D. L ACAZE
Gens de R
nMathématiques et sciences humaines, tome 87 (1984), p. 83-96
<http://www.numdam.org/item?id=MSH_1984__87__83_0>
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GENS DE
Rn
D. LACAZE
*
On oppose souvent discours
mathématique
etdiscours littéraire.
Ils’agit
deréserver au
premier quelques comptes d’usurier
oud’apothicaire.
Pourtantl’enjeu
desmathématiques peut être
tout autre : créer des espaces, lespeupler d’êtres
dont on va dire les moeurs et lesrapports.
Le texte
qui
suit invite à une telle lecture del’algèbre
linéaire dontil
reprend
lesnotions essentielles : vecteurs, multiplication
par unnombre,
norme,
addition,
sous-espaceengendré
par un ensemble de vecteurs,dépendance base, matrice,
dimension d’un espace, ordre naturel deRn, opérations
sur lesmatrices,
noncommutativité
de lamultiplication, transposition,
noyau,injectivité,
matricesrégulières
etinverses,
vecteurs propres. En fait cetessai
peut être poursuivi
etinclure,
augré
del’imagination
dechacun,
desnotions et des
résultats
deplus
enplus
nombreux.La lecture ainsi
proposée, anthropomorphique
et trèsplatonicienne,
semble la
plus
naturelle. Mais biensûr, l’édifice mathématique peut
servir desupport
à d’autres discours sil’on interprête
autrement sesdéfinitions
debase,
cequi
alieu,
parexemple, lorsqu’on l’applique
à telle ou tellediscipline. C’est même
là toute la richesse del’abstraction mathématique.
Encore faut-il
apprendre
à traduire.*
Université
deParis-X.
Des
contes,
non pas descomptes
ou desdécomptes,
voilà ce que nous offrent lesmathématiques. Soit
un espace localement convexeE, soient
x et yappartenant
àE,
pardéfinition
x + y = ... Comme dans les romans de science-fiction,
desunivers apparaissent,
despeuples
selèvent
dont on vadire
lesrapports,
lesactivités. Travail
dedémiurge.
Soit donc
l’espace Rn.
Desêtres-vecteurs l’habitent,
définis par nfacultés possédées
chacunes avecplus
oumoins d’intensité.
D’où la notationordinaire
del’un d’eux.
où
x1’
9x2,..., xn sont
les niveauxatteints,
chezl’individu
x, par ces diver-ses
facultés.
Ilpeut s’agir
debonté, d’intelligence,
de laperception
descouleurs ou de
l’acuité
dutoucher,
ceci pourprendre quelques exemples
dansle
registre
descaractéristiques humaines.
On trouved’ailleurs l’amorce
dece genre de
description,
àquelques quantifications près,
dans les annoncesmatrimoniales. D’autre part, certains
résumés bienplus elliptiques - âge
et revenu mensuel par
exemple - jouent déjà
ungrand rôle.
De toutefaçon,
on ne donne là que
quelques points
derepère empruntés
à notrevie
courante.L’avantage
de laconstruction mathématique
est depermettre
au lecteurd’imaginer
desaptitudes plus originales.
Comme dans notre
humanité,
lesfacultés
sontici inégalement réparties.
Chacune
d’elles
se distribue autourd’une
valeur moyenne depart
etd’autre
delaquelle
onpeut parler
dequalité
et dedéfaut
pouremployer
un vocabu-laire
de notre monde. Aussi labonté
et laméchanceté
sont-elles les mani-festations positive
etnégative
d’unemême faculté.
Le standard moyenqui
fait frontière
estqualifié
dezéro.
Enfait, l’idée
de mort est associéeà celle moyenne :
l’individu
dont toutes lesfacultés
sont au niveau zéroest
appelé
vecteur nul etincarne
cette mort. DansRn,
onconsidère ainsi
lamédiocrité (au
senslatin)
et sescomportements stéréotypés
comme uneléthargie qui
estmême
unanéantissement.
Pour décrire
maintenant
la vie des habitants deRn,
nousparlerons
d’abord
de leurs étatsd’âme.
Carl’émotion, parfois
debrusques tempêtes,
modifient les vecteurs sans
qu’ils perdent pourtant
leuridentité.
