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Prise en charge des paresthésies buccales dans un modèle de consultation stomato-psychologique

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Texte intégral

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C. Degive de Saussure F. Combremont

introduction

Un certain nombre de patients exprime une plainte du type brûlures, picotements, ou gêne importante au niveau de la ca- vité buccale, pour laquelle aucune cause ou lésion organique ne peut être objectivée. Le diagnostic de ces patients est celui de paresthésies buccales médicalement inexpliquées (PBMI), anciennement dites psychogènes ; la littérature anglophone parle de burning mouth syndrome.1,2 Cet article décrit la prise en charge des patients selon un modèle de consultation conjointe stomato-psychologique.

historique delaconsultation

A la demande de la Division de stomatologie de la clinique dentaire en 1996, une consultation conjointe stomato-psychologique a été mise en place pour prendre en charge les patientes présentant des PBMI. La demande d’une prise en charge psychologique de la part du Service de stomatologie était motivée par le fait que les symptômes physiques exprimés par les patientes s’accompagnaient d’une demande insistante d’investigations médicales et qu’en dépit des déclarations rassurantes du corps médical, rien ne soulageait ces patientes.

La combinaison de ces deux éléments – les plaintes répétées du malade, et le désarroi de son médecin – nécessite, pour éviter une rupture relationnelle, une prise en charge spécifique. La technique de prise en charge en consultation conjointe mé- dico-psychologique (CCMP) a était une conception nouvelle et indiquée pour ce type de pathologie. C’est pour ce motif qu’elle a été retenue par les deux ser- vices.3 En effet, cette technique de prise en charge permet de proposer aux pa- tients de les recevoir autrement, et l’aspect concret de la double présence den- tiste-psychologue est original, dans le sens d’une nouveauté – qui surprend, qui mobilise – et met le patient dans une situation de dire autre chose que la simple répétition de la plainte somatique. Cette plainte répétée de la part de ces patients, parfois très isolés fa- milialement ou socialement, est un moyen d’être en contact avec quelqu’un. Les consultations variées et nombreuses que les patients organisent chez différents spécialistes constituent, pour certains d’entre eux, un réseau social.

Les patients se présentent à la consultation conjointe soit une seule fois, soit entre une et douze fois. Le but de ces consultations est de les prendre en charge Treatment of oral paresthesia in a joint

stomato-psychological consultation model Medically unexplained oral paresthesia, or burning mouth syndrome, is a condition that primarily affects female patients, and often leads them to consult their dentist, who may feel helpless concerning the repeated com- plaints of these patients. Therefore, they tend to increase visits to various health professio- nals in an attempt to find a relief. Since 1996, a joint stomato-psychological consultation has been established in Geneva University Hos- pitals, in order to offer adequate care to these patients. This article describes this type of treatment, and the referral issues.

Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 371-3

Les paresthésies buccales médicalement inexpliquées (PBMI) sont une pathologie qui touche principalement la population féminine et amène souvent les patientes à consulter leur mé- decin-dentiste. Celui-ci peut se sentir démuni face aux plain tes répétées de ces patientes, qui tendent dès lors à multiplier les consultations chez de nombreux soignants afin de trouver une solution à leur souffrance. Depuis 1996, une consultation conjointe stomato-psychologique a été instaurée aux Hôpitaux universitaires de Genève afin d’offrir une prise en charge adé- quate à ces patientes. Cet article décrit ce type de prise en charge, ainsi que la problématique du référé.

Prise en charge des paresthésies

buccales dans un modèle de consultation stomato-psychologique

le point sur...

Colette Degive de Saussure Psychologue

Service de psychiatrie de liaison et d’intervention de crise HUG, 1211 Genève 14

colette.degivedesaussure@hcuge.ch Florian Combremont, MD Section de médecine dentaire Division de stomatologie, chirurgie orale et radiologie dento-maxillo-faciale Rue Barthélémy-Menn 19, 1205 Genève florian.combremont@unige.ch

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a Consultation conjointe médico-psychologique : tech- nique de prise en charge thérapeutique et procédé pédagogique simultané pour les deux thérapeutes.

