il ne pleurera pas si le mal n’est pas trop grave, mais il pleurera s’il s’est vraiment fait mal, ne serait-ce que parce qu’il a besoin d’aide ou tout simplement très mal !

b) Eduquer un enfant en lui donnant tout ce qu’il veut : l’adulte crée un enfant à la fois tyran et esclave

Il s’agit d’une éducation qui ne pose aucune limite à l’enfant (p. 167-168).

« le plus sûr moyen de rendre votre enfant misérable ? C’est de l’accoutumer à tout obtenir »

Gradation et escalade dans ses besoins et ses demandes : votre canne, votre montre, l’oiseau qu’il voit, l’étoile qu’il voit briller, tout ce qui lui passe par la tête ou qu’il voit.

« il se croit le propriétaire de l’univers ; il regarde tous les hommes comme ses esclaves »

L’adulte est donc obligé de refuser la demande de l’enfant qui ne comprend pas et se met à crier, à faire un caprice car il n’est pas habitué à un tel refus et il ne peut y croire : il pensera qu’on est de mauvaise volonté ou que c’est un prétexte.

Conclusion : il fait un caprice et se met à hurler.

Cet enfant ne pourra pas être heureux et son malheur est de notre faute, car nous n’avons pas posé les limites suffisamment tôt.

« Heureux, lui ! c’est un despote ; c’est à la fois le plus vil des esclaves et la plus misérable des créatures » (p. 168)

Ces enfants sont « toujours grondants, toujours mutins, toujours furieux, ils passaient les jours à crier, à se plaindre » (p. 168)

Portrait traditionnel du tyran (voir La Boétie) : le tyran est malheureux car il n’est jamais satisfait, il est aliéné par ses propres caprices et vit toujours dans la crainte qu’on se révolte contre son pouvoir. C’est un

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6 esclave car il est soumis à ses désirs et il doit sans cesse soupçonner les autres, veiller à ce qu’on lui obéisse donc il est sans cesse dans le regard des autres, dépendant de ses caprices et des autres.

Devenus grands, ils sont confrontés à des mortifications, frustrations, et aux railleries et mépris des autres qui se moquent de leurs airs insolents.

« ne pouvant tout, ils croient ne rien pouvoir », ce qui aggrave leur dépendance

Ils deviennent alors le contraire de ce qu’ils étaient : « lâches, craintifs, rampants » (p. 169) car ils ne parviennent pas à mettre en équilibre leurs forces et leurs besoins. Leurs besoins sont toujours supérieurs à leurs forces.

Critique de la politesse et de la mondanité (p. 165).

Les formules de politesse sont la justification d’un commandement chez certains enfants, notamment les riches, qui l’emploient sans ton ni tour suppliant, mais de façon impérieuse. La politesse les assure qu’on obéira à leur demande.

« dans l’éducation façonnière des riches on ne manque jamais de les rendre poliment impérieux »

« s’il vous plaît signifie dans leur bouche il me plaît et je vous prie signifie je vous ordonne ».

« éducation façonnière des riches » : une éducation qui fait des façons, des cérémonies.

Critique des salons et du mal social de son époque, pleine d’hypocrisie et de paraître.

c) Raisonner avec les enfants est une erreur d’éducation

On ne peut pas raisonner avec les enfants puisque leur raison est encore « en sommeil » :

« je ne vois rien de plus sot que ces enfants avec qui l’on a tant raisonné » (p. 171)

« on les accoutume […] à se croire aussi sages que leurs maîtres, à devenir disputeurs et mutins » (p. 172) Voir le dialogue entre l’enfant et le maître.

« la pire éducation est de le laisser flottant entre ses volontés et les vôtres et de disputer sans cesse entre vous et lui à qui des deux sera le maître » (p. 176).

« Si jamais il remporte cet avantage, et qu’il s’en aperçoive, adieu l’éducation […] il ne cherche plus à s’instruire, il cherche à vous réfuter » (p. 186).

L’adulte donne des armes à l’enfant comme la mauvaise foi, le fait de contester, de négocier et le rend sournois, avec l’envie de rivaliser contre l’adulte.

d) Au lieu de les rendre vertueux, on les rend immoraux

• les notions de devoir et d’obéissance qu’on leur impose

En considérant qu’ils sont des adultes en miniature, aptes à raisonner, on introduit dans leur esprit de fausses idées, ou bien des idées mal élaborées :

« la première fausse idée qui entre dans sa tête est en lui le germe de l’erreur et du vice ; c’est à ce premier pas qu’il faut surtout faire attention » (p. 171)

Une des premières fausses idées est de leur inculquer les notions de devoir et d’obéissance, qu’ils ne peuvent pas comprendre car leur conscience morale n’est pas encore développée.

Nous sommes « toujours sermonneurs, toujours moralistes, toujours pédants » avec les enfants (p. 185).

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« sur cette terre, dont la nature eût fait le premier paradis de l’homme, craignez d’exercer l’emploi du tentateur en voulant donner à l’innocence la connaissance du bien et du mal » (p. 186).

La nature remplace Dieu et le paradis est celui de la nature. Voir la religion naturelle de Rousseau.

Pire, on utilise les menaces ou la flatterie ou les promesses pour les persuader d’agir bien, donc ils n’agissent pas vertueusement, mais selon des intérêts :

« amorcés par l’intérêt ou contraints par la force, ils font semblant d’être convaincus par la raison » (p.

174).

« l’on croit les avoir convaincus, quand on ne les a qu’ennuyés ou intimidés » (p. 174).

Et on fait germer en eux des vices et non un comportement vertueux :

« vous leur apprenez à devenir dissimulés, faux, menteurs, pour extorquer des récompenses ou se dérober aux châtiments »

« vous leur donnez vous-même le moyen de vous abuser sans cesse, de vous ôter la connaissance de leur vrai caractère » (p. 175).

C’est la même chose pour le mensonge.

« c’est la loi de l’obéissance qui produit la nécessité de mentir » (p. 198).

Comme il est difficile d’obéir, l’enfant fait semblant en mentant, pour mieux faire ce qu’il veut.

Si on est pris en flagrant délit de désobéissance, comme on veut éviter le châtiment ou le reproche, on ment.

Si on n’exige rien d’eux, si on ne les punit pas, ils n’ont aucune raison de mentir. C’est l’adulte en exigeant la vérité qui les pousse à mentir.

Pour l’obligation de tenir une promesse :

Par exemple, on les accable de promesses à tenir : promets-moi de faire tes devoirs, promets-moi d’être sage…

« l’enfant, ennuyé, surchargé de toutes ces promesses, les néglige, les oublie, les dédaigne […] se fait un jeu de les faire et de les violer » (p. 200).