Ainsipeuvent-ils s’exalter,
mouvement de toutl’être où l’ensemble
desfacultés
se trouvent
proportionnellement augmentées. "yo
est engrande forme,
ils’est multiplié
la nuitdernière
par13,7"
ditquelqu’un
de sonvoisinage.
Car lescommérages
vont bon train dansRn.
Al’inverse,
ladépression guette.
Toutes lesfacultés d’un
individu se trouvent alorsproportionnellement réduites,
le
multiplicateur étant toujours positif,
maisinférieur
à 1.Ces
manifestations -
exaltation oudépression - peuvent prendre
unegrande ampleur.
Ainsicertaines
crisesmystiques provoquent
unénorme accrois-
sement des
facultés
etpeuvent
conduire unindividu
aux confins del’infini.
Un
multiplicateur
trèspetit
conduit par contre à un affaissement del’être
, , , , , , *
, , ,
qui approche
du zéro de la vievégétative. Mais
des mutations bienplus surprenantes
pour unétranger, peuvent survenir. Celles-ci
combinent un effet demultiplication
avec unchangement
designe
desfacultés :
lesqualités
deviennent défauts,
lesdéfauts
desqualités. Ainsi
lesêtres
deRn
ont avecleur
négatif -
leuropposé disent-ils -
desrapports étroits.
Sans doute ont-ils lesentiment
de rester encoreeux-mêmes
dans cechangement
depola-
rité
puisque
lesintensités
relatives de leursfacultés
restentinchangées.
Il suffit d’entendre les gens de
Rn
se flatter de leursproportions
pour, , , , , , , , **
comprendre
que leuridentité profonde réside
bien dans cejeu
deproportions .
* La notion de norme
caractérise l’énergie vitale
des vecteurs. Onprend
leplus
souvent la normeeuclidienne qui
tientcompte
desniveaux
de toutes lesfacultés,
soit _ ~~~Une autre
façon
defaire consiste
à neconsidérer
que lafaculté "dominante",
d’où
Ces
indicateurs
sontquelque
peuarbitraires, mais
on voit que si lesniveaux
desfacultés
sont tousmultipliés
par un mêmenombre,
il en est de même de lanorme.
** Toutes les
transformations précédentes peuvent
se ramener à lamultiplica-
tion des
facultés
par unmême
nombrequi
seranégatif
en cas de retournement.Pour
définir
un vecteur xindépendamment
de ces variationsd’état,
on con-vient
généralement
de le normer,c’est-à-dire
dediviser
le niveau de chacuned f ’ b... 1 d
de ses facultés par sa norme. On obtient ainsi un vecteur
.x
de norme, , IXI t
unité exprimant l’identité
du vecteur initialau-delà
des vicissitudes deson
existence.
Ces
dispositions peuvent
semblerétranges. Pourtant,
un teljugement
n’est peut-être,
de notrepart,
que leproduit
du refoulement. Ecoutons le docteurJeckyll
nousparler
de sapart d’ombre,
MisterHyde : "Les
deuxfaces de mon moi étaient
également d’une sincérité parfaite ; je n’étais
pas
plus moi-même quand je rejetais
la contrainte et meplongeais
dans levice,
quelorsque je travaillais,
augrand jour,
àacquérir
le savoirqui
soulage
lespeines
et les maux...J’appris
àdiscerner l’essentielle
etpri-
mitive
dualité
del’homme ; je vis
que sije pouvais
passer pourl’une
etl’autre
des deuxpersonnalités qui
sedisputaient
lechamp
de maconscience,
cela venait de ce que
j’étais foncièrement
toutes lesdeux". Ainsi
le retour- nement desêtres
deRn apparaîtra
àbeaucoup d’entre
nous comme la mise en oeuvreexplicite d’une alchimie qui
nous concerneaussi.
Si les humeurs des habitants de
Rn
sontparfois violentes,
leursrapports
sont
simples
et sansréserve.
Les rencontres se traduisent par une fusion desêtres
dont lesfacultés
sont mises en commun,additionnées
comme ondit.
Onpeut
trouver une telleopération
de fusiondès l’aube
de la science-fiction dans le"Voyage
aux Etats duSoleil"
deCyrano
deBergerac.
Un autreexemple
est fourni par le beau roman de
Sturgeon "Les plus qu’humains"
où lamise
encommun par
quatre hommes,
de leurs facultéspermet
la constitution d’un êtresupérieur.
