FACULTE DE MÉDECINE ET DE PHARMACIE DE BORDEAUX
ANNÉE SCOLAIRE 1899-1900 N° 51.
ÉTUDE CLINIQUE ET EXPÉRIMENTALE
SUR LES
Luxations Dorsales Internes à Gros Orteil
THESE POUR LE DOCTORAT EN MED1
Présentée et soutenue publiquement le 5 Janvî^"1900
PAR
Pierre-Jean-Henri JOLY
Né le 31 mars 1871 à Saint-Ciers-la-Lande (Gironde).
MM. LANELONGUE, professeur, Président.
Examinateursdela thèse...
!
POUSSON,1agrégé,l'r0,9sseur- {
> Juges.,VILLAR, agrégé, )
Le Candidat
répondra
auxquestions qui lui seront faites
surles diverses
partiesde l'enseignement médical.
BORDEAUX
imprimerie de g-. DELMAS
•10-12, rue Saint-Christoly, 10-12
A 900
FACULTÉ DE MÉDECINE ET DE PHARMACIE DE BORDEAUX
M. deNABIAS Doyen. | M. PITRES... Doyen honoraire.
PROFESSEURS : MM. MICE
DUPUY MOUSSOUS.
Professeurshonoraires.
Clinique interne.
Cliniqueexterne j Pathologie et thérapeu¬
tique générales Thérapeutique
Médecineopératoire Clinique d'accouchements...
Anatomie pathologique..
Anatomie
Anatomiegénérale et histologie.
Physiologie Hygiène
MM.
PICOT.
PITRES.
DEMONS.
LANELONGUE.
VERGELY.
ARNOZAN.
MASSE.
LEFOUR.
GOYNE.
CANNIEU.
VIAIILT.
JOLYET.
LAY ET.
Médecinelégale Physique Chimie
Histoire naturelle...
Pharmacie Matière médicale Médecine expérimentale.
Cliniqueophtalmologique...
Cliniquedesmaladies chi¬
rurgicales des enfants.
Clinique gynécologique..
Clinique médicale des maladies des enfants..
Chimiebiologique
MM.
MORACHE.
BERGON1É.
BLAREZ.
GUILLAUD.
FIGUIER.
deNARIAS.
FERRÉ.
BADAL.
PIÉCHAUD.
BOURSIER.
A.MOUSSOUS.
DENIGÈS.
AGREGES EN EXERCICE :
section de médecine (Pathologie interneet Médecine légale).
MM. CASSAET.
AUCIIE.
SABRAZFS.
MM. LeDANTEC.
HOBBS.
section de chirurgie et d accouchements
Pathologieexterne
MM. DENUCE.
V1LLAR.
BRAQUEHAYE.
CHAVANXAZ.
Accouchements MM. CHAMBRELENT.
FIEUX.
section des sciences anatomiques et physiologiques
Anatomie. MM. PRINCETEAU.
N...
Physiologie Histoire naturelle
MM.PACTION.
BEILLE.
Physique.
section des sciences physiques
M. SIGALAS. | Pharmacie.... M. BARTHE.
COURS COMPLÉMENTAIRES :
Clinique desmaladies cutanées etsyphilitiques MM. DUBREUILH.
Clinique des maladies desvoies urinaires
Maladies dularynx, desoreillesetdunez.
Maladies mentales Pathologie interne Pathologie externe Accouchements Chimie Physiologie Embryologie Ophtalmologie
Hydrologieetminéralogie
POUSSON.
M()URE.
RÉGIS.
RONDOT DENUCÉ- CHAMBRELENT.
DUPOUY.
PACHON.
N...
LAGRANGE.
CARLES.
Le Secrétaire de la Faculté:LEMAIRE.
Pardélibération du5août1879,la Facultéaarrêtéqueles opinions émises dans les thèsesquilu'
sont présentées doivent être considérées comme propres à leursauteurs, et qu'elle n'entendleur
donner niapprobation ni improbation.
A MON PRÉSIDENT DE
THÈSE
M. LE PROFESSEUR'LANELONGUE
Professeur de Clinique Chirurgicale a la Faculté de
Médecine
deBordeau
Chevalier de la Légion d'honneur
Hommage respectueux.
Introduction.
A la rareté des luxations du gros
orteil, doit
sansdoute être
attribuée l'indifférence des auteurs à leur
égard. Quelques lignes
noussuffiront donc
pourrésumer l'historique de
ces lésions.La
plupart des classiques
secontentent de signaler leur analogie
avecles luxations du
pouce,plus fréquentes et,
par¬tant, mieux étudiées.