L’enfant ne vit que dans le présent. Il ne comprend pas bien ce qu’il fait quand il s’engage sur quelque chose dans l’avenir, donc il ne ment pas vraiment.

Et s’il se rend compte qu’il n’a pas tenu sa promesse, il ne pouvait pas prévoir la conséquence de son manquement à sa promesse puisqu’il ne se projette pas dans le futur, donc il ne fait rien qui ne soit dû qu’à son stade de développement, donc ce n’est pas un manquement à sa promesse :

« L’enfant, ne sachant ce qu’il fait quand il s’engage, ne peut donc mentir en s’engageant »

« quand il viole ses engagements, il ne fait rien contre la raison de son âge » (p. 199).

L’homme est naturellement libre et à égalité avec ses semblables. Donc tout rapport de force, de domination, d’obéissance, est social et non naturel : il empêche l’homme d’être naturellement lui-même.

• De façon générale, on leur donne un mauvais exemple car on n’est pas vertueux mais mauvais

On utilise ainsi des passions pour élever les enfants parce que nous-mêmes nous avons été élevés ainsi et que nous sommes pervertis :

« Il est bien étrange qu’[…] on ait imaginé […] pour les conduire que […] toutes les passions les plus dangereuses, […] les plus propres à corrompre l’âme », émulation, jalousie, envie, vanité, avidité, crainte.

(p. 176)

« on plante un vice au fond de leur cœur »

« Tel est l’homme. Oui, tel est l’homme que vous avez fait », et sous-entendu que vous êtes. (p. 177)

« le mal que les enfants voient les corrompt moins que celui que vous leur apprenez » (discutable) (p. 185)

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8 On ne leur apprend pas la véritable vertu car on ne leur donne pas un bon modèle (p. 200-201).

Exemples :

Pour les rendre pieux, on les mène s’ennuyer à l’église.

Pour leur inspirer la charité, on leur fait donner l’aumône à l’église. Mais on ne donne rien soi-même. Donc l’enfant ne peut comprendre et pense que la charité n’est qu’une affaire d’enfant et non une vertu.

Par ailleurs, l’enfant donne de l’argent mais sans comprendre son geste, donc il n’apprend pas la vertu de donner.

Pour qu’il apprenne à donner, il faut qu’il donne des choses qui ont pour lui de la valeur : un gâteau, un jouet. Et il ne faut pas lui rendre ou remplacer ce qu’il a donné !

Rousseau critique Locke sur ce point.

« Pour paraître leur prêcher la vertu, on leur fait aimer tous les vices : on les leur donne, en leur défendant d’en avoir » (p. 200).

II. Les principes d’une éducation conforme à la nature de l’homme

Il faut suivre « la marche de la nature » (p. 47).

C’est le seul principe éducatif nécessaire et fondamental.

« en naissant l’enfant est déjà disciple, non du gouverneur, mais de la nature » (p. 110).

Il faut donc retrouver ses dispositions primitives.

Pour être fidèle à sa nature, il faut la connaître. Et pour la connaître, on doit se débarrasser de certains préjugés sur les enfants : « On ne connaît point l’enfance » (p. 46).

1) Reconnaître que la nature de l’enfant n’est pas mauvaise ni méchante.

On cesse de considérer l’enfant avec des préjugés moraux et de lui prêter des intentions ou des dispositions mauvaises qu’il n’a pas.

On cesse de craindre une sauvagerie, une animalité de l’enfant. On n’est pas, en tant qu’adulte, supérieur à lui, plus civilisé, plus moral, plus accompli.

Ce n’est pas un rapport de domination de l’adulte sur l’enfant ou de l’enfant sur l’adulte.

« Tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme » (p.

53).

« les premiers mouvements de la nature sont toujours droits : il n’y a point de perversité originelle dans le cœur humain » (p. 178).

Négation du péché originel : le mal n’est pas intérieur à l’enfant et à l’homme. Il est extérieur. Il naît du rapport à l’autre.

Donc il ne faut pas juger les actions des enfants ni en bien ni en mal.

« L’âge de la gaieté se passe au milieu des pleurs, des châtiments, des menaces, de l’esclavage » (p. 149) Il faut faire l’inverse et respecter les enfants.

« Respectez l’enfance, et ne vous pressez point de la juger, soit en bien, soit en mal » (p. 208).

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9 Il convient même d’accepter qu’il n’existe pas de sens moral chez l’enfant (p. 126).

« Dépourvu de toute moralité dans ses actions, il ne peut rien faire qui soit moralement mal, et qui mérite ni châtiment ni réprimande » (p. 177).

Il faut donc cesser de vouloir à tout prix le corriger, le dompter, pour le rendre meilleur dans son avenir : on ne lui fait pas la leçon, on ne le punit pas, on n’exige pas qu’il demande pardon (page 177).

Les adultes qui accablent l’enfant avec des obligations, des notions de devoir, d’obéissance, de châtiments ne peuvent pas être certains que tous ces commandements et punitions le rendront meilleur : c’est une

« éducation barbare qui sacrifie le présent à un avenir incertain » (p. 149).

Ils ne peuvent pas non plus affirmer que ces mauvais penchants ne viennent pas d’eux et non de la nature de l’enfant (p. 151).

Si l’enfant a tendance à détruire les objets qui l’entourent, ce n’est pas par méchanceté.

Construire quelque chose, savoir manipuler un objet demande de la patience, de l’habileté. L’énergie de vie qui anime l’enfant le pousse davantage à détruire car c’est plus rapide et plus facile de casser que de construire et il éprouve ainsi ses propres forces (p. 128).

2) Reconnaître que l’enfance n’est pas un temps perdu : ne pas s’empresser de faire grandir l’enfant

Il faut cesser de brûler les étapes en voulant que l’enfant sorte le plus vite possible de son état d’enfant et donc cesser de lui faire apprendre trop tôt et trop vite des choses qu’il ne peut pas comprendre.

L’enfance devient pour la première fois un âge de la vie proprement dit et non une préparation à l’âge adulte. Elle a une temporalité qui lui est propre.

« Ils cherchent toujours l’homme dans l’enfant, sans penser à ce qu’il est avant que d’être homme » (p. 46).

« La nature veut que les enfants soient enfants avant que d’être hommes. Si nous voulons pervertir cet ordre, nous produirons des fruits précoces, qui n’auront ni maturité ni saveur » (p. 173).

« L’enfance a des manières de voir, de penser, de sentir, qui lui sont propres ; rien n’est moins sensé que d’y vouloir substituer les nôtres » (p. 174).

« il faut considérer l’homme dans l’homme, et l’enfant dans l’enfant. Assigner à chacun sa place et l’y fixer » (p. 151).