Biensûr,
onreconnaît
aussi dans cetype
derelation, l’idéal
de
l’amour
total telqu’on peut
le trouver dans notrelittérature
ou dansnos
rêves.
EcoutonsHephaïstos
s’adresser aux amants de Platon :"N’est-ce
pas ceci dont vous avezenvie ?
Vousrapprocher
leplus possible l’un
del’autre
aupoint
de neplus
vousquitter
ni nuit nijour ?
Si c’est bien de cela que vous avezenvie, je
ne demande pas mieux que de vous fondre ensembleet,
avec mon soufflet deforgeron,
de faire de vous unalliage ;
de sorte que dedeux,
vous ne fassiezplus qu’un,
quejusqu’à
la fin de vosjours
vousmeniez une vie commune, comme si vous
n’étiez qu’un".
Et Platon nous dit queces amants
pensent
ainsi"avoir
entenduexprimer
cequ’ils désiraient depuis longtemps : joindre l’aimé,
se fondre avec lui et neplus
fairequ’un
au lieude
deux".
La fusion des êtres de
Rn réalise
doncparfaitement
lesaspirations platoniciennes :
cequi n’est,
pour nous,qu’un
schéma idéalest,
pour les vecteurs, le mode de liaison leplus
banal.D’ailleurs
les fablesplatoni-
ciennes se réalisent dans
Rn d’une
autre manière encore. Al’opposé
de lafusion,
par une sorte de renversement dutemps,
les vecteurspeuvent
sescinder
en deux vecteurs dont ils sont la somme. Ils ont ainsi des descen- dants. On se souvient que, chezPlaton,
Zeusavait
aussicoupé
en deux leshommes
primitifs, d’où naquit l’humanité
actuelle.A
côté
des relations amoureuses, leshabitants
deRn
ont entre eux desrapports
desimple affinité qui
ne sontd’ailleurs
pas sansliens
avec lesprécédents.
Ondistingue
donc des groupes formantcommunauté
depensée,
oudu moins
d’être.
Ces groupes seconstituent
àpartir d’un
ensembled’indivi-
dus
qu’on peut qualifier
de leaders. Ils rassemblent les vecteursqui
pour-raient être
obtenus parfusion
de ces leaderspris
à leursdivers
stadesd’ex-
tension. C’est pourquoi
onparle
de sous-espaceengendré
par x,y, et z. Avrai
dire,
une telleappellation peut prêter
àconfusion.
Eneffet, lorsqu’un
vecteur u
appartient
à un tel sous-espace, lafiliation qui
conduit de x, y et z à un’est
quevirtuelle.
Les vecteurs x, y et zpris
chacun dans unétat
convenable, c’est-à-dire
duementmultipliés, n’ont
pasvraiment fusionné
, , , , * , , ,
pour
produire
u ; ilspourraient
le faire ... Ondécrit
ainsi cequ’on
,peut appeler
leurconjointe
zoned’influence,
pouremployer
une locutionspatiale capable d’évoquer,
pour nous, cette notion de sous-espace. On songe, parexemple,
à nospartis politiques qui seraient
alorsdéfinis
par la donnée de leursprincipaux
chefs defile.
Lesdivers
courants seréclamant plus spécia-
lement de chacun de ces
hommes, peuvent également être définis
dans le casd’un
sous-espace deRn : ils regroupent
les vecteurs pourlesquels
lepoids
**
de tel ou tel leader est le
plus grand.
* On
dit,
dans notre cas, que u estdépendant
de x, y et z. Des vecteurs dontaucun
n’est dépendant
desautres,
sont ditsindépendants.
**Lesvecteurs
appartenant
au sous-espaceengendré
par x, y et zs’écrivent
où
a, ~ et y
sont des nombresquelconques qui permettent
de tenircompte
des diversétats
quepeuvent prendre
x, y et z. Sil’on
veutdistinguer
lepoids
de la structure des vecteurs x, y et z
indépendamment
de leurétat actuel, il
est bon de normer ces vecteurs. Si
x’, y’
et z’ sont les vecteursnormés,
on aAlors u
appartiendra
au courantdéfini
par x si lepoids
a’ estsupérieur
auxdeux autres
~’
ety’.
La notion de sous-espace
permet
donc de décrirecertains
groupes sociaux deRn.
