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ECRITURE POÉTIQUE ET IMAGINAIRE CHEZ TANELLA BONI. L’EXEMPLE DE LÀ OÙ IL FAIT SI CLAIR EN MOI.pp. 116-137.

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ECRITURE POÉTIQUE ET IMAGINAIRE CHEZ TANELLA BONI.

L’EXEMPLE DE LÀ OÙ IL FAIT SI CLAIR EN MOI.

Kobenan N’Guettia Martin KOUADIO Maître de conférences en Poétique et Stylistique à l’Université Félix Houphouët Boigny

kobenanguett@yahoo.fr Sory DAO

Docteur en Poétique et Stylistique Université Félix Houphouët Boigny

Sorydao84@yahoo.fr

RÉSUMÉ

Partant du postulat que la signifiance de l’écriture poétique de Tanella Boni résulte de la structuration des images, cet article étudie la cohérence de l’Imaginaire dans son dernier recueil de poèmes intitulé Là où il fait si clair en moi. L’analyse révèle que l’écriture de cette œuvre est gouvernée par la modalité de progrès. Cette structura- tion met en œuvre une syntaxe dialectique. Celle-ci se manifeste par les schèmes et images renvoyant à l’acceptation du déroulement chronologique, au dépassement des contraires, à une recherche d’harmonie du monde ainsi qu’à la thématique de l’espoir et du rêve. L’écriture poétique montre ainsi que la poétesse adopte une attitude de ruse face à l’angoisse liée à la finitude.

Mots-clés : image, Imaginaire, schème, syntaxe.

ABSTRACT

Starting from the assumption that the significance of Tanella Boni’s poetic writing results from the structuring of images, this article studies the coherence of the ima- ginary in its last collection of poems entitled Là où il fait si clair en moi. The analysis reveals that the writing of this work is governed by the modality of progress. This struc- turing implements a dialectical syntax. This is manifested by the schemes and images referring the acceptance of the chronological unfolding, the overcoming of opposites, a search for harmony of the world as well as the theme of hope and dream. Poetic writing shows that the poet adopts an attitude of cunning to the anguish of finitude.

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INTRODUCTION

Suzanne Tanella Boni est, à ce jour, l’auteur de onze recueils de poèmes.

Cette poétesse ivoirienne a reçu de nombreux prix qui témoignent de l’accueil triomphal réservé à ses productions poétiques1. La raison d’un tel enthou- siasme est à rechercher dans la maturité d’un style d’écriture. Lequel style accorde une place privilégiée à la force de l’image2. Dès lors, nous postulons que la structuration des images, dans l’écriture poétique de Tanella Boni, est à même de dévoiler la signifiance3 du texte. D’ailleurs, la poétesse ivoirienne ne cesse de dire le rôle essentiel de l’image dans sa création littéraire. Ainsi, s’adressant aux écrivains africains, elle déclare : « Seul le mot nous sert de passeport pour ouvrir le chemin. Nous le transformerons en images […] afin qu’il devienne véritablement le pays dont nous rêvons » (Tanella 1998). L’écri- ture poétique est, pour elle, un moyen de figer l’image dans la conscience collective. Répondant à une question d’un journaliste sur les motivations pro- fondes de l’écriture d’un de ses poèmes écrit à partir d’un drame humani- taire, elle répond : « Ces images qui ont fait le tour du monde nous parlent infiniment, et moi j’ai voulu qu’on n’oublie pas ces images, qu’on n’oublie pas justement ce petit enfant couché sur une plage » (Tanella 2017).

Les images dont il s’agit, bien qu’elles procèdent du monde sensible, n’en demeurent pas moins des réalités propres aux univers des poèmes de Tanella Boni. Leur structuration confère à chacune de ses œuvres un imaginaire sin- gulier4. Celui-ci met en relief les angoisses existentielles d’un sujet en quête de son devenir au sein d’une humanité qui part à la dérive. Or, pour bien

1 - En 2009, Tanella Boni remporte le prix international de poésie Antonio Viccaro.

Le prix Gaston Miron, en 2010, lui a été décerné. Son œuvre, Ma peau est fenêtre d’avenir, a eu les meilleurs suffrages du « Printemps des poètes ». En 2016, elle a remporté le prix de la francophonie décerné par le jury du Jasmin d’argent de la ville d’Agen. En 2018, elle a reçu le prix Théophile Gautier de l’Académie française, pour son œuvre poétique intitulée Là où il fait si clair en moi.

2 - L’image est perçue, ici, non au sens rhétorique du terme, mais selon l’acception que lui donne Carl Gustav Jung. Pour cet auteur, l’image désigne la représentation mentale que l’on se fait d’une réalité donnée (Jung 1950 : 453). Nous y reviendrons.

3 - Par signifiance, nous entendons les significations possibles ou les virtualités à l’œuvre, dans l’écriture, que la lecture permet d’actualiser.

4 - Par imaginaire, nous entendons le dynamisme organisateur qui relie les différentes images du texte. Chaque texte organise ses images d’une façon spécifique.

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des spécialistes de l’imaginaire, la création d’images répond à une nécessité vitale, parce qu’elle est la réponse apportée par l’Homme face à l’angoisse liée à la fuite du temps qui conduit à la mort. Parmi ces auteurs, figure le poé- ticien Jean Burgos. Pour lui, l’écriture poétique, du fait de l’organisation des images qui la constituent, est la réponse fournie par le poète pour se prémunir de l’effet dégradant de la temporalité. Pour ce faire, chaque texte apporte une solution unique qui s’inscrit dans l’une des trois grandes tendances vitales définies par le poéticien de l’Imaginaire5.

