• Aucun résultat trouvé

Le pape contre les études de genre

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Le pape contre les études de genre"

Copied!
3
0
0

Texte intégral

(1)

Article

Reference

Le pape contre les études de genre

STASZAK, Jean-François

STASZAK, Jean-François. Le pape contre les études de genre.

Le Temps

, 2011, 15.06.2011

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:34957

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

1 JEAN-FRANÇOIS STASZAK (Le Temps, 15.06.2011) Le pape contre les études de genre

Le pape Benoît XVI, à l'occasion de ses vœux à la Curie romaine le 22 décembre, rappelle que

«l'Eglise parle de la nature de l'être humain comme homme et femme et demande que cet ordre de la création soit respecté.» Ce propos n'est pas seulement une condamnation des travestis ou des transsexuels, dont on se doutait qu'ils n'avaient pas la sympathie du Saint-Siège. Il s'agit pour l'héri- tier de Saint-Pierre de mettre à l'index un courant majeur des sciences sociales, qui s'est développé dans le monde anglo-saxon durant les années 1980 : les gender studies ou études de genre, que son texte mentionne explicitement.

Le terme de genre permet depuis plus de trente ans de différencier la part des identités masculines et féminines relevant du sexe biologique, qui est naturelle, innée et universelle, de celle qui est so- ciale, acquise et culturelle. Ainsi, les organes reproducteurs ou la pilosité dépendent du sexe, alors que c'est le genre qui fait qu'on apprend aux petits garçons à ne pas pleurer et que le Père Noël ap- porte des poupées aux petites filles. Pour reprendre la formule bien connue de Simone de Beauvoir, on naît femme en termes de sexe, mais on le devient en termes de genre.

Les nombreuses recherches sur ces questions montrent qu'une part très importante de ce qu'on a longtemps pris pour des caractéristiques ou des pratiques naturellement féminines ou masculines étaient en fait des constructions sociales. Ces conclusions, qui réduisent la dimension proprement biologique du masculin et du féminin à la portion congrue, n'ont pas qu'un intérêt sociologique : elles ont aussi une vertu émancipatoire. En effet, les attributs ou les fonctions que les sociétés affectent spécifiquement au masculin et au féminin prennent presque toujours place dans des systèmes de signes et de pouvoir qui dévalorisent les femmes et les subordonnent aux hommes. Le mettre en lumière, c'est non seulement un enjeu scientifique (car on comprend alors mieux le fonctionnement des sociétés), mais aussi un enjeu politique (car la prise de conscience des situations d'oppression constitue la première et nécessaire étape de leur dénonciation et ultimement de leur disparition). Le pape condamne d'ailleurs précisément les études genre pour leur potentiel libératoire: « Ce qu'on exprime souvent et ce qu'on entend par le terme «gender», se résout en définitive dans l'auto- émancipation de l'homme par rapport à la création et au Créateur. » L'argument appelle quatre re- marques.

Premièrement, il n'est (heureusement ?) pas si fréquent que l'Eglise intervienne dans le débat scien- tifique pour mettre à l'index ce qui est moins une théorie qu'un champ des sciences sociales. On peut mettre en cause sa légitimité en la matière. Par ailleurs, ayant à l'esprit d'une part le temps qu'il a fallu au Vatican pour prendre position sur le fascisme, d'autre part la nature et la gravité des pro- blèmes auxquels l'humanité fait aujourd'hui face, on peut s'interroger sur l'urgence et l'opportunité de cette prise de position.

Deuxièmement, la science dans son principe constitue bien une entreprise d'auto-émancipation par rapport à la création, ou, pour reprendre un mot plus familier aux scientifiques, à la Nature. Marcher sur la Lune, éradiquer le virus du sida, c'est bien tenter d'échapper à certaines lois «naturelles» de la physique ou de la biologie. Ce n'est pas la première fois que l'Eglise s'érige contre une science dont les avancées sont dénoncées comme autant de sacrilèges, les théories comme autant de blasphèmes - mais ce ne sont pas les pages les plus glorieuses de l'histoire de la religion. Elles comptent en re- vanche parmi les plus mémorables de celle de l'obscurantisme.