Ceuxqui interviennent ici reposent
sur une totale personna-lisation
de leursprincipes (c’est pourquoi
nousavons évoqué
nospartis politiques) .
Orl’espace Rn
toutentier
estsusceptible d’être ainsi décrit
en termes de
clientèles puisqu’il peut être engendré
àpartir
de n vecteurstrès
particuliers :
On voit que chacun de ces vecteurs ne
possède,
à unniveau
nonnul, qu’une
seule
faculté apparaissant
pour sapart
à un niveauunité.
Or cesêtres
extrêmes,
éminemmentdisproportionnés,
ont dansRn
uncaractère sacré.
Eneffet,
comme les dieux de lamythologie
grecquefiguraient
laforce,
lasagesse ou la
sensibilité artistique,
ils incarnent chacun une desfacultés
parlesquelles
tous les vecteurs sedéfinissent.
On ditqu’ils
forment une**
, n .
, ,
base de
l’espace R .
Enfait,
d’autres groupes de vecteurspourraient engendrer l’espace Rn
et servir de base.Certaines
coalitionsentre
leaders de sous-espaces yprétendent parfois.
Mais ces tentatives de redéfinitionont
toujours
étééphémères.
Les vecteurse1,...,en,incarnations
desprincipes
purs constitutifs de la société de
Rn,
fournissenttoujours
laréférence
debase,
donc la base de référence. Onparlera
à leursujet
de basecanonique puisque
notre dictionnaire Larousse définit ainsil’adjectif canonique :
"Relatif
aux canons del’Eglise.Fam.
Conforme aux bonnesrègles".
Ceci rendbien
compte
ducaractère profondément religieux
du choix de ces vecteurs etaussi
de déterminationsplus pratiques
relatives à leur commoditéd’emploi.
* Les groupes
sociaux peuvent
aussi se définir par ladonnée
d’unepropriété
relative au niveau des
facultés
de ses membres.Ainsi l’ensemble
des vecteurs dont lafaculté
deplus
haut niveau est laième
oul’ensemble
des vecteursnormés
dont laième composante
estsupérieure
à un certainseuil, peuvent constituer
uneassociation
oùl’on
cultivera cettefaculté.
** La notion de base suppose non seulement que les vecteurs
qui
laconstituent engendrent l’espace,
mais encore que ceux-ci soientindépendants.
On exclutainsi la
présence
de vecteursqui
ne seraientqu’un
refletd’autres
vecteursde
l’ensemble générateur.
Après
cettepremière description
des moeurs deshabitants
deRn, il
esttemps
deprendre quelque
recul. Le panorama vas’étendre considérablement.
Car les espaces
Rn
sont aussi nombreux que nosétoiles
et leursplanètes :
onen
dénombre
uneinfinité,
autant que de valeursentières positives données
au nombre n. Chacun de ces espaces
R4 ~ R 39
ouR 421 abrite
unpeuple
de vec-teurs dont la
description
faitintervenir 4,
y 39 ou 421facultés.
Or ces peu-ples communiquent
parl’entremise d’êtres
nouveaux avecqui
ils ont commerce :les
matrices.
Celles-cipeuvent
faire passer un vecteurd’un
espace à un autre par uneopération qui
estplus qu’un simple transport puisqu’elle implique,
en
général,
uneprofonde
transformation desêtres qui
y recourent. Biensûr,
dans notre monde
déjà,
tout voyage estformateur,
voiretransformateur,
maisles
conséquences seront,
dansRn,
bienplus systématiques.
L’activité
matricielle est doncd’abord
une activiténautonière.
Telle matrice fera passer parexemple
del’espace Rn -
espace dedépart -
àRP
- espace
d’arrivée.
Mais ce passage est aussi uneadaptation
aux conditionsde vie de
RP.
Tout vecteur deRn, qui
sedécrit
par ladonnée
de nfacultés,
est en effet transformé en un
être
deRp
dont ladescription comporte
p facul-tés.
Ceciimplique
larecomposition
desfacultés, chaque
nouvelle faculté deRp
étant obtenue àpartir
des facultés deRn
selon unsystème
de npondéra-
tions propres à la matrice
considérée.
Pour transformer un être deRn
en unêtre
deR ,
une matrice utilise donc psystèmes
de npondérations.
