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Article pp.91-94 du Vol.35 n°192 (2009)

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Texte intégral

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Réfléchir sur la pérennité organisationnelle conduit à soulever une série de paradoxes. En effet, on peut se demander si les changements que connaît une organisation n’affectent pas son identité. Si elle change, une organisation peut-elle être dite pérenne ? Par ailleurs, certaines entreprises peu performantes peuvent perdurer lorsqu’elles sont soutenues par une coalition d’acteurs alors que d’autres s’effondrent de manière apparemment inattendue après de longues périodes de succès. Les liens entre pérennité et performance apparaissent donc complexes.

HERVÉ DUMEZ

CRG/PREG, École polytechnique

Identité, performance et pérennité

organisationnelle

DOI:10.3166/RFG.192.91-94 © 2009 Lavoisier, Paris

D O S S I E R

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L

a notion de pérennité organisation- nelle apparaît comme un paradoxe, pour au moins deux raisons : il n’existe évidemment pas d’organisation éternelle, et il n’est pas sûr que l’on puisse dire d’une organisation qui dure qu’elle est la même organisation.

Premier point, les entreprises finissent tou- jours par mourir. On ne peut, face à ce thème, se retenir de citer Montaigne et sa célèbre définition du monde1: « Le monde n’est qu’une branloire pérenne.2» Il convient de comprendre cette phrase comme : la seule chose pérenne dans le monde est un effondrement général de toute chose. D’ailleurs Montaigne ajoute : « La constance même n’est qu’un branle plus languissant. » On éprouve peut-être quelque réserve à qualifier Saint-Gobain ou IBM de « branle languissant », mais l’idée est claire : il n’y a pas d’organisation pérenne, il n’y a que des organisations qui mettent plus de temps à mourir que d’autres. Il y aurait d’ailleurs un beau papier à écrire sur la mort des organisations pérennes, mort lente ou mort brutale : Lehman Brothers, banque que tout le monde aurait dit pérenne quelques semaines avant sa disparition, s’est effon- drée brusquement, alors que certaines entreprises ayant une longue histoire elles

aussi meurent de langueur, de plan de restructuration en plan de restructuration.

Mais lorsqu’une organisation dure, second point, peut-on dire qu’il s’agit de la même organisation, ou ne faut-il pas plutôt penser que plusieurs organisations se succèdent au fil du temps, portant juste le même nom ? En quoi la Saint-Gobain d’aujourd’hui est-elle la même que la Saint-Gobain du XVIIesiècle, celle du XIXesiècle, ou même la Saint-Gobain d’il y a trente ans ? C’est ici la question des liens entre identité et pérennité qui est posée. La question est ancienne. Aristote se l’est posée à propos des États. D’un État qui perdure, peut-on dire qu’il est le même ou non ? Pour répondre à la question, Aristote utilise dans La politique3deux belles métaphores oppo- sées. La première est celle du fleuve :

« Nous disons communément que les fleuves et les fontaines sont toujours les mêmes, en dépit de l’écoulement perpétuel de leurs eaux qui viennent et qui s’en vont. »4La seconde est celle du chœur au théâtre. Lors des grandes Dionysies, le chœur athénien, composé des mêmes indi- vidus, participe durant trois jours aux tragé- dies, puis le quatrième jour aux comédies.

Et l’on peut estimer, selon Aristote, bien que les individus soient exactement les mêmes, que ce n’est pas le même chœur. Il 92 Revue française de gestion – N° 192/2009

1. Essais,livre III, ch. 2 « Du repentir », Pléiade, p. 782.

2. Le dictionnaire de l’académie française dans son édition de 1877 définit ainsi une « branloire » : « planche ou solive posée en travers et en équilibre sur un point d’appui un peu élevé, et aux deux bouts de laquelle deux per- sonnes se balancent en faisant tour à tour le contre-poids. » Dans le contexte, on s’aperçoit que Montaigne, comme souvent, ne prend pas le mot au sens propre, mais lui donne une signification en rapport avec son étymologie – ébranlement.

