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L -'enseignement de la morale

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Q U E S A I S - J E ?

L -'enseignement de la morale

L I L I A N E M A U R Y Chargée de Recherche au CNRS

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ISBN 2 13050015 3

Dépôt légal — 1 édition : 1999, août

© Presses Universitaires de France, 1999 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

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INTRODUCTION

Peut-on enseigner la morale ? Voilà une question ancienne, aussi ancienne que la réflexion philoso- phique. On la trouve d'ailleurs posée en termes clairs et, au style près, définitifs, dans le Ménon de Platon :

« Es-tu à même, Socrate, de me dire, au sujet de la vertu, si c'est quelque chose qui s'enseigne ; ou bien, si, au lieu d'être matière d'exercice ou d'enseignement, elle est chez les hommes un don naturel ; ou bien s'il y a quelque autre façon encore dont on l'acquière ? »

Socrate, bien entendu, ne répond pas directement à cette question. Mais, suivant une démarche devenue célèbre, il en démonte toutes les difficultés. Car, com- ment enseigner une matière aussi mal définie que la vertu ? De plus, et c'est là une question pratique, où trouver les maîtres susceptibles de donner un tel enseignement ?

La loi du 28 mars 1882, en imposant l'enseignement de la morale - et l'instruction civique - à l'école pri- maire en France, donne à ce problème un caractère concret, technique, et surtout social. Elle transforme la question philosophique et théorique en pratique péda- gogique. Par la même occasion, l'enseignement de la morale confère à l'école primaire une vitalité et une dynamique, qu'on perçoit encore de nos jours, alors que cet enseignement ne se donne plus de la même façon explicite. Quelles sont les causes de cette vita- lité ? Tel est le sujet de cet ouvrage. Nous l'abordons de quatre points de vue différents et complémentaires.

Dans un premier chapitre, nous considérons les bases philosophiques qui fondent la morale enseignée à l'école. C'est une philosophie, largement oubliée de

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nos jours, qui a régné en France entre 1848 et 1870.

Une philosophie essentiellement préoccupée de morale et de politique, très engagée dans les événements histo- riques de l'époque. Elle est centrée sur deux questions morales, qui ne sont pas indépendantes, et qu'on retrouve systématiquement dans les écrits de tous les auteurs : la question de « la liberté de conscience » et son pendant intellectuel, « la liberté de pensée ». La morale laïque est directement liée à ces deux notions.

Dans le deuxième chapitre, il s'agit de voir com- ment l'école enseigne effectivement la morale. Cette question est éminemment pratique. Aussi nous l'étudions à partir des documents utilisés par les insti- tuteurs : les manuels scolaires de morale et d'instruc- tion civique. Nous en avons retenu trois particulière- ment suggestifs, qui datent de 1881-1882, et qui ont été mis à l'index par l'Église : ceux de Gabriel Compayré, de Paul Bert et de Jules Steeg.

La morale de l'école, selon le souhait de Jules Ferry, fait de l'école de chaque hameau « une véritable mai- son d'éducation libérale ». Cette transformation, que nous étudions dans le troisième chapitre, ne va pas sans soulever toutes sortes de difficultés et de contra- dictions. L'une d'elles, et non des moindres, met en jeu les relations entre l'école et la famille - l'instituteur et le père de famille -, et, plus généralement, entre l'instruction, c'est-à-dire l'acquisition des connais- sances, et l'éducation morale.

Dans le quatrième et dernier chapitre, nous envisa- geons le thème de la morale de la République, ou, si l'on reprend le titre d'un discours célèbre de Jules Ferry - un discours prononcé en 1870 -, celui de

« l'égalité de l'éducation ». Ce thème prend naissance dans la philosophie du XVIII siècle. Il est au centre des débats idéologiques et pédagogiques, qui ont suivi la Révolution de 1789, et il préside ainsi à l'établissement de la 1 République en France. De nos jours, il est facile de le constater, ce thème est loin d'être épuisé.

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Chapitre 1

LES BASES PHILOSOPHIQUES DE LA MORALE LAÏQUE

La religion, la morale et la science : leur conflit dans l'éducation contemporaine, tel est le titre d'un ouvrage de Ferdinand Buisson, publié en 1900. Il s'agit en fait du texte de conférences, quatre conférences, faites, quelques mois auparavant, à l'Université de Genève.

A cette époque, en 1900, Ferdinand Buisson a depuis longtemps quitté la Suisse, où il avait trouvé l'asile, alors qu'il venait de passer l'agrégation de phi- losophie. En effet, il devait, comme tout un chacun à ce moment-là en France, pour exercer le métier d'enseignant, prêter serment de fidélité à l'Empire et à l'empereur Napoléon III. Refusant, comme beaucoup d'autres ce serment, en parfaite contradiction avec ses convictions politiques personnelles, il commence sa vie d'enseignant en Suisse.

C'est Jules Bami, professeur de philosophie égale- ment et nettement plus âgé que Ferdinand Buisson, exilé lui-même en Suisse pour les mêmes raisons, qui lui trouve un poste à l'Académie de Neuchâtel.