Si ondispose
cessystèmes
de nombres enlignes,
on obtient un tableaurectangu-
, *
laire à p
lignes
et n colonnesqui
décrit lamatrice .
Ainsi définies,
les matrices forment une multitude de flottes effectuant chacune le trafic entre deux espaces : deRn à R , c’est-à-dire
deR à R24
pour
l’une,
~ deR1~ à R4
pour uneautre,
~ deR362 à R 39
pour une autre encore.Or si toutes les matrices d’une même flotte conduisent à un même espace, chacune le fait à sa
manière.
Par leurentremise,
les vecteurs d’un espace* Le transformé d’un vecteur x par la matrice A s’écrit alors :
renaissent
dans un autre espace, mais le moded’adaptation qu’elles proposent
leur est propre.D’où
le nom de matricequi rappelle
lagestation particulière qu’elles
exercent.Si
voyage il y a,il s’agirait plutôt
dutrip
queprovoque~
dans notre
société, l’usage
desdrogues.
Ellesaussi refaçonnent
la personne pour lui donner de nouvellesdimensions, expression qu’on peut reprendre
iciau
pied
de la lettre. On dit en effet couramment quel’espace Rn,
dont lesêtres
sontdécrits
par ladonnée
de nfacultés,
est un espace à ndimensions.
Lors
d’un
transfert matriciel deRn
àRp
et si p estsupérieur
à n, un vec- teur voit doncs’ouvrir
àlui
unplus grand
nombre dedimensions.
C’est direqu’il
estdécrit
par unplus grand
nombre defacultés,
cequi
est souventvécu
comme unépanouissement
del’individu. L’accès
à un espacecomportant
un nombre de
dimensions inférieur
àcelui
del’espace
dedépart peut être,
au
contraire,
vécu comme unesclérose.
De cepoint
de vue, le transfert dansl’espace
R par unematrice
necomportant qu’une ligne
est un casd’aliénation extrême. L’être-vecteur
devenuunidimensionnel
seréduit
alors à un nombre.Pour bien
comprendre
la nature d’une tellealiénation,
duementdénoncée
par de nombreux
philosophes
des espacesRn,
il fautanalyser
iciquel type d’ordre social règne
dans ces espaces. Avrai
dire de nombreux classements sontproposés, qui privilégient
telles ou tellesfacultés.
Mais le seulqui s’impose
vraiment consiste àjuger qu’un être
estsupérieur
à un autre si leniveau de chacune de ses
facultés
estsupérieur
ouégal
au niveau atteint chez cet autre.Evidemment, l’ordre
ainsiobtenu, appelé
ordre naturel deRn,
n’est
que trèspartiel.
Bien desêtres
restentincomparables.
Celuiqui
sup-plante l’un
au titred’une faculté peut
luiêtre inférieur
pour une autre deses
facultés,
cequi
neconduit
à aucunedominance globale.
Chez nousdéjà,
le
mauvais élève
se console par sessuccès sportifs
ou sonaptitude
audessin.
Mais dans
Rn,
laquantification systématique
desfacultés permet
auphénomène
de
jouer pleinement
etd’autant plus
que le nombre desfacultés
estplus grand.
Aussi
les espaces lesplus dimensionnés correspondent
aux sociétés lesplus anarchiques.
Lesêtres
y ontmille
facettes : ons’égare
àvouloir
les par- courir etplus
encore à les comparer.D’ailleurs
une telle absence d’ordre socialn’est
pas sansdéconcerter
laplupart
des nouveaux arrivants et seulsdes
tempéraments
un peuparticuliers
s’acclimatent à des conditions de vieaussi débridées.
Les espaces peu
dimensionnés conduisent
par contre à dessociétés
for- tementhiérarchisées.
Al’extrême,
lapopulation
de R - espace à une dimension-est totalement ordonnée
puisque
tous les individus deviennent alorscomparables.
Voilà
dequoi faire rêver
les gens d’ordrequi
viennent eneffet,
parmatrices, s’implanter massivement
en ces lieux. Enfait,
cesdéplacements
vers des es-paces
plus
ou moinsdimensionnés présentent quelque analogie
aveccertaines
dérives
mentales observables dans notrehumanité.
On songe parexemple
à larécupération
marchande parlaquelle
lesfacultés humaines n’ont plus d’exis-
tence que par le
gain qu’elles procurent.