« Oserais-je exposer ici la plus grande, la plus importante, la plus utile règle de toute l’éducation ? Ce n’est pas de gagner du temps, c’est d’en perdre » (p. 180).

Donc « Aimez l’enfance ; favorisez ses jeux, ses plaisirs, son aimable instinct » (p. 150).

Ne pas le punir ni s’empresser de faire grandir l’enfant.

« Qui de vous n’a pas regretté quelquefois cet âge où le rire est toujours sur les lèvres » (p. 150) : la représentation de l’enfance comme un paradis perdu.

« Pourquoi voulez-vous remplir d’amertume et de douleurs ces premiers ans si rapides » (p. 150)

Rousseau insiste ensuite sur le fait que son époque connaît une forte mortalité infantile. Comme on ne sait pas jusqu’à quel âge vivra son enfant et qu’il risque de mourir jeune, on ne va pas en plus lui infliger une vie douloureuse faite d’ordres moraux, de punitions et d’apprentissage forcé de leçons.

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10 3) Chercher à éduquer l’homme dans l’enfant sans l’enfermer dans son rang social ni vouloir en faire un citoyen

L’éducation est « l’art de former les hommes » (p. 46).

a) Rousseau est contre une éducation qui assigne à l’individu une place sociale exclusive. Il s’agit de former un être conscient de sa condition humaine.

« Avant la vocation des parents, la nature l’appelle à la vie humaine. Vivre est le métier que je veux lui apprendre » (p. 64).

« En sortant de mes mains, il ne sera, j’en conviens, ni magistrat, ni soldat, ni prêtre ; il sera premièrement homme » (p. 64).

« Notre véritable étude est celle de la condition humaine » (p. 65).

Critique de la société d’ordre d’ancien régime où la naissance détermine le statut social de l’enfant.

Rousseau souhaite rendre l’enfant autonome et indépendant, « qui sait le mieux supporter les biens et les maux de cette vie » (p. 65). Or si on l’enferme dans une éducation sociale, il ne sera pas armé contre les renversements de fortune.

Il est un homme comme tout autre homme et on doit lui apprendre à accomplir son humanité : défense de l’égalité, de l’humanité en tant qu’on accomplit l’homme que l’on est et en tant qu’on se montre humain envers autrui.

Il faut donc éviter d’éduquer les enfants avec des préjugés sociaux et une projection en eux de son propre statut social.

b) L’état d’homme se distingue aussi de celui du citoyen. Rousseau renonce à former un membre d’une communauté politique dont l’existence est tout entière attachée aux biens de sa cité. Il entend former un être qui se sait naturellement semblable à tout être humain.

« il faut opter entre faire un homme ou un citoyen : car on ne peut faire à la fois l’un et l’autre » (p. 59).

« L’homme naturel est tout pour lui » (p. 59). Cet homme est auto-suffisant, autonome, indépendant, libre et égal aux autres.

L’homme civil est une partie d’un tout qui est le corps social. Pour former un citoyen, on le dénature. On ne suit pas la pente de sa nature. On lui impose les règles et les façons de penser de la collectivité.

Il ne vit pas pour lui-même, mais pour le bien commun, comme l’exemple du patriotisme de la Spartiate, qui rend grâce aux dieux d’avoir offert la victoire à sa cité sans se plaindre de la mort de ses cinq fils à la guerre.

Ce n’est pas négatif, mais ce n’est pas l’éducation que prône Rousseau car elle réduit l’enfant à n’être qu’un citoyen.

On ne peut pas tenter un compromis : l’enfant ainsi élevé sera toujours tiraillé entre les penchants de sa nature et les règles de la société. Donc « il ne sera bon ni pour lui ni pour les autres » (p. 61).

Dans le cas du compromis, on n’obtient aucune bonne éducation.

C’est la société de l’époque de Rousseau :

« elle n’est propre qu’à faire des hommes doubles paraissant toujours rapporter tout aux autres, et ne rapportant jamais rien qu’à eux seuls » : une société d’hypocrites, incapables de vivre véritablement pour le bien commun tant ils sont égoïstes et ayant perdu des instincts naturels comme la pitié qui empêchait l’égoïsme.

(11)

11 4) Pour former un homme, il faut une éducation naturelle et libre, et non dénaturante

Trois sources d’éducation (p. 54) : la nature, l’homme, les choses.

• La nature :

Rousseau donne l’explication de la notion de nature page 58.

Nous sommes reliés sensiblement au monde dès notre naissance par nos cinq sens.

Nos sens nous permettent d’apprendre ce qui nous plaît ou non, ce qui nous convient ou non, ce qui nous apporte du bonheur ou non, bref ce dont nous avons besoin et ce qui nous permet de nous accomplir.

Mais cette écoute de nos sens est altérée par les habitudes qu’il faut surtout comprendre comme des habitudes sociales et des opinions donc des préjugés.

Donc la nature est ce que nous sommes avant toute altération sociale.

Exemple de la plante page 56 : on gêne sa direction verticale en lui mettant un tuteur. On lui fait donc prendre l’habitude de se développer dans un autre sens. Mais si on la laisse tranquille elle retrouve sa direction naturelle, donc verticale. Il faut donc laisser Emile avec son propre naturel, sa sensibilité, ses dispositions innées, comme la plante.

L’éducation par la nature consiste à laisser faire les aptitudes innées, l’expression des sens des enfants par lesquelles il va développer ses organes et ses facultés et combler ses besoins.

Elle est ce qu’il y a de mieux pour l’enfant et il faut donc suivre son cours.

• Les choses correspondent à son environnement et aux objets qu’il va pouvoir expérimenter.

L’éducation des choses dépend un peu de l’adulte, selon ce qu’il montre à l’enfant.

Mais elles vont imposer une nécessité, des limites. L’enfant va apprendre qu’il ne peut pas faire tout ce qu’il veut : il y a une résistance de la matière, il va se rendre compte qu’il ne peut pas courir aussi vite qu’un cheval (p. 244).

« Maintenez l’enfant dans la seule dépendance des choses, vous aurez suivi l’ordre de la nature dans le progrès de son éducation » (p. 164).

Il ne lui faut que des obstacles physiques ou des punitions qui naissent de l’action elle-même. L’enfant comprend et admet la nécessité des choses, mais non la réaction d’autrui.

« L’expérience ou l’impuissance doivent seules lui tenir lieu de loi » (p. 164).

Exemple d’un enfant qui casse un objet (p. 180) :

On ne le gronde pas, on ne lui fait pas de reproche, car on risque de le rendre asservi.

On ne lui montre pas qu’il nous donne du chagrin en cassant l’objet car on risque de le rendre tyrannique.