Barni est le traducteur de Kant en France. On lui doit d'avoir introduit de façon systématique, par la traduction fidèle et le commentaire avisé, cette philo- sophie qui, de l'aveu de tout le monde, clôt le siècle des Lumières et ouvre un nouveau débat, celui du XIX siècle, dont la morale laïque fait indéniablement partie.

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La philosophie morale de Kant a beaucoup impressionné - et peut-être est-ce encore le cas - les hommes du XIX siècle, et pas seulement les philoso- phes. Darwin, pour ne citer qu'un nom qui est fort éloigné de la spéculation philosophique et morale, en parle avec un grand respect. On peut dire aussi que Freud a vu dans « l'impératif catégorique » de Kant, une explication de l'efficacité persistante du Tabou.

Ferdinand Buisson, dans ses nombreuses conféren- ces sur la morale laïque, fait souvent allusion au « ciel étoilé au-dessus de nos têtes et (à) la loi du devoir au fond de nos cœurs ». Ici même, dans La religion, la morale et la science, il parle du kantisme dans la deuxième conférence. Celle-ci est consacrée aux diver- ses solutions proposées par les philosophes pour résoudre le conflit entre ces trois domaines. Buisson passe ainsi en revue les théories de plusieurs philoso- phes, certains de son temps - c'est-à-dire du XIX siècle -, comme par exemple Renouvier, Fouillée ou encore Secrétan qu'il admire beaucoup, d'autres anciens et plus connus de nos jours, comme Pascal, Descartes ou Spinoza. La conférence se termine par une sorte d'hommage au moralisme de Kant :

« Avec ses formes scolastiques qui expriment l'héroïsme dans ce qu'il a d'abrupt, il nous fait penser à ces chefs-d'œuvre de l'art primitif, égyptien ou dorien, qui déjà figurent la personne humaine, mais encore figée dans la pose immobile de son moule hié- ratique, qui déjà expriment la vie, mais encore enfermée et comprimée sous sa lourde robe de pierre d'où seul le génie classique saura un jour la faire jail- lir, libre, souple et mouvante. Qui sera le Phidias et le Praxitèle auquel il sera donné d'animer l'immortelle, mais rigide statue qu'est l'homme moral de Kant ? » Jules Barni est également l'auteur d'un ouvrage qui s'apparente quelque peu à celui de Ferdinand Buis- son, et dont le titre est tout à fait évocateur : La morale dans la démocratie. Ce livre contient des

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leçons - c'est-à-dire, comme les conférences de Buis- son, des textes qui ont été dits de vive voix devant un auditoire -, faites à Genève, en 1868, sur ce thème délicat. Une lecture de cet ouvrage, comme d'ailleurs de ceux de Ferdinand Buisson, permet de mesurer, ou du moins de ressentir, la distance qui nous sépare de ces hommes. Si nous nous posons les mêmes problè- mes de morale, ce qui est peut-être le cas, nous ne les posons pas dans les mêmes termes. Et surtout, là est sans doute le plus important, nous ne proposons pas les mêmes solutions pour résoudre les contradictions que ces problèmes soulèvent immanquablement.

Ferdinand Buisson, nous l'avons dit, est agrégé de philosophie. Cette qualification le conduit par défini- tion à devenir enseignant. Mais pour lui, et là encore il est loin d'être le seul à l'époque, l'enseignement se confond pratiquement avec le militantisme. On peut même dire plus. Toute œuvre de parole - et l'enseignement en est une forme parmi d'autres -, à cette époque mouvementée, devient œuvre de militan- tisme politique. L'exemple le plus célèbre est celui de Victor Hugo. Les Châtiments, dont plus d'une géné- ration s'est nourrie, est un recueil de poèmes militants contre l'Empire, et Les misérables, écrit en 1862 en exil, se veut de l'aveu de l'auteur, un roman utile pour la société.

Le premier écrit important de Ferdinand Buisson, en dehors des articles qu'il publie fréquemment dans les journaux suisses - dans l'espoir qu'ils parviennent à passer la censure qui règne en France -, est le texte de conférences, faites une fois de plus à Genève, sur L'enseignement de l'histoire sainte dans les écoles pri- maires. Ce texte paraît en brochure en 1869.

Avant de publier cette brochure, Ferdinand Buis- son avait proposé au ministre de Neuchâtel - le ministre Godet - une sorte d'expérience, ou si l'on préfère une sorte de jeu : une discussion libre - et ce mot est lourd de sens à cette époque -, c'est-à-dire,

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Ferdinand Buisson le spécifie, publique et en pré- sence de femmes, sur l'opportunité de faire lire la bible aux enfants. Cette lecture est en principe obli- gatoire en Suisse, comme dans tous les pays protes- tants. Il suggère pour que les choses soient concrètes, de lire à voix haute des passages de la bible à cette assemblée, qui peut dès lors juger sur pièce, si elle est pour ou contre un tel enseignement. Le ministre refuse ce pari qu'il juge même « ignoble », d'où la réponse de Buisson : « Vous trouvez "ignoble" de lire la Bible devant des adultes et vous ne trouvez pas inconvenant que des enfants de 12 à 15 ans, filles et garçons, l'aient continuellement et librement entre les mains... »

Dans la brochure, Ferdinand Buisson, qui a une très bonne connaissance de la bible, non seulement à cause de son éducation protestante, mais aussi parce qu'il a dû l'éplucher pour sa réflexion pédagogique, se livre lui-même à ce jeu de massacre. Il épingle, et ce n'est pas difficile, toutes sortes de passages du saint livre où la morale la plus élémentaire est bafouée. Il reprend la même procédure dans la troi- sième conférence de 1900.

