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La recherche agronomique française au défi de l’international (1946-1978)

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-02997745

https://hal.inrae.fr/hal-02997745

Submitted on 10 Nov 2020

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To cite this version:

Pierre Cornu, Egizio Valceschini. La recherche agronomique française au défi de l’international (1946- 1978). Sesame : Sciences et sociétés, alimentation, mondes agricoles et environnement, Mission Agrobiosciences-Inra, 2020, pp.10-11. �hal-02997745�

(2)

Burkina Faso : à l’école du local

Transition alimentaire : un accompagnement

timide de l’État 5G : solution ou distorsion

agricole ? La recherche agronomique française au défi de l’international

(1946-1978)

Créer des habitats favorables : une sablière pour les abeilles

COVID-19

Santés humaine et animale : destins liés

« 30 ans de

dysfonctionnement vorace »

MANGER AU PLUS QUE PARFAIT ? BIODIVERSITÉ :

LES OUTARDES, LE GRAND HAMSTER ET LES COMPENSATIONS

« À LA FRANÇAISE » COLLAPSOLOGIE :

QUI AURA LE DERNIER MOT ?

Éveline M.F.W. Sawadogo Compaoré Nicolas Bricas Cynthia Fleury-Perkins Pascal Boireau

(3)

2

CRISE DU COVID-19

« 30 ans de dysfonctionnement

vorace»

16

COVID-19

Santés humaine et animale : destins liés

18

Le porc PPA

de l’angoisse

22

DURABLE

Manger au plus que parfait ?

26

CONSCIENCE COLLECTIVE

« Auparavant, chacun faisait son

colibri »

29

GLYPHOSATE

Il nous a empêchés de penser

32

AUTONOMIE

Rita, l’équation tropicale

34

BIODIVERSITÉ

Les outardes, le grand hamster et les compensations

« à la française »

38

Éviter-réduire- compenser

43

ACCEPTABILITÉ SOCIALE

N’est-ce pas trop tard ?

44

« Pour emmener le corps social, il faut passer de

la symphonie au jazz »

46

COLLAPSOLOGIE

Qui aura le dernier mot ?

48

« Un signe de vitalité de l’imaginaire »

51

SOM

MAIRE

PAR AILLEURS

Burkina Faso : à l’école du local

4

FRONTIÈRES

L’âme du ficus

5

DÉCHIFFRAGE

Transition alimentaire : un accompagnement

timide de l’État

6

TOUT UN MONDE

5G : solution ou distorsion

agricole ?

8

LE JOUR D’AVANT

La recherche agronomique française au défi de l’international

(1946-1978)

10

INSTANTANÉS

12

(4)

3EDITO

CHÈRES LECTRICES, CHERS LECTEURS,

quand nous avons pensé ce numéro de Sesame, en décembre 2019, nous n’imaginions pas qu’un tel fléau nous tomberait sur la tête (pour paraphraser Camus). Pourtant, le Covid-19 est venu bousculer nos vies, nos certitudes, et ce sommaire.

Même les collapsologues (p. 48) n’auraient osé imaginer le scénario si brutal d’une telle crise. Si nous avons produit, collectivement, les conditions du chaos sanitaire, social, économique et écologique que nous sommes en train de vivre, saurons-nous penser, construire, tout aussi collectivement, un retournement, « un avant et un après, une forme de rupture », interroge Cynthia Fleury (p. 16), qui dénonce « trente ans de dysfonctionnement vorace » ? Il y a fort à parier que les prochains numéros de Sesame viendront explorer ces pistes, qu’elles concernent notre alimentation (sera-t-elle durable ? p. 26), la gestion conjointe des santés humaine et animale (p. 18) ou encore les inégalités et pauvretés croissantes auxquelles nous nous attendons.

Chères lectrices, chers lecteurs de Sesame, nous tenions enfin à vous remer- cier pour votre participation à l’enquête qualitative de l’hiver dernier. Vous avez été nombreux.ses à nous demander un meilleur confort de lecture du PDF. Le Covid-19 a freiné nos efforts dans la recherche de solutions. D’ici là, nous vous invitons à consulter le blog https://revue-sesame-inrae.fr/ sur lequel la majorité des articles de cette revue sont publiés. Pour une lecture zen. Et de zénitude nous avons besoin.

La rédaction

SESAME n° 7 - Mai 2020. Publication gratuite tirée en 2700 exemplaires. Papier 100 % recyclé.

« Sesame n’est pas un nouveau support de communication et n’ambitionne pas de porter la voix officielle de l’Inrae.

Ce positionnement est souhaité et assumé ; il permettra le débat d’idées en confrontant les positions de personnalités de cultures et d’horizons variés. » Philippe Mauguin, PDG de l’Inrae, directeur de la publication.

La revue Sesame est une publication de la Mission Agrobiosciences-Inrae 2 route de Narbonne, 31326 Castanet-Tolosan - Tél. : (33) 5 62 88 14 50 Abonnements et désabonnements : revuesesame@inrae.fr

Blog : https://revue-sesame-inrae.fr/

Directeur de la publication Philippe Mauguin, PDG de l’Inrae RÉDACTION

Rédactrice en chef : Sylvie Berthier, sylvie.berthier@inrae.fr

Rédacteurs : Lucie Gillot, lucie.gillot@inrae.fr ; Anne Judas, anne.judas@inrae.fr ; Yann Kerveno, yannkerveno@gmail.com ; Laura Martin-Meyer, laura.martin-meyer@inrae.fr ; Valérie Péan, valerie.pean@inrae.fr ; Stéphane Thépot, thepot@wanadoo.fr.