Il serait intéressant d’étudier le type de réponse qu’apporte l’écriture poé- tique de Tanella Boni face à l’angoisse de la finitude. Et l’œuvre qui retiendra notre attention est son recueil de poèmes intitulé Là où il fait si clair en moi (Tanella 2017). Le caractère composite6 de ce texte sonne comme un défi à la détermination d’une cohérence logique de son imaginaire. Avant l’analyse proprement dite, il faudra préciser le fondement théorique et méthodologique qui sous-tend l’étude.

I- FONDEMENT THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE : LA POÉTIQUE DE L’IMAGINAIRE

Se fondant sur les acquis de la poétique de l’imagination de Gaston Bache- lard et de l’anthropologie structurale de l’imaginaire de Gilbert Durand, Jean Burgos fonde une méthode d’analyse de l’écriture de la poésie moderne ap- pelée la poétique de l’Imaginaire7. Cependant, il rejette les dimensions moti- vante, psychologique et sclérosante des images qui tendent à se manifester dans les théories de ses prédécesseurs. Il s’intéresse, quant à lui, à un dyna- misme organisateur des images du texte, susceptible de guider leur deve- nir et de déterminer ainsi la cohérence profonde de l’Imaginaire de l’œuvre.

Quels sont donc les grands linéaments et les concepts clés de cette théorie ?

5 - Nous y reviendrons dans la première partie de cette étude.

6 - L’œuvre est composée de sept poèmes qui abordent des thèmes différents. La logique qui les relie n’est pas toujours perceptible, au premier abord.

7 - Dans la poétique de Burgos, le mot « Imaginaire » s’écrit toujours avec « I » majus- cule. Cette écriture signifie le caractère inséparable de l’ensemble des images du texte.

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I-1- De la spécificité de l’écriture poétique : langage de la rup- ture, image symbolique et schème

Dans l’étude de l’écriture poétique, l’analyse de l’image est partagée entre deux grandes tendances. La première est celle de la linguistique et de la rhé- torique. La seconde est relative à l’imagination créatrice.

Dans la fondation de sa poétique de l’Imaginaire, Jean Burgos s’oppose à la perception de l’image selon la linguistique et la rhétorique, en l’occurrence la métaphore. Pour lui, le procédé analogique véhicule un sens préexistant au texte. L’image analogique appauvrit le langage poétique, dans la mesure où elle montre l’incapacité de celui-ci à signifier de par lui-même hors de toute réalité antérieure.

La conception de l’image adoptée par le poéticien de l’Imaginaire est celle issue de l’imagination créatrice. Cette pensée de l’image est héritée des théo- ries de Carl-Gustave Jung, Gaston Bachelard et Gilbert Durand. Burgos em- prunte la définition de l’image à Jung :

[…]quand je parle d’image je n’entends pas la simple copie psy- chique de l’objet externe, mais une sorte de représentation immé- diate, bien décrite par le langage poétique, phénomène imaginatif qui n’a, avec la perception des objets, que des rapports indirects ; produit plutôt de l’activité imaginative de l’inconscient, elle se ma- nifeste à la conscience de manière plus ou moins subite, comme une vision, ou une hallucination, sans en avoir le caractère patho- logique, c’est-à-dire sans faire jamais partie du tableau clinique d’une maladie. Son caractère psychologique est celui d’une repré- sentation imaginative ; elle n’a jamais la quasi-réalité de l’halluci- nation autrement dit, elle ne prend jamais la place du réel ; le sujet la distingue toujours du réel sensoriel parce qu’il la perçoit en tant qu’image « interne ». (Jung 1950 : 453)

Dans cette conception, l’image est une représentation immédiate, c’est- à-dire qu’elle est contemporaine de son surgissement dans le texte. Par ail- leurs, elle a un sémantisme qui lui est propre. Cette fonction symbolique de l’image confère à l’écriture poétique sa spécificité. De fait, l’image symbolique donne à voir autre chose et à voir autrement. Le sens s’y trouve amplifié,

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puisque « le mot soudain se gonfle par lui-même de significations multiples qui viennent à entraver la marche du discours et, la retardant, la font dévier, imposant en contrepoint un cheminement vertical, conférant au texte une épaisseur qu’il n’avait pas d’abord » (Burgos 1982 : 10). Le poème se pré- sente, ainsi, comme un langage de la discontinuité. Dans ces conditions, il débouche sur des significations neuves.

La lecture qu’implique un tel discours de la rupture commande d’avoir un autre rapport au texte. En effet, pour analyser ce déferlement de sens qu’en- traîne la fonction symbolique de l’image, l’étude se fera non plus selon les protocoles de la linguistique ni des théories sociologiques ou psychologiques.