Que reproche Ferdinand Buisson à la bible, à l'histoire sainte et, de façon plus générale à l'enseignement religieux ? De donner à l'enfant une notion du bien et, surtout il faut le reconnaître, du mal, définie d'avance, extérieure et autoritaire. Pour lui, le bien et le mal sont affaire de conscience. Seule la conscience est habilitée à dire si un acte est bon ou mauvais. C'est la raison pour laquelle toute son œuvre morale milite pour la « liberté de conscience », qui est le complément de la « liberté de pensée ».

En 1869, l'année même où paraît cet écrit, Ferdi- nand Buisson assiste à un congrès de la Ligue de la paix et de la liberté, à Lausanne. Il y fait une fois de plus une proposition hardie : « L'abolition de la guerre par l'instruction ». C'est au cours de ce con-

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grès qu'il rencontre un personnage qui va lui per- mettre de réaliser ses idées : Jules Ferry.

Lorsqu'on considère de nos jours, avec le recul du temps, la morale laïque, celle que Jules Ferry a imposée à l'école primaire, par la loi du 28 mars 1882, on ne peut s'empêcher d'être pris entre deux attitudes inconciliables.

D'une part on a l'impression qu'il s'agit d'une morale effectivement laïque, et qui s'oppose à la morale religieuse. Cette opposition est profonde, car les débats qui ont précédé le vote définitif de cette loi ont été extrêmement houleux. On a même vu des hommes, tout à fait favorables aux lois scolaires de la III République, reculer devant la laïcité. C'est le cas par exemple du philosophe spiritualiste Jules Simon, dont on parlera plus loin. Il est certes pour l'instruction primaire et pour la construction d'écoles pour le peuple, nombreuses et belles. Mais ce qu'il ne peut admettre, c'est que la morale laïque n'inscrive pas à son programme « les devoirs envers Dieu ». Ce Dieu qu'invoque Jules Simon, n'est peut-être pas le même que celui qu'invoquent d'autres hommes. Car ce philosophe a une idée de la religion proche de celle de Rousseau : La religion naturelle. Tel est d'ailleurs le titre de l'un de ses ouvrages. Mais Jules Ferry repousse cette idée - et l'amendement proposé -, spé- cifiant qu'il ne souhaite pas faire de chaque enfant de France une sorte de « vicaire savoyard ». Ce n'est pas là l'objectif de l'école ni de la morale laïque. Elles doivent, selon la formule héritée de la Révolution, en faire un homme et un citoyen.

D'un autre côté, surtout quand on lit les textes de Ferdinand Buisson, on a l'impression que cette morale laïque est en fait une sorte de religion. Tout le vocabulaire de Buisson se prête facilement à cette interprétation. N'a-t-il pas intitulé son ouvrage prin- cipal, qui paraît en 1912, et qui est un recueil d'extraits d'articles et discours importants, qui ont

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ponctué sa longue carrière, La foi laïque ? Cette expression est, il faut bien le reconnaître, d'une par- faite ambiguïté.

Pour mieux saisir ce que recouvre cette ambiguïté, il faut essayer de se replacer dans les idées de l'époque, et peut-être remonter un peu plus haut dans le temps. Pour cela, l'auteur le plus instructif est cer- tainement Edgar Quinet.

Ferdinand Buisson le rencontre en Suisse où il est installé. Car Quinet a été proscrit au lendemain du coup d'État du 2 décembre. Buisson voue une admi- ration sans bornes à l'ancien professeur du Collège de France, à l'ami de Michelet - on connaît leurs fameux cours de 1843 contre Les Jésuites. Jules Ferry aussi admire Quinet. En 1866, alors qu'il n'est encore que journaliste, Ferry publie dans Le Temps - un journal qu'il a fondé cinq ans auparavant -, une série

d'articles sur La Révolution de Quinet.

En 1870, alors qu'il s'apprête à rentrer en France, Quinet édite un volume de textes anciens, écrits et publiés à diverses époques. Il lui donne pour titre : Politique et religion. France et Rome. Parmi ces textes, on trouve une lettre de 1863, adressée à Eugène Sue - l'auteur des Mystères de Paris -, elle-même inti- tulée : « Lettre sur la situation religieuse et morale de l'Europe. » Voici un passage de cette lettre :

« Je viens de relire le morceau écrit par Jouffroy vers 1825 : Comment les dogmes finissent. Il a analysé avec une sagacité admirable tous les enseignements qui étaient offerts dans le passé et dans les faits accomplis sous ses yeux. Mais combien il est loin du vrai et de la réalité, dès qu'il essaye de soulever le voile du lende- main, pour pénétrer au-delà du moment où il écrivait.

