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La pseudo-histoire du mythe des invasions d'Irlande

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Academic year: 2021

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Submitted on 23 Apr 2019

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La pseudo-histoire du mythe des invasions d’Irlande

Guillaume Oudaer

To cite this version:

Guillaume Oudaer. La pseudo-histoire du mythe des invasions d’Irlande. Littératures. Université Paris sciences et lettres, 2017. Français. �NNT : 2017PSLEP064�. �tel-02107007�

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La pseudo-histoire du mythe des invasions d’Irlande.

Soutenue par :

Guillaume OUDAER Le15 décembre 2017

École doctorale de l’EPHE – ED 472

Spécialité : études médiévales

THÈSE DE DOCTORAT

de l’Université de recherche Paris Sciences et Lettres PSL Research University

Préparée à l’École Pratique des Hautes Études

COMPOSITION DU JURY :

M. Pierre-Yves LAMBERT

École Pratique des Hautes Etudes et CNRS Directeur de thèse

Mme Catherine MAIGNANT

Université Charles de Gaulle, Lille III Rapporteur

M. Hervé LE BIHAN

Université de Haute-Bretagne, Rennes 2 Rapporteur

M. Dominique BRIQUEL

École Pratique des Hautes Etudes et Université Paris-Sorbonne, Paris IV Président du jury

M. Bernard SERGENT CNRS

Examinateur

M. Marco GARCIA QUINTELA

Universidade de Santiago de Compostela Examinateur

M. François EMION Paris-Sorbonne, Paris IV Examinateur

Dirigée par :

Pierre-Yves LAMBERT

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(4)

REMERCIEMENTS

La thèse est un travail individuel, voire solitaire. Il n'empêche que je tiens à remercier les personnes suivantes qui, à leur façon, ont contribué à ce que le présent travail voit le jour.

Je remercie, tout d'abord, mon directeur de thèse, Pierre-Yves Lambert, pour m'avoir accepté sur un sujet difficile. Je lui suis redevable de m'avoir fourni toute l'aide nécessaire – bibliographique, linguistique et méthodologique –, tout en ayant la patience de suivre mon travail pendant ces longues années. Je remercie également Catherine Maignant, Hervé Le Bihan, Dominique Briquel, François Emion, Marco García Quintela et Bernard Sergent pour avoir accepté de faire partie du jury de thèse.

Je tiens à remercier ma famille pour le soutien et les encouragements que j'ai reçu d'elle. Toute ma gratitude va en particulier vers mon épouse, Lee Jungmi, qui a supporté les différents inconvénients de ce travail durant toutes ces années.

Je suis également redevable à Patrice Lajoye, Christian Rose, Gäel Hily, Pierre et André Sauzeau, Nick J. Allen, Julien d'Huy, Jean-Loicq Le Quellec, Xavier Delamarre et tous les autres chercheurs qui ont consacré un peu de leur temps pour m'aider, d'une manière ou d'une autre, dans la réalisation de cette thèse.

J'ai tiens à saluer également mes amis et mes collègues des collèges Jean Moulin de Sannois et Georges Pompidou de Courbevoie qui m'ont également accompagné, à leur manière, dans ce travail.

Enfin, j'ai une pensée particulière, pour Claude Sterckx, un brillant chercheur qui m'inspire

beaucoup et qui aurait voulu siéger parmi mon jury

(5)

INTRODUCTION

Le mythe pseudo-historique des invasions d'Irlande forme le cœur des traditions rassemblées dans le texte désigné comme le Livre des Conquêtes de l'Irlande, le Lebor Gabála Érenn (LGÉ)

1

. Celui-ci est considéré de longue date comme étant la pierre angulaire de la culture irlandaise médiévale. Ce texte, dont la plus ancienne version conservée date de la fin du XI

e

siècle

2

, nous présente les origines légendaires de l'Irlande et de ses habitants, depuis la création du monde jusqu'à l'aube du Moyen Âge irlandais, sous une forme plus ou moins cohérente. Il constitue une mise en forme d'un ensemble de poèmes de provenances diverses, liés entre eux par une prose les paraphrasant

3

. Le but premier de cette compilation était de construire une histoire ordonnée de l'Irlande païenne qui soit rattachable à l'histoire universelle chrétienne, de la même manière que cela se déroulait dans les différentes cultures européennes nouvellement converties.

En cela, la tradition portée par le LGÉ peut être désignée comme une pseudo-histoire mythique, dans le sens où il s'agit d'une tentative délibérée de construire un système chronologique cohérent à partir de mythes et légendes indigènes, et d'un matériel complètement exogène, comme peuvent l'être les différentes sources bibliques dont l'utilisation est nécessaire au rattachement d'une telle œuvre à la vision chrétienne d'une histoire universelle. C'est le christianisme, avec son sens profond de l'histoire, qui va donc être le catalyseur de la tradition pseudo-historique irlandaise

4

.