Chroniqueurs : Sébastien Abis, Pierre Cornu, Sergio Della Bernadina, Tristan Fournier, Alain Fraval, Gilles Maréchal, Éveline M.F.W. Sawadogo Compaoré, Prosper Sawadogo, Soungalo Soulama, Bertil Sylvander, Egizio Valceschini.

Dessinateurs : Biz, Gab, Man, Nono, Samson, Soulcié, Tartrais.

ADMINISTRATION

Mounia Ghroud, mounia.ghroud@inrae.fr – Tél. 01 42 75 93 59 COMITÉ ÉDITORIAL

Joël Abécassis (ex-Inra), Philippe Chotteau (Institut de l’élevage), Pascale Hébel (Crédoc), Christine Jean (LPO), Christophe Roturier (Inrae), Pierre-François Vaquié (Fédération nationale des Cuma), Julien Weisbein (Sciences-Po Toulouse).

RÉALISATION

Gilles Sire, Christelle Bouvet FABRICATION

Imprimerie ReliefDoc, 31130 Balma

N° ISSN 2554 - 7011 (imprimé) / N° ISSN 2555 – 9699 (en ligne)

Concilier production à l’herbe

et biodiversité : l’exemple de la rotation écologique

52

Dans les Ardennes, le ReNARD

goupille biodiversité et

agriculture

55

Créer des habitats favorables : une sablière pour

les abeilles

56

Les végétariens en France :

esquisse d’un profil

58

Protéger l’Allier, un projet d’envergure

60

(5)

BRUITSDE FOND

BRUITS4 DE FOND

P A R A I L L E U R S

B

IEN qu’en diminution, la malnutrition reste préoccu- pante au « pays des hommes intègres ». Selon la FAO, elle a provoqué en 2018 des retards de croissance chez 25 % des enfants, qui souffrent d’insuffisance pondé- rale (17,8 %). Une moyenne natio- nale qui masque des situations plus graves, en particulier dans la région du Sahel. Sans oublier le change- ment climatique qui menace encore d’aggraver l’insécurité alimentaire du pays.

Considérant que la satisfaction des besoins des enfants rejaillit sur toute la population, aujourd’hui et demain, le président de la République a pris l’engagement « d’assurer à chaque enfant en âge scolaire au moins un repas équilibré par jour » et il arti- cule cette promesse avec la priorité donnée à l’achat des produits locaux dans les commandes publiques.

Cette stratégie, qui s’appuie sur des politiques déjà mises en place, repose sur quatre composantes dans une optique systémique : 1) opti- miser la disponibilité des denrées alimentaires pour approvisionner des cantines scolaires en stimulant prioritairement la production des sept bases de la diète burkinabé : riz, maïs, niébé (une légumineuse à graines), petit mil, manioc, lait, huile, par le crédit et l’assistance technique à des producteurs individuels, coo- pératives, entreprises et organisa- tions professionnelles agricoles ; 2) accroître les revenus et les condi-

tions de vie des familles en situation de précarité alimentaire, en leur achetant leurs productions pour les écoles ; 3) améliorer la valeur nutri- tionnelle des menus scolaires, en développant l’éducation en matière d’alimentation et la transformation des aliments locaux ; 4) associer les élus locaux, parents et acteurs du système éducatif à la gouvernance des cantines scolaires.

Ces cantines existaient déjà au Bur- kina Faso dès la période coloniale : elles impliquaient de force parents d’élèves et chefs de village. La réforme de l’école en Afrique Occi- dentale Française (AOF), en 1946, a mis en place des fermes où les élèves produisaient leurs aliments.

Après les indépendances, avec le nombre croissant des élèves, ces cantines sont devenues tributaires

de l’aide alimentaire d’ONG. L’État, alors la Haute-Volta, s’était retiré.

Depuis les années 2000, l’aide des ONG s’est tarie, appelant une nou- velle dynamique qui implique tous les acteurs afin de rendre l’approvi- sionnement des cantines autonome dans une stratégie de développement interne et locale. Aujourd’hui, dans les provinces du Kourwéogo et d’Ou- brittenga, certains établissements pilotes réinstaurent des jardins scolaires. Depuis 2018, l’initiative

« cantine endogène » s’appuie sur les parents d’élèves pour repenser l’alimentation scolaire.

En 2019, à l’initiative du conseil régional du Centre, un forum tripar- tite Burkina-Brésil-France a réuni, à Ouagadougou, producteurs, élus locaux, scientifiques, associations pour échanger sur les systèmes ali- mentaires territorialisés. L’enjeu : porter un regard croisé sur d’autres expériences, notamment celle du Brésil qui, depuis 2002, est la réfé- rence des démarches d’approvision- nement territorialisé. Le programme national d’alimentation scolaire y a touché plus de 40 millions d’enfants.

Du grain à moudre pour les cher- cheurs burkinabé qui étudient des stratégies pour parvenir à une meil- leure alimentation des élèves et à une sécurité alimentaire durable. Et réaliser, selon le vœu du chef d’État, l’objectif du Millénaire pour le déve- loppement, à savoir réduire de moitié la proportion de la population qui souffre de la faim.

par Éveline M.F.W. Sawadogo Compaoré et Soungalo Soulama,

Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles du Burkina Faso (INERA), Prosper Sawadogo, FAO, et Gilles Maréchal, Terralim

Burkina Faso : à l’école du local

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BRUITSDE FOND

5 F R O N T I È R E S

L’âme du ficus

J

E rentre à la maison après quelques jours d’absence.