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sur le plan psychothérapeutique. Depuis 2010, il est égale- ment proposé à certains patients une prise en charge par hypnose, parallèlement aux séances conjointes.

présentation clinique

Il existe une très nette prédominance féminine (certains auteurs rapportent un rapport F:H de 33:1),4 et l’âge d’ap- parition des symptômes se situe entre 40 et 60 ans. Classi- quement, les patientes se plaignent de sensations de brû- lures ou de picotements siégeant sur le dos et les bords de la langue. Cette symptomatologie, qui peut s’étendre au reste de la cavité buccale (palais dur, muqueuse labiale…), apparaît brutalement ou progressivement et tend à s’ag- graver au cours du temps. Des troubles du goût (dysgueu- sie), une halitose, une modification du flux salivaire, ou un bruxisme peuvent également constituer un motif de con- sultation, tout comme une sensation d’enflure des lèvres ou de la langue. Parfois, ce sont des douleurs atypiques, mal localisées et dont la cause n’est pas clairement éluci- dée, qui sont décrites par les patientes de façon très répé- titive.1,2,4,5

Souvent les patientes associent l’apparition de leurs symp tômes à un élément déclencheur tel qu’un traitement dentaire, un traitement médical, ou parfois une difficulté personnelle dans la période de vie qu’elles vivent actuel- lement. Toutes ces plaintes, qui sont présentes dans la plupart des cas depuis des mois, voire des années, con- trastent avec l’absence de lésions ou d’éléments d’orienta- tion lors des examens complémentaires.

Parmi les habitudes de ces patientes, la pratique de l’auto-examen de la cavité buccale est très fréquente. Bien souvent, cette pratique est évoquée après une ou deux consultations. Comme si un lien de confiance devait être établi pour confier cette habitude qui couvre l’angoisse, de même que les inquiétudes qu’elle suscite au moment de cette pratique. C’est d’ailleurs lors de cet «aveu» que la pa- tiente pourra plus explicitement exprimer au dentiste ses questions sur la normalité de sa cavité buccale, ou encore ses craintes oncologiques.

diagnosticdifférentiel

Le diagnostic différentiel des PBMI est avant tout un diag- nostic d’exclusion, c’est-à-dire qu’il est nécessaire d’écarter toute cause organique avant de poser un tel diagnostic.1,2,4,5 Outre l’absence de lésion observée à l’examen clinique, il est important d’exclure les pathologies pouvant provoquer les symptômes qui poussent la patiente à consulter : candi- dose, déficit en vitamine B12, en fer ou en folates, lichen plan, syndrome de Gougerot-Sjögren, xérostomie, effets se- condaires de médicaments, allergies, névralgie du trijumeau, etc.

Par ailleurs, un élément récurrent du diagnostic différen- tiel est l’horaire d’évolution des symptômes : ces derniers sont le plus souvent absents au réveil, et s’accentuent au fur et à mesure que la journée avance, mais ne perturbent gé- néralement pas le sommeil (bien que les patientes puis sent évoquer des difficultés d’endormissement et les attribuer à leurs symptômes, alors qu’elles sont liées à leur anxiété).

Un autre élément fréquemment mis en évidence par l’exa- men clinique est une empreinte des dents sur les bords de la langue, voire sur la lèvre inférieure, provoquée par un tic dit de «succion-aspiration». Les patientes créent un vide d’air dans la bouche, ce qui plaque les tissus mous contre les dents et peut laisser une empreinte s’il est pratiqué fré- quemment. La fréquence ou l’intensité de cette pratique sont liées au niveau d’anxiété des patientes à un moment donné, à tel point que certaines patientes le voient, après un certain nombre de séances, comme un baromètre de leur anxiété.