Elle cherchera, au contraire, à voir comment le poète utilise et s’aménage l’espace du texte. Ce mode d’occupation de l’espace textuel déterminera l’at- titude de l’homme devant la finitude. Par quels indices l’analyste parvient-il à saisir la manière dont le sujet s’aménage l’espace textuel ? Le mode d’or- ganisation de l’espace du texte se perçoit à travers les représentations des images et surtout à partir des schèmes qui les organisent et qui leur donnent leurs significations, dans l’univers textuel. En effet, le concept de schème est capital dans la compréhension de la poétique de l’Imaginaire. Burgos se fonde sur la définition qu’en donne Gilbert Durand. Les schèmes sont des trajets incarnés dans les images. Déployés dans celles-ci, ils indiquent la manière dont le sujet s’aménage l’espace face à l’angoisse liée à la fuite du temps (Burgos 1982 : 125-126). Par exemple, le schème du grossissement pourrait indiquer que le sujet essaie de remplir l’espace, afin d’arrêter le passage du temps ; celui du rétrécissement pourrait montrer l’attitude du sujet qui s’amé- nage un petit espace pour se mettre à l’abri du déroulement chronologique.

Les schèmes structurent les images selon trois grandes tendances vitales qui sont autant de manières d’occuper l’espace du texte.

I-2- Des régimes de l’Imaginaire à la génération du sens poétique Les grandes catégories de réponses, que peut proposer le poète aux questions de l’être-au-monde devant la finitude, définissent les trois grandes modalités de structuration de l’Imaginaire. À chacune de ces modalités est as- socié un régime de l’Imaginaire. De façon générale, le sujet adopte, à l’égard du temps chronologique, l’une des trois attitudes suivantes : la révolte, le refus ou la ruse.

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Ainsi, la première grande modalité de structuration de l’Imaginaire est de conquête. Elle montre l’attitude de révolte du sujet devant le temps qui passe.

Celui-ci, dans sa volonté de dominer le temps, remplit l’espace dans toutes ses dimensions et à tous ses niveaux. Il espère, ainsi, figer le déroulement temporel en un éternel présent, afin de vaincre les menaces qui vont à l’en- contre de sa sérénité. Dans ce premier cas, se développent les schèmes d’extension, d’expansion, d’agrandissement, d’ascension, de multiplication, de rapt, de domination, de séparation et d’opposition. Il est associé à cette première modalité le régime antithétique.

La deuxième grande modalité de structuration est de repli. Le sujet ma- nifeste son refus du déroulement temporel par la fuite continuelle vers des espaces dérisoires, de plus en plus miniaturisés. De la sorte, il se met à l’abri des effets néfastes de l’écoulement du temps. Tout se passe comme s’il n’était pas concerné par les événements qui se déroulent. Le refus d’affronter le temps se transforme en refus d’affronter les obstacles. Ceux-ci tendent même à s’amenuiser ou à s’estomper dès que le sujet les approche. En réalité, ils sont rejetés en arrière et se font de plus en plus menaçants, obligeant le sujet à fuir continuellement vers des refuges d’où il sait bien qu’il repartira. Les schèmes développés, dans ce cas, sont ceux de la fuite, de l’intériorisation, de l’enfoncement, du rétrécissement, de l’effacement et de la fusion. À cette modalité est rattaché le régime euphémique.

La troisième et dernière modalité de structuration dynamique est de progrès.

Dans celle-ci, le sujet ruse avec le temps en feignant de se réconcilier avec lui.

Les choses se déroulent comme si le temps qui passe n’a aucune influence sur le sujet. Tout en s’inscrivant dans la chronologie même des événements, il trouve d’autres moyens pour déjouer les obstacles qui se dressent sur son chemin. Les schèmes en œuvre, dans ce dernier cas, sont ceux de progrès, de parcours, de relation, de recension, de germination, de fructification, de périodi- cité, d’alternance, d’affrontement et de dépassement. Le régime associé à cette dernière modalité de structuration est le régime dialectique.

Dans la pratique, les réponses apportées pour transcender l’angoisse liée à la fuite du temps sont infinies. Tout poème indique une réaction, à l’égard du temps, qui lui est spécifique. Ces grandes modalités de structuration ne sont, en fait, que des canevas dans lesquels s’inscrit chaque solution vitale pour

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contrer l’effet du temps. Mieux, le texte poétique peut vaciller entre plusieurs modalités de structuration. Il appartient au poéticien de montrer comment se spécifie chaque réponse proposée. La détermination de cette réponse spéci- fique passe par une sorte de syntaxe appelée la syntaxe de l’Imaginaire.

La prise en compte de cette syntaxe indique que l’analyse ne se fon- dera pas uniquement sur le contenu sémantico-thématique des images et des schèmes. Elle s’intéressera, également, aux structures discursives, aux indices stylistiques et aux modes de relation entre les images et les schèmes.

Chaque type de syntaxe se rattache à une grande modalité de structuration.

Ainsi, la syntaxe de l’antithèse s’organise autour de la modalité de révolte. La syntaxe euphémique est associée à la modalité de repli. Celle de la dialec- tique est liée à la modalité de la ruse.

Le déchiffrement de la syntaxe de l’Imaginaire s’appréhende comme une actualisation de virtualités. Dans cette poétique, la lecture ne perçoit, en au- cun cas, le texte comme un aboutissement des intentions ou des possibles antérieurs. Bien au contraire, tout en se fondant sur les matériaux du texte, elle s’intéresse aux possibles qu’il ouvre :

Inséparable de l’écriture dont elle démêle et réactualise d’abord les forces vives, la lecture du texte poétique est passage de l’ac- tuel au virtuel, ouverture aux potentialités du texte, et c’est la même aventure des possibles qu’elle poursuit. (Ibid. : 125)

Si l’analyse isolée des différents groupes de schèmes permet, dans un pre- mier temps, de déceler différentes modalités de structuration de l’écriture poé- tique, qui sont autant d’itinéraires que peut emprunter l’Imaginaire du texte, il est nécessaire, dans une seconde articulation, d’étudier comment ces diffé- rentes modalités se combinent pour dégager la cohérence profonde du texte.