On ne dit rien et on fait comme si le meuble s’est cassé de lui-même : l’enfant apprend par la nécessité des choses que lorsqu’il fait un geste brusque, le meuble se casse.

• Les hommes :

Cette éducation dépend de nous, adultes. Elle est un art, un savoir-faire.

Mais cet art réussit moins bien que la nature et les choses car :

- les adultes imposent des habitudes à l’enfant. Les habitudes incluent les mœurs et les préjugés d’une époque.

- les adultes ont une nature altérée.

- on ne peut pas contrôler tous les adultes qu’un enfant rencontrera.

Pour que l’enfant se développe en suivant la nature et la nécessité des choses, il faut favoriser sa liberté.

La liberté de l’enfant consiste à évoluer sans entraves ni guides, de la façon la plus naturelle et spontanée possible, presque en s’auto-éduquant.

Mais cette liberté a deux conditions :

1re condition : on ne cherche à satisfaire que ses besoins et désirs naturels, et pas plus.

2e condition : on ne doit vouloir que ce que l’on peut obtenir par soi-même, donc il faut être capable de se satisfaire soi-même, tout seul, en autonomie.

(12)

12 Le bonheur se trouve dans l’équilibre entre les forces et les besoins : on a des besoins et assez de forces pour les pourvoir. Cela implique une économie des désirs qui doivent se limiter aux besoins et une indépendance par rapport à autrui.

« L’homme vraiment libre ne veut que ce qu’il peut, et fait ce qu’il lui plaît » (p. 160).

Il faut mesurer le rayon de sa sphère et rester au centre comme l’insecte au milieu de sa toile : on se suffira à soi-même et on ne se plaindra pas d’être faible car on ne sentira pas sa faiblesse (p. 154).

Donc pour Rousseau, l’enfant n’est pas tout à fait heureux :

« Quiconque fait ce qu’il veut est heureux, s’il se suffit à lui-même ; c’est le cas de l’homme vivant dans l’état de nature. Quiconque fait ce qu’il veut n’est pas heureux, si ses besoins passent ses forces : c’est le cas de l’enfant dans le même état » (p. 162).

Mais en grandissant, il va développer ses forces et être capable de répondre à ses besoins.

L’éducation consiste à ne pas dénaturer ce cheminement de la nature par lequel les forces vont s’équilibrer avec les besoins.

Comment peut-on rompre cet équilibre ?

• En asservissant l’enfant parce qu’on le laisse faible : on fait tout pour lui et à sa place, on le surprotège, donc on l’empêche de développer ses forces.

Ou bien on lui en demande trop, on s’empresse de le faire grandir : on ne développe pas correctement ses forces et on l’affaiblit plus qu’on ne le fortifie en lui créant des défauts (mauvaise prononciation, mauvais positionnement des pieds à la marche…).

• En créant chez l’enfant des désirs autres que ses besoins naturels : on en fait un être capricieux et tyrannique.

Ces désirs vains créent un manque et un mal-être : ils sont inspirés par les adultes, la comparaison avec autrui et l’imagination de l’enfant d’où le rejet des livres.

Les deux perversions de la liberté naturelle sont donc la tyrannie de l’enfant et sa servitude.

« Ta liberté, ton pouvoir, ne s’étendent qu’aussi loin que tes forces naturelles et pas au-delà ; tout le reste n’est qu’esclavage, illusion, prestige » (p. 159).

« il faut qu’il dépende et non qu’il obéisse ; il faut qu’il demande et non qu’il commande » (p. 161)

NB : un adulte dénaturé par la société correspond à cet enfant-tyran et esclave :

il a perdu ses bonnes dispositions naturelles qui ont été effacées sous le poids des habitudes et des préjugés sociaux. Il se retrouve dans un état de faiblesse qui correspond à celui de l’enfant transformé en enfant- tyran et esclave.

Donc quand on dit que l’adulte garde une âme d’enfant, on l’entend positivement. Mais ce peut être négatif s’il correspond à un enfant dénaturé.

« Nous étions faits pour être hommes ; les lois et la société nous ont replongés dans l’enfance » (p. 162) Les riches, les grands, les rois sont tous des enfants car leurs désirs dépassent leurs besoins et se transforment en caprices que les autres comblent et non eux-mêmes donc ils entretiennent leur faiblesse puisqu’ils sont dépendants des autres.

Comment empêcher cette dénaturation de l’enfant ?

• On adopte une éducation négative, donc le contraire de l’éducation traditionnelle (celle vue dans le I du cours).

Il faut préserver autant que possible le bon naturel inné de l’enfant.

Cette éducation consiste « à garantir le cœur du vice et l’esprit de l’erreur » (p. 181)

« en commençant par ne rien faire, vous auriez fait un prodige d’éducation »

« prenez bien le contre-pied de l’usage et vous ferez presque toujours bien » (p. 181).

Expression « méthode inactive » (p. 230)

Ne rien faire = laisser faire la nature et la liberté naturelle de l’enfant.

(13)

13 Comment ne rien faire ?

• En limitant l’enfant à ses besoins et en l’aidant à développer ses forces, qui sont bonnes par nature.

Il faut laisser à l’enfant l’usage de ses forces autant que possible.

Quand cela est nécessaire, assister l’enfant dans ses besoins physiques.

Mais se borner à l’aider pour ce qui lui est réellement utile, non pas pour ses fantaisies ou des désirs superflus sans raison.

Exemple de la gestion des pleurs du bébé.

Rousseau conseille de laisser pleurer l’enfant dont on a répondu aux besoins : il va comprendre par lui- même qu’il n’obtient rien de plus de l’adulte en pleurant, mais si on le berce ou le câline, on crée un tyran.

Donc bien comprendre leur langage, leurs signes pour discerner le pleur de besoin du pleur de caprice.

Autre exemple : si un enfant veut toucher un objet et qu’il n’y arrive pas, ne pas lui apporter l’objet car c’est alors lui qui commande, mais déplacer l’enfant jusqu’à l’objet pour que ce soit lui qui le prenne de lui-même.

« Quand la volonté des enfants n’est point gâtée par notre faute, ils ne veulent rien inutilement » (p. 164).

« il faut distinguer le besoin naturel du besoin de fantaisie » (p. 164).

« L’esprit de ces règles est d’accorder aux enfants plus de liberté véritable et moins d’empire, de leur laisser plus faire par eux-mêmes et moins exiger d’autrui » (p. 129).

• En ne le surprotégeant pas (pour développer ses forces)

« Vous avez beau prendre des précautions pour qu’il ne meure pas, il faudra pourtant qu’il meure » (p. 66).

« Il s’agit moins de l’empêcher de mourir que de le faire vivre ».

« L’homme qui a le plus vécu n’est pas celui qui a compté le plus d’années, mais celui qui a le plus senti la vie ».