3. Livre III, ch. 3, 1276a, p. 35-40.

4. Il s’agit évidemment d’une critique du célèbre aphorisme d’Héraclite : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». Wittgenstein sera de l’avis d’Aristote sur l’identité, au moins sur ce point : « Celui qui a dit que l’on ne pouvait se baigner deux fois dans le même fleuve a dit quelque chose de faux ; on peut se baigner deux fois dans le même fleuve. » (Wittgenstein, 1997, p. 22).

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y a donc deux cas : celui où une entité, quoique le flux des naissances et des morts ait fait que tout a changé, reste la même ; et le cas dans lequel les individus sont les mêmes alors qu’il se passe une telle rupture qu’on ne peut plus dire que cette entité est la même. La réponse d’Aristote à la péren- nité de l’État comme organisation porte sur la politeia, qu’on traduit généralement par constitution mais qui est en fait une notion beaucoup plus complexe qui implique aussi les droits et devoirs des citoyens. Si la constitution d’un État change, alors on ne peut dire que l’État est pérenne ; si la consti- tution ne change pas, on peut dire qu’il l’est.

La question est bien : quel est le principe d’identité qui permet de dire qu’une organi- sation se maintient ? En quoi peut-on dire d’une organisation que l’on voit pérenne, qu’il s’agit bien de la mêmeorganisation, si les hommes, les activités, les lieux, ont changé ? Dans le dossier qui suit, plusieurs principes d’identité sont discutés : notam- ment la culture, les formes de pouvoir, l’éthique. Peut-être d’autres peuvent-ils être évoqués, par analogie avec la politeia. En quoi, par exemple, ces entreprises améri- caines qui sont capables de vendre la moitié – sinon plus – de leur activité et de prendre un nouveau départ, dans un domaine très différent, sont-elles les mêmes, maintenant par-delà ces changements de leur identité – mais laquelle ?

Une autre question est celle du lien entre pérennité et performance. La réponse domi- nante est simple : une organisation ne se pérennise que si elle est performante ; seule une organisation performante peut se pérenniser. Mais des recherches ont mis en évidence l’existence de “permanently fai- ling organizations” notion que j’avais tra- duite par « organisations en échec structu- rel » (Meyer et Zucker, 1989 ; Dumez, 1989). Le modèle, appuyé sur des analyses de cas, montrait que des organisations en quasi faillite, inefficaces, peuvent survivre.

Lorsque l’on travaille par exemple sur les industries de défense, il est étonnant de voir combien les arsenaux – qu’ils soient publics ou privés – peuvent survivre longtemps, alors même qu’ils sont en état de faillite récurrente ; de constater combien il est dif- ficile de fermer une implantation indus- trielle dans ce domaine (Sapolsky et Gholz, 1999 ; Markusen et Serfati, 2000). Les canards boiteux, contrairement à ce que les économistes ou les théoriciens de l’écologie des populations pensent, peuvent avoir la vie dure. Tout dépend de la manière dont ils jouent avec leur environnement. Les rela- tions entre performance et pérennité peu- vent donc être plus complexes qu’il n’y paraît.

C’est dire si la question de la pérennité organisationnelle est passionnante, riche, subtile, ce qu’illustre le dossier qui suit.

BIBLIOGRAPHIE

Aristote, La politique, Paris, Vrin, 1970.

Dumez H., « Longue vie aux entreprises en pertes : la théorie de l’échec permanent », Analyses de la SEDEIS, n° 71, septembre 1989, p. 204-208.

Meyer M. W. et Zucker L. G., Permanently Failing Organizations, Newbury Park, California, Sage Publications, 1989.

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Markusen A. et Serfati C., “Remaking the Military Industrial Relationship: A French- American Comparison”, Defense and Peace Economics, vol. 11, n° 3, 2000, p. 1-29.

Montaigne M. (de), Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1962.

Sapolsky H. M. Harvey M. et Gholz E., “The Defense Monopoly”, Regulation, vol. 22, n° 3, 1999.

Wittgenstein L., Philosophica I. Philosophie. George E. Moore : Les Cours de Wittgenstein en 1930-33, Mauvezin, Trans Europ-Repress, 1997.

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