AZOTE
URÉIQUE
ETACTIVITÉ BACTÉRIENNE
IN VITRO AU NIVEAU DU RUMEN
( 1 )
II. - ESSAI DE
DÉTERMINATION
IN VITRO D’UN INDEX DERÉTENTION BACTÉRIENNE
S. Z. ZELTER
Françoise
LEROY Laboratoire de Recherches de ZootechnieInstitut National
Agronomique,
Paris.INTRODUCTION
Les
remarquables
études in vitro de PEARSON et SMITH(’)
ont lespremières
fait entrevoir lapossibilité
d’unesynthèse
bactérienne deprotéines
dans la panse àpartir
d’azote non différencié.Depuis,
McDo-NALD
( 2 )
a démontré le passage dans le sang au niveau de cet organe, de l’ammoniacmétabolique
et la conversion de ce dernier dans lefoie,
en
urée ;
une faible fraction de celle-ci(un
peu moins du huitième de N absorbé à l’état deNH 3 )
ferait retour par la voie salivaire dans les réser- voirsgastriques
où elle serait utilisée par la microflore. LEWIS( 3 )
cons-tate de son côté tout récemment chez le mouton l’absence d’ammoniac dans le sang
périphérique (sauf
étatnormal),
cequi
rendplausible
la thèsedu
stockage hépatique ;
il relève le faitqu’en
cas d’accroissement de la concentration en ammoniac dans le rumen, laperte
d’urée par voie urinaireaugmente,
en mêmetemps
que s’élève sensiblement laquantité
de N
qui
retourne par la salive dans le tractusgastrique.
Dans ces conditions et étant donnée l’extrême
rapidité
du processusuréolytique
observé par nousexpérimentalement,
onpouvait
se deman-der
si,
enfait,
lesmicroorganismes
du rumen ne se trouvaient pas dansl’impossibilité
matérielle d’utiliser correctement l’azoteuréique, qui
poursa
plus
grossepart,
serait ainsiperdu
pour l’hôte animal. Nous avons, parconséquent,
tenté d’é!!aluer la fraction d’azoteuréique susceptible
d’être retenue par la flore bactérienne de la panse aux fins de
synthèse protéique.
(’) Recherche poursuivie avec le concours financier de l’i S. i. A.
(’=) Avec la collaboration technique de !I. W vn.t.n: et C. Vi;1 =., .
TECHNIQUE
EXPÉRIMENTALE
La méthode directe des bilans in vivo constituerait certes la tech-
nique
idéale de mesure de la fraction Nuréique
utilisable par les rumi- nants ; mais elle n’estguère
réalisable momentanément pour de nom-breuses raisons : difficulté d’échantillonner correctement le contenu du
rumen dont les concentrations en métabolites sont
sujettes
à des fluc- tuationscontinuelles ; impossibilité d’apprécier
avec exactitude la vitesse du fluxsanguin
de la veineporte,
le volume de l’excrétion salivaire et la réserveuréique rénale ; ignorance
del’amplitude
del’absorption
del’ammoniac à
partir
du rumen et du taux de sa conversionsubséquente
en urée. Cette méconnaissance actuelle des facteurs ci-dessus rend im-
possible
l’établissement in vivo d’un bilanprécis
d’utilisation de l’azote ammoniacal. La simultanéité ou la succession trèsrapide
desphéno-
mènes
d’hydrolyse,
deresynthèse
etd’absorption quasi
immédiate auniveau de la panse de substances issues du catabolisme bactérien com-
pliquent
en outresingulièrement
leproblème.
I,a méthode indirecte de mesure, bien que ne
reproduisant
pas fidè- lement les conditionsphysiologiques
invivo, permet
néanmoins de re-cueillir des indications intéressantes
qui
aident à se faire une idéeapproxi-
mative du
phénomène.
Elle a étéemployée
avec succès d’abord par PEARSON et SMITH
(i), puis
par Me NnuGHT et coll.( 4 ) qui
ontadopté
pour index de croissance bactérienne le taux de diminution de N non
protéique
dans duliquide
pur de rumenaprès 4
heures d’incubation à37-39°.
Nos recherches
préliminaires
sur lacinétique
del’uréolyse (ta-
bleau
I)
nous ontcependant prouvé
que, pour êtrequasi complète
enmilieu de rumen
artificiel,
celle-ciexige
au moins 8heures,
mais lastabilisation des autres
produits
du catabolisme bactérien du substraten demandent environ 32
(voir
mémoireI) ;
le délaide 4
heures admispar les auteurs
précités,
nous a dès lors paru insuffisant pour mesurer invitro le taux de rétention bactérienne de N
uréique,
et nous avonstrouvé raisonnable
d’adopter
pour nosépreuves
une durée de4 8
heures.Au cours de nos 8
expériences
réalisées par latechnique
de rumenartificiel,
des doses variables d’urée(o, 2, 3 , q
ou 5 p.100 )
ont été incor-porées
dans trois substrats distincts :1
° Un
mélange synthétique ( 23 , 75 g)
totalementexempt
d’azote et constitué comme suit : cérélose -1 8, 7
p. 100, amidon de pomme de terre -3 6, 7
p. 100, rognures depapier
filtre -2 6, 7
p. 100, cendres de farine de luzernedéshydratée (calcinée
à55 0 °C)
-12 ,6
p. 100, sulfatede sodium
( 10 H 2 0)
- 5,3 p. 100.2
° Une
paille
de blé( 25 g)
dont la matière sèche dosait 0,54 d’azoteKjeldahl.