La vie ne correspond pas seulement à des organes vitaux qui fonctionnent. Vivre c’est avoir le sentiment de son existence, c’est se sentir vivant, ce que ne peut pas ressentir un enfant qu’on étouffe pour le protéger.

• En favorisant sa liberté de mouvement (pour développer ses forces et ses expériences) : On ne l’emmaillote pas (p. 67), on ne lui met pas de têtières (des coiffes) :

« il semble qu’on a peur qu’il ait l’air d’être en vie » (p. 68).

Il n’y a pas besoin de gêner les mouvements de l’enfant car ils sont naturels et la nature est bonne.

En gênant les mouvements de l’enfant, on l’empêche de se développer, de se renforcer, de se fortifier. On retarde ses progrès et il s’épuise à essayer de bouger quand même : bref, on l’affaiblit.

On influence alors son tempérament : « leur premier sentiment est un sentiment de douleur et de peine » (p. 69).

« vous les contrariez dès leur naissance » donc ils pleurent, d’autant plus qu’ils n’ont que la bouche de libre !

Passage assez sarcastique et humoristique dans son exagération : « les pays où l’on emmaillote les enfants sont ceux qui fourmillent de bossus, de boiteux, de cagneux, de noués, de rachitiques, de gens contrefaits de toute espèce […] On les rendrait volontiers perclus pour les empêcher de s’estropier » (p. 68-69).

L’emmaillotage est une aberration : c’est le symbole d’une création humaine qui entrave la nature.

Moins contrariés dans leurs mouvements, les enfants pleurent moins. Puisqu’ils pleurent moins, on les flatte ou on les menace moins souvent. Donc ils sont moins craintifs et moins tyranniques et on suit l’ordre de la nature ! (p. 130).

(14)

14 Il faut donc des langes flottants et larges, des berceaux assez grands pour que l’enfant puisse se mouvoir et il faut le laisser ramper en liberté (p. 108) en écartant les dangers et risques de blessures.

Même idée pour l’apprentissage de la marche :

« Notre manie enseignante et pédantesque est toujours d’apprendre aux enfants ce qu’ils apprendraient beaucoup mieux d’eux-mêmes » donc pas la peine de leur apprendre à marcher. On n’a jamais vu un enfant grandir sans savoir marcher mais on voit des gens marcher mal parce qu’on le leur a mal appris !

« Emile n’aura ni bourrelets, ni paniers roulants, ni chariots, ni lisières » (p. 147) la lisière est une sorte de laisse !

« Il faut qu’ils sautent, qu’ils courent, qu’ils crient, quand ils en ont envie. Tous leurs mouvements sont des besoins de leur constitution, qui cherche à se fortifier » (p. 164).

Donc on écarte tout danger et on range tout ce qui est fragile et précieux : miroirs, porcelaines, objets de luxe (p. 179).

L’enfant ne jouit que d’une liberté imparfaite.

Mais il est barbare d’ajouter à sa faiblesse une forme d’esclavage par nos caprices.

Il deviendra esclave d’autrui et de la société. Donc laissons-le profiter de sa liberté le temps de son enfance :

« Laissons à l’enfance l’exercice de sa liberté naturelle, qui l’éloigne au moins pour un temps de vices que l’on contracte dans l’esclavage » (p. 170).

• En le laissant souffrir (pour le fortifier et connaître ses limites ainsi que la nécessité des choses) La nature est une institutrice sévère car elle soumet le nourrisson à un ensemble de douleurs et de peines : fièvre à cause des dents, coliques, toux, vers. « Presque tout le premier âge est maladie et danger » (p. 76).

Mais l’enfant, ayant surmonté ces maux, y gagnent des forces.

Donc il faut laisser faire la nature. Sinon on rend les enfants trop délicats, trop sensibles et on leur fait davantage risquer d’attraper des maladies, voire de mourir.

« Faute de savoir se guérir, que l’enfant sache être malade ».

« Quand l’animal est malade, il souffre en silence et se tient coi » (p. 96).

« si vous ne pouvez le soulager, restez tranquille, sans le flatter pour l’apaiser ; vos caresses ne guériront pas sa colique » mais vous en ferez un tyran (p. 130).

« Souffrir est la première chose qu’il doit apprendre, et celle qu’il aura le plus besoin de savoir » (p. 146) Cela évitera qu’il se croie mort à la piqûre et qu’il s’évanouisse en voyant une goutte de sang.

« Le bien-être de la liberté rachète beaucoup de blessures » (p. 148)

« Mon élève aura souvent des contusions ; en revanche, il sera toujours gai » (p. 148).

Connaître et apprendre la douleur développe également son humanité, notamment la pitié qui est un sentiment naturel :

« L’homme qui ne connaîtrait pas la douleur, ne connaîtrait ni l’attendrissement de l’humanité, ni la douceur de la commisération ; son cœur ne serait ému de rien, il ne serait pas sociable, il serait un monstre parmi ses semblables » (p. 167).

• En l’endurcissant pour le rendre fort, robuste et éviter tout amollissement mauvais du caractère.

« Endurcissez leurs corps aux intempéries des saisons, des climats, des éléments, à la faim, à la soif, à la fatigue ; trempez-les dans l’eau du Styx » (p. 77).

« et quand il y aurait quelque risque, encore ne faudrait-il pas balancer »

De même, il faut laver les enfants pour l’hygiène, mais dans des bains tièdes et progressivement des bains de plus en plus froids jusqu’à une eau glacée. En grandissant, l’enfant doit être capable de se baigner aussi bien dans des eaux très chaudes que glacées. Cela évite tout amollissement de sa constitution (p. 108).

(15)

15 Ce n’est pas de la sévérité ou de l’inconscience. Rousseau préconise de l’accoutumer progressivement et de prévenir tout danger.

Il reconnaît la faiblesse de l’enfance : « y a-t-il au monde un être plus faible, plus misérable, plus à la merci de tout ce qui l’environne, qui ait si grand besoin de pitié, de soins, de protection, qu’un enfant ? » (p. 169).

L’endurcir est pour son bien. Le mal qu’on leur fait est de développer en eux le caprice, le désir, ce qui les rend faibles et dépendants d’autrui.

« l’enfant n’est méchant que parce qu’il est faible ; rendez-le fort, il sera bon » (p. 126).

• En ne l’habituant à rien (pour ne pas mal l’influencer et le limiter à ses besoins) :

« la seule habitude qu’on doit laisser prendre à l’enfant est de n’en contracter aucune » (p. 115).

On n’habitue l’enfant à rien pour :

• ne pas lui donner de mauvaises habitudes ou des habitudes inutiles qui dépassent ses besoins naturels

• ne pas le rendre dépendant de ses habitudes car il sera moins libre. La liberté est définie comme l’indépendance, l’autonomie.