On souffre aujourd'hui en voyant l'espérance exaltée qu'il mettait dans les hommes de son temps !

« Il croyait (et il a légué cette erreur à beaucoup d'hommes de nos jours), il croyait qu'une religion morte, vaincue par la raison, ne peut plus être un

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obstacle, un danger pour les sociétés humaines. Le faible des philosophes et des écrivains dans les affai- res d'État, a toujours été de penser qu'un dogme est fini quand on l'a réfuté, et qu'il suffit de montrer la lumière aux hommes pour qu'ils se dégoûtent des ténèbres. Les hommes de 1825 ne savaient pas qu'après que la discussion est close, quand les dog- mes morts n'ont plus rien à répliquer, ils se pétri- fient ; devenus sourds à toute vérité, capables seule- ment d'outrages, ils ont sous cette forme la puissance d'inertie et d'étouffement qui tient de la nature aveugle. Le paganisme a été vaincu cent fois par l'esprit des philosophes qu'il pesait encore, comme la pierre du sépulcre ; sans le marteau du Centurion, ses temples seraient encore debout en Occident, comme ils le sont dans les Indes orientales. »

Théodore Jouffroy est un philosophe peu connu.

Contemporain de Victor Cousin, son aîné de quel- ques années, il n'a pas eu la même carrière, à la fois universitaire et politique. Cousin, on le sait, a formé tous les professeurs de philosophie de la première moitié du XIX siècle en France, ceux précisément qui enseignaient du temps de Ferdinand Buisson. Nous avons déjà rencontré Jules Barni et Jules Simon, qui sont des disciples de Cousin, mais ils ne sont pas les seuls. Paul Janet par exemple, qui sera chargé par Jules Ferry de superviser le programme de morale de l'école primaire, a été le secrétaire de Cousin à la fin de sa vie.

De plus, Jouffroy est mort jeune, en 1842. C'est ce qui explique, selon Quinet, l'illusion dans laquelle il est tombé. Il a cru, n'ayant pas assisté au retour en force de la religion, qu'il suffisait d'en montrer la mort, de façon rationnelle et philosophique, pour que celle-ci soit admise par tout un chacun. Pour Quinet, c'est là confondre la philosophie et la politique.

Politique et religion ouvre, et ce n'est pas un hasard, sur un texte datant de 1849, un texte écrit

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prouvé positivement que plusieurs d'entr'eux étaient dans l'un de ces cas : ainsi, sous cet aspect, ils pour- raient nous faire tomber dans une erreur contraire à la première, en nous portant à trop restreindre ce développement de l'homme isolé. D'ailleurs aucun d'eux jusqu'à présent n'a été observé avec les précau- tions nécessaires et les détails suffisants, l'idéologie étant de toutes les parties de la physique animale, celle qui exige les observations les plus scrupuleuses et les plus circonstanciées. Nous ne pouvons donc tirer aucune conclusion bien certaine de ces expériences. »

Ces lignes appellent plusieurs remarques. La pre- mière concerne le personnage qu'elles mettent en scène : « le Sauvage de l'Aveyron ». Destutt de Tracy ne l'a pas rencontré lui-même. Il a lu, comme il l'écrit ici, une notice, publiée cette année-là par le citoyen Bonnaterre, professeur de sciences naturelles à l'école centrale de Rodez. Après cette première observation, le « Sauvage » sera envoyé à Paris, où un médecin, Itard, va entreprendre son éducation. Pour Itard, le

« Sauvage » représente tout simplement la fameuse statue de Condillac. Il va donc entreprendre de déve- lopper tous ses sens. Mais en même temps, ce « Sau- vage » - d'où d'ailleurs son nom - représente l'origine de l'humanité, c'est-à-dire un état précédant la civili- sation. De sorte que l'entreprise d'Itard est double.

Elle consiste à éduquer un individu, et à montrer les bienfaits de la civilisation. On comprend l'ampleur de la tâche, qui d'ailleurs de l'aveu même de son auteur, est un échec.

Destutt de Tracy a à ce sujet une attitude plutôt sceptique. Elle ressemble beaucoup à celle du médecin Pinel, auteur d'un ouvrage - de la même année 1800 - sur l'aliénation mentale. Destutt de Tracy en recommande chaudement la lecture. Pinel en effet, par une démarche inverse de la sienne - allant de l'étude de la déraison vers la raison - confirme, selon lui, une grande partie de l

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Le « Sauvage de l'Aveyron » et la tentative d'éducation qu'a menée sur lui le médecin Itard, est le point de départ d'une nouvelle image de l'enfant et d'une nouvelle discipline : la psychologie de l'enfant. Dans cette conception, l'enfant représente le développement mental d'un individu et, en même temps, l'évolution de l'humanité, un être collectif et quelque peu mythique. Sous cette assimilation se logent bien entendu toutes sortes de difficultés. En particulier, cette image composite de l'enfant, suivant qu'on lui associe ou non, celle de l'aliéné, revêt un caractère négatif ou positif. Nous l'avons rencontrée, sous son aspect positif, dans la première des confé- rences de 1900 de Ferdinand Buisson. Il en attribue d'ailleurs l'invention philosophique à Pascal (on la trouve en effet dans la préface au Traité du vide).