déroulement delaconsultation

etimportancedel

examenbuccal

Pour qu’une consultation conjointe soit bien établie, alliant un(e) dentiste et un(e) psychologue, il est impensa- ble de faire l’économie de la question de la constitution du tandem. Travailler ensemble, l’un devant l’autre, nécessite une alliance de base qui doit être explicite entre les deux thérapeutes. La constitution du tandem est une alliance thérapeutique dont le patient bénéficiera. C’est une des raisons pour lesquelles nous restons précis dans la consti- tution des tandems et dans le maintien du cadre de ces consultations, ce dernier permettant aux patients de pren- dre distance du symptôme.3 Il est nécessaire par ailleurs pour les deux thérapeutes de préciser, au fil du temps, les craintes, les motivations, les questions qui les concernent chacun.

Le fait d’exercer en stomatologie est un choix, et est en quelque sorte un premier soin, car nous recevons une po- pulation très réfractaire à consulter dans les services de psychiatrie classique, voire qui ignore l’accès possible à un service de psychiatrie, tant leur isolement s’est progressi- vement constitué : la plupart de ces patientes n’ont jamais eu l’occasion de parler d’elles-mêmes. Nous recevons donc les patientes dans le Service de stomatologie, dans un ca- binet dentaire fermé et équipé d’un fauteuil dentaire et de trois sièges.

Lors de l’accueil, une présentation est faite à la patiente des identités des deux thérapeutes. Après une invitation adressée à la patiente à exprimer les motifs de sa consul- tation, un examen buccal sur le fauteuil du dentiste est pro- posé par le dentiste au gré du moment le plus propice. A d’autres moments, estimés comme pouvant avoir une visée psychothérapeutique, c’est la psychologue qui suggère au dentiste de procéder à l’examen buccal. Cet examen peut être répété plusieurs fois au cours d’une consultation, et de toute manière lors de chacune des consultations. Il satisfait le désir d’être prise en charge d’abord au niveau buccal, car toute autre demande ou expression personnelle est vé- cue comme angoissante par les patientes. L’examen buc cal, lors de la première consultation ou dans sa répétition, per- met à la patiente de mieux choisir un moment de la consul- tation dans lequel elle souhaitera exprimer quelque chose de psychoaffectif. Cette population réfractaire à la prise en charge psychothérapeutique exige une prise en charge faite de petits pas. Parfois, l’examen buccal n’est plus estimé nécessaire par les patientes après plusieurs séances, la présence et l’écoute du dentiste devenant pour elles plus

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significatives que la réassurance donnée par l’examen. Par ailleurs, certaines explications buccales ayant été données, on observe une intégration de celles-ci d’une manière suffi- samment solide pour pouvoir espacer les examens buccaux et on constate que les explications données ont suffisam- ment rassuré la patiente – par exemple au sujet des tics de succion.

Le fauteuil du dentiste – et l’image redoutée qu’il peut susciter – devient là un endroit confortable, où pour une première fois, les patientes peuvent énoncer une question, exprimer une confidence. Dans ces moments, l’apport du dentiste est pédagogique.

Pour compléter cet élément clinique, il faut ajouter que la présence du dentiste et son écoute à chaque séance permettent aux patientes d’être moins angoissées de con- sulter, de revenir à un rythme convenu ensemble, d’exprimer peu à peu à la psychologue des difficultés personnelles.

Elles leur permettent aussi de cheminer très progressive- ment vers des prises de conscience des difficultés qui sont les leurs : idées dépressives, réminiscence d’événements traumatiques, deuils non résolus, événement personnel énon cé une première fois, etc. Il s’agit bien souvent d’un symptôme de dépression masquée. Même si actuellement ce diagnostic n’est plus utilisé, cette terminologie convient le mieux pour rendre compte des souffrances psychiques des patientes : le processus dépressif est masqué par la symptomatologie buccale.6

Comment le dentiste – ou d’autres médecins – peuvent- ils référer une patiente souffrant de paresthésies buccales à la consultation conjointe de la division de stomatologie ?