3
° Une farine de luzerne
déshydratée ( 25 g)
dont la matière sèche renfermait 4,99 p. 100 de NKjeldahl.
Ces milieux ont été additionnés d’inoculum de panse de mouton et de salive
tampon
et maintenuspendant 4 8
heures dans l’incubateur à39 0 C (pour
les détails de latechnique,
voir mémoireI). Chaque expé-
rience
comportait
un milieu témoin contenant le même substrat nonadditionné
d’urée, qui
servait de terme decomparaison
etpermettait
de
corriger
les résultatsenregistrés
enprésence
d’urée. Nous avons dosédans les divers milieux N
uréique introduit,
Nuréique
résiduel etN ammoniacal retrouvés en fin
d’épreuve (pour
lestechniques analy- tiques
voir mémoireI).
Nous avons admis conventionnellement que la différence entre l’azote
uréique disparu
et celui retrouvé à l’état ammoniacal dans le milieureprésente
la fraction retenue par lesmicroorganismes
du rumen ; et nous avonsessayé
de calculer à l’aide des 2 formulesci-après,
l’indexde rétention bactérienne de N
uréique :
1
° Index
(en
p.100 )
de rétention bactérienne brute =2
° Index
(en
p.100 )
de rétention bactérienne nette =RÉSULTATS
ET DISCUSSIONLes résultats de nos calculs effectués selon les formules
indiquées plus
haut sontrapportés
dans le tableau II.Si l’on considère avec PEARSON et SMITH la diminution de l’azote
non
protéique
enprésence
deliquide
de panse comme preuve de syn- thèseimportante
deprotéine
bactérienne(i)
nos propres donnéesexpé-
rimentales, corrigées d’après
le résultat obtenu avec un témoinidentique exempt d’urée, permettent
deprésumer
que la totalité de l’azoteuréique
catabolisé et non
réapparu
à l’étatd’ammoniac,
a effectivement été uti- lisé aux fins de croissance et deprolifération
bactérienne. La consta- tation que l’introduction d’urée dans ces milieux a fortement activé la catabolisationglucidique
du substrat et que cette activation a été d’au- tantplus
forte que ce dernier était déficient en azote(voir
tableaux dumémoire
I),
constitue d’ailleurs unargument
en faveur de notre suppo- sition.Ceci étant
admis,
il sedégage
des résultats du tableau IIquelques
faits
importants :
- Les
quantités
d’ammoniac formé en milieu de rumen croissentproportionnellement
aux doses d’uréeintroduite ;
or, les recherches de ANNI C
OLAS et coll.
(5)
concomitantes aux nôtres, montrent enparti-
culier que, dans certaines conditions
nutritionnelles,
l’uréeabsorbée,
même en faible
quantité, pourrait
exposer le ruminant à des troubles graves telsqu’une
inhibitionplus
ou moinsprolongée
de la motricitéde la panse. Cette libération massive d’ammoniac constitue donc un
danger
virtuel pourl’animal ;
- Le taux net de rétention bactérienne de N
uréique
est fonctiondes «
disponibilités
» du milieu enprotides ;
il est d’autantplus
élevéque celui-ci contient peu ou
point
de formes azotéescomplexes ;
l’indexde rétention
qui,
avec un substrat totalementexempt
d’azote(mélange synthétique)
est de29 ,8 2
±o, 5 S,
n’est que de 27,52 ±i,56
dans lecas de celui extrêmement pauvre
(paille
deblé)
et s’abaisse à 23,29± 2 ,
45
enprésence
d’un autre relativement riche(farine
deluzerne) ;
- Bien que la corrélation entre les doses d’urée et l’index de réten- tion
paraisse faible,
il semble néanmoins que l’utilisation maxima s’observerait pour des concentrations nedépassant
pas 4 p. ioo ; au tauxde
5 p. 100, l’index a tendance à baissersensiblement ;
ce dernier fait est corroboré par la chute de l’activité bactérienne si l’on considère les résultats de lacellulolyse
et de laglycolyse
des mêmes milieux(voir
mémoire I, tableaux II et
III) ;
- Abstraction faite de la nature du substrat et de la dose d’urée
ajoutée,
l’index net moyen de rétention ressort à2 6, 4
::t 1,24 ; il serait donc relativementfaible,
bienqu’il
ait été observé dans des conditionsexpérimentales plutôt
favorables(puisqu’on
l’absence duphénomène physiologique
in vivo del’absorption,
les bactéries du rumendisposaient
de
l’intégralité
de l’azote ammoniacal libéré parl’uréolyse) ;
nos valeurssont inférieures à celles obtenues
également
in v£lro par Me NAUGHT et coll.(6), qui