Cetteopération
deconversion moné-
taireagit
comme leferait,
dansRn,
une matriceligne. L’homme
seréduit
àune somme, celle de ses
gains
annuels. Onobtient, là
encore, une société totalementordonnée.
Cequi
était pour les vecteurs deRn
unchangement d’espace n’est
pour nousqu’un déplacement mental,
mais nonmoins réel.
Instruments de
déplacement
et de transformation au service des vecteurs desespaces Rn,
les matrices forment unpeuple qui côtoie
celui des vecteurssans
lui être
asservi. A vraidire,
lesmatrices
sont tenues en unecurieuse
suspicion.
Apremière
vuepourtant,
leurs moeurs semblent serapprocher
beau-coup de celles des vecteurs. Comme eux, les matrices s’exaltent ou entrent en
dépression.
Les élémentsnumériques qui
forment leurs tableaux sont alors tousaugmentés
ou réduits dans lesmêmes proportions.
Le retournement s’obser-ve aussi. De
même
les matricesfusionnent
par addition deux à deux des élé-ments de leurs tableaux si elles ont même
format,
c’est-à-dire si elles exercent leur trafic entre deuxmêmes
espaces. Maisd’autres opérations
interviennent.
Nous avons dit
qu’une
matricecomportant
plignes
et n colonnespermet
de passer del’espace Rn
àRp.
Enfait,
une telle matrice effectue aussi un retour surRn
enchangeant
deconfiguration :
seslignes
deviennent colonnes et ses colonneslignes.
Elleprend
alors la formed’un
tableau à nlignes
etp colonnes
qui
fait passer deRp
àRn.
Par cetteopération
dite detranspo-
, ,
.
, , *
sition, chaque
matrice assure le trafic aller et retour entre deux espaces.La fonction sociale des matrices et leur
pleine
utilisationrendaient
cesdispositions
nécessaires et iln’y
a encore là riend’inquiétant.
Un
grand
sentiment de malaise envahit par contre les habitants des* Ce
qui
ne veut pas direqu’un
vecteur effectuant un tel aller retour rede- viennelui-même.
Cepériple
l’auragénéralement
transformé en un autre vec- teur deRn :
les voyages sont rarementréversibles (voir ci-dessous )
espaces
Rn quand
onévoque
le modespécifique d’accouplement
connu sous lenom de
multiplication matricielle.
Celle-ci concerne deuxmatrices
se rien- contrant en un espacequi
sera espaced’arrivée
del’une
et espace dedépart
de
l’autre. C’est
dire que le nombre delignes
de lapremière, soit A,
estégal
au nombre de colonnes de laseconde,
soit B.L’opération
se faitalors,
à
grand bruit,
parcombinaison
deux à deux des colonnes de A et deslignes
*
, , ,
de B . Ainsi le
produit
de cette union fracassantecomporte
autant de colonnes que A et autant delignes
que B. Lamatrice
obtenueemprunte
doncses
caractéristiques
à ses deuxgéniteurs.
Ellehérite
même de leur fonctionsociale
puisqu’elle
fait passer,mais
sansescale,
del’espace
dedépart
deA à
l’espace d’arrivée
de B.Qui plus est,
la transformationqu’elle
exercesur un vecteur est la
même
que cellequi résulterait
del’emploi
successifdes
matrices
A et B.On
peut
s’étonnerqu’un
telrapport
soit considéré commevulgaire et,
pour toutdire, bestial,
par lespopulations
des espacesRn.
Cela estdû
aux rôles
dissymétriques qu’assument
les deux matricesimpliquées
dans cetteaffaire,
cequi rappelle
lesrapports hétérosexuels
de notrehumanité.
Nousavons vu en effet que la
première
des matricesagissait
par ses colonnes et la seconde par seslignes.
Dans unesymbolique fréquente associant
laverti-
calité
àl’homme
etl’horizontalité
à lafemme,
onpeut
dire que lapremière
matrice
joue
lerôle
dupère,
la seconde de lamère.
Mais il nes’agit
que derôles.
Car unemême
matricepeut
assumerl’un
oul’autre
de ces rôles augré
des rencontres. Pourtant cette noncommutativité
desmatrices
lors de leurmultiplication
reste pour les vecteurs extrêmementchoquante, attachés qu’ils
sont à lasymétrie qui préside
auxopérations
defusion.