Ces indications théoriques et méthodologiques signifiées, l’analyse de l’Imaginaire de l’œuvre de Tanella Boni peut être entamée.

II- LÀ OÙ IL FAIT SI CLAIR EN MOI : UNE ÉCRITURE DU REFUGE OU DE LA RÉVOLTE ?

Une lecture superficielle des différents poèmes de l’œuvre pourrait faire penser que les modalités de refuge et de révolte dominent l’écriture de ceux-

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ci. En effet, plusieurs schèmes et images, manifestant ces deux types d’écri- ture, semblent bien de fois imprimer leurs itinéraires à l’œuvre.

II-1- Les schèmes et images du refuge

Le titre de l’œuvre est « Là où il fait si clair en moi ». Le groupe prépositionnel

« en moi » indique une intériorité, voire une intimité. L’adverbe de lieu « là » insiste sur l’indication de ce lieu interne. Lorsqu’on met en relation ces indices de lieu avec l’adjectif « clair », l’analyse sémantique du titre montre que le locuteur évoque une clarté intime. Cette clarté intime s’assimilerait alors à une lumière dans laquelle la poétesse trouve refuge face à un monde de ténèbres. En effet, les différents poèmes mettent en exergue les thèmes du racisme, de la violence et de l’extrémisme religieux. Dans un tel contexte, le sujet se construirait et s’aménagerait un univers de quiétude, pour échapper aux intempéries de la vie, comme semble le montrer le passage suivant :

Ce temps intérieur est le mien On y rencontre de petites musiques Tissées fil à fil

Comme un pagne de coton fait main Chaque plante

Chaque fibre y trouve sa place Chaque insecte y apporte son chant Et les tisserins à midi

Le souffle du beau temps (p. 18)8

Ce « beau temps », retrouvés dans un « temps intérieur », à l’abri des vicissitudes du monde sensible, met en exergue l’idée d’une quiétude intime.

Cette thèse trouverait même son prolongement dans des rêveries intimistes.

En fait, dans la plupart des poèmes, l’énonciation se fait à la première per- sonne du singulier. Les indices de la première personne se rapportent, le plus souvent, à une femme : « ma peau de femme le sait » (p. 30) ; « ma

8 - Concernant les passages extraits du corpus, seul le numéro de la page sera indiqué.

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mémoire de femme » (p. 37). L’accord des participes passés des verbes avec le genre féminin (« Je suis allée au nord au sud » p. 37) renforce cette idée.

Ces indices permettent de déduire que le sujet d’énonciation est une femme qui raconte ses rêves et ses multiples expériences, jusque dans les moments les plus secrets :

J’ai parcouru le monde en rêve Je n’avais pas envie de le savoir Je m’interdisais de voir

Les choses en face

Mon discours bien-pensant A fini par trébucher Au coin du jour (p. 46) Ou

À qui cette voix Si ce n’est à moi Qui arpente Un monde muet

Qui ne m’a jamais rien dit de vrai

Sauf la leçon que j’ai apprise de la vie (p. 19)

C’est naturellement qu’une telle écriture mette en exergue de multiples images de l’intimité telles que « ma peau de femme » (pp. 30, 39), « Ma mémoire de femme » (p. 37), « Sur le rebord de mes fenêtres » (p. 33), « des femmes nues » (pp. 70-71, « c’est ici que dorment les miens » (p. 17), etc.

Mais, l’écriture du repli a ceci de caractéristique que le refuge et l’intimité sont sans cesse menacés, comme le témoigne ce passage :

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La rumeur la plus sourde Me parvient ce soir-là À deux pas

La rumeur la plus sourde Qui me hante parfois (p. 49)

Ces menaces et cette hantise permanente obligent le sujet à fuir vers des lieux plus cléments. Ainsi, il s’actualise, dans le texte, les schèmes de la fuite et de l’effacement progressif :

Ils fuient l’herbe asséchée au petit matin L’herbe tuée amassée

Par des mains accapareuses

Des mains rusées qui portent secours Quand l’aide devient un fardeau Aucune envie de tendre la main Quand l’espoir de gagner sa vie S’amenuise s’efface disparaît Sur la pointe des pieds (p. 66)

Le verbe « fuient » met au jour le schème de la fuite, tandis que l’enchaine- ment des verbes « s’amenuise », « s’efface » et « disparaît » indique un effa- cement progressif. La disparition de l’espoir, lui-même, est la preuve, s’il en était encore besoin, que nous sommes dans un univers en pleine tourmente.