La deuxième remarque est d'ordre philosophique.

On peut lire dans ces lignes, même si le nom n'est pas prononcé, une critique de Rousseau, de l'état de nature isolé qu'il a mis en place en 1755, pour son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. D'ailleurs un peu plus haut dans ce même chapitre, Destutt de Tracy écrit : « Mes jeunes amis, méfiez-vous des poètes, et des philosophes, qui, comme eux, raisonnent d'après leur imagination, et non d'après les faits ; ce sont d'aimables enchanteurs.

L'âge d'or, tant vanté, est le temps de la souffrance et du dénuement ; et l'état de nature est celui de la stu- pidité et de l'incapacité absolues. »

Destutt de Tracy a sans doute peu de sympathie pour l'éloquence de Rousseau. Elle lui paraît peu propice pour susciter la réflexion du lecteur. Mais sa critique de l'état de nature est probablement davan- tage fondée sur le fait que, contrairement à Rousseau, il a une idée positive de la société. Du moins, il est persuadé que l'état naturel à l'homme est l'état social.

Aussi, il appartient à l'homme de le rendre bénéfique.

Cette vision de l'origine de l'homme, où l'individu

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et la société sont étroitement liés l'un à l'autre, est une nouveauté par rapport au XVIII siècle. Elle met Destutt de Tracy sur la voie du langage, auquel il accorde d'ailleurs une grande importance. Le second tome de l' Idéologie est une Grammaire, et le troisième, qui complète l'ensemble - et qui est dédié à Caba- nis -, une Logique.

De plus, cette vision complexe de l'origine de l'homme, revient à une négation de la création. Le XIX siècle ne s'y est pas trompé, en taxant l' Idéologie de matérialisme. Enfin, et cela nous concerne plus directement, dans cette conception, l'instruction prend un caractère tout nouveau. Comme le langage, elle fait partie de la « nature de l'homme », et en même temps, elle lui est fournie par la société.

Une dernière remarque s'impose sur ce passage, et d'ailleurs sur tout le chapitre dont il est tiré. Le thème qui y est abordé - « du perfectionnement graduel de nos facultés intellectuelles » -, recoupe celui de l' Esquisse de Condorcet. Mais les points de vue des deux Idéologues diffèrent grandement, leurs démar- ches sont pratiquement opposées.

Destutt de Tracy, on vient de le constater, se dirige vers l'origine de l'homme, qu'il met ainsi en cause.

Condorcet procède tout autrement. Il divise l'histoire de l'esprit humain ou, et cela revient au même, de l'humanité, en dix périodes, dont il fait le tableau.

Ces périodes décrivent une progression allant d'un état assez démuni, celui de peuples pasteurs puis agri- culteurs, à l'époque moderne, où prédomine l'esprit scientifique. Dans cette Esquisse, bien entendu, l'invention de l'imprimerie joue un grand rôle. La huitième époque s'étend ainsi « depuis l'invention de l'imprimerie, jusqu'au temps où les sciences et la philo- sophie secouèrent le joug de l'autorité ». Cette idée, notons-le en passant, existe déjà chez Rabelais. Dans le dixième et dernier tableau, Condorcet fait un pas supplémentaire. Il se dirige vers l'avenir, et spécule

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sur les « progrès futurs de l'esprit humain ». Dans cette démarche prospective, il est guidé par sa formation de mathématicien, en particulier par sa connaissance des probabilités. C'est ce qui lui permet de prévoir une progression toujours croissante, et une égalité indéfinie entre les hommes. Destutt de Tracy n'a pas cette confiance en l'avenir, et de plus, il ne croit pas que l'égalité totale entre les hommes soit un jour pos- sible. Il s'en explique d'ailleurs en termes idéologi- ques : « L'idée du tien et du mien dérive de celle de toi et moi, nous ne pouvons la détruire. Faisons que toi et moi ne soient ni oppresseurs ni opprimés.

N'aspirons pas à davantage. »

Le dernier livre de Destutt de Tracy est un Traité de la volonté et de ses effets. C'est aussi et avant tout un traité de morale. Car la volonté est ce qui déter- mine les actions, c'est-à-dire la conduite des hommes à l'égard des choses et des autres. Ce traité est bien entendu une application de l Idéologie. Toute l'entre- prise de Destutt de Tracy a en fait pour but de relier la volonté et la raison, et même, ce qui est beaucoup plus difficile, de soumettre la première à la seconde.