• le rendre moins craintif afin qu’il conserve sa curiosité et reste libre : la peur enchaîne, emprisonne, empêche de faire des découvertes.

Pas de repas et de temps de sommeil aux mêmes heures (p. 115).

On ne le porte pas davantage sur un bras que sur l’autre.

On ne l’invite pas à se servir d’une main plus d’une autre.

On ne l’accoutume pas à ne pas pouvoir rester seul la nuit ou même le jour, dans une pièce.

Sinon on l’accoutume à de mauvaises habitudes ou à des habitudes non nécessaires et on le rend dépendant de ces habitudes, alors que l’enfant qui suit sa nature est indépendant : il ne doit vouloir que ce qu’il veut et peut faire.

Pas de jouets luxueux pour ne pas l’accoutumer au luxe : de la simplicité. Même pas de grelots ni de hochets : des branches d’arbres avec des fruits et des feuilles, un bâton de réglisse à sucer s’il a mal aux dents (p. 132).

On lui montre des objets divers.

Par exemple, il ne craindra pas les araignées s’il en voit assez souvent. (p. 116) : « Il n’y a plus d’objets affreux pour qui en voit tous les jours » (p. 117). La même chose avec des masques : on commence par des masques amusants et on rit, puis progressivement on passe à des masques plus hideux, en continuant d’en rire.

Même chose avec le tonnerre.

On l’aguerrit de cette façon, en le rendant moins craintif.

La peur empêche de connaître et de découvrir le monde. Un enfant moins craintif sera plus curieux, résistant et combattif.

Autre exemple pour lui retirer une crainte : pratiquer des jeux de nuit

On n’habitue pas l’enfant à une veilleuse ou à avoir toujours une lumière. Au contraire, on l’habitue à se trouver aussi bien dans la lumière que dans l’obscurité.

Donc on pratique des jeux la nuit, dans le noir, pour habituer l’enfant également à l’obscurité.

Dans la nuit, nous avons peur car nous ne voyons pas bien ce qui nous entoure donc nous nous tenons sur nos gardes et notre imagination nous fait croire n’importe quoi et redouble notre crainte.

Mais si nous nous habituons au noir, « l’habitude tue l’imagination ». Lire page 267.

Ces jeux dans la nuit doivent se dérouler avec gaieté car nous n’avons peur de rien si nous nous sentons entourés de personnes qui s’amusent. Donc Rousseau conseille de s’amuser avec une troupe d’enfants.

Rousseau raconte un épisode de son enfance sur ce sujet.

(16)

16 Paradis perdu de l’enfance : « Le vide de l’âge mûr […] me retrace le doux temps du premier âge » (p.

268).

Il vivait en pension chez un ministre M. Lambercier.

Rousseau se moquait de son cousin Bernard qui était peureux, surtout la nuit.

M. Lambercier, agacé par la vantardise de Rousseau, le met à l’épreuve : il lui demande d’aller chercher en pleine nuit la Bible laissée dans la chaire du temple.

Rousseau est pris d’une extrême frayeur une fois dans l’église : « je fus saisi d’une terreur qui me fit dresser les cheveux : je rétrograde, je sors, je me mets à fuir tout tremblant » (p. 269).

Il tente deux fois d’y entrer, mais, une fois dedans, il est terrifié et se précipite vers la sortie.

Revenu à la maison, Rousseau entend qu’on parle de lui et que M. Lambercier s’apprête à venir le chercher avec son cousin.

Saisi de honte, Rousseau retourne à l’église en courant, prend la Bible et la ramène au ministre.

Rousseau en fait l’exemple qu’il faut s’habituer à l’obscurité en étant accompagné de gens qu’on entend rire et s’amuser. Cela retire toute peur à l’enfant qui, devenu adulte, saura se diriger de nuit sans crainte.

« La nuit, ne lui rappelant que des idées gaies, ne lui sera jamais affreuse ; au lieu de la craindre, il l’aimera » (p. 272).

• En ne donnant pas de leçons de morale

« soyez raisonnable et ne raisonnez point avec votre élève » (p. 181).

- L’enfant ne peut pas comprendre les notions de bien et de mal, donc il ne comprend pas les notions de devoir, de promesses, d’obéissance : « L’enfance est le sommeil de la raison » (p. 209).

- On l’ennuie ou on le menace avec des leçons de morale, donc il cherche à y échapper en mentant.

On le pousse donc à mentir. Exemple : demander à un enfant : « Est-ce vous ? ». « ferais-je autre chose, sinon lui apprendre à le nier ? » (p. 199).

- On lui montre qu’on n’est pas content donc il va recommencer pour nous déplaire : il devient tyrannique

Alors comment éduquer un enfant ?

En ne disant rien devant l’enfant : pas de remarques, pas de punitions, pas de colères de notre part.

« Vous ne le reprenez point, vous ne le punissez de rien, vous n’exigez rien de lui » (p. 198) : il ne vous mentira pas, ne vous désobéira pas, ne vous cachera rien, ne fera pas de caprices.

L’enfant doit sentir la conséquence naturelle de ses actes et la nécessité des choses pour comprendre ses limites.

« ne vous plaignez jamais des incommodités qu’il vous cause, mais faites qu’il les sente le premier » (p.

195)

Le châtiment doit toujours « leur arriver comme une suite naturelle de leur mauvaise action » (p. 197).

Exemple de la fenêtre cassée (p. 195) :

L’enfant casse des meubles dont il se sert : laissez-lui sentir le préjudice de ne plus avoir ces meubles et surtout ne les remplacez pas !

Il casse les fenêtres de sa chambre : laissez le vent souffler nuit et jour.

Il casse toujours les vitres (avoir froid n’a pas suffi à lui faire comprendre qu’il ne faut pas casser les vitres).

On l’enferme dans l’obscurité dans un lieu sans fenêtre, sans se montrer en colère mais en disant seulement :

« les fenêtres sont à moi et je ne veux pas qu’elles soient cassées ».

On laisse ainsi l’enfant plusieurs heures, assez pour qu’il s’ennuie.

(17)

17 Quelqu’un lui suggère de passer un accord avec vous. Il trouve l’idée très bonne et vous appelle. C’est donc lui qui a l’initiative de trouver une solution.

Vous acceptez avec plaisir sa proposition sans faire plus de cas de sa promesse et vous le ramenez dans sa chambre sans en rajouter.

Il n’aura plus l’idée de casser une fenêtre.

L’enfant a appris les effets naturels de sa conduite : il a froid si la vitre est cassée / il vit dans l’obscurité sans aucune sortie, s’il n’aime pas les vitres.

