Bénédicte Quilliec
Fabrications
et
usages
entre
1350
et
800
envir
en
Europe
Bénédicte Quilliec (UMR ArScAn - Protohistoire européenne)
Au deuxièm e millénaire avant notre ère, en Europe atlantique, une très grande quantité d'objets en bronze o n t é té aband onnés, ensem ble ou isolément. Ces découvertes, que l'on qualifie de d é p ô ts sont l'une des principales sources d'inform ation que l'on possède pour c e tte période et c e tte aire géographique.
Dans ces dépôts, d e très nombreuses épées en bronze, dite d e typ e atlantique, sont découvertes. Elles sont la rg e m e n t réparties d e l'Écosse à l'Andalousie. Près d e 4000 épées sont actuellem ent recensées. L'étude d e c e t o b je t m éta lliq u e est p a rticu liè re m e n t intéressante, en raison d e son c a ra c tè re très e m b lé m a tiq u e : seuls quelques individus possèdent c e tte arm e qui est un m arqueur de prestige e t d e pouvoir. C'est d'ailleurs à c e tte période que l'on voit ém erger e t s'affirmer le statut de guerrier, a v e c toute une panoplie d'armes offensives e t défensives (lances, épées, boucliers, casques et cuirasses). Toutes ces armes en bronze tém oignent à la fois, d'un artisanat d e plus en plus spécialisé e t de sociétés complexes.
La q uantité des épées ne cesse d'augm enter to u t au long d e la fin d e l'â g e du Bronze, soit entre 1350 et 800 environ a v a n t notre ère. Les contextes de découvertes d e ces épées varient au cours du Bronze final, puisqu'on les trouve en milieu terrestre ou en milieu hum ide (rivières, lacs, tourbières). L'une des constantes, c e p e n d a n t, est la rareté des découvertes en co ntexte funéraire et en contexte d 'h a b ita t. Les d é co u ve rte s en milieu funéraire représentent en e ffe t moins de 0,5 % du corpus (16/3898) e t en co ntexte d'habitat, elles sont d'à peine 1 % (46/ 3898).
Sur un échantillon de plus d'un millier d'épées (1035) j'ai réalisé différents types d'analyses. Des études contextuelles, m orpho-typolo giques, et techniques m 'ont servi à déterm iner des points de com paraison entre les épées. La fréquence plus ou moins im portante des épées portant des traces de fa b ric a tio n , d'utilisation, d e destruction e t d'enfouissement a permis d e déterm iner des groupes régionaux qui ont des com portem ents techniques et culturels communs.
Ces liens existent entre les différentes populations d e l'Europe atlantiqu e e t ces liens sont différents selon les personnes qui sont à l'origine des actes qu e l'on pe u t identifier.
Les épées ont fa it l'objet d'une é tu d e détaillée systématique qui a permis de dé ve lo p p e r une grille d'analyse technique. À partir d'une observation des épées atlantiques, j'ai pu identifier des stigmates, c o m m e des défauts ou des traces laissées par l'artisan, L'interprétation d e ces stigmates m 'a permis d e reconstituer des chaînes opératoires. Les stigmates correspondent à une opération spécifique e t à une é ta p e de la chaîne opératoire d e la fabrication, d e l'utilisation e t d e la destruction des épées. Pour simplifier, on a d 'a bord la fabrication d'un m odèle, puis d'un moule. Ces opérations constituent l'éta pe d e pré-fonderie. Verser le m étal dans un moule est l'éta pe d e fonderie. Enfin, des finitions, co m m e le polissage, correspondent à l'éta pe de post-fonderie. La réalisation d e c e t o b je t est com plexes e t l'on peut supposer que des spécialistes sont intervenus, a v e c leurs savoir-faire propres et parfois communs (moulage, fonderie, dinanderie par exemple).
Spécialisation des tâches e t sociétés
Pour com pléter la chaîne opératoire, il fa u t é g a le m e n t é vo q u e r les enfouissements e t le recyclage qui, pourtant, ne laissent pas d e stigmates.
