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Article pp.177-181 du Vol.35 n°192 (2009)

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Texte intégral

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Le détour par la pérennité donne le moyen de s’interroger sur la question du changement et de l’adaptation nécessaires au maintien d’une organisation. En effet, la pérennité est-elle le résultat d’un effort constant d’adaptation et de trans- formation ou n’est-ce pas plutôt les forces d’inertie qui permettent d’intérioriser progressivement des change- ments successifs ? En d’autres termes, l’organisation doit-elle privilégier systématiquement l’exploration nécessaire à l’évolution ou au contraire capitaliser autour d’invariants techniques et organisationnels ?

PIERRE-JEAN BENGHOZI CRG/PREG, École polytechnique

La pérennité: un lest ou un gyroscope

pour l’entreprise?

DOI:10.3166/RFG.192.177-181 © 2009 Lavoisier, Paris

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D

ans un tel contexte, aborder la question de la pérennité organisa- tionnelle pourrait paraître scientifi- quement incongru s’il s’agissait de remettre en cause les apports des recherches les plus récentes sur l’innovation ou les architec- tures industrielles dynamiques. Ce ne l’est pas du tout quand le détour par la pérennité donne le moyen de s’interroger sur la ques- tion du changement et de l’adaptation en pensant au contraire les conditions et les raisons des formes de pérennité observables dans la vie des organisations.

1. Quelle pérennité ?

Quand on s’interroge sur la capacité qu’ont certaines firmes de persister au fil du temps, la première question qui se pose tient à l’identification et la nature des invariants et, plus précisément, au contenu et au sens à donner au concept de pérennité. Les organi- sations pérennes sont-elles des organisa- tions puissantes de leurs force d’inertie à même d’évoluer et de digérer progressive- ment les changements qui s’opèrent dans leur environnement ? On a pu observer, par exemple, que certaines industries comme l’aérospatiale, couramment qualifiées comme « de pointe », se maintiennent en favorisant des solutions organisationnelles et techniques anciennes (et donc éprouvées) plutôt que d’intégrer des incertitudes nou- velles dans des projets déjà risqués.

Mais on peut également, à l’inverse, envisa- ger la pérennité comme le résultat d’adapta- tions constantes. « Si nous voulons que tout demeure en l’état, il faut que tout change » disait le neveu du prince Salina dans le Gué- pard. Tout comme les biologistes évolution-

nistes parlent de théorie de la « Reine Rouge »1pour expliquer la pérennité de cer- taines espèces animales au fil des périodes : c’est par leur capacité à susciter des muta- tions adaptatives permanentes que certaines espères ont pu perdurer, tout comme la Reine de Cœur d’Alice au pays des mer- veilles ne pouvait rester au même endroit qu’au prix d’une course permanente à contre sens du paysage qui défilait sous ses pas.

La question n’est pas de pure rhétorique.

Envisager la pérennité par la stabilité d’équilibres ponctués ou à travers le chan- gement de recombinaisons permanentes a des conséquences immédiates sur la manière d’envisager le management straté- gique et de concevoir la performance et les ressources compétitives de l’entreprise.

Dans un cas, il s’agit d’exploiter et de valo- riser des compétences maîtrisées en favori- sant une logique de capitalisation de connaissances autour d’invariants organisa- tionnels et techniques. Dans l’autre cas, il s’agit de susciter l’adaptation constante et l’exploitation des mutations de l’environne- ment en stimulant l’innovation, la créati- vité, la conception et les apprentissages.

Les enjeux sont stratégiques, mais ont aussi des incidences directes sur les autres com- posantes de l’organisation des firmes. La rémanence et sécurisation des processdans le cadre de nouveaux produits ou services se pose pour la gestion de production. La cohérence des outils de contrôle de gestion à construire et mobiliser dans des contextes pérennes ou éphémères constitue un autre registre d’implications. Tout comme les conséquences de la pérennité de la firme sur la gestion des ressources humaines.

1. Van Valen L., “A New Evolutionary Law”, Evolutionary Theory, 1, 1973, p. 1-30.

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2. La pérennité pour qui ?

Une autre difficulté pour cerner le concept de pérennité tient à la multiplicité et la diversité des points de vue portés sur la firme. En effet, la perpétuation de l’entre- prise n’est pas perçue de la même manière ni souhaitée pour les mêmes raisons par l’ensemble des acteurs de l’entreprise, et plus largement, de ses parties prenantes.