Une autre réponse apportée face à cette angoisse existentielle, qui pourrait renforcer cette écriture de l’intimité, est la valorisation d’espace-refuge dans lequel les rêves seront les mieux vécus. Et l’auteure signifie, sans ambages, cette idée :

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Les humains ont aussi des rêves Pourvu qu’ils puissent les vivre À l’abri des regards indiscrets (p. 67)

Cette valorisation de l’espace-refuge se traduira bientôt par une vision qui délimite des espaces dans le texte :

Je ne sais pas dessiner Mais je vois des formes Un carré un triangle C’est un jeu d’enfant Encore un rond

Dans lequel le monde s’emballe » (p. 81)

Les figures géométriques, « un carré », « un triangle » et « un rond », constituent des délimitations dans l’espace. Il s’agit d’une sorte de miniatu- risation de l’espace pour empêcher le temps d’y entrer ou du moins cette délimitation répond au besoin de retrouver, dans un espace clos, ce « temps intérieur » que la poétesse s’approprie volontiers. L’on comprend alors que cette restriction spatiale aboutisse à l’emboîtement du « monde », lui-même, dans « un rond ». Ce monde est celui de la poétesse. D’ailleurs, elle se l’ap- proprie à cœur joie :

J’ai dit bonjour au mot Dont j’ignorais le sens Je lui ai raconté mon envie De retrouver les images

Qui m’habitent et créent mon monde (p. 82)

En dépit de ces multiples images et schèmes de l’intimité qui parcourent l’œuvre, il faut bien se garder de conclure qu’elle est gouvernée par le régime du repli. En effet, l’écriture, elle-même, se met à sa propre écoute pour contre- balancer cette première modalité de structuration, tendant à se manifester en

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son sein. Ainsi, la poétesse est bien consciente que « L’horloge de la mer en mots / N’indique pas le temps intérieur » (p. 88). Qu’est-ce cette « horloge de la mer en mots » si ce n’est l’horloge universelle ? Celle-ci ne peut effective- ment indiquer un « temps intérieur » qui reste, à tout point de vue, un temps intime et privé. Il va donc falloir sortir de son monde pour se mettre au service

« du monde impersonnel », surtout que la violence de ce monde « écrase / [sa] frêle présence » (p. 90). Le sujet signifie ainsi sa volonté de se départir des considérations intimes pour s’intéresser aux questions d’ordre général.

C’est pourquoi, la poétesse se ravise aussitôt : Je ne parle pas des morts en masse Et des vies fauchées pour rien

Je parle de ce qui me regarde de si près L’empreinte indélébile sur ma peau

Mais qu’est-ce qui ne me regarde pas vraiment (p. 26)

L’interrogation à titre rhétorique, « Mais qu’est-ce qui ne me regarde pas vraiment », est la preuve que l’écriture n’assume pas de visées intimistes.

D’ailleurs, au fil de l’évolution de l’œuvre, les indices d’énonciation changent.

Le « je » énonciatif est remplacé par la troisième personne, signe que la poé- tesse s’approprie d’autres faits qui débordent le seul cadre de l’expérience personnelle. On s’achemine alors sur l’itinéraire d’une modalité de structura- tion autre que celle du repli. Il semble que celle-ci est la modalité de révolte.

Quels sont donc les images et les schèmes qui actualisent le régime antithé- tique dans Là où il fait si clair en moi ?

II-2- Les schèmes et images de la révolte

Si le titre du recueil fait penser à l’écriture de l’intimité, celui du premier poème, « Les mots sont mes armes préférés », met en exergue l’image diaï- rétique des armes. Il place, d’emblée, l’écriture sous le signe du combat. La thématique de la violence qui ressurgit dans la plupart des textes pourrait conforter cette thèse. En effet, la poétesse et les siens sont aux prises avec des forces obscurantistes composées de racistes, d’extrémistes religieux et autres oppresseurs, « gardiens des murs et cloisons » (p. 87). Ces forces

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liberticides s’engagent dans des actions néfastes visant à réduire à néant leurs victimes :

Nous

Meutes de transparents Sur lesquels fusent des balles À boulets rouges

Ce n’est pas une rumeur J’étais là

Me voici (p. 49) Ou

Les gardiens des murs et cloisons Défient ton air de liberté

Ils épient tes yeux qui voient de loin Les ombres et les masques (p. 87)

Face à ces assauts des bourreaux, la poétesse, qui sait que « La vie réelle est guerre permanente » (p. 28), se révolte, donnant ainsi d’elle l’image d’une conquérante soucieuse de la liberté de l’ensemble des victimes :

J’affronte la profondeur des abysses Quand la cale des bateaux négriers A disparu de ma vue (p. 37)

À ces schèmes et images de l’affrontement, la thématique de la résis- tance s’associe pour participer également au tissage de l’écriture de la ré- volte : « Nous sommes des résistants nous qui aimons la vie » (p. 77), « Nous sommes Bassam et bien plus » (pp. 75-77). À travers ces vers, la poétesse lance un défi aux tortionnaires. Il se déploie alors, dans certains poèmes, sur- tout celui intitulé « Ceux qui ont peur des femmes nues » (p. 70), les schèmes de démarcation et de mise à distance, caractéristiques de l’écriture de la ré-

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volte. Ce titre, en lui-même, est déjà un rejet des intégristes religieux. Dans le poème, comme dit Burgos, « un constat parallélisme s’établit entre les contraires, au niveau thématique, qui engendre au niveau stylistique des jeux de symétrie répétés qui ne sauraient passer inaperçus » (Burgos 1982 : 159) :

Les rêves résistent aux lois infernales Qui pulvérisent les sciences une à une Réduisent les monuments en poussière Amputent les mains de labeur

À l’ombre de visages masqués Des visages sans visage Au cœur de pierre

Mais les rêves des bâillonnées se nourrissent D’amour et de raison au jardin du partage Pour mieux résister

À toutes les barbaries du monde (p. 73)