« Le modede réduction
estle même, dit Hippocrate, cependant les plus
grossesphalanges sont tou-
. )
jours les plus difficiles à réduire.
»Pour Celse, la thérapeu¬
tique
estla même, qu'il s'agisse des luxations des orteils
ou desdoigts. C'est
envain
quel'on demanderait des détails plus complets à Ambroise Paré
: «Les doigts du pied
seluxent
en
quatre manières, dit le père de la chirurgie,
commeles doigts de la
main et la manière de les réduire estaussi
sem¬blable, qui est de les tirer
enligne droite et les
pousser enleurs jointures
et les bander commodément ». Les auteursqui ont suivi,
ycompris Boyer,
nesont
pas.plus explicités- C'est ."à
1.
— 8 —
Malgaigne
quenous devons le premier ouvrage didactique sur
ce
sujet. L'auteur des Fractures et des Luxations nous dote
de la
classification suivante
:1° Luxations en
haut
et enarrière;
2° Luxations en
haut et
endehors
;3° Luxations en
haut et
endedans, dernière variété signa¬
lée par
lui comme extrêmement rare.
C'est
précisément l'étude de ce dernier genre de luxation
du gros
orteil qui fait l'objet de ce travail. Aux deux observa¬
tions de Notta et
de Malgaigne lui-même, que cite Blum dans
son ouvrage
intitulé .' Chirurgie du pied, nous en ajoute¬
rons une
troisième, recueillie à l'hôpital Saint-André, de Bor¬
deaux.
Le
plan
quenous avons adopté dans cette étude a été ainsi
conçu :
Chapitre premier. —
Etude sommaire des luxations du gros
orteil
habituellement décrites, auxquelles nous donnerons le
nomde luxations
normales.
Chapitre IL —
Étude clinique, accompagnée d'expériences
personnelles sur les luxations du gros orteil, exceptionnelle¬
ment
rencontrées,
que nousnommerons luxations anormales.
Chapitre
III.
—Parallèle entre les luxations anormales du
gros
orteil et les luxations anormales du pouce.
Chapitre
IV.
—TJiérapeutique.
Chapitre
V.
—Conclusions.
Avant
d'aborder notre sujet, qu'iLnous soit permis d'adres¬
ser à notre
Maître, M. le Professeur Lanelongue, tous
- 9 —
nos
remerciements
pourl'honneur qu'il nous a fait en accep¬
tantla
présidence de cette Thèse. Que ce modeste travail, dont
nousle
prions d'accepter la dédicace, soit pour lui le gage de
l'affection etde
l'attachement bien sincères de
sonélève, et de
son admirateur.
Nous sommesheureux
de remercier M. le Professeur Bour¬
sier, qui fut aussi
unde nos Maîtres, de nous avoir autorisé à
publier
uneobservation recueillie dans son service. Cette
faveur et son
enseignement
nousont fait contracter envers lui
une double dette de reconnaissance.
A l'extrême amabilité de M.
le Professeur Bergonié
nousdevons les
radiographies reproduites à la fin de cet ouvrage.
Nous le remercions de
grand
coeurdu vif intérêt et de la bien¬
veillance
qu'il n'a cessé de
nousprodiguer.
M. le Docteur Junior
Vitrac, qui
nous ainspiré le sujet de
cette
Thèse,
adroit à notre vive reconnaissance pour les
conseils éclairés et l'amitié dont il a
bien voulu
noushonorer.
CHAPITRE PREMIER
Étude sommaire des luxations
normales du gros orteil.
Division. — Nous diviserons l'étude des luxations du gros orteilen deux
grandes variétés.
1° Luxations normales.
2° Luxations anormales.
Nous
appellerons normales les luxations classiques, c'est-
à-dire celles
qui
sefont
enhaut,
enarrière et
endehors. A
cette variété nous donnerons le nom de luxations dorsales externes.
Nous
appellerons luxations anormales les luxations très
rares
qui
sefont
enhaut,
enarrière et
endedans. C'est à
cette variété que nous
donnerons le
nomde luxations dorsales
internes.
Comme pour
le
pouce,les luxations dorsales du
grosorteil
peuvent
être
:{a) Simples incomplètes,
[h) Simples complètes,
(e) Complexes.