En croisant les différentes analyses (techniques, m o rpho-typolo giques e t contextuelles), e t en p ro cé d a n t à des comparaisons, j'ai pu proposer au niveau d'u ne co m m u n a u té , e t p e u t-ê tre plus largem ent, des interactions entre différents intervenants autour d e l'épée.
Au cœ u r de c e tte étude, l'épée atlantique. Les épées o nt été découvertes enfouies, dans des milieux différents com m e l'eau ou la terre e t il a p paraît très fréquent d e les retrouver détruites
(68
%). Q uand on les regarde attentivem ent, on rem arque qu'elles ont été utilisées (94 %). C ependant, a va n t d'être utilisées puis détruites, ces épées ont bien évidem m ent été fabriquées, e t l'on p e u t associer des gestes techniques à ces traces d e fabrication. Mais pour être réalisés, ces gestes nécessitent des savoirs spécifiques,Les traces d'utilisation tém oignen t elles aussi de gestes particuliers, d irectem ent liées à la fonction de l'épée. Ce sont des gestes guerriers. Mais il ne fa u t pas oublier que, à l'âge du Bronze, l'épée est liée à un statut social e t identitaire. On pe u t d o n c supposer aussi, des gestes diplomatiques, bien qu'ils ne soient pas perceptibles m atériellement. On perçoit l'être et les savoirs d e la personne qui utilise l'é p é e (a p p a re n ce et connaissances).
Les contextes d e découvertes d e ces épées sont tellem ent singuliers, que l'on pe u t supposer que des gestes rituels a c c o m p a g n e n t les dépôts. Ces gestes peuvent être à la fois d'ordre sacré e t/ ou profane. Le choix d'un lieu e t des conditions de déposition est c e rta in e m e n t déterm inés pa r des savoirs précis e t codifiés. Pour correspondre aux codes de c e rituel, un spécialiste a probablem ent p ra tiq u é les destructions. La personne la plus c o m p é te n te pour les réaliser est certainem ent le bronzier (fa b rica tio n e t destruction), C epend ant,
pour obtenir une arm e qui réponde à ses besoins esthétiques e t fonctionnels, la fabrication ne peut se faire sans é ch a n g e a v e c l'utilisateur. Le porteur de l'arme joue peut-être aussi un rôle dans l'abandon de l'arm e. L'enfouissement p e u t être d é te rm in é en a c c o rd a v e c les intervenants.
Ainsi, à l'éch elle d e la co m m u n a u té , les individus interviennent c h a cu n dans des sphères différentes Les traces laissées sur les épées sont les tém oins d 'a ctio n s différentes, m o n tra n t plusieurs m odes d 'in te rv e n tio n fa b rica tio n , utilisation, destruction, dépôts. On peut déduire des actions spirituelles (rituel sacré e t/o u profane), des actions techniques et des actions politiques.
Ces actes, volontaires ou involontaires, ont été effectués par des acteurs différents, non en tant qu'individu, mais en ta n t que détenteur d'un rôle social. Il est possible de distinguer trois niveaux d'intervention hum aine sur l'épée :
- des gestes techniques, ceux du bronzier, - des gestes guerriers e t diplomatiques, ceux du porteur d e l'épée
- des gestes rituels religieux ou profanes, ceux d'un ordonnateur d e rituel.
C e m o d è le a pour b u t d e m ontrer des interactions entre les différents intervenants autour de l'épée atlantiqu e (objet et symbole). La superposition d e la grille d'analyse te c h n iq u e e t d e la grille d'analyse m orpho-typologique m et en évidence des phénom ènes nouveaux. Le ca ra ctè re singulier des co n te xte s d e découve rte s d'o bjets m étalliques au g m e n te encore la com plexité d e sociétés.
Les intervenants ont des fonctions spécifiques, bien identifiées dans la com m unauté. Ces fonctions sont porteuses d e significations différentes mais néanmoins com plémentaires.
Ainsi, les gestes e t surtout les traces qu'ils ont laissés sont les témoins de savoirs, d o n t les auteurs ont des fonctions précises au sein d e la com m unauté,