* *
* Plus
précisément, l’élément c..
de la matriceproduit
C = B.A estobtenu à
partir
de la ièmeligne de
B et de lajième
colonne de A de lafaçon
suivante :Cependant
laméfiance
des vecteurs envers les matrices senourrit
demotifs bien
plus objectifs.
En effetl’usage d’une matrice peut
provoquer lamort, c’est-à-dire
la transformation en le vecteur zéro del’espace d’ar-
rivée.
Et il ne faut pass’imaginer
que cequ’une matrice
adéfait,
une autrematrice puisse
lerefaire.
Laprise
encharge d’un
vecteur zéro par une ma-trice
redonne un vecteur zéropuisque
larecombinaison
defacultés
nulles redonne des facultés nulles. La mort est biendéfinitive.
En
principe,
toute matrice doit afficher la liste des vecteursainsi
mena-cés.
Cetteliste qui
est propre àchaque
matrice estappelée
son noyau. Maisla réglementation
est peurespectée
par ces créaturesquelque
peu sauvages, endéplacements
constants entre les espacesqu’elles joignent,
etqui
ne recon-naissent en fait aucune
loi.
Lesinterroger
ne sert àrien.
Ellesprétendent
, , ,
, , , , , ,
*
toutes, effrontément, être inoffensives, c’est-à-dire injectives.
Indépendamment
de cedanger
demort, l’usage
desmatrices implique
engénéral,
pour unvecteur,
laperte
de sonidentité originelle.
Eneffet, après
un voyage de
Rn
àR ,
le retour deRp
àRn
estpossible (sauf
cas dedécès)
par
emprunts
de matrices convenables. Mais les vecteursqui
se livrent à untel aller-retour ne retrouvent
qu’exceptionnellement
leursproportions
initiales.
C’est ainsi qu’on peut
voir nombred’entre
euxtâtonner longuement,
par voyages
successifs,
pourretrouver,
au moinsapproximativement,
la struc-ture de leur enfance.
Or tous ces
risques
se trouventconsidérablement réduits
si onaccepte
de rester dans un même espace. Lacirculation
se fait alors par desmatrices
carréesassujetties
à cet espace etqui
seplient
bien mieux à laréglementa-
tion.
Pour éviter toute issuefatale,
il suffit donc devérifier
le contenu des noyaux oud’utiliser
les matricesinjectives qui
sont inoffensives pourtous. En
fait,
les vecteurspréfèrent
cesdernières qui ont,
dans descondi-
tionsd’utilisation intraspatiales,
unepropriété remarquable,
celle de pos- séder chacune unematrice "inverse" capable
de ramener le voyageur à sonétat
initial.
Dès lorsplus
de crised’identité.
Onpeut toujours, après
lestransformations les
plus variées,
redevenirsoi-même.
Acondition, bien sûr
de ne pas
quitter
son espace et detoujours utiliser
cetype
de matricesqui,
pour marquer leur
sûreté d’emploi,
sont ditesrégulières.
* On
désigne
ainsi les matrices dont le noyau se réduit au vecteur zéro del’espace
dedépart.
L’attitude
des vecteurs face auxdangers
destransformations
matriciellesest un
élément discriminatoire
essentiel pour touteanalyse
de lasociété
deR .
Nous avonsdéjà décrit
les voyages versd’autres
espacesplus
ou moinsdimensionnés
et leursmotivations.
Mais par désir de ne pasperdre
leur iden-tité,
ou du moins d’encontrôler
lesvariations,
bien des vecteurs nequittent
pas leur espace. Ceux
qu’effraie
letrip aveugle
etirréversible, peuvent
eneffet,
par lejeu
des matricesrégulières,
modifier leur structure engardant toujours
lapossibilité
de revenir auxétats antérieurs.
Or certains sontplus prudents
encore et ne veulent à aucun momentperdre
leursproportions.
Ceci est encore
possible s’ils empruntent
des matricesadéquates.
En effetde
très
nombreuses matricescarrées
ont lapropriété
de transformer certainsvecteurs
qui
sont dits vecteurs propres associés à cettematrice,
en desvecteurs
proportionnels.
La transformation matricielle se confond alorsavec une
simple
sauted’humeur
etl’emprunt d’une
matrice est au fond bieninutile.