— 12 —
Avant d'aborder F étude des luxations
anormales, il
nousparaît logique de faire
uneétude sommaire
des luxations normales et derappeler
enquèlques mots leur étiologie, leur mécanisme, leurs symptômes et leur traitement.
(a) Luxation incomplète.
—Nous
neconnaissons
aucune observationclinique de
cedéplacement. Cependant, le premier métatarsien peut,
commele premier métacarpien, présenter
uneconfiguration anormale,
une crête surlaquelle,
comme pour
le
pouce,la sangle sésamoïdienne puisse
passer et resteraccrochée, constituant
alors le mode de luxation dontnous nous occupons.
(h) Luxation simple complète.
—Elle
estsemblable
àla
luxationmétacarpo-phalangienne du
pouce enarrière
et,comme cette
dernière,
estle
résultat de l'extension forcée.(c) Luxation complexe.
—La transformation de la luxa¬
tion
complète simple
encomplexe s'effectue si l'on rabat la phalange
entirant dessus
pourréduire.
Étiologie.
—Les luxations du
grosorteil sont
rares, moins rarescependant
quecelles des
autresdoigts,
car,d'après
unestatistique de Paulet,
sur50
casobservés
31 serapportaient
au grosorteil. Cette fréquence plus grande trouve
sonexplication dans les dimensions
énormesdu
gros
orteil
parrapport
auxautres doigts du pied et dans la
saillie
exagérée qu'il fait à la partie antéro-interne du membre
inférieur.
Les causes
variables, capables de déterminer les luxations
du gros
orteil peuvent
segrouperentrois classes
:1° Renversement du gros
orteil
enarrière,
parexemple,
dans l'action de donnerun coup
de pied. Témoin l'observation,
rapportée
parBernard, d'un jeune homme de 21
ansqui se
— 13 —
luxe le gros
orteil
endonnant un violent coup de pied à un
âne rétif.
2° Laface
plantaire de l'orteil est brusquement appelée à supporter tout le poids du corps, comme lorsqu'un cavalier se
dresse sur ses étriers ou saute à terre.
3° Le traumatisme
porte,
non surla phalange, mais
surle
métatarsien, dans le
casd'une pression violente agissant
sur le bord interne dupied,
commele
passaged'une
rouede
voiture.
Nous ne ferons que
rappeler la fréquence plus grande de
ces luxations chez l'homme que
chez la femme. Les cavaliers, charretiers,
etc., ysont plus particulièrement exposés.
Mécanisme. —
Lorsque, obéissant à l'une des
causeséco¬
logiques énoncées, le
grosorteil
setrouve porté dans l'exten¬
sion
forcée,
ce mouvementd'extension
a poureffet de produire la rupture de la portion de l'aponévrose plantaire qui
aboutit à la
gaine du fléchisseur. La gaine du tendon
se déchire ensuite etcelui-ci, devenu libre,
seporte
endehors,
versle
premier
espaceinterosseux.
C'est ensuite le tour du
ligament glénoïdien de
se rompre à ses attachesmétatarsiennes,
etles deux
ossésamoïdes, emprisonnés dans
leligament glénoïdien, suivent le
mou¬vement de la
phalange
pourvenir
seplacer
surle dos du
métatarsien.
La luxation
simple complète est ainsi constituée.
Symptômes.
—L'orteil
est dressé presqueà angle droit
sur laphalange; il forme
un Z mal fait avec lemétatarsien.
Traitement.
— Le traitement estcopié
surcelui de la luxation
du pouce.On maintient la phalange redressée et
on la faitglisser
sur le dos dumétatarsien,
« engrattant l'os
».Le cette
façon la phalange
pousseradevant elle les sésa-
— 14 —
moïdes,
etlorsque sésamoïdes
etphalange auront franchi le
bord du
cartilage, la luxation
seraréduite.
Telle est,
rappelée d'une façon
trèssommaire, l'étude
des luxationsclassiques
ounormales du
grosorteil.
Nous allons aborder maintenant l'étude des luxations que
nous avons
appelées anormales.
CHAPITRE II
Luxations anormales ou dorsales
internes.
Etucle
clinique.
—Nous
pouvonsciter trois observations cliniques prouvant l'existence des luxations dorsales internes
du gros
orteil. De
cestrois observations, l'une
aété publiée
en entier par
Notta; la seconde est mentionnée par Malgaigne
dans son Traitédes Fractures et des
Luxations. Malheureu¬
sement,
l'éminent chirurgien
nedonne
pasdes détails sur
les circonstances danslesquelles s'est produit l'accident, et
nous ne pouvons
qu'ajouter foi
audiagnostic porté. Enfin, la
troisième observation a été recueillie à
l'hôpital Saint-André
de
Bordeaux, dans le service de M. le Professeur Boursier.