Comme évoqué dans un article précédent,7 le point le plus délicat concerne la question du référé : «comment vais- je convaincre ma patiente de se rendre à la consultation conjointe ?». La manière la plus efficace pour le praticien consiste à : 1) montrer au patient qu’il est touché par ses plaintes et 2) assumer la décision du référé : «j’entends bien vos plaintes, et je vous crois. Votre affection est parfaitement connue, il s’agit de paresthésies buccales. Je vous propose de vous adresser à une équipe dentiste-psychologue qui

propose une technique de travail qui pourrait vous soula- ger.» Cette manière de faire maintient la relation et per- mettra au tandem d’avoir le soutien parallèle du praticien référant.8

conclusion

La consultation conjointe en stomatologie permet au den- tiste et au psychologue de ne pas travailler seuls auprès des patients exprimant la spécificité des PBMI. Le cadre posé est suffisamment contenant et étayant. Avec ce type d’alliance, on observe une diminution des mouvements dé- fensifs et projectifs des patientes, mais aussi des thérapeu- tes. L’apport et l’intérêt d’être physiquement ensemble, auprès de ces patients, permet d’ailleurs au dentiste d’ob- server de quelle manière la psychologue est également confrontée dans les consultations à une provocation narcis- sique ou identitaire.

Tous les deux ont un soin à apporter. Ecouter est un acte.

Le dentiste, habituellement «interventionniste» l’est ici dans la constitution de la relation. Le tandem authentifie au pa- tient le souhait du dentiste de vouloir prendre en charge le patient dans un soin global. Et il offre à cette population l’accès à un soin psychothérapeutique.

1 de Moraes M, do Amaral Bezerra BA, da Rocha Neto PC, et al. Randomized trials for the treatment of burning mouth syndrome : An evidence-based review of the literature. J Oral Pathol Med 2011; epub ahead of print.

2 Minguez-Sanz MP, Salort-Llorca C, Silvestre-Donat FJ. Etiology of burning mouth syndrome : A review and update. Med Oral Patol Oral Cir Bucal 2011;16:e144- 8.

3 Degive C, Archinard M, Kos MI, Guyot JP. Interven- tions médico-psychothérapeutiques en ORL : nouvelle

approche pour les patients souffrant de la maladie de Menière. Otorhinolaryngol Nova 2000;10:11-5.

4 * Mock D, Chugh D. Burning mouth syndrome. Int J Oral Sci 2010;2:1-4.

5 ** Drocco C, Degive C, Archinard M, Samson J.

Paresthésies buccales médicalement inexpliquées. Real Clin 1999;10:447-54.

6 Demange C, Husson C. Prise en charge des pares- thésies buccales psychogènes (PBP). Inf Dent 1999;10:

675-9.

7 * Degive de Saussure C, Cunier-Drocco C. Une

patiente me dit, pour la énième fois : «Ma langue me brûle, je perçois un mauvais goût dans ma bouche... : que puis-je faire?» Med Hyg 2003;2424:359.

8 Sartori M, Rosset C, Degive C et al. Consultation conjointe médico-psychologique (CCMP) : étude préli- minaire de follow-up auprès de 13 patientes souffrant de paresthésies buccales médicalement inexpliquées.

Med Buccale Chir Buccale 2006;12:31-8.

* à lire

** à lire absolument

Bibliographie

Implications pratiques

Les praticiens doivent être en mesure de diagnostiquer les paresthésies buccales médicalement inexpliquées (PBMI) et de rassurer les patientes qui les consultent pour de telles pa- thologies

Une prise en charge en consultation conjointe stomato-psy- chologique est adéquate pour le traitement des PBMI Une bonne maîtrise de la technique du référé permet de maintenir le lien entre la patiente et le médecin (-dentiste) référant, en parallèle à la consultation conjointe

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