Maisl’engouement général
pour ce genre devéhicules,
le désir dene pas se
singulariser
pousse lesplus
timorés à cetexpédient.
Sansparler
de ceux
qui empruntent
la matriceidentité.
C’estd’ailleurs,
dansRn,
unmode
classique
deplaisanteries
que des’accuser
mutuellement depareilles
couardises.
On me dit :
"Pourquoi
tant de méfiance de lapart
des vecteurs ?S’ils
veulent savoir oùpeut
les conduire unematrice,
il leur suffit de calculerleurs transformés à
partir
de ses élémentsnumériques".
A cela laréponse
est
simple :
les vecteurs savent comparer desnombres,
mais ne savent pas calculer. Faut-il leurapprendre ?
Mais veulent-ils savoir où ils vont ?SCENE DE GENRE
Je me
remémore
souvent cesesplanades immenses
des espacesRn, plates
etcomme
abstraites,
oùdéambulent
des foules de vecteurs à la recherched’une
matrice à leur convenance. Ilss’attroupent, fluets,
face aux masses matri- ciellesparfois
hautes comme desgratte-ciels lorsqu’elles
conduisent à des espaces fortementdimensionnés.
Il faut lesvoir,
faussementbadauds,
appro- cherl’air
derien,
un peucraintifs,
cherchant à lire surchacune,
lesécriteaux
mentionnant
ladestination,
le noyau, laliste
des vecteurs propres.Vont-ils
conclure ? Les matrices tachent de décider leurs chalands endécri-
vant
l’effet qu’elles peuvent
avoir sur leurscomposantes :
"Par ici,
ceuxqui
veulent une bonnedouzième".
"Toi, là-bas, t’as
comme un creux à lacinquième.
Jesoigne
çaaussi".
Elles sont
parfois
rassurantes :"Noyau garanti !"
Parfois goguenardes :
"Venez
àmoi,
mespetits
vecteurspropres".
Parfois
lyriques :
"Dans R239
vous serezincomparables.
A basl’ordre social".
De
temps
àautre,
la foule reflue. Une matrice vient dedébarquer
unnouvel arrivant et se
transpose
pourreprendre
duservice : angoisse
de lavoir se
dresser,
uninstant,
surl’un
de sesangles.
Ou bien ungrand
tumultesignale quelque accouplement matriciel.
Un peu àl’écart,
deux vecteurs secontemplent, s’approchent lentement,
biendroits, l’un
del’autre,
pourfusionner.
BLUETTE DANS
Rn
Les
étudiants
devronts’exercer
à"lire"
dessystèmes d’équations matricielles.
Si
on note(m,n)
le"format" d’une
matrice oud’un vecteur,
cequi indique
lenombre m de ses
lignes
et le nombre n de sescolonnes,
soit lesystème :
Un tel
système,
dans saconcision, peut
fournir lethème d’un
feuilletontélévisé. Qu’on
enjuge.
x
était
un vecteur deR .
Ilrêvait d’une société plus diversifiée, d’espaces
nouveauxcapables
delui ouvrir d’autres dimensions.
Ilprit
lamatrice
Aqui
leconduisit
enR , puis s’enhardit
etemprunta
la matrice B pour parvenir enR
. La vie dans un espaceaussi multiplement dimensionné
ledéconcerta d’abord grandement.
Il futl’objet d’une
sévèredépression
réduisant
de moitié ses diversesfacultés.
Il eutcependant
la chance de ren-...
d 21
.. d d "b 32 1
.
contrer y,
originaire
deR , qui
venait dedébarquer
enR
par la matriceC. Ils
fusionnèrent,
etpartirent
en voyage de noces par la matrice Djus- qu’en R 21 l’espace d’origine
de y. Ils eurentlà
deux descendantsz1
etz2*
Ceux-ci décidèrent
d’allervisiter l’espace d’origine
de leurpremier
parent.
Ilsprirent
tous deux lamatrice
G.Celle-ci,
malbalisée
comme celaest malheureusement
fréquent, coûta
la vie à21 qui appartenait
au noyau G.5 ..
Par contre,
z2 débarqua
enR .
Il futséduit
par cet espacemieux ordonné
oùses
facultés s’épanouirent. 22
eut là trois descendantsdi, d2
etd3«
*