estiment à 42 p. 100 lapart
deprotéine
bactériennesynthétisée
dans le rumen àpartir
d’azote nondifférencié ; (remarquons
que les milieux d’incubation utilisés par ces auteurs différaient nette-
ment des nôtres car ils étaient constitués de
liquide
pur de panse, addi- tionné de i p. ioo de maltose et de o,05 p. 100d’urée). Signalons éga-
lement la récente affirmation de LEWIS
( 3 )
selonlaquelle
lespertes
en Ningéré peuvent
atteindre z5 à 3o p. 100lorsque
la concentration enNH 3
dans le rumen est très élevée.Les conditions peu
physiologiques
de nos recherches in vitro n’auto- risent pas unetransposition
tellequelle
in vivo de leurs résultats.Ceux-ci n’en constituent pas moins des valeurs indicatives fort
plausibles
si on les confronte avec les données
rapportées
dans deux autrespubli-
cations
( 7 -8)
et observées in vivo sur des vaches en lactation et des boeufs de boucherie.Dans leur
ensemble,
les faits que nousrapportons
renforcentl’opi-
nion que l’utilisation de l’urée en tant que source d’azote se fait chez le runtinant avec un
gaspillage important,
aupoint qu’il
estpermis
dese demander si
l’emploi
de cette substanceprésente
unquelconque
inté-rêt dans des conditions normales
d’élevage.
11.ncela,
nous nous écartons de l’avisbeaucoup plus
favorable formulé par d’autres auteurs( 11 ,
12,13
,
I4 ) qui
ont évalué l’efficacité de l’urée par référence à lacaséine ;
or, on sait
depuis
peu( 9 )
que cette dernière substancequi
est fortementdésaminée par la microflore du rumen
perd
ainsi unepart appréciable
de sa valeur
biologique ;
cequi
a pucontribuer,
parconséquent,
à fausserles conclusions des chercheurs en
question.
Il n’est
cependant
pas exclu que l’uréepuisse
devenir une sourceazotée intéressante pour le ruminant s’il devenait
possible
soit de con-trôler efficacement par addition
d’amidon,
parexemple,
lephénomène
de
l’absorption
de l’ammoniacmétabolique
au niveau des réservoirsgastriques
comme lesuggèrent
HEADet Rooh(c!)
et legaspillage
d’azotepar la voie urinaire
( 10 ) ;
soit d’échelonner dans letemps
le processusuréolytique
à l’aide deprocédés appropriés d’insolubilisation ;
l’étude de cette dernière solution est actuellementenvisagée
par nous.RÉSUMÉ
ET CONCLUSIONSIl a été
essayé
de déterminer in vitro par latechnique
du rumenartificiel,
un index de rétention bactérienne d’azoteuréique.
Troissubstrats distincts ont été
eapérintentés :
l’un exempt de N(milieu synthétique),
un second pauvre(paille
deblé)
et un troisième riche(farine
de luzernedéshydratée).
Ces substrats ont été additionnés de doses variables d’urée(o,
2, 3, 4 et 5 p.100 ). Après
incubationpendant 4
8
heures à39 0 C
enprésence
deliqueur
de panse, un bilan de Nuréique disparu
et deNH 3
retrouvé a été établi. Il a été admis par convention que la différence entre ces deux variablesreprésentait
la fraction de Nuréique
retenue par les
microorganismes
aux fins desynthèse
d’azoteprotéique.
Il ressort des données in
vitro,
calculéesd’après
des formules con-ventionnelles et
qui
ne sont pastransposables
tellesquelles
invivo,
que le taux maximum de rétention bactérienne s’observe pour des doses d’urée nedépassant
pas 4 p. 100 de la matière sèche du substrat. L’indexnet de rétention semble être fonction des «
disponibilités
» du milieuen formes azotées
complexes :
il est leplus
élevé en l’absence de celles-ci( 29 ,8
2
±0 , 5 8),
et décroît avec l’élévation de la teneurprotidique
desmilieux : 27,52 +
1 , 5 6
enprésence
depaille
de blé et 23,2g ± 2,45 en celle de farine de luzernedéshydratée.
Dans leur
ensemble,
ces donnéesexpérimentales
relativementfaibles, qui
ont une valeurindicative,
confirmentl’opinion
que l’utili- sation de l’azoteuréique
s’effectuerait chez le ruminant avec un énormegaspillage ;
il est, dèslors, permis
de se demandersi,
dans des conditionsnormales, l’emploi
de l’uréeprésente
un réel intérêt en tant que source d’azote pour lepolygastrique,
sauf dans des casspéciaux qu’il
reste àpréciser.
Reçu pour publication le
27févrie y 19 58.
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