Le ficus laisse tomber une feuille, j’entends un petit bruit sur le parquet. Je regarde dans sa direction et je dis : « Ah, tu as raison, cela fait une semaine que tu n’as pas eu d’eau. » Je le soup- çonne d’être jaloux du kentia, avec qui il cohabite depuis vingt ans. Et il n’aurait pas tout à fait tort. En réalité, le kentia est mon préféré (et il le sait, d’ailleurs).

Est-ce que je projette sur les plantes des sentiments humains ? Ma réponse est « oui, comme tout le monde ». Nous avons commencé par les animaux : après de longues hési- tations, nous avons fini par admettre que « nos amies les bêtes », sur le plan affectif et cognitif, sont assez proches de nous. Les Français ont même modifié leurs lois pour reconnaître à ces « biens mobiliers » (c’était leur ancienne désignation juridique), le statut d’« êtres sen- sibles ». Maintenant, nous sommes passés aux végétaux.

PARLER AVEC SES PLANTES.

Sur le net, les sites du genre

« Faut-il parler aux plantes pour qu’elles poussent plus vite ? » ne se comptent plus. Chez les scien- tifiques et les littéraires, c’est la mode. Que l’on songe au succès retentissant de La Vie secrète des arbres de Peter Wohlleben ou de L’Arbre-Monde de Richard Powers.

Il en va de même chez les artistes,

de Giuseppe Penone, un pionnier en la matière, à Karine Bonneval (« Phylloplasties » « Se planter », etc.). Désormais, des lieux d’exposi- tion permanents, comme le domaine de Chaumont-sur-Loire, hébergent des manifestations artistiques axées sur la rencontre entre l’humain et le végétal.

On pourrait expliquer ce désir de dialogue interspécifique par la crise environnementale. Des mots devenus incontournables, comme

« écoumène »1 et « anthropocène », nous rappellent que notre futur est indissociable de celui des autres créatures. Ils nous rappellent éga- lement le droit au respect de toutes sortes de plantes, y compris celles d’intérieur. Pendant que j’écris ces propos « écouméniques », je lance à mon ficus des regards complices :

« Eh oui, mon vieux, on est tous dans le même bateau. Nous coévoluons. » AURIONS-NOUS TOUJOURS ÉTÉ ANIMISTES ? S’agit-il d’un chan- gement d’attitude par rapport au passé ? Peut-être. Il n’empêche que

1 - Espace habitable à la surface de la Terre.

par Sergio Dalla Bernardina, ethnologue

le fait de communiquer avec les plantes ne date pas d’hier. Dans les sociétés animistes, cela a toujours été le cas. « Il faut comprendre que les ignames sont des personnes, expliquait un horticulteur dobu à l’anthropologue Reo Franklin For- tune. [...] Si nous parlons à voix haute les ignames disent : “Que se passe-t-il, est-ce qu’ils se battent ?”

Mais quand nous jetons les charmes d’une voix douce, elles écoutent nos paroles avec attention. Elles deviennent grosses parce que nous les avons appelées.2 »

Je regarde à nouveau ma plante ornementale en me demandant si la crise planétaire n’a pas réveillé chez nous des tendances animistes.

J’aime bien l’idée que les plantes entendent ce qu’on leur dit, ça mul- tiplie les interlocuteurs. Mais un doute « naturaliste », lié à la manière occidentale d’envisager les non-hu- mains3, traverse mon esprit : et si les prérogatives « mentales » qu’on attribue aux plantes n’étaient au fond que des projections ? Mon ficus pense, peut-être. Toujours est-il qu’à l’instar d’un fétiche, d’une poupée, d’un nounours, il ne parle pas. Ne remplirait-il pas lui aussi le rôle d’un objet transitionnel ? J’écarte promptement cette hypothèse défai- tiste.

2 - R.F. Fortune. Sorciers Dobu. Anthropologie sociale des insulaires de Dobu dans le Pacifique, Paris, Maspero, 1972, p. 136

3 - Cf., autour de ces concepts : Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005

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BRUITSDE FOND

6

D É C H I F F R A G E

Transition alimentaire :

un accompagnement timide de l’État

Prendre soin de sa santé et pro- téger l’environnement appa- raissent désormais comme des dimensions structurantes de notre rapport à l’alimentation : les industriels surfent allègre- ment sur la vague verte, des applications mobiles permettent de débusquer les aliments « trop gras » ou « trop transformés », les compléments alimentaires se vendent comme des petits pains et le véganisme a fait son entrée dans le dictionnaire. Mais quels rôles l’État peut-il et doit-il jouer à l’égard de ce qu’il convient d’ap- peler la transition alimentaire ? LA LOI EGALIM : UN REPAS VÉGÉ- TARIEN PAR SEMAINE. On entend généralement par transition alimen- taire le mouvement vers un régime plus sain, plus écologique et plus éthique, mouvement concrètement formulé par une baisse de la consom- mation de produits gras, carnés et sucrés, une augmentation de celle de fruits, légumes et légumineuses ; il s’agit aussi de moins gaspiller, de produire et de consommer davantage de produits biologiques et d’utiliser moins d’emballages alimentaires ; enfin, que l’alimentation soit pro- duite dans des conditions plus res- pectueuses du bien-être animal et avec une plus grande équité entre les différents acteurs des filières. C’est dans ce cadre que le gouvernement français a récemment mis en place la « loi pour l’équilibre des relations

commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable » – dite loi Egalim – définitivement votée le 2 octobre 2018 à l’Assem- blée nationale puis promulguée le 30 octobre de la même année. L’une des composantes de cette loi va nous permettre d’interroger précisément le rôle de l’État à l’égard de la transition alimentaire. Depuis le 1er novembre 2019 et ce à titre expérimental pour une durée de deux ans, les gestion- naires publics ou privés des services de restauration collective scolaire sont ainsi tenus de proposer, au moins une fois par semaine, un menu végétarien aux élèves, de la maternelle jusqu’au lycée. Un tel amendement relève des dimensions, à la fois nutritionnelle et environnementale, précédemment évoquées. Nutritionnelle, car l’Orga- nisation mondiale de la santé attire l’attention depuis plusieurs années sur les liens entre consommation de viande (principalement viande rouge

et charcuterie) et état de santé, notam- ment la probabilité de développer des cancers. Environnementale car, avec plus de 300 millions de tonnes pro- duites dans le monde chaque année, selon l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la production de viande aurait un impact majeur sur le changement climatique.