I. — Nous transcrivons in extenso
l'observation publiée
par
Notta (Revue Médico-Chirurgicale, 1850, t. VIII,
p.
373).
Un charretier, âgé de 47 ans, de bonne
constitution, entra à l'hôpital
Saint-Antoine le 17 septembre 1848,
service de M. Nélaton.
Vers 4 heures de l'après-midi, il
était auprès d'un tombereau
— 16 —
chargé de terre, lorsque, son cheval faisant un léger mouvement en avant, il eutle bord interne du pied droit pincé entre le solet laroue.
A l'instant même, il s'accrocha àsa voiture etfit des efforts pourretirer
son pied; il ne pouvaityparvenir, lorsque le cheval, faisantun pas en arrière, lui permit de se dégager. Il avait éprouvé une vive douleur et il lui étaitimpossiblede marcher : on l'apporte àl'hôpital.
Le 17, àla visite, nousle trouvons dans l'état suivant :
A la face dorsale du pied, on voit une tuméfaction assez marquéeà
sapartie externe, trèspeu prononcée à son bord interne; à la partie postérieure et interne du calcanéum, la peau présente unepetite plaie superficielle. En arrière de la première phalange du gros orteil et le long du bord interne et supérieur dupied,existe une dépressionen coup dehache, limitée brusquement en avant etenhautparle bord supérieur
de la cupule articulaire de la première phalange, qui fait une saillie considérable et que l'on sent très distinctement sous les téguments. Si
on promène les doigts le long de cette dépression, on constate que le premier métatarsien est intact, et lorsqu'on arrive derrière la saillie de
la première phalange, on peut saisir entre l'index et le pouce la tête
du métatarsien surlaquelle la phalange remonte unpeu. En imprimant
alors des mouvements à la phalange, on sent que ces mouvements se passent au-dessus de latète du métatarsien, '
La face plantaire du pied ne présentepas de déformation appréciable; si, avec le doigt, on contourne le bord saillant de la cupule articulaire
de la première phalange, ontrouve, vers son bord interne, près de sa face plantaire, une dureté qui se continue avec laphalange, faitun peu
saillieen dedans et est constituée parles os sésamoïdes.
L'axe du gros orteil estoblique d'arrièreen avant et de dedans, en dehors. Le tendon de l'extenseurest déjeté en dehors et caché par le gonflement des parties molles, mais on le sent très bien lorsque le
malade faitun mouvementd'extension.
Du tubercule du scaphoïde au bord postérieur de l'ongle du gros orteil, la mensuration donne pour le pied gauche 14 centimètres et,
pourle pied droit, 13 centimètres seulement.
Il y a donc un raccourcissement de 1 centimètre. Les mouvements d'extension du gros orteil se font aussi bien que du côté sain et sont exempts de douleur : le mouvement de flexion est impossible.
Pourréduire, M. Nélaton applique les quatre doigts de la main gau¬
che sur laface plantaire du premier métatarsien qu'il cherche à refouler
enhaut,tandis qu'avec le poucede la mêmemain, il repousse enavant
— 17 —
l'extrémité
postérieure saillante de la phalange luxée. En même temps,
del'autre main, ilpresse
de haut
enbas et de dedans en dehors sur la
facedorsale et interne de
la phalange, pendant qu'un aide exerce des
tractionssur l'extrémité de
l'orteil.
Laréductions'opèrefacilement;Une
petite attelle est appliquée sur
lafacedorsale du gros
orteil et du métatarsien correspondant et y est
maintenue avec quelques tours
de bande.
Le26, iln'yavaitaucune
tendance
audéplacement; les mouvements
dudoigt étaient
libres. On supprime l'attelle en recommandant seule¬
ment le repos au
lit.
Le26octobre, le malade
quitte l'hôpital. Les mouvements du gros
orteil sont normaux. Lepied
n'est plus enflé. On conseille néanmoins au
malade degarderie repos encore
pendant quelques jours.
Acette
observervation, Notta ajoute les réflexions suivantes :
On sait que, le plus
souvent, la luxation du gros orteil s'opère en
dehors. Ici, au contraire, elle
avait lieu
endedans et en haut. Nous
trouvonsfacilementla raison de cette
direction dans
sonmode de pro¬
duction. En effet, le poids de
la
roueparaît avoir déprimé le premier
métatarsien etl'avoir refoulé en bas et en
dehors, pendant que le gros
orteilétait probablement
repoussé
enhaut par quelque saillie du sol.