En effet, si le LGÉ est l’œuvre majeure de la pseudo-histoire irlandaise, il n'en reste pas moins le climax d'une longue tradition littéraire puisque bien d'autres textes font référence aux événements et aux personnages que le LGÉ cite, dans une dimension structurelle analogue. C'est pourquoi, même si notre point de départ est le texte du LGÉ, il est évident que celui-ci ne peut s'expliquer qu'en étant mis en parallèle avec ces autres textes. De plus, le LGÉ ne représente qu'une partie de cette tradition, celle-ci pouvant contenir des éléments complémentaires voire divergents avec la doctrine du LGÉ, ce qui montre bien qu’elle n'est pas un ensemble monolithique et statique essentiellement représenté par le LGÉ, mais un courant culturel évolutif et multiforme, véritable témoin de la vitalité intellectuelle des cercles lettrés de l'Irlande médiévale.

1 Littéralement, « le Livre de la Prise de l'Irlande ».

2 Cf. notre présentation des sources utilisées dans cette étude.

3 Carey 1993 : 1 ; 2005 : 45.

4 Byrne 1974 : 147-148.

(6)

Comme nous venons de l'évoquer, la création d'une pseudo-histoire médiévale nécessite la réunion de deux traditions hétérogènes. Premièrement, la tradition indigène, pré-chrétienne, du peuple qui veut se doter d'une histoire ordonnée ; deuxièmement, la tradition chrétienne, composée à la fois de textes d'origine biblique et gréco-romaine, qui permet la jonction entre la culture indigène et l'histoire universelle. Il s'agit là d'un processus qui vise à une ouverture des traditions indigènes sur le reste du monde, dans une perspective aussi bien historique que géographique, rompant ainsi avec le paradigme d'équivalence microcosme-macrocosme du territoire indigène.

Chacune de ces deux traditions est reçue comme une somme érudite autorisée, car conservée dans une filiation respectée. C’est ce dont rend bien compte l’emploi du mot latin peritia pour désigner la connaissance conservée par « l’expert » (peritus) dans la littérature médiévale irlandaise

5

. L’originalité de la science irlandaise est d’avoir tenté une synthèse entre les deux traditions, c’est ce que l’on appelle la pseudo-histoire synthétique

6

.

Ici, dans la tradition pseudo-historique irlandaise, la conjonction des deux traditions a créé un contenu à la forme particulière dont l'ordonnance archétypale nous est donnée par le LGÉ et les annales.

Comme le contexte d'élaboration et de rédaction de cette tradition est chrétien, il est logique que celle-ci prenne pour point de départ les débuts de l'histoire biblique, c'est-à-dire les traditions concernant le livre de la Genèse

7

. Deux moments particuliers de cette partie de la Bible ont une importance certaine dans la tradition du LGÉ. C'est, d'une part, le Déluge et ses conséquences, avec le partage du monde entre les trois fils de Noé, dont descendent les différents peuples, et, d'autre part, la construction de la Tour de Babel et ses suites, soit la fin de l'intercompréhension de ces peuples. C'est à partir de ces deux événements que commence véritablement l'ethnogénèse gaélique.

Les Gaels vont connaître une histoire mouvementée, qui n'est pas sans évoquer le récit de l'Exode, lequel est associé à leur dernière étape avant de parvenir en Irlande, l'Espagne. À partir de ce point, la chronologie du LGÉ opère un retour en arrière pour nous raconter l'histoire de l'Irlande antérieure à son peuplement par les Gaels, celle de ses différentes invasions qui donnent son nom au LGÉ.

La première invasion contée est multiforme et n'est pas unanimement acceptée. On peut la résumer comme le peuplement antédiluvien de l'Irlande par différents personnages, le plus souvent menés par une figure féminine, et qui seront engloutis par le Déluge, excepté l'unique témoin de ce

5 La peritia est l'équivalent des senchas ou « tradition » dans les manuscrits médiévaux et plus spécialement dans son sens proprement historique et généalogique (Byrne 1974 : 138). Ce terme est employé en particulier dans l'Historia Brittonum.

6 Lambert 2010 : 84. Le terme de « pseudo-histoire synthétique » (synthetic pseudohistory) est une création d'Eoin Mac Néill (1921 : 40).

7 Cependant, une version du LGÉ ne commence pas par les origines bibliques du monde ,mais par une présentation de l'Irlande.