Toutefois, et en dépit du fait que cette mesure s’avère nécessaire à plusieurs égards, des réserves persistent.

CHANGER L’ALIMENTATION PAR DÉCRET ? Ces réserves proviennent de différents acteurs. D’abord de la part des politiques, car cet amen- dement a été adopté malgré l’avis défavorable du gouvernement et l’opposition ferme du ministre de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Travert, qui condamnait une atteinte à la liberté des choix alimentaires.

Ensuite des chefs de cuisine, ces der- niers rappelant que la préparation de repas végétariens nécessite une formation à laquelle ils n’ont pas tous eu droit. Des directeurs d’établisse- ments scolaires également, précisant qu’ils n’avaient pas les moyens finan- ciers d’accompagner convenablement ce changement. Enfin, des parents d’élèves, particulièrement ceux issus des catégories sociales défavorisées, qui ont fait valoir le fait que le repas à la cantine constitue parfois la seule occasion pour leur enfant de consom- mer de la viande. De telles réserves sont classiques. Dans un article judi- cieusement intitulé « Peut-on changer par Tristan Fournier, sociologue, chargé

de recherche au CNRS (Iris, Paris)

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BRUITSDE FOND

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l’alimentation par décret ? »1, le socio- logue Claude Fischler en interrogeait déjà les raisons en 1989, précisant que l’alimentation – pratique haute- ment sociale et support des identités socioculturelles – n’est pas aisément malléable, même au gré des modes et des recommandations officielles. À ce mécanisme s’ajoute ici la symbolique très forte de la viande en France : héri- tière du processus gastronomique, à la base de centaines de recettes et bénéficiant de représentations encore extrêmement positives – le goût, la force, l’énergie, le lien au terroir. La viande fait partie intégrante de notre culture alimentaire et c’est probable- ment cet aspect qui explique en partie l’échec de cet amendement. On le voit, tous ces acteurs ont de « bonnes rai- sons » de ne pas s’y conformer.

COMME LE TABAC ET L’ESSENCE ? Comparons cet exemple avec une autre cible phare de la santé publique, le tabagisme. Malgré l’information massive quant aux risques sanitaires encourus et malgré le franchisse- ment symbolique de la barre des dix euros pour un paquet de cigarettes, nombre de personnes continuent de fumer. Mais pas n’importe qui, les personnes situées au bas de l’échelle sociale sont ainsi surreprésentées : comment en effet se soucier d’effets néfastes à long terme lorsque l’ur- gence consiste à boucler la fin du mois ? Le même processus opère pour la dimension environnementale. Les Gilets jaunes ne sont probablement pas moins « écolos » que le reste de la population, mais l’augmentation du prix de l’essence n’a fait qu’accroître les inégalités entre ceux qui peuvent se passer de voiture et ceux qui le peuvent moins et a ainsi contribué à augmenter le sentiment de non-consi- dération chez les seconds. La socio- logie permet justement d’identifier et de comprendre ces « bonnes rai- sons », parmi lesquelles on retrouve des conflits de valeurs exprimés et des raisons sociales plus implicites.

Rappelons qu’au sein du Committee

1 - Cahiers de nutrition et de diététique, XXIV,1

on Food Habits, établi par le National Research Council et mis en place aux États-Unis en 1940 pour préparer la population aux efforts de guerre (et donc à manger des aliments moins habituels et moins valorisés), l’an- thropologue Margaret Mead, occu- pant alors la fonction de secrétaire générale, ne cessait de rappeler que, avant de chercher à savoir comment changer les habitudes alimentaires, il convenait d’abord de comprendre ce que manger veut dire. L’exemple du repas végétarien de la loi Egalim montre bien le besoin d’élargir cette précaution à l’ensemble des acteurs de la filière agroalimentaire.

PROMOUVOIR UNE ÉDUCATION ALIMENTAIRE INCLUSIVE. Sur la forme, cet amendement repose pour- tant sur une formule innovante, qui invite à un changement des pratiques alimentaires par l’environnement (modifier l’offre à la cantine) plutôt que par l’individu (diffuser des recom- mandations). En santé publique, on sait la force de ce mécanisme : il trans- forme l’environnement dans lequel s’opèrent les choix alimentaires en levier d’action et évite ainsi aux man- geurs de se poser trop de questions (l’iodation systématique du sel de table fut l’un des succès de ce type d’action par l’environnement). Mais, en l’état, c’est-à-dire sans véritable accompa- gnement, ledit amendement reproduit les effets néfastes des recommanda- tions de type « top down » : il mise sur la responsabilité individuelle des acteurs quand il semble nécessaire d’engager des actions de formation, de concertation, d’explicitation. Les parents d’élèves deviennent ainsi les relais obligés d’une politique à moindres frais qui les confronte à leurs inégalités de connaissances et de compétences. Comme pour l’aug- mentation du prix de l’essence, la mise en place du repas végétarien hebdomadaire à la cantine n’est pas appréhendée de la même manière ni avec la même intensité selon la posi- tion sociale qu’occupent les individus.