La première partie de ce traité porte sur l'économie politique. Mais conçue, il s'en explique, d'un point de vue moral. C'est dans le premier chapitre de cette partie, que Destutt de Tracy aborde enfin une ques- tion délicate, celle de la définition de « la société ».

A ce propos, il fait la remarque que voici :

« Smith, si je ne me trompe, est le premier qui ait remarqué que l'homme seul fait des échanges propre- ment dits. Voyez l'admirable chapitre second du pre- mier livre de son Traité des Richesses. Je regrette qu'en remarquant ce fait, il n'en ait pas recherché plus curieusement la cause. Ce n'était pas à l'auteur de la Théorie des sentimens moraux à regarder comme inutile de scruter les opérations de notre intelligence.

Ses succès et ses fautes devaient contribuer également à lui faire penser le contraire. Malgré cette négligence,

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son assertion n'en est pas moins vraie. On voit bien certains animaux exécuter des travaux qui concourent à un but commun et qui paraissent concertés jusqu'à un certain point, ou se battre pour la possession de ce qu'ils désirent, ou supplier pour l'obtenir ; mais rien n'annonce qu'ils fassent réellement des échanges for- mels. La raison en est, je pense, qu'ils n'ont pas un langage assez développé pour pouvoir faire des conventions expresses ; et je crois que cela vient (comme je l'ai expliqué dans mon second volume, article des Interjections, et dans le premier, à propos des signes) de ce qu'ils sont incapables de décomposer assez leurs idées pour les généraliser, pour les abs- traire et pour les exprimer séparément, en détail, et sous la forme d'une proposition ; d'où il arrive que celles dont ils sont susceptibles sont toutes particuliè- res, confuses avec leurs attributs, et se manifestent en masse par des interjections qui ne peuvent rien expli- quer explicitement. L'homme, au contraire, qui a les moyens intellectuels qui leur manquent, est naturelle- ment porté à s'en servir pour faire des conventions avec ses semblables. Ils ne font point d'échanges, et il en fait ; aussi lui seul a-t-il une véritable société ; car le commerce est toute la société, comme le travail est toute la richesse. »

Cette définition mercantile et échangiste de la société est datée, et l'on comprend qu'elle ait été cri- tiquée par Marx. Mais on peut y voir autre chose : une image du rôle de l'école, du rôle de l'école dans une république. Car l'école publique est, en quelque sorte, le lieu où le langage se transforme en travail.

Le Traité de la volonté et de ses effets est un livre inachevé. Il s'arrête brutalement, au début d'un cha- pitre, et même d'une phrase. Une note finale corro- bore cette volonté d'inachèvement, sans la justifier.

Mais la justification s'impose d'elle-même ou, plus exactement, ce sont les événements politiques qui la fournissent. L'ouvrage sort en effet en 1815, c'est-à-

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dire à la Restauration de la monarchie. L'Idéologie n'a rien à apprendre à ce type de gouvernement.

Destutt de Tracy va encore vivre longtemps, dans le silence, jusqu'en 1836. On raconte même, que vieux et aveugle, toujours vêtu de noir et à la mode de l'ancien temps, il hantait les barricades de 1830.

Dans le Nouveau Dictionnaire de Pédagogie, il y a un article « Destutt de Tracy ». Il est de James Guil- laume, qui est le secrétaire de la rédaction du Diction- naire, et le spécialiste de l'œuvre scolaire de la Révo- lution. Voici le dernier paragraphe de cet article :

« Dans ses Observations sur l'instruction publique, Destutt de Tracy définit d'une manière intéressante le rôle qu'il assigne aux écoles primaires dans l'enseigne- ment national : "Dans toute société, dit-il, il y a néces- sairement deux classes d'hommes : l'une est la classe ouvrière, la seconde est celle que j'appellerai la classe savante." Ces deux classes d'hommes ont besoin, sui- vant lui, de deux genres d'éducation essentiellement différents : aux premiers, "il faut qu'une éducation sommaire, mais complète en son genre, soit donnée en peu d'années" ; les seconds ont plus de choses à apprendre, et des choses que l'on ne peut saisir que quand l'âge a donné à l'esprit un certain degré de développement ; leur cours d'études, devant être plus complet et durer plus longtemps, doit être disposé selon un programme différent. "Voilà des choses qui ne dépendent d'aucune volonté humaine ; elles déri- vent nécessairement de la nature même des hommes et des sociétés ; il n'est au pouvoir de personne de les changer. Ce sont des données invariables dont il faut partir. De ces prémisses il résulte que ceux-là se sont trompé, qui ont cru que les écoles primaires pouvaient être comme un premier degré d'instruction et la prépa- ration à des études ultérieures. Le cours d'études des écoles des enfants de la classe ouvrière doit être un abrégé de celui des autres écoles, mais il n'en doit pas