J'appellerai aussi
l'attention
surl'absence complète de ces accidents
inflammatoires qui viennent
si souvent compliquer ces luxations, sur la
facilitéavec laquelle on apu
réduire, bien
quela luxation datât déjà de
dix-huitheures, et enfin surla
rapidité de la guérison.
II.—Nous
extrayons du Traité des Fractures et des Luxa¬
tions de
Malgaigne le
passagesuivant :
Luxations en haut et en dedans. — M. Notta en a
publié
uncas et j'en possède une autre
observation, recueillie dans le service
de M. Baffos, en 1838. Les phénomènes
sont à
peuprès les mêmes que
dans la variété précédente
(luxation
enhaut
et enarrière), seulement
laphalange estportéeen haut eten
dedans à la fois et l'orteil est incliné
en dehors; dans les deux cas, le
racourcissement était de 1 centi¬
mètre.
M. Nottaatrouvé au bord interne de lacupule
de la phalange, près
— 18 —
de sa face plantaire, une saillie osseuse constituée par les os sésa- moïdes.
La réduction s'opère facilement dans les deux cas, en faisant tirer
sur l'orteil et pressant des deux pouces sur l'extrémité postérieure de
la phalange. Huit jours après, le malade de M. Baffos marchait déjà, l'autre futgardé dix-neufjours aulit, bienque sans accident, etj'estime
que c'estlà le parti le plus sage.
Unequestion se présente ici: la luxation en dedans serait-elle plus
facile àréduire, ce qui conduirait à reporter dans ce sens la phalange primitivement luxée en haut et en arrière? J'en laisse la solution à l'avenir; cependant,je crois utile de noter que dans les deux luxations
si rebelles de Hargrave et de M. Collette, la phalange semblait s'être
un peu déplacée en dehors. M. Collette note, en effet, que le premier métatarsien offrait une direction très oblique en avant, en bas et en dedans; et, dans l'autre cas, lorsque l'on procéda à la résection, on trouvalaphalange reposant sur la face supérieure et externe du méta¬
tarsien et logée solidement dans l'intervalle qui le sépare du second.
Peut-être aussi la suppuration qui avaiteu lieu avait-elle déterminé ce
déplacement latéral: il est bien regrettable d'en être réduit à des con¬
jectures sur des faits qui auraient été si faciles à vérifier.
III. — Nous citerons en dernier lieu une observation recueillie dans le service de notre maître,
M. le Professeur
Boursier:JeanC..., âgé de 55 ans, exerçant la profession de charretier,
est
entré à l'hôpital Saint-André, salle 10, lit 6, dans le service de M. le ProfesseurBoursier, le 27 février 1899, à la suite d'un accidentqui
lui
était arrivé, quelques heures auparavant, dans les circonstances sui¬
vantes:
Etant assis sur sacharrette et conduisant son véhicule, Jean C...
laissa, parmégarde, tomber unpaquet sur le sol. Il voulut le ramasser sans arrêterson attelage. Pour cela faire, il s'étendit à plat ventre sur la charrette, latête et le bras
(gauche)
penchant à gauche, du côté de l'objet àramasser, le pied droit, au contraire, en dehors et à droite du véhicule, entre laroue et le «ranchet» entrelesquels le pied subit un traumatismeviolent; l'attelage poursuivant saroute, la roue continuantà tourner, Jean C.. .. ressentit une douleur extrême. Il eut cependant
— 19 —
la forcede seretourneret
d'arrêter l'attelage. Mais il continua à souffrir
horriblementdu pied
droit, qu'il lui fut impossible d'appuyer sur le sol.
C'est pour ce
motif qu'il
selit transporter à l'hôpital Saint-André, où
nousl'avons examiné quelques
heures après l'accident.
Examen. — Au niveau de la face
plantaire du pied droit,
nousavons
constaté une forte ecchymose, sur
laquelle
nousn'insisterons pas davan¬
tage. Le gros
orteil regardait à droite
;il était manifestement plus court
que legros
orteil du pied gauche. Au niveau de l'articulation métatarso-
phalangienne
du
grosorteil, la moindre pression était douloureuse. A la
palpationon
sentait
unrebord
osseuxen avant de l'interligne articulaire,
rebordque l'on
reconnaissait facilement comme étant celui de la cavité
glénoïde.de
la phalange. Enfin, tout mouvement dans cette articulation
étaitimpossibleet toute
tentative de mouvement provoqué horriblement
douloureuse.