Pour les responsables et managers, la péren- nité renvoie, comme nous l’avons noté pré- cédemment, à des enjeux de performance, à des choix d’investissements, aux soucis de gouvernance voire de contrôle de la firme.

Pour les personnels et leurs familles par contre, la pérennité de la firme constitue d’abord la condition principale du maintien d’un emploi et de perspectives de carrières.

Elle fournit aussi la base d’une identité sociale et d’un attachement affectif au tra- vail et au collectif. L’actualité fournit des illustrations quasi quotidiennes des réac- tions récurrentes des salariés aux ferme- tures d’entreprises ou de sites industriels : elles traduisent toujours les mêmes ressen- tis, qu’il s’agisse d’implantations histo- riques (dans l’automobile par exemple) ou de PME.

Enfin, la pérennité a encore un autre sens pour les clients ou utilisateurs des biens et services produits par l’entreprise. Dans ce cas, la pérennité apparaît souvent d’abord comme un gage de la qualité et une garan- tie de suivi en termes de maintenance et ser- vice après-vente. Dans une perspective marketing, c’est même la base de l’attache- ment du consommateur à la marque et de sa valeur.

3. La pérennité de quoi ?

Les alternatives déjà dessinées contribuent à tracer deux grands types idéaux de péren-

nité : celle qui touche l’organisation ou celle qui touche les infrastructures et l’architec- ture de la firme et son environnement.

Dans le premier cas, la pérennité tient à la capacité d’une entreprise spécifique de se maintenir, se renouveler et s’adapter.

Quand on parle de pérennité d’entreprise, c’est d’ailleurs souvent ce modèle d’entre- prises pérennes, parfois pluriséculaires, qui est évoqué. Ce sont parfois de très vieilles entreprises de taille humaine : Beretta est parmi les plus célèbres mais certaines exploitations agricoles (dans le vin par exemple) fournissent aussi de telles illustra- tions. Ces entreprises pérennes peuvent être aussi de très grands groupes : dans des modalités et des contextes différents, ce sont par exemple Saint-Gobain, Coca-Cola ou Krupp. Enfin, la pérennité de l’entre- prise est parfois, d’abord, la pérennité d’une marque commerciale qui perdure dans un contexte industriel radicalement différent : c’est souvent le cas dans le luxe, avec des marques comme Vuitton par exemple.

Mais dans d’autres situations, la pérennité n’est pas celle d’organisations déterminées mais celle des institutions, réseaux voire clusters qui enserrent l’activité des firmes.

Le cas d’un secteur culturel comme le cinéma est, de ce point de vue, particulière- ment intéressant. La persistance de struc- tures de production séculaires comme Gau- mont d’un côté, ou Hollywood et ses majors de l’autre tient en effet moins à la pérennité d’une firme spécifique qu’à celle d’une architecture industrielle localisée (cas de Hollywood) et d’architectures industrielles qui a pu garantir, par sa persistance, la pérennité d’une industrie fonctionnant pourtant, par construction, sur des modèles d’intermittence (cas des comédiens par exemple) et de projets événementiels

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(chaque film est un nouveau prototype).

L’exemple du cinéma démontre bien que la pérennité tient parfois moins à la persis- tance d’une firme sur son marché qu’à la stabilité d’un cadre industriel et social à même d’assurer la flexibilité et de réduire l’incertitude de l’environnement pour les acteurs économiques.

CONCLUSION

La fertilité, pour les sciences de gestion, du concept de pérennité organisationnelle paraît donc amplement démontrée par les enjeux des questions que le terme suscite.

L’enjeu désormais est sans doute de dépas-

ser la discussion et le constat analytique pour tracer ce que pourrait être le cadre d’un programme de recherche sur les orga- nisations pérennes. J’évoquerais, pour ma part, à titre d’illustration, deux questions à mon sens importantes. La première est dans la droite ligne des développements précé- dents : quels outils de gestion concevoir et mettre en œuvre pour gérer la tension chan- gement/permanence dans tous les registres de l’entreprise ? La seconde question tient, d’une certaine manière, d’une forme de rai- sonnement par l’absurde : quels sont les modèles de non-pérennité, ou, plus précisé- ment, comment caractériser les processus de mort des organisations ?

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