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être une partie. Il ne faut pas croire que l'on remplit son but, en y substituant l'enseignement des deux ou trois premières années de ces écoles plus savantes. Ce n'est pas faire l'abrégé d'un livre que d'en prendre les premières pages, et de laisser le reste... Concluons que dans tout État bien administré et où l'on donne une attention suffisante à l'éducation des citoyens, il doit y avoir deux systèmes complets d'instruction, qui n'ont rien de commun l'un avec l'autre... J'ai beaucoup insisté sur cette première considération parce que je regarde comme une grande erreur de croire que les écoles primaires se lient avec les écoles centrales et en sont comme le vestibule ; et je vois que cette erreur a pénétré même dans de très bons esprits. Peut-être cela vient-il de ce nom d'écoles primaires, qui semble indi- quer un premier degré ; car les mots ont une bien grande influence sur les idées ; c'est pourquoi je serais d'avis de changer cette dénomination. Quand une fois on a adopté la fausse vue qu'elle suggère, il me paraît impossible de rien comprendre au véritable esprit de notre système d'instruction publique". »

« Comme on le voit, les idées de Destutt de Tracy différaient essentiellement de celles que le parti montagnard avait essayé de faire prévaloir à la Convention. Le Comité d'Instruction publique d'octobre 1793, dont Romme était le rapporteur, désirait que tout citoyen fût préparé dans les écoles nationales "à choisir une profession utile" ; et les trois degrés de ces écoles devaient être parcourus par l'ensemble des élèves, chaque degré formant la prépa- ration au suivant. En l'An III, Lakanal, tout en aban- donnant le plan de Romme, qui avait paru trop vaste et inexécutable, persistait à regarder les écoles primai- res comme le "vestibule" conduisant aux écoles cen- trales. Destutt de Tracy, au contraire, pense que "la nature même des hommes et des sociétés" s'oppose à cette manière de voir, et que, pour deux classes de citoyens qui doivent rester éternellement séparées, il

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faut "deux systèmes d'éducation qui n'ont rien de commun l'un avec l'autre". Le plan de Romme était d'un égalitaire ; celui de Destutt de Tracy, d'un philo- sophe voltairien qui restait imbu des idées sociales de l'Ancien Régime et repoussait comme chimériques les aspirations de la démocratie. »

Ce portrait est bien sévère et la conclusion péremp- toire. Elle est aussi un peu trop rapide, et quelque peu erronée.

Certes, Destutt de Tracy est un homme de l'Ancien Régime. Mais tout ce qu'on a lu le montre à l'évidence, il n'est pas attaché aux idées sociales de cette époque, qu'il juge définitivement révolue.

L'Idéologie a précisément pour principal objectif, de mieux établir la nouvelle société républicaine. Toute la difficulté vient de ce qu'il n'est pas facile de savoir ce que cela signifie. On a affaire à des mots - en par- ticulier le mot « république » par exemple -, lourds de sens, et d'un sens qui fluctue, selon les époques et les lieux. Destutt de Tracy veut favoriser l'établissement d'un gouvernement républicain, c'est-à-dire fondé sur des lois rationnelles, d'où l'importance qu'il accorde à la pensée. Il revient aux « Représentants du peuple » la lourde tâche de faire soumettre les hommes à ces lois qui, étant justes, doivent être respectées. Destutt de Tracy a un côté sévère, on peut même dire autoritaire, qui vient de son ancien métier. Mais il est aussi très opposé, toute sa correspondance avec Jef- ferson le montre, à tout gouvernement où règne un seul individu, dont il craint - et l'époque veut que ce ne soit pas à tort - l'ambition excessive.

Destutt de Tracy est-il, comme l'écrit Guillaume, contre « les aspirations de la démocratie » ? Cela est tout à fait vrai. A condition de s'entendre sur ce der- nier mot, qui est sans doute encore plus difficile à situer que le précédent. Pour Destutt de Tracy, et contrairement à ce qu'on lit dans les écrits du XIX siècle - ceux de Paul Bert par exemple -, les

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mots « république » et « démocratie » ne se recoupent pas du tout. Ainsi, en 1791, dans une Lettre à M. Burke, cet orateur et philosophe anglais, qui a condamné la Révolution française, Destutt de Tracy spécifie : « Non, ce n'est point une démocratie que nous établissons, encore moins une ligue de démocra- ties confédérées, puisque nous avons refondu en un seul corps toutes les parties de l'Empire français, effort de vertu et de prudence, qui fera la solidité et la perfection de notre ouvrage, malgré les critiques irré- fléchies que je viens de repousser. »

Le texte auquel Guillaume fait référence dans son article est intitulé : Observations sur le système actuel d'instruction publique. Il date de 1801, et il a été écrit dans des conditions qui valent d'être soulignées.

A cette époque, Destutt de Tracy fait partie d'une commission pédagogique, dont le rôle est de faire les programmes des écoles centrales, et surtout, de les coordonner. Il s'agit en effet de rendre l'enseignement homogène dans toute la République, ce qui n'est pas facile lorsqu'on renonce à la tradition. De plus cette commission reçoit les impressions des nouveaux pro- fesseurs, et tente de résoudre les difficultés pédagogi- ques qu'ils ont rencontrées. Enfin, surtout elle doit faire rédiger les nouveaux manuels, les critiquer et les modifier. C'est pourquoi celui de Destutt de Tracy lui-même est, son titre l'indique, un simple

« Projet... ».