Ces symptômes
suffirent
pourfaire porter
parM. Boursier le diag¬
nostic de luxation
viétatarso-phalangienne du
grosorteil. On décida,
néanmoins, de faire radiographier
le pied du malade (première radio¬
graphiereproduite à
la fin de
cetravail),
nonseulement pour se rendre
un compte exactde
la situation des surfaces osseuses articulaires, mais
encorepourvoir si le
traumatisme occasionnel de la luxation n'avait pas
enoutre provoqué de
fracture, soit du côté du métatarse, soit du côté de
laphalange, cedont l'examen
seul
nepouvait suffire à nous renseigner,
étant donnée la douleur assez limitée
provoquée
parla palpation.
Le28février, M. leProfesseur
Bergonié
afait la radiographie. Elle
estintéressante à différents points de vue.
On voit d'abord que la cavité
glénoïde de la phalangedugros
orteil
aabandonné le condyle du métatar¬
siencorrespondant. Mais ce
n'est
pastout
;les
ossésamoïdes, auxquels
FarabeufetCooperont ont
fait jouer
unrôle important dans le mécanisme
et les difficultés de réduction des luxations du pouce et
du
grosorteil,
sont, danscetteradiographie,très
manifestement visibles. L'os sésamoïde
internedu gros orteil a suivi la
phalange dans
sondéplacement. De plus,
l'os sésamoïde externe, aulieu d'avoir, comme son
congénère, suivi le
déplacement de la phalange,
semble avoir voulu s'en éloigner et a été
portédans lepremierespace interosseux.
Lamanœuvre de réductionqui,sousle
chloroforme,
aété assez facile,
aété absolument copiéesur celle que
Farabeuf conseille pour luxations
du pouce. Lepied étant fortement
maintenu
pardes aides, le gros orteil,
saisiavec lapince deFarabeuf,a été
ramené à angle droit avec l'axe du
métatarsien,
puis ramené dans saposition normale, grâce à un mouve-
-r- 20 —
menten arc de cercle, en ayant soinque la
phalange luxée s'appuie
constammentsurle métatarsien correspondant et le « rase »
dans
son mouvement. Cette manœuvre a été facilement exécutée et a permis deremettre laphalange en place sans que
la réduction fût gênée
par une interpositionde muscles oude la sangle sésamoïdienne.
Deux attelles en carton ontété placées en avant et en
arrière, de
manière àmaintenir la réduction. .
Tels sont,
rapportés
enentier, les trois faits cliniques que
nous
possédons
surles luxations dorsales internes du gros
orteil.
Étude expérimentale.
—Dans le but de
nousrendre compte
du mécanisme de ces
déplacements
osseux, nousavonsentre¬
pris des expériences cadavériques
quenous nous proposons
de relater ici.
Nous avons
expérimenté
surdes cadavres des deux sexes,
de 20 à 70 ans.
Mais, de préférence,
nous avonsfait choix
d'hommes adultes
vigoureux, de 35 à 50
ans, pour nous rap¬procher autant
quepossible des conditions dans lesquelles ces
lésions se sont
produites chez les malades dont les observa¬
tions ontété
rapportées plus haut.
Tout
d'abord,
nousferons
remarquerla très grande difficulté
que
l'on éprouve
pourproduire
uneluxation du gros orteil.
C'est l'instrument même
qui sert à réduire
cesluxations,
c'est-à-dire la
pince de Farabeuf, qui
nous aservi à les cons¬
tituer. À l'aide de ce
puissant levier
nous avons puarriver à
notre but.
Disons
aussi,
pourêtre complet,
quesouvent
nousavons
obtenu des déchirures des
téguments, quelquefois même des
fractures sans
produire la luxation attendue.
Les manœuvres
auxquelles
nous avons eu recourssont les
suivantes : flexion
forcée, suivie d'adduction
etd'abduction forcées, auxquelles
nous avonsdû souvent joindre des mouve¬
ments de torsion et de rotation.
— 21 —
Nousavons
constaté, dans
cesconditions, qu'il, nous était
possible de produire deux variétés de luxations dorsales
internes :
1° Luxation
complète interne,
2° Luxation
complexe interne,
la seconde
variété n'étant qu'une complication de la pre¬
mière. En effet,
il
nous atoujours été impossible d'arriver à
produire la seconde sans avoir produit préalablement la pre¬
mière.