C’est la nécessité des choses et les conséquences de sa conduite qui doivent lui montrer l’ordre des choses et non la conduite des hommes.

Certes, l’adulte intervient en l’enfermant. Mais son geste, réalisé sans colère, vise à lui montrer la conséquence de son envie de détruire les vitres : l’enfant n’aime pas les vitres, voici une vie sans vitre.

Exemple de l’enfant capricieux qui se prend pour le maître (p. 238-243).

Sa mère lui laisse tout faire, veut qu’on lui obéisse tout le temps car c’est l’unique héritier de la famille donc il a un rang important et il faut en prendre soin.

L’enfant souhaite sortir à n’importe quelle heure et au moment où il voit son gouverneur bien occupé à autre chose qu’à lui-même.

Comme Rousseau ne veut pas sortir, l’enfant le menace de sortir seul. Rousseau le laisse faire.

L’enfant est inquiet, mais brave l’interdiction.

Rousseau avait prévenu les voisins : chacun joue la scène préparée. L’enfant se trouve moqué par des polissons, mais un ami de Rousseau le suit en cachette pour veiller sur lui et l’accoste pour lui expliquer qu’il vaut mieux qu’il rentre, mais sans l’intimider ou lui donner des ordres.

Le père avait été mis au courant. Quand l’enfant rentre, il ne peut mentir à son père. Ce dernier ne le gronde pas, mais lui demande simplement de ne plus revenir à la maison s’il sort de nouveau seul car il ne veut pas d’un bandit chez lui.

L’enfant ne s’avise plus jamais de menacer Rousseau de sortir seul.

Pour que l’enfant fasse ses propres expériences et sente la nécessité naturelle de ses actions, le gouverneur doit ne rien faire en apparence, même s’il organise ses jeux et des scènes pour mettre à l’épreuve l’enfant par lui-même.

5) Comprendre que l’enfance est une étape nécessaire pour former un homme

« On se plaint de l’état de l’enfance ; on ne voit pas que la race humaine eût péri, si l’homme n’eût commencé par être enfant » (p. 55).

Remise en cause de Descartes qui regrette que l’homme ait été enfant avant que d’être homme.

Pour Descartes, si nous naissions déjà hommes sans passer par l’enfance, nous n’aurions plus de préjugés.

Pour Rousseau, si nous naissions déjà hommes sans passer par l’enfance, nous ne saurions rien faire car nous n’aurions pas développé nos sens qui sont notre moyen d’accéder à la connaissance. Nous aurions des sensations, mais nous serions incapables de les décrypter : nous serions « un parfait imbécile, un automate, une statue immobile et presque insensible » (p. 111).

La période de l’enfance est donc nécessaire d’où l’idée de prendre son temps, de ne pas brûler les étapes.

La nécessité est le développement des sens.

Rousseau oppose une raison abstraite et une raison sensitive.

« l’enfance est le sommeil de la raison » (p. 209)

« Je suis cependant bien éloigné de penser que les enfants n’aient aucune espèce de raisonnement » (p.210).

L’enfant n’a pas de raison abstraite qui lui permettrait de comparer les choses entre elles, d’en créer une idée et de les mémoriser.

Mais il a une raison sensitive qu’il faut commencer par développer.

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18

« Le sommeil de la raison » est celui de la raison abstraite qui ne pourra s’éveiller que par un développement de la raison sensitive qui, elle, est formée pendant les douze premières années.

La formation de l’enfant suit ce processus :

Les sensations qui proviennent de différents sens – le sens commun qui met en relation les données venant de ces différents sens, ce qui crée des idées simples dans la raison sensitive (exemple la notion de distance ou de propriété) – le rapport des idées simples entre elles crée des idées complexes par la raison abstraite (p. 316).

Donc l’enfance est une étape nécessaire pour développer sa raison abstraite qui n’a des connaissances que par l’intermédiaire des expériences et des sensations. Il faut que les idées simples soient claires et exactes pour que les idées complexes le soient aussi.

« Le chef d’œuvre d’une bonne éducation et de faire un homme raisonnable : et l’on prétend élever un enfant par la raison ! C’est commencer par la fin » (p. 172) : il faut commencer par la raison sensitive sans laquelle la raison abstraite ne peut se construire correctement.

Rousseau refuse ainsi tout apprentissage abstrait : ce sont « des mots, encore des mots et toujours des mots » (p. 211).

• L’étude des langues :

L’enfant apprend sa langue maternelle, car il la pratique.

Mais il ne peut pas apprendre une seconde langue. Il faudrait qu’il sache comparer les idées entre les deux langues, ce qui n’est pas possible.

Quelqu’un de langue maternelle allemande parlera latin, français, anglais comme s’il parlait allemand. Il utilisera des synonymes, mais il ne parlera pas vraiment comme un véritable français ou anglais.

• La géographie : « Qu’est-ce que le monde ? C’est un globe de carton ? ».

Les enfants savent placer des villes et des pays sur un planisphère mais ils n’ont aucune représentation spatiale du globe terrestre ou des distances et ils ne pourraient pas s’orienter dans le jardin paternel même avec un plan (p. 213).

• L’histoire : l’enfant ne comprend pas les causes et les conséquences des événements ni leur idéologie et valeurs morales.

Sur la maladie d’Alexandre, il ne retient que le fait qu’Alexandre ait bu d’un trait, sans sourciller, un breuvage de mauvais goût, ce qui le rend très courageux aux yeux de l’enfant, car lui-même, malade il y a 15 jours, avait eu de la peine à boire ses médicaments.

• La littérature :

« Emile n’apprendra jamais rien par cœur, pas même des fables » (p. 219).

La morale des fables de la Fontaine ne convient pas à leur âge : ils ne peuvent pas la comprendre et cette morale les porte plus au vice qu’à la vertu.

Les vers rendent les fables plus faciles à retenir, mais plus difficiles à concevoir.

Dans la fable du Corbeau et du renard, Les enfants prennent le parti du renard et se moquent du corbeau.

Donc ils n’apprennent pas à se méfier de celui qui les flatte, mais ils apprennent à flatter autrui pour le voler.

On apprend aux enfants qu’il y a des hommes qui flattent et qui mentent pour leur profit et on lui fait admirer ce type d’homme à travers le renard.

« Quelle horrible leçon pour l’enfance, » (p. 225).

« La lecture est le fléau de l’enfance » (p. 227).

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19 Jusqu’à douze ans, Emile n’aura pas de livre. Le premier livre que le gouverneur lui donnera sera l’histoire de Robinson Crusoé, mais en enlevant les passages les plus romanesques : l’essentiel est d’étudier comment ce personnage survit seul sur une île déserte sans société.