Elle peut être vécue comme l’imposi- tion stricte d’un régime alimentaire

sans que les enjeux de santé et de durabilité ne soient même envisagés.

Une telle mesure s’adresse implici- tement à des personnes déjà sensi- bilisées à l’idée que l’alimentation puisse influencer la santé humaine et celle de la planète. Le risque est ici de laisser sur le bord de la route une partie de la population : celle pour qui la viande reste un aliment essen- tiel du déjeuner, celle qui n’a pas les moyens d’en acheter alors qu’elle estime qu’un enfant en pleine crois- sance doit en consommer quotidien- nement, celle enfin pour qui l’impact sanitaire et écologique de la viande n’est pas crédible ou ne constitue pas une priorité. Par ailleurs, un accom- pagnement aussi timide ne risque-t-il pas de favoriser une récupération par le marché ? Ainsi, dernier exemple en date, la chaîne de restauration rapide Burger King propose désormais un burger végétarien dont le steak, si on peut l’appeler ainsi, est composé de protéines de soja, de pomme de terre, d’huile de coco et d’hème, une molécule riche en fer qui donne une couleur rouge similaire à celle de la viande. N’est-on pas en droit d’at- tendre de l’État qu’il accompagne véritablement ce processus de tran- sition et ainsi ne pas laisser croire aux citoyens que seuls les industriels de l’agroalimentaire – dont l’impact sur la santé et la planète est loin d’être anodin – prennent soin d’eux et œuvrent pour le bien commun ? Une véritable éducation alimentaire en milieu scolaire est attendue. Une édu- cation alimentaire qui pourrait inté- grer cette mesure du repas végétarien hebdomadaire mais à la condition d’y associer l’ensemble des acteurs : direction d’établissement, personnel de cantine, corps enseignant, élèves et leurs parents. Une éducation ali- mentaire qui les rassemblerait autour de supports pédagogiques (jardins potagers, cours de cuisine, etc.) et de sorties culturelles (visite de fermes, d’expositions, etc.). Une éducation alimentaire inclusive qui articulerait enfin connaissances nutritionnelles, enjeux écologiques et dimensions socioculturelles de l’alimentation.

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BRUITSDE FOND

8

T O U T U N M O N D E

5G : solution ou distorsion agricole ?

La 5e génération de communica- tion mobile (5G) représente un saut technologique considérable.

En dopant la vitesse de traitement des données et en consacrant l’In- ternet des objets, elle modifiera le quotidien des individus et des entreprises. Ils pourront échan- ger plus massivement… à condi- tion d’y avoir accès. Si les secteurs agricole et alimentaire pourront profiter des applications de la 5G, les agriculteurs et les territoires ruraux en seront-ils, pour leur part, tous bénéficiaires ?

RUPTURES ET ENJEUX STRATÉ- GIQUES. Depuis le début du millé- naire, avec des innovations toujours plus rapides et moins coûteuses, la digitalisation de nos vies et de nos éco- nomies a connu un chamboulement, au risque de l’impossibilité pour les humains de ne plus arriver à les inté- grer. L’emballement est tel qu’il réduit les intervalles entre chaque révolution annoncée. La quantité et la puissance des données concurrencent tout.

Avec un débit optimisé lui permettant d’être cent fois plus rapide que l’ac- tuelle 4G, la 5G ouvre la voie à de nou- veaux changements structurels. Elle va permettre d’optimiser les échanges de données afin de communiquer davantage et d’intensifier les flux, entre plus de personnes mais surtout entre objets connectés – près de sept milliards en 2018, plus du triple d’ici 2025. Dit autrement, la 5G propose de vivre avec un digital instantané au sein

par la puissance chinoise. Depuis mai 2019, l’administration Trump inter- dit aux entreprises américaines de commercer avec Huawei. En outre, l’appétit de Huawei met en lumière la désunion européenne. Si l’Italie, l’Es- pagne ou la Pologne lui ouvrent leurs réseaux, d’autres pays, comme l’Alle- magne, débattent des conséquences sécuritaires potentielles. Pour sa part, la France devrait autoriser les opéra- teurs télécom nationaux à utiliser une partie des équipements fabriqués par Huawei pour les parties non sensibles du réseau. Dans ce canevas décousu, où est l’Union européenne qui prétend (re-)développer des champions indus- triels de l’innovation ?

Ensuite, la 5G exige une infrastructure lourde, nécessitant des moyens éco- nomiques et des installations consi- dérables. Ce ne sera donc pas d’un coup pour tout le monde, générant au passage des distorsions considérables entre les pays. Soulignons également le rôle indispensable des câbles de communication sous-marins inter- continentaux, qui s’étirent sur des milliers de kilomètres et par lesquels transitent déjà 90 % de nos données.

Plus que les satellites, ils seront la clef technologique du succès de la 5G. De plus en plus financés et posés par des sociétés privées, à l’instar des Gafam américains ou de Huawei, ces câbles représentent donc une hypersensi- bilité stratégique expliquant aussi le développement des marines de guerre et l’augmentation du nombre de sous-marins dans le monde.

par Sébastien Abis

Directeur du Club Demeter, chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS).

Article écrit avec l’aide de Lana Khouildi (stagiaire à Demeter)

d’écosystèmes numériques inédits et motive des jeux d’intérêt et de pouvoir.