A. — Etucle
expérimentale de la luxation incomplète. —
Nous n'en avons aucun
exemple clinique et les cadavres sur lesquels
nous avonsexpérimenté ne présentaient aucun la
disposition anatomique exceptionnelle nécessaire pour la pro¬
duction de cetteluxation etsur
laquelle
nousayons déjà insisté.
B. — Etude
expérimentale de la luxation complète
interne. — Nous avons pu
constater que le tendon du fléchis¬
seur se luxe
toujours
endedans dans la luxation dorsale
interne. Constituant
ensuite des luxations normales
oudorsales
externes, nous avons pu
constater dans tous les cas la luxation
endehors du tendon du
long fléchisseur. Nous pouvons donc
donner comme
règle
quela luxation dorsale interne est
accompagnée de la luxation interne du tendon du long flé¬
chisseur.
Nous ferons remarquer que, pour
obtenir le renversement
complet du
grosorteil, il est nécessaire que les efforts soient
assez violents pour que
le tendon du long fléchisseur ait
déchiré et
quitté
enpartie
sagaine phalangienne. Une simple
considération
mécanique
nous enfournit l'explication. Dans
l'extension
forcée, le tendon
passeentre les sésamoïdes à la
manièred'une corde dans la gorge
d'une poulie. Le maximum
de tension du tendon
impose à l'extension de la phalange un
maximum
qui
nesaurait
êtredépassé
quelorsque le tendon
a
dérapé hors de
sagaine.
Ce
déplacement
a pourconséquence le déplacement interne plus facile de la phalange. Ce déplacement est constitué
par letransport de la face articulaire de la première phalange du
gros
orteil dans
unplan plus rapproché de la ligne médiane
du corps que
celui dans lequel
setrouve le métatarsien
corres¬pondant, la phalange demeurant toutefois toujours perpendi¬
culaire à l'axe du métatarsien. Quant aux os
sésamoïdes,
l'interneest en dehors dumétatarsien,
sur lapartie dorso-
latérale du
pied et l'externe reste seul
surla face
dorsale du métatarsien.Les muscles sont
plus
oumoins endommagés, suivant la
violence du traumatisme.
C. — Etude
expérimentale de la luxation complexe
interne. — La luxation
complète interne étant obtenue
surle cadavre,
nous avons puproduire,
commecomplication de cette dernière, la luxation complexe interne. Nous
avonstoujours éprouvé
uneréelle difficulté
pourobtenir
cettevariété; chez plusieurs sujets vigoureux, même
nous avonsdû
y renoncer:Nous avons pu
constater les mêmes déchirures musculaires
que
dans la première variété.
Le
parallélisme de la phalange et du métatarsien
estdonc
la seulecaractéristique de la luxation complexe interne. Ce parallélisme n'est qu'apparent,
carla phalange est couchée
un peu
d'arrière
enavant et de dedans
endehors.
CHAPITRE III
Parallélisme entre les luxations
anormales du gros orteil
et les luxations anormales du pouce.
Au
point de
vueanatomique, le
pouceest constitué de la
même manière que
le
grosorteil. Faire l'ostéologie et la
myo-logie de l'un
estfaire l'ostéologie et la myologie de l'autre.
Rien d'étonnant que nous soyons
amenés à trouver des
res¬semblances très
marquées entre les lésions dont l'un et l'autre
sont
susceptibles d'être le siège.
Le pouce se
luxe
presquetoujours
surla face dorsale de
son
métacarpien. 11
seporte généralement
un peu endedans
de ce
dernier,
cequi équivaut à dire
quela première phalange regarde,
par sonextrémité extérieure
ouarticulaire, du côté
du
premier
espaceinterosseux. Ce sont là les luxations
nor¬males.
Dans des cas tout à fait
exceptionnels, la luxation peut être
caractériséepar un
déplacement de l'extrémité supérieure de
la
première phalange du
pouce endehors. Ce sont les luxa¬
tions anormales.
Dans un travail
publié
en1898 dans la Revue de Chiner-
— 24 -
gie, M. le Dr Junior Vitrac étudie
cesluxations anorma¬
les
auxquelles il donne le
nomde luxations dorsales du pouce,
par
opposition
auxluxations dorsales internes ou normales.