Que l’enfant lise et apprenne des mots, aussi rares soient-ils, ne signifient pas qu’il en maîtrise les idées.

Il n’y a que l’expérience des choses qui puisse lui donner des idées exactes.

Mémoire du sensible : « tout ce qu’il voit, tout ce qu’il entend le frappe et il s’en souvient » (p. 219).

« tout ce qui l’environne est le livre dans lequel, sans y songer, il enrichit continuellement sa mémoire en attendant que son jugement puisse en profiter » (p. 219).

« la première raison de l’homme est une raison sensitive ; c’est elle qui sert de base à la raison intellectuelle : nos premiers maîtres de philosophie sont nos pieds, nos mains, nos yeux ».

« Pour apprendre à penser, il faut donc exercer nos membres, nos sens, nos organes, qui sont les instruments de notre intelligence » (p. 246).

Et pour bien exercer ses membres et ses sens, il faut « un corps robuste et sain ».

« c’est la bonne constitution du corps qui rend les opérations de l’esprit faciles et sûres » (p. 246).

Au reproche qu’on pourrait lui faire de perdre du temps, douze ans, à développer les sens et le corps de l’enfant alors qu’il les développe naturellement tout seul, Rousseau rétorque que le futur savoir de l’enfant aura des fondements solides.

Exemple du trésor de Saint-Marc : les Vénitiens montrent ce trésor à l’ambassadeur d’Espagne. Ce dernier regarde sous la table et réplique qu’il n’y a pas de racine. Leur richesse est vaine, elle ne repose sur rien, sur aucun talent, aucun acquis, comme le savoir des plus savants ne repose sur rien : ce ne sont que des mots appris, sans expérience, sans expérimentation. Emile, lui, pensera par lui-même.

« Substituer des livres à tout cela, ce n’est pas nous apprendre à raisonner, c’est nous apprendre à nous servir de la raison d’autrui ; c’est nous apprendre à beaucoup croire et à ne jamais rien savoir » (p. 246).

Donc Emile reste ignorant le plus longtemps possible : ignorant de tout savoir abstrait, mais il apprend par ses expériences.

« j’enseigne à mon élève un art très long, très pénible […] c’est celui d’être ignorant » (p. 246).

Qu’apprend Emile par ses expériences et ses sens (son véritable livre) ?

• Ce qui suscite son intérêt présent et qu’on ne lui impose pas

« ils ne peuvent rien apprendre dont ils ne sentent l’avantage actuel et présent, soit d’agrément, soit d’utilité » (p. 228).

« désir d’apprendre » « toute méthode sera bonne » (p. 228).

« Emile saura parfaitement lire et écrire avant l’âge de dix ans, précisément parce qu’il m’importe fort peu qu’il le sache avant quinze » (p. 229).

De toute façon, Emile n’aura pas de livre. Mais il peut apprendre à lire quelques lignes d’écriture par exemple.

• Exemple d’apprentissage d’une notion abstraite par l’expérience concrète (p. 189-194) :

Connaissance de la société au livre III de 12 à 15 ans et de la morale au livre IV de 15 à 20 ans.

Mais avant 12 ans, initiation à la notion de morale.

On limite cette initiation à l’utilité présente et on la réalise pour éviter que l’enfant se croit un maître tout puissant et fasse du mal à quelqu’un sans le savoir et sans scrupule.

(20)

20 Ce qui importe est la conservation de soi-même et son bien-être à ce stade de l’enfance.

Donc le premier sentiment de justice est celui qui nous est dû. On ne comprend l’injustice subie par autrui que par celle que nous subissons nous-mêmes.

C’est une erreur de parler aux enfants de leurs devoirs avant de leur parler de leurs droits, car leurs devoirs ne les intéressent pas mais leurs droits, si.

La seule source qui peut faire naître en lui la conscience de ses devoirs est celle de ses intérêts.

On commence par lui donner l’idée de la propriété donc il doit posséder quelque chose.

L’enfant cultive des fèves. Elles sont siennes : il a donné de son temps, de sa peine, de sa personne, de son travail dans leur culture.

Un jour, il trouve ses fèves arrachées.

Il sent pour la première fois le sentiment de l’injustice.

On découvre que c’est Robert le jardinier qui a fait le coup.

Le jardinier explique, sans faire la morale, qu’Emile a planté ses fèves sur ses graines de melon de malte tout juste levées et qu’il ne pourra pas remplacer car elles sont exceptionnelles.

Emile et Robert le jardinier trouvent un accord : chacun cultivera une partie du jardin et ne touchera pas aux plantations de l’autre.

Avoir une propriété n’est pas un droit naturel mais un droit qui dérive d’un accord, d’une convention avec autrui.

Emile a appris le sentiment de l’injustice, l’idée que le droit de propriété remonte au droit naturel du premier occupant et l’idée d’un accord avec l’autre pour se partager la propriété.

L’explication et l’exercice s’arrêtent là car Emile n’est pas assez âgé pour en apprendre plus.

C’est une leçon en action et non en discours car l’enfant oublie ce qu’on lui dit, mais pas ce qu’il fait.

NB : Emile revit l’origine de la propriété privée. La seule légitimité de cette propriété est le travail. Le paysan devrait posséder les terres qu’il cultive. Le grand propriétaire terrien, rentier, est donc un accapareur.

La majorité des lecteurs de Rousseau sont des nobles, propriétaires terriens. Critique de la colonisation de Nunez Balboa sur les côtes de l’Amérique du Sud au nom du roi d’Espagne.

• Développement du sens du toucher, davantage que celui de la vue

Le sens de la vue est étendu et rapide : par la vue nous percevons rapidement notre environnement même lointain, donc les autres sens ont moins de capacités.

Les illusions de la perspective sont même utiles pour estimer les distances : « si de deux arbres égaux, celui qui est à cent pas nous paraissait aussi grand […] que celui qui est à dix, nous les placerions à côté l’un de l’autre ».

Mais il faut se méfier de la vue car elle fonctionne avec l’illusion et l’imagination.

En revanche, le toucher est le sens que nous développons le plus par un exercice continuel.

Il permet d’avoir un jugement sûr car il ne s’étend aussi loin que nos mains, nos pieds ou notre peau. Il ne laisse donc pas place à l’imagination.

Bien plus, il rectifie le sens de la vue qui peut nous tromper.

Mais le développement du toucher, qui est un sens sûr, est gêné par la vue : nous nous fions davantage à ce que nous voyons en restreignant le sens du toucher, alors que les aveugles ont un toucher beaucoup plus développé.

Et nous accordons plus d’importance à la vue, alors que nous dormons la moitié de la journée :

« nous sommes aveugles la moitié de la vie » (p. 264).

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