D’abord, des batailles entre États et géants technologiques. Prenons l’entreprise Huawei. Ce conglomérat chinois, dont le budget de R&D s’élève à 15 milliards de dollars, possède une véritable longueur d’avance sur ses concurrents mondiaux, avec une offre techniquement supérieure et écono- miquement inférieure. La conquête de la 5G a toujours été l’un de ses objectifs, dans une vision et une ambi- tion semblant se confondre avec celle de Pékin, qui aspire à devenir leader en matière technologique, au grand dam de son voisin japonais. Résultat, dans les mises aux enchères des fré- quences 5G, pour chaque pays se pose aujourd’hui la question des avantages et des risques avec Huawei. Inquiets, les États-Unis sentent bien que leur domination mondiale sur le plan numérique est sérieusement menacée

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BRUITSDE FOND

9 IMPACTS ET DÉFIS POUR L’AGRI-

CULTURE. Très connectés, les agricul- teurs des pays développés regardent avec attention l’arrivée de la 5G, qui pourrait précipiter la transition vers des systèmes plus performants et plus durables. Analyse d’informa- tions en temps réel, automatisation de machines, irrigation de précision à distance, identification rapide et trai- tement approprié des maladies végé- tales et animales… Autant d’avancées attendues et actuellement testées. Avec la 5G, les échanges continus d’infor- mations entre l’agriculteur, ses objets connectés et son environnement exté- rieur ne connaîtront plus de temps de latence. Réduction des marges d’er- reur technique, meilleure efficience aux changements météorologiques et systèmes de production davantage prédictifs… In fine, on se dirige vers une hypothèse de meilleure viabilité économique de l’exploitation.

Dans un contexte où les agriculteurs sont appelés à multiplier leurs activi- tés au quotidien, toute solution d’aide est la bienvenue. Pas étonnant dès lors que les appétences de certains acteurs du numérique s’aiguisent pour apporter des solutions technologiques spécifiques aux professionnels qui, en retour, leurs fournissent des kyrielles de données. Au-delà de la question de la souveraineté que cela peut poser pour une nation, cette dynamique interroge sur la hiérarchisation des données, entre celles à partager et les autres à protéger, sans oublier leur monétisation au profit des agriculteurs.

Une question sensible qui s’épaissit inévitablement avec l’essor de la 5G.

N’oublions pas les autres maillons de la chaîne alimentaire : stockage, transport, usine agro-industrielle, distribution, restauration… tous sont concernés par l’explosion de l’écono- mie numérique et des nouvelles solu- tions conférées par les réseaux 5G. Il y aura un bénéfice si les outils sont bien calibrés et si les ressources humaines, correctement formées, peuvent se les approprier. De même, la valeur ajoutée sera réelle si la 5G et ces données ultra- connectées servent à améliorer non seulement les résultats de l’entreprise

mais plus largement le fonctionnement d’une filière ou même la sécurité ali- mentaire globale d’un espace de vie. Il est probable que la traçabilité des pro- duits soit aussi amplifiée. La 5G offre donc un horizon propice à la trans- parence de la chaîne alimentaire et à redonner confiance au consommateur.

PROBLÉMATIQUES CARTOGRA- PHIQUES. Produire plus, mieux et avec moins de ressources, favoriser l’agriculture de précision, garantir la sûreté sanitaire des aliments… Ces objectifs légitimes n’ont malheureuse- ment pas les mêmes traductions selon les régions du monde. Pour résoudre cette équation agricole et répondre aux défis de la sécurité alimentaire, tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. Dans ce faisceau très large d’inégalités, la digitalisation de l’agri- culture connaît elle-même d’immenses disparités. Étant donné son coût et l’ar- chitecture numérique qu’elle impose, la 5G risque d’accentuer encore les écarts non seulement entre pays, mais aussi entre agriculteurs et territoires d’un même pays.

Vous avez dit exclusions spatiales ? Déjà, les réseaux 3G ou 4G ne couvrent pas encore l’ensemble de la planète.

Un quart de la population rurale euro- péenne ne dispose toujours pas d’In- ternet ! Comme souvent, en matière de développement infrastructurel, la plupart des zones exclues sont rurales.

Généralement isolées et de faible den- sité humaine, elles retiennent peu l’intérêt commercial des opérateurs nationaux de télécom, mais elles représentent autant de créneaux géo- graphiques à prendre pour les géants mondiaux du numérique. En Chine, un groupe comme Alibaba opère déjà, dans son pays, en faveur de l’inclu- sion et de la digitalisation rurales. Nul doute qu’il finira par proposer des services en Asie ou en Afrique. L’ir- ruption de la 5G préfigure donc de nouvelles disparités de connectivité.

Comment faire en sorte que, demain, des agriculteurs, des entreprises ou des usines en zones rurales ne soient pas davantage pénalisés par la frac- ture numérique ? La France ne sera

pas épargnée. Alors, peut-on imaginer que les mondes agricoles et agro-in- dustriels travaillent mieux et plus avec les opérateurs nationaux télécom afin que ces derniers n’oublient pas les territoires ruraux ? Aux États-Unis, le gouvernement mobilise actuelle- ment neuf milliards de dollars pour équiper les ruralités américaines, notamment les plus productives en agriculture. Quid des pays en voie de développement qui ne disposent pas des infrastructures nécessaires et des moyens pour intégrer cette nouvelle technologie ? La léopardisation des ter- ritoires agricoles et ruraux africains, asiatiques ou sud-américains pourrait être beaucoup plus violente qu’ailleurs.

Quelles seront les conséquences socio- politiques de ces énièmes inégalités géographiques ?