Nous n'avons donc fait pour
le
grosorteil
querépéter la clas¬
sification
préalablement faite
pourle
pouce.Les recherches
expérimentales du Dr Vitrac aboutis¬
sentà démontrer que,
dans la luxation dorsale externe (anor¬
male) du
pouce,le tendon fléchisseur
seluxe toujours
en dehors. Nosexpériences
nousamènent à conclure
quedans
la luxation dorsale interne
(anormale) du
grosorteil, le ten¬
don fléchisseur se luxe
toujours
endedans.
. Dans les deux genres
de luxations, les muscles de l'émi-
nence
thénar, dans la main,
etles muscles de la région
cor¬respondante du pied reçoivent des déchirures
enrapport avec
la violence du traumatisme.
Les
expériences de M. Vitrac et les nôtres
nousamènent
à conclure que
la luxation complexe externe et la luxation complexe interne
nesont
quedes complications des luxations complète externe et complète interne, caractérisées
par une déviation de haut en bas et de dehors endedans, d'une part,
et par une
déviation d'arrière
enavant et de dedans
endehors,
d'autre
part.
%
CHAPITRE IV
Thérapeutique.
Quel sera le traitement à instituer en
présence d'un de
cescas de luxation? Nous ne saurions mieux faire que
de prier
le lecteur de se
reporter
auxobservations publiées dans le chapitre II. Le mode de
traitements'y trouve tout indiqué
: réduire cesluxationsanormalescommeles luxations normales.Nous insisterons sur le mode de réduction
qu'a employé
M. leProfesseur
Boursier, absolument copié
surle traitement
de Farabeufpour
les luxations du
pouceet
quel'on trouvera exposé
page19.
Mais il
s'agit là de luxations facilement
réductibles. Nousn'avons
pasd'exemple clinique de
cesluxations anormales irréductibles. Toutefois, si le
cas seprésentait,
quefaudrait-il
faire?
L'intervention chirurgicale
noussemble
toutindiquée.
Comme procédé de choix,
nousconseillerons l'arthrotomie,
qui permettra, après avoir
ouvertl'articulation, d'aller
àla
recherche
dutendonfléchisseur,
enprenant
commepoint de
repère les sésamoïdes, devoir quel rôle joue
cetendon dans
— 26 —
l'irréductibilité et d'en
pratiquer, selon les
cas,l'accrochement
ou la ténotonne.
Dans
quel point devra porter l'incision? Elle
nedevra
por¬ter ni sur la face latérale interne du gros
orteil,
car unecica¬
trice dansces
points pourrait entraîner des troubles de la
mar¬che. Nous conseillerons de la faire
porter
surla face dorsale,
suivant la direction de l'extenseur.
CHAPITRE Y
Conclusions.
1° Il existe des luxations anormalesdu gros
orteil,
que nousappellerons dorsales internes,
paropposition
auxluxations
nor¬males,
que nousappellerons dorsales
externes.2° L'étude
expérimentale de
cesluxations
nous montreque : A. — Dans la variétécomplète
:a) L'axe de la phalange redressée
estperpendiculaire à celui
du métatarsien;
la base de la phalange est déviée de dedans
en dehors.
h) Le tendon fléchisseur
est luxé en dedans.B. — Dans la variété
complexe
:a) La phalange chevauche
surla face dorsale
interne du métatarsien.I) Le tendon
fléchisseur est luxé en dedans.3° Il y a
analogie entre les luxations anormales du
grosorteil et les luxations anormales du pouce.
— 28 —
4° Le traitement sera celui
préconisé
parFarabeuf
pourles
luxations du pouce.
5° En cas d'irréductibilité par ce
procédé,
on aura recours àl'arthrotomie. L'incision devraporter
surla face dorsale du
gros
orteil.
Vu, bon à. imprimer.
Le Président de la Thèàe, M. LANELONGUE.
Vu : Le Doyen, B. de NABI AS.
Vu et permis d'imprimer.
Bordeaux, le 22 Décembre 1899.
Pour Le Recteur de VAcadémie de Bordeaux.
Le Doyen, délégué, B. de NABIAS.
*
Bibliographie.
or
Duplay et Reclus. — Traite de
chirurgie.
Vitrac
(J.).
—Revue de chirurgie,
mars1898.
Farabeuf. — Bulletin de la Société de
chirurgie, 1870.
Mai ox. — « Luxations
métatarso-plialangiennes du
gros teil »,Thèse
deMontpellier, 1896.
28859 —Bordeaux.—Imprimerie G. Delmas, rueSaint-Ghristoly, 10.