La première strophe a trait aux lois infernales des terroristes. La seconde met en exergue les rêves de leurs victimes. La démarcation s’établit par la construction antithétique des deux strophes qui juxtaposent des images contradictoires : les images de la pulvérisation des sciences et de la réduction des monuments en poussière, liées aux lois des intégristes religieux, sont péjoratives tandis que celles qui font référence aux rêves des « bâillonnés » (l’amour, le jardin du partage) sont mélioratives. La marque de l’opposition, la conjonction « Mais », placée en début de la deuxième strophe, souligne cette construction antithétique. Une telle démarcation se retrouve également dans les vers suivants :

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Notre Dieu-faiseur-de-toute-chose Loin et loin de votre Dieu-terreur Semeur de mort coup de poing Compteur de bons et méchants Et puis au nom de quoi arrachez-vous Des vies à la vie pas si facile à vivre (p. 77)

Les deux premiers vers de ce passage laissent percevoir les images de deux « Dieux » opposés. Il s’agit du « Dieu-faiseur-de-toute-chose » et du

« Dieu-terreur ». Leur apparition dans des vers successifs est une construc- tion parallèle qui ponctue la démarcation. La répétition de l’adverbe « loin », marquant la distance, renforce le schème de la séparation.

Mais, s’il est vrai que ces images et schèmes traduisent la modalité de révolte, une lecture profonde de l’ensemble de l’œuvre montre que cette modalité ne la structure pas durablement. Le ton calme des poèmes et les processus d’euphémisation atténuent la thématique du combat. Même si la poétesse affirme que les paroles des siens défient le temps (p. 17), même si elle lance des défis aux bourreaux en se démarquant d’eux, son attitude à l’égard de Chronos est toute autre. Elle ne cherche pas obligatoirement à l’arrêter dans un duel de titans. Elle semble plutôt transcender ces angoisses, en s’inscrivant dans la dynamique de la chronologie du temps, mettant ainsi en exergue l’écriture de la ruse.

III- L’ÉCRITURE DE LA RUSE DANS LÀ OÙ IL FAIT SI CLAIR EN MOI III-1- Déplacement spatial et déroulement temporel

L’écriture est structurée par des images et schèmes qui se rapportent aux multiples cheminements des personnages, dans l’espace, et à la quête perpétuelle du temps chronologique. En effet, la poétesse est toujours à la recherche d’un ailleurs. De ce fait, la thématique du voyage est en sourdine dans tous les poèmes du recueil. Le premier débute par ces vers :

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Tout départ est aussi un retour Tu pars avec tes rêves

Tu pars avec ta vie tes souvenirs Comme un dromadaire au pas lent Tu portes tes bagages sur le dos À bout de bras

D’escale en escale Jusqu’au retour

Ton premier départ en pays étranger (p. 9)

Les groupes nominaux « tout départ », « un retour », « tes bagages »,

« d’escale en escale » ainsi que « ton premier départ en pays étranger » font explicitement allusion au voyage. L’image du « dromadaire » renforce cette idée. Le voyage symbolise l’ouverture au monde, le refus de la séden- tarité. Ainsi, l’écriture de l’œuvre s’inscrit dans le mouvement progressiste.

Ce schème se perçoit jusque dans les processus de métaphorisation des référents : « Mes pas qui viennent de si loin / Butent contre les frontières de l’égalité » (p. 30). D’ailleurs, la construction métaphorique se fonde, très souvent, sur des images renvoyant au voyage ou au déplacement. Il s’agit de

« frontières », « ruelles », chemins », « mer », « bateau », « bagages », etc.

Même si « le monde [la] préfère confinée à [son] pays » (p. 47), la poé- tesse est toujours animée par le mouvement cinétique : « Je pose le pas sur d’autres terres / En emportant avec moi / Celle qui ne me quitte pas » (p. 18),

« Je traverse un pays sensible / À la couleur de la peau » (p. 26), « Je suis allée au nord au sud / À l’est à l’ouest / Les points cardinaux ont admiré la légèreté de mes pas » (p. 37), « j’arrive dans une ville pleine de sentinelle » (p. 38), etc. Les espaces traversés obéissent à une gradation ascendante :

« les ruelles de la ville », « un pays », « les ruelles du monde ». La poétesse a également une prédilection pour l’espace marin. La récurrence de l’image de la mer liée à la thématique du voyage participe de la mise en évidence du che- minement spatial. La poétesse se veut une citoyenne du monde, constam- ment en circulation.

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Un tel mode d’investissement de l’espace ne se dissocie pas d’une accep- tation de la temporalité. De fait, la progression dans l’espace induit le passage du temps chronologique. La poétesse semble transcender l’angoisse liée à la fuite du temps. Dès le début de l’œuvre, elle se veut patiente :

Il te faudra du temps Pour apprendre Les nouveaux mots De la relation (p. 10)

Parfois, la ruse dissimulée tend à faire croire que la progression du temps est même lente : « Et le temps qui passe / Si lentement / Avec ses étoiles posées / Au bord des précipices » (p. 57). Dans ces conditions, Chronos n’est pas perçu comme l’ennemi à arrêter à tout prix ou à fuir indéfiniment. Au contraire, le sujet souhaite s’insérer dans sa trajectoire, afin de déjouer les pièges de la finitude. Ainsi, dans l’écriture des poèmes, le temps est évoqué dans sa dimension cyclique, mettant en évidence son écoulement. Tous les moments du jour sont indiqués : « à midi » (pp. 18 et 40), « ombres crépus- culaires » (p. 19), « En pleine nuit » (p. 30), « Quand se lève le jour » (p. 46),

« ce soir-là » (p. 49) « au clair soleil » (pp. 53-54), « aux premières lueurs de l’aube » (p. 62), « À la tombée de la nuit » (p. 62), « Au clair de la lune » (p.