INQUIÉTUDES ET INCERTITUDES.

Enfin, dans cette série d’inconnues que pose le déploiement de la 5G, s’in- vite celle des inquiétudes sanitaires : l’OMS classe les ondes comme cancé- rogènes possibles pour l’homme. Si les risques sont encore mal évalués et que des controverses existent, difficile d’écarter ces incertitudes liées à la santé des enjeux stratégiques de la 5G. La prolifération des données et de leurs échanges soulève aussi des questions en matière énergétique et donc environnementale. La technolo- gie 5G a souvent été présentée comme génératrice de nouvelles demandes – encore impossibles à évaluer. L’ac- tualité brûlante du Covid-19 rebat un certain nombre de cartes à pro- pos de la (sino-)mondialisation, des flux (d’humains ou de marchandises) et des secteurs prioritaires pour la sécurité (individuelle comme collec- tive). Le déploiement de la 5G en sera-t-il impacté ? D’ores et déjà, la crise sanitaire a eu pour conséquence en France de reporter les enchères autour de son déploiement. Quelle en sera l’utilité ? Comment éviter qu’elle n’engendre encore plus de désordres géopolitiques ? Pendant ce temps, les agriculteurs ont besoin de solutions concrètes pour agir dans la durée.

C’est là une réalité universelle.

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L E J O U R D ’A V A N T

A

U lendemain de la Seconde G u e r r e m o n d i a l e , l a recherche agronomique française est considérable- ment affaiblie. L’Institut de Recherche Agronomique (IRA), créé en 1921, a été démantelé en 1934 en raison de la crise économique, et la guerre et l’Occupation ont achevé de ruiner les stations et laboratoires subsistants.

En revanche, les pays anglo-saxons et scandinaves ont, dans le même temps, capitalisé sur les acquis scien- tifiques et techniques de la fin du XIXe siècle, les États-Unis surtout développant une recherche puissante au service de la modernisation de leur agriculture.

Écartelée entre sa position devenue marginale dans le monde industria- lisé et sa rente de situation dans les mondes coloniaux, l’agronomie fran- çaise a un besoin urgent de redéfinir sa propre assise. Créé en 1946 dans le droit fil de la conférence de Hot Springs qui, dès 1943, soulignait les enjeux de la sécurité alimen- taire pour la relance des économies de marché, l’Inra reçoit la mission prioritaire de redresser l’agriculture nationale. La mécanisation, vecteur privilégié de la politique de moderni- sation du Plan Monnet (1947-1950), ne peut combler à elle seule le retard.

C’est donc par une recherche secto- rielle appliquée, que l’Institut devra offrir au pays les gains de produc- tivité nécessaires. Mais pour cela, il faut se mettre au diapason de la recherche internationale. Le Plan

pédologie tiennent leur rang, il n’en va pas de même pour les sciences de l’animal. Dès la fin des années 1940, de jeunes chercheurs sont envoyés en formation dans les pays d’Europe du Nord, et des jumelages entre labo- ratoires sont mis en place (autour du fromage avec les Pays-Bas, par exemple). Mais c’est surtout dans la dynamique du Plan Marshall que des

« missions » sont organisées pour aller voir et entendre les « leçons de l’agriculture américaine », selon l’expression de René Dumont2. Malgré le scepticisme des dirigeants français, persuadés que l’avance anglo-saxonne a tué dans l’œuf toute perspective, l’Inra entend se poser en fer de lance de la recherche agrono- mique européenne, et dispose pour cela de quelques atouts. Ainsi, quand l’Inra ouvre son Centre National de Recherches Zootechniques (CNRZ) à Jouy-en-Josas, il en fait d’emblée une vitrine internationale. Le laboratoire de microbiologie et de recherche lai- tière de Germain Mocquot, figure de renommée internationale, y est large- ment mis en avant. Charles Thibault, qui acquiert une réputation mondiale grâce à ses résultats sur la féconda- tion in vitro, multiplie les échanges avec les scientifiques étrangers. De même, les travaux de Georges Morel à Versailles sur la multiplication végétative in vitro lui confèrent une stature internationale. Et lors de la

2 - Son voyage aux États-Unis se déroule d’août à octobre 1946. Il en tire Les Leçons de l’agriculture américaine (1949)

par Pierre Cornu, professeur d’histoire contemporaine et d’histoire

des sciences à l’université de Lyon, membre du laboratoire d’études rurales, en délégation à Inrae, et Egizio Valceschini, économiste, directeur de recherches à Inrae, président du comité pour l’Histoire de

la recherche agronomique

La recherche agronomique française au défi de

l’international (1946-1978)

Marshall (1947), puis le traité de Rome (1957), vont constituer de ce point de vue de puissants aiguillons.

UNE RECHERCHE AGRONOMIQUE DE NIVEAU INTERNATIONAL AU PROFIT DE LA MODERNISATION DE L’AGRICULTURE FRANÇAISE.

Les chercheurs de l’Inra de la généra- tion fondatrice ont peu voyagé dans leur formation scientifique et n’ont qu’une connaissance limitée de la littérature étrangère1. Et si l’agrono- mie, l’amélioration des plantes et la

1 - Martone L., « Regards historiques sur la recherche agronomique française de la seconde moitié du XXe siècle », Histoire de la recherche contemporaine, 2017, tome VI, n° 2, 145-162

Pierre Cornu

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conférence constitutive de l’Associa- tion européenne pour la recherche en sélection végétale (EUCARPIA), qui se tient en 1956 à Wageningen aux Pays- Bas, c’est le directeur scientifique de l’Inra, Jean Bustarret, qui prend la vice-présidence de la nouvelle struc- ture. L’Inra contribue également à l’homogénéisation génétique et à la standardisation des animaux d’éle- vage avec, comme fleuron national, la poule « vedette ».

En une vingtaine d’années, l’Inra obtient ainsi des succès scientifiques qui l’ancrent dans la recherche agro- nomique internationale. Pour autant, ces succès ne définissent pas une stratégie, et ils ont des impacts écono- miques très inégaux. Si les premiers économistes qui intègrent l’Inra en 1957 ont essentiellement pour mis- sion d’accompagner la rationalisa- tion de la gestion des exploitations, il apparaît très rapidement, et notam- ment avec la nomination d’Edgard Pisani au ministère de l’Agriculture en 1961, que la pensée économique doit jouer un rôle stratégique plus affirmé autour des enjeux internatio- naux, dans la logique de la mise en œuvre de la PAC en 1962, puis des négociations du Gatt dans le cadre du « Kennedy Round » (1964-1967).

L’INRA À L’HEURE DE LA DÉCO- LONISATION : LA TENTATION DU SUD. Si l’Inra est missionné pour soutenir l’agriculture métropolitaine, son objectif est bien de produire des technologies compétitives à l’échelle européenne et internationale. Au début des années 1960, l’Institut entend affirmer le caractère géné- rique de ses recherches, y compris face à la recherche tropicaliste fran- çaise. Pour trouver des partenaires, l’Inra suit les sentiers traditionnels de la diplomatie française au Maghreb, au Proche-Orient, dans les pays du golfe de Guinée et dans les Antilles.

Pour des agronomes pétris de valeurs

universalistes, la problématique du développement apparaît comme un puissant élément de motivation. Cette vision est d’ailleurs en phase avec la

« révolution verte » engagée dans les pays du Sud au lendemain des indé- pendances. Rapidement cependant, la coopération technique apparaît antinomique de l’excellence scienti- fique. Si les missions ponctuelles se poursuivent dans les années 1960, les projets de grande envergure sont contestés, à l’image du centre de recherche Antilles-Guyane. Comme le note avec regret Denis Bergmann à propos du département d’économie et de sociologies rurales, « malgré quelques “franges” internationales, [il] reste essentiellement tourné vers les problèmes de l’agriculture fran- çaise »3. L’internationalisation qu’il appelle de ses vœux n’est toutefois pas tournée vers les pays en déve- loppement, mais vers les concurrents directs de la France pour la maîtrise des marchés agricoles : au sein de l’Europe tout d’abord, dans la rela- tion transatlantique ensuite.

L’INRA DANS LA COMPÉTITION ÉCONOMIQUE. Dès la fin des années 1960, l’Europe agricole entre dans une longue période de turbulences. La France, grâce à la PAC, a gagné d’im- portantes parts de marché dans le commerce international des matières agricoles, notamment au détriment des États-Unis. Mais il apparaît que les inconvénients de cette politique l’emportent sur ses avantages, et exigent des amendements sérieux.

Denis Bergmann est parmi les pre- miers à l’Inra à défendre l’idée que le temps de la modernisation agri- cole sous régime de subventions et de protection douanière ne peut pas durer éternellement. Associé à un

3 - Bergmann D., « Les recherches économiques et sociologiques à l’INRA », dans L’Institut national de la recherche agronomique, édition du 25e anniversaire, 1946-1971, SPEI éditeur, p. 19, 1972.

panel international de neuf experts, il publie en 1970 le rapport « Un avenir pour l’Europe agricole »4, qui met en avant l’exigence de compétitivité dans des marchés agricoles appelés à s’ouvrir de plus en plus.

Avec la crise énergétique de 1973- 1974, la situation se tend plus encore : l’agriculture intensive est gourmande en énergie, et menacée par la baisse des prix des denrées agricoles. Jacques Poly, tout nouveau directeur scientifique de l’Inra, est d’emblée conscient de la nécessité de lier innovation scientifique et stratégie économique. Mais rien ne prépare ce dialogue au sein de l’Inra, et encore moins à l’échelle des négociations européennes et internationales. Il choisit donc de mobiliser la recherche sur le « talon d’Achille » que constitue pour l’élevage français sa dépendance vis-à-vis des oléoprotéagineux amé- ricains. Mais les propositions qu’il formule en 1978 dans son rapport

« Pour une agriculture plus économe et plus autonome »5 sont mal reçues par les organisations professionnelles et par un pouvoir politique soucieux de ménager le partenaire américain.

Tirant les leçons de l’échec, Jacques Poly comprend que la porte de sor- tie de la crise implique, aussi bien pour la recherche que pour l’agri- culture et les politiques publiques, un saut d’échelle : de l’agriculture nationale vers une dimension macro- économique et géopolitique. En cela, il est en parfaite résonance avec la tendance libérale qui gagne les hautes sphères de l’État. L’agricul- ture doit être le « pétrole vert » de la France, déclare Valéry Giscard d’ Estaing dans son discours de Vassy en 1977. La recherche doit trans- former la fatalité de la compétition économique en opportunité. Pour cela, il lui faut mobiliser ses écono- mistes et en faire les éclaireurs d’un front nouveau : celui de l’économie de l’innovation.

4 - « Un avenir pour l’Europe agricole », coll. Les Cahiers Atlantiques, vol. 4, 1970 5 - Valceschini E., Maeght-Bournay O., Cornu P., Recherche agronomique et politique agricole. Jacques Poly, un stratège, éditions Quae, 167 pages

« L’agriculture doit être le “pétrole vert” de la France. »

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