Troisièmement, l'argument du pape consiste très précisément à affirmer que ce que les sciences définissent comme une construction sociale du masculin et du féminin est en fait une création divine (pour reprendre ses mots) ou un fait naturel (pour adopter ceux des scientifiques). Bref, qu'il y a du sexe, mais pas de genre. Que c'est Dieu ou la Nature qui définissent la femme comme un être faible et soumis. Qui habillent les filles en rose et les garçons en bleu. Qui fabriquent le plafond de verre empêchant aujourd'hui les femmes d'accéder aux postes les plus élevés dans les entreprises ou les administrations. La société, les hommes n'y seraient pour rien. Cette proposition, ne serait-ce que dans sa radicalité, est-elle vraisemblable? Et veut-on aussi croire que l'excision procède de la volonté divine ou de l'ordre naturel?

(3)

2

Quatrièmement, naturaliser l'ordre social ou le considérer comme une création divine revient à le légitimer et à le considérer comme intangible. C'est une stratégie ancienne et bien connue, pour le meilleur et le plus souvent pour le pire. C'est ainsi au nom de la Nature et des sciences naturelles comme au nom de l'Eglise et la prétendue parole divine qu'on a hiérarchisé des « races » humaines, permettant à certaines d'en réduire d'autres en esclavage, quand cela n'a pas été de les exterminer.

Se révolter contre ces pratiques serait à la fois sacrilège (contre l'ordre divin) et inutile (contre l'ordre naturel). Il y a quelques jours, le conseiller Ueli Maurer enjoignait aux femmes de rester à la maison pour y materner leur progéniture ainsi : «C'est aussi comme cela dans la nature. Le chevreuil ne s'oc- cupe pas de ses faons». C'est la même logique, ou plutôt la même rhétorique et la même idéologie, qu'on voit à l'œuvre.

Il ne faut pas attendre des miracles de Sa Sainteté. Le Vatican n'est pas l'étendard du progressisme mais plutôt le garant d'un certain ordre moral. On peut se scandaliser qu'il le conduise notamment à condamner l'avortement ou l'homosexualité, mais (hélas?) guère s'en étonner. Il était moins attendu que, parmi les péchés et les pratiques contre nature, il compte les gender studies, nous enjoignant d'abandonner la lutte pour la libération de la femme (et de l'homme) et de cesser de prétendre ré- fléchir à l'éventuelle dimension sociale des identités et des pratiques liées au sexe.

Il est difficile de définir la prise de position du pape autrement que comme réactionnaire. Difficile aussi d'y trouver le message de paix et d'amour qui serait celui de Noël.

Références

Documents relatifs

Tous les mardis, les élèves de notre classe vont à la bibliothèque. Un pneu du car éclate. Le chauffeur et la maîtresse donnent des conseils aux élèves. Les pompiers lancent un

Ainsi, nous avons dû repenser les procédures d’arrivée et de départ des élèves à l’école afin d’accommoder nos familles tout en maintenant les mesures

Parce qu’un journal vit avant tout grâce à ses rédacteurs, l’équipe du Pi- pin Déchaîné vous invite à prendre le relais l’année prochaine, afi n que l’aventure se

A u grand bourgeois romain, mâtiné d'aristocrate, au lon- giligne austère, secret et méditatif, à l'homme de culture qui lisait tout, dans toutes les langues, et ne cessa d'écrire

Ainsi, le tra- vail de décodage peut concerner le numéro affiché sur l’écran de l’ordinateur (repère ① ), la trame numé- rique après traitement par le module (repère ② )

La sociologie du travail telle qu’elle s’est constituée en France, a ignoré la question des femmes.. La figure de la femme travailleuse est apparue avec Madeleine Guilbert,

L’empire catholique de Charlemagne coexiste avec l’Empire byzantin, héritier de l’empire romain d’Orient.. Les deux empires ont en commun d’être chrétiens, mais ils ont

Certains noms communs ne changent pas ni au masculin ni au féminin, seul le déterminant change.. Un dentiste – une dentiste Le pianiste –