64), etc. Certaines images mettent en exergue la durée d’un temps écoulé : Éclairés à la lumière du jour

Leurs rêves ont pris corps À la tombée de la nuit (p. 62)

Dans cet extrait, le passage du temps est saisi par l’intervalle entre le lever du jour et la tombée de la nuit. D’autres images font le bilan d’une durée indéterminée. L’adverbe de temps « depuis » est le pivot d’une telle repré- sentation : « Seul le vent marin les accompagne / Depuis le premier matin du monde » (p. 64) ou « Depuis ce temps / Je dessine des échelles » (p. 83).

Les multiples occurrences de l’adverbe de temps « quand », dans le poème intitulé « Ce qui doit être dit », infèrent une dominance de la temporalité dans l’écriture. Le schème cyclique s’empare, également, de la répétition de cer- tains faits pour mettre en évidence l’évolution du temps :

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Le feu qui mine les regards Te prend à la gorge

Chaque fois que tu franchis Le pas de la porte (p. 13) Ou

Moi écorchée vive

Embarquée de saison en saison

Au jour le jour dans les ruelles du monde Aux crevasses inattendues (p. 26)

Même les temps verbaux témoignent de l’évolution temporelle. Par exemple, le présent d’habitude, qui est le temps dominant des poèmes, par la répétition cyclique des faits qu’il insinue, montre le déroulement temporel.

Mais, si les schèmes appartenant aux différents régimes de l’Imaginaire se manifestent tous dans l’écriture des poèmes, pourquoi concluons-nous que la modalité de la ruse l’emporte sur les deux autres ? En réalité, ce sont les modes de relation entre les différents schèmes et les différentes images qui permettent de tirer une telle conclusion. En effet, ces modes de relation révèlent que l’écriture est structurée par la syntaxe dialectique. Cette syntaxe met en exergue la cohérence profonde de l’Imaginaire.

III-2- De la cohérence de l’Imaginaire : syntaxe dialectique, es- poir et harmonie du monde

Un premier mode de relation, qui unit l’ensemble des images et schèmes de l’œuvre, est une constante dialectique des contraires. Tout se passe comme si, dans cet univers, aucune image ne paraît sans appeler son contraire.

Quelques-unes de ces images, qui se répondent à travers l’œuvre, montrent le jeu constant de ces oppositions.

Face à l’attitude d’acceptation du déroulement chronologique que mani- feste la poétesse à travers ces vers : « Il te faudra du temps / Pour apprendre / Les nouveaux mots / De la relation » (p. 10), une autre attitude d’aversion

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à l’égard de la temporalité se fait aussitôt jour : « Leurs paroles qui défient le temps » (p. 17). L’image du monde intime (« Mon monde » p. 82) fait appel à l’image du « monde impersonnel » (p. 90). Le vers « Il se fait tard » » (p. 16) appelle et s’oppose à cet autre vers : « Et le temps qui passe si lentement » (p. 57). Lorsque la poétesse constate que « C’est une histoire sans fin » (p.

14), elle asserte plus loin : « Le règne de l’éphémère confirme ses lois » (p.

29). Ce jeu d’opposition se révèle, également, dans l’évocation des moments du jour. L’image du « petit d’homme dormait au clair soleil » (p. 53) fait advenir celle « Des corps échoués par milliers / Au clair de la lune » (p. 64). La valo- risation des espaces refuges s’opposent à l’atmosphère diurne qui prévaut dans l’œuvre.

De même, les images de l’enfermement, de la souffrance ou de l’intimité ap- pellent une thématique de l’ouverture. À cet effet, la récurrence des images de la porte et de la fenêtre n’est pas fortuite. Analysant cette dernière image chez Tanella Boni, René Gnaléga écrit : « Dans un univers clos, la fenêtre est un ap- pel d’air, de souffle, d’oxygène. Certes, la fenêtre est un espace réduit, miniatu- risé, exigu. Mais, dans le même temps, le caractère limité dans ses dimensions de la fenêtre est promesse d’espoir, d’avenir, d’échappée et de salut » (Gnaléga 2018 : 118). La présence des images de l’intimité, dans cette écriture d’accep- tation de la temporalité, n’est donc pas une inconvenance. L’écriture, par la thématique de l’espoir, fait coopérer les images de l’intimité à la dynamique évolutive. Même les images de l’intimité telles que « ma peau de femme », « les femmes nues » et « ma mémoire de femme » manifestent une acceptation de la chronologie car elles sont toutes soumises à la finitude. Les éléments de la nature (« arbre », « oiseau », « papillon », « crabe », etc.), peuplant cet univers, n’échappent pas à cette fatalité. La poétesse est un être qui a déjà transcendé l’angoisse de la mort. Le traitement euphémique qu’elle fait de la mort en est la preuve : « Un petit d’homme dormait au clair soleil » (p. 53).

À bien observer ce jeu constant des contraires qui se répondent, l’on remarque que le schème de la fuite (« Ils fuient l’herbe asséchée au petit matin » p. 66) se renverse en schème d’élévation : « En réalité tu as quitté les bruits de la ville » (p. 88). On comprend donc que le retrait du monde sensible n’était pas en réalité un refuge où se mettre à l’abri du temps dégradant.

Il s’agissait, plutôt, d’une élévation spirituelle. Voilà une preuve, s’il en était

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encore besoin, que le sujet a transcendé les angoisses existentielles par cette élévation spirituelle. Ce qui explique son attitude consistant à s’inscrire résolument dans la trajectoire du temps.

Ainsi, d’un bout à l’autre de l’œuvre, les différentes images se répondent, non pas dans l’optique d’une opposition manichéenne, mais pour donner à l’Imaginaire son sens d’acceptation de la finitude et un certain équilibre, qui est une recherche d’harmonie du monde.

La recherche de cette harmonie du monde se traduit, dans l’écriture poétique, par un dépassement des antagonismes. Cette conciliation des contraires est la seconde caractéristique de la syntaxe de l’Imaginaire, dans Là où il fait si clair en moi. Des réalités d’apparence opposées sont embras- sées dans une même dynamique évolutive. La poétesse sait que « L’amour naît de vents contraires / Pour mieux accorder / Les humeurs incompatibles » (p. 84).

De ce fait, les thèmes de l’obscurité et de la lumière se combinent, pour si- gnifier l’espoir : « Une torche éclairant les flots sombres » (p. 55). Ils peuvent, également, s’attirer pour dire le désespoir : « La profondeur du noir allume les regards » (p. 85). Dans cet Imaginaire donc, l’obscurité se charge des valeurs de la lumière. Ces deux réalités ne sont plus inconciliables. De même, aucune opposition manichéenne n’est établie entre les lieux géographiques. L’écriture les assemble en leur assignant un même destin : « C’est une histoire d’ici et d’ailleurs » (p. 23), « …la mort sera proche / Ici ou là-bas » (p. 59), « Ici ou là-bas / Ils te regardent tisser / Les couleurs du temps » (p. 88).

Par ailleurs, le rêve et la réalité finissent par se rejoindre : « J’ai parcouru le monde en rêve » (p. 46), dit la poétesse. Le rêve, étant le lieu des pos- sibles, concilie les contraires. Il est le moment privilégié où l’auteure s’adonne à la construction d’un monde en harmonie, dans lequel toute opposition s’es- tompe. À partir du rêve, la poétesse parvient à surmonter les difficultés qui jonchent son chemin. Le rêve permet de s’inscrire dans le déroulement tem- porel, tout en déjouant la fatalité chronologique. Il apparait, de ce fait, comme le canal par lequel la poétesse parvient à ruser indéfiniment avec le temps.

D’ailleurs, le passage suivant affirme, de façon explicite, cette caractéristique de l’écriture de l’Imaginaire :

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Suspendu à l’odeur de rêves évanescents Tu nourris l’espoir de repousser le temps De la chute finale

Parce qu’un après-demain te sourit En chemin

Quand tout semble perdu Au premier carrefour (p. 60)

La recherche de l’harmonie passe, aussi, par la structure formelle de l’œuvre. Sept poèmes constituent le recueil. Or, le chiffre 7 symbolise, dans plusieurs traditions, l’achèvement dans la perfection. En outre, le chiffre 7 mani- feste un triomphe sur le temps, selon la tradition judéo-chrétienne. Il signifie, certes, l’achèvement d’un cycle, mais il traduit également une renaissance, un renouvellement positif. De ce fait, une correspondance s’établit entre cette sym- bolique du chiffre 7 et le thème de la renaissance que l’avant-dernier poème (« Ceux qui ont peur des femmes nues ») ne cesse de reprendre, à travers les images du renouvellement et du feu régénérateur : « Qui peut détruire un rêve / Qui jamais ne part en poussière / Ni brûler une mémoire / qui toujours renaît de ses cendres » (p. 74) ou « Dans notre pays qui renaît et toujours renaît / Impos- sible de ramener nos vies à la frontière / De vos vues tachées de sang » (p. 77) CONCLUSION

Partant du postulat que la structuration des images, dans l’écriture poé- tique de Tanella Boni, est à même de révéler la signifiance, nous avons étudié son dernier recueil de poèmes à la lumière de la poétique de l’Imaginaire.

Il s’agissait de définir la cohérence profonde de l’Imaginaire qui sous-tend l’écriture de cette œuvre. Ainsi, l’analyse de Là où il fait si clair en moi a révélé que son écriture est gouvernée par le régime dialectique. Si certains schèmes et certaines images renvoient, parfois, aux modalités de la révolte et du repli, celles-ci ne structurent pas durablement l’œuvre. L’acceptation du déroulement chronologique, impulsée par la thématique du rêve et de l’espoir, ainsi que le dépassement des contraires sont les leitmotive de la syntaxe de l’Imaginaire dans cette écriture poétique. Les multiples schèmes du parcours, du cheminement dans l’espace et les images renvoyant au voyage mettent en exergue un sujet qui se veut une citoyenne du monde. Ces schèmes de

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progrès, non seulement, matérialisent le refus de la sédentarité, mais ils si- gnifient le déroulement temporel. La poétesse s’inscrit ou feint de s’inscrire dans les lignes du temps pour surmonter les angoisses liées à la finitude. Le dépassement des contraires est une recherche d’harmonie du monde. Ce monde en harmonie, dans lequel toutes les oppositions s’estompent, traduit une quête perpétuelle de l’éternité, qui est une victoire sur chronos.

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