Les Observations de Destutt de Tracy sont précé- dées d'un « avertissement », où il explique à quel point leur publication lui semble prématurée, car « on ne saurait faire un bon plan d'écoles, sans commencer par faire un bon plan d'études ». Il n'en reste pas moins que sa position sur les écoles est bien celle que décrit et critique Guillaume. Mais elle est très logi- quement liée à sa théorie. En effet, Destutt de Tracy souhaite, dès les premières lignes du Mémoire sur la faculté de penser, une sorte d'échange entre les deux

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classes qu'il distingue, celle des savants et celle des travailleurs. On peut même dire que c'est parce qu'il souhaite cet échange - qui rend les sciences utiles -, qu'il distingue avec tant de détermination ces deux classes d'hommes. Et c'est pourquoi il recommande de mettre en place un grand nombre d'écoles primai- res, et des écoles centrales, en nombre beaucoup plus réduit. Celles-ci doivent donner un enseignement plus approfondi et spécialisé et, comme elles s'adressent à des adolescents, qui autorise certains choix. L'une des innovations pédagogiques des écoles centrales est qu'elles proposaient, à côté des programmes obliga- toires pour tous, des matières optionnelles.

Le point de vue de Destutt de Tracy sur la relation entre les écoles primaires et secondaires est, par conséquent, diamétralement opposé à celui de Jules Ferry. Mais c'est précisément cette opposition qui est instructive pour nous. Elle montre directe- ment - comme dans un miroir - l'effet ou le résultat de cette mise en relation : la transformation possible des enfants des travailleurs en savants. L'école est le lieu - et le seul lieu - où cet échange se produit, où se réalise « L'idéal républicain ».

Pour conclure cette étude sur l'enseignement de la morale, revenons un instant sur la question centrale, celle de la relation entre la morale scolaire et la reli- gion. Elle entraîne à sa suite d'autres relations beau- coup plus concrètes : celle de l'école avec la famille - la fameuse « liberté du père de famille » que Jules Ferry affronte constamment - et celle, qui n'est d'ailleurs pas indépendante, de l'école et de la société, en l'occurrence la République. Destutt de Tracy, sur ce thème, a une position limpide.

Il publie, en 1799, un petit texte curieux, intitulé : Analyse raisonnée de l'origine de tous les cultes du citoyen Dupuis. Il s'agit tout simplement d'un résumé, d'un ouvrage en dix tomes, paru en 1794. Cet ouvrage, très érudit - Dupuis est professeur au Col-

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lège de France -, retrace l'histoire de toutes les reli- gions, en en ramenant l'origine à un culte primitif de la nature, une sorte de religion naturelle et univer- selle. Destutt de Tracy complète cette vision, et en tire la leçon suivante :

« Concluons donc que tout système religieux, à envisager du côté de la théorie, est une supposition sans preuves, un véritable égarement de la raison ; et qu'à le considérer sous le rapport de la pratique, c'est un motif puissant sur les hommes pour leur faire suivre certaines règles de conduite, mais un moyen sûr de leur en donner d'erronées et émanant d'une autorité illégitime ; qu'ainsi toute religion peut être définie un obstacle à la bonne logique et à la saine morale privée et publique.

« Je prie ceux qui ne goûteraient pas cette opinion, de la combattre avec le même calme avec lequel je l'expose ; et je les invite à employer pour la réfuter d'autres raisons que celles dont on s'est servi jusqu'à présent. Car je ne crois pas qu'il y en ait une seule qui ébranle le moins du monde les principes que je viens d'établir.

« En finissant remarquons, ce qui est bien impor- tant, que quand mon assertion serait fausse, les gou- vernemens n'en seraient pas moins obligés de ne laisser enseigner aucune religion dans les écoles publiques ; parce que ne pouvant y en faire enseigner qu'une, ce serait une véritable tyrannie à l'égard de tous les citoyens qui, en croyant une autre ou n'en croyant aucune, ne veulent pas que leurs enfants soient imbus d'idées contraires. Si une religion doit être enseignée, ce ne peut être que dans l'intérieur de chaque famille. Là chaque citoyen peut, à son gré, s'abreuver des erreurs qui lui plaisent. La loi ne doit connaître que ses actions. C'est au bon sens général à régler ses opinions et à en faire justice, s'il ne peut les réformer. C'est pour cela qu'il est si important de perfectionner la raison publique. »

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Cette séparation totale entre l'école, parfaitement neutre du point de vue religieux, et la famille, sou- mise à la religion, préconisée ici par Destutt de Tracy, revient à l'œuvre scolaire de la I I République.

L'expérience et les événements politiques ont montré à l'évidence que cette « neutralité » était loin d'être suffisante. Voilà sans doute la raison pour laquelle Jules Ferry, qui avait un grand sens politique, a jugé nécessaire de faire un pas de plus, et d'imposer à l'école primaire un enseignement explicite de morale laïque.

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