(7)

cataclysme, Fintan mac Bóchra, qui survivra jusqu'aux temps de l'évangélisation de l’île pour transmettre l'histoire de celle-ci. La première invasion de l'Irlande unanimement reconnue est celle de Partholón. Cependant, la plupart des versions du LGÉ évoquent implicitement une autre invasion, s'intercalant entre la première et celle de Partholón, celle du peuple démoniaque des Fomóire, qui seront vaincus par Partholón. Après la disparition brutale du peuple de Partholón

8

, excepté Túan mac Cairill, un autre témoin de l'histoire irlandaise, c'est un proche parent de Partholón, Nemed, qui s'empare de l'Irlande déserte. Il doit faire face aux Fomóire, qu'il contient jusqu'à son décès, et qui vont ensuite réduire en esclavage son peuple. Ses descendants se révolteront victorieusement contre leurs oppresseurs avant de se diviser en trois groupes qui partiront dans trois directions différentes. Un quatrième groupe, laissé derrière eux, disparaît peu après. Le peuplement suivant est celui des Fir Bolg, les descendants d'un fils de Nemed, constitué de trois groupes – les Fir Bolg proprement dit, les Fir Domnann et les Fir Gáilióin – menés par cinq frères qui seront à l'origine de la première royauté de l'Irlande. Ils seront vaincus par d'autres descendants de Nemed, les Túatha Dé Danann – en fait les dieux de l'Irlande païenne –, lors de la première bataille de Mag Tured, les nouveaux venus chassant les Fir Bolg d'Irlande. Les Túatha Dé Danann connaîtront l’assujetissements aux Fomóire, qu'ils vaincront finalement lors de la seconde bataille de Mag Tured. Plusieurs rois des Túatha Dé Danann régneront sur l'Irlande jusqu'à ce que les fils du roi Míl d'Espagne, ancêtres des principales lignées irlandaises médiévales, ne les chassent, reprenant là le récit suspendu juste avant la mention des premiers peuplements de l'Irlande. Cette dernière invasion est suivie de la description des règnes qui vont de ceux des premiers rois des Fils de Míl jusqu'à ceux qui précèdent la rédaction du LGÉ.

L'historiographie de ces invasions est inséparable de celle du LGÉ. L'étude scientifique de ce dernier débuta avec la « redécouverte moderne » du LGÉ par Edward O'Reilly, qui appliqua le titre à la troisième rédaction de ce texte, conservée dans le Livre de Ballymote et à la fin du Livre de Lecan

9

. Cependant, le premier qui a reconnu l'importance de la tradition manuscrite du LGÉ fut Henri d'Arbois de Jubainville, en 1883, qui identifia huit manuscrits médiévaux de ce texte, sans compter un grand nombre datant du XVII

e

au XIX

e

siècle

10

.

Le contenu canonique de cette tradition établie a été envisagé de diverses manières par les savants modernes. L'analyse étant rendue d'autant plus difficile du fait de la diversité et de l'intrication des différentes sources de cette tradition.

Ainsi, Eugene O’Curry considérait que le LGÉ était une source fiable racontant l’arrivée de la civilisation gaélique avec celle des Milésiens. Celle-ci ayant succédé à celles des Túatha Dé Danann

8 Excepté Túan mac Cairill, un autre témoin de l'histoire irlandaise 9 O'Reilly 1820 : xiii ; cf. cxv.

10 Arbois de Jubainville 1883 : 169-171.

(8)

et celle des Fir Bolg

11

. La première étude mythologique du LGÉ et de sa tradition est également le fait de H. d'Arbois de Jubainville, dans son livre Le cycle mythologique irlandais et la mythologie celtique

12

. Dans cette étude, il considère que le LGÉ doit être vu comme une source mythologique de première importance pour appréhender la pensée des Irlandais pré-chrétiens, proposant, pour appuyer son propos, une multitude de comparaisons avec les traditions grecques, romaines et indiennes. Dans cette optique, l'influence des sources continentales, bibliques ou autres, est minimisée au maximum, ce qui a suscité de nombreuses critiques quant à la méthode de ce savant français.

La première véritable étude des sources et des différentes phases d'élaboration de la tradition du LGÉ est le fait d'Anton G. van Hamel. Il mit en lumière, en particulier, l'importance des différentes sources continentales négligées par d'Arbois de Jubainville

13

.

De son côté Eoin MacNeill, contrairement au savant français, a reconnu dans la structure chronologique de base de la pseudo-histoire irlandaise, une adaptation locale des empires qui marquèrent le monde de son deuxième à son cinquième âge, selon la chronique universelle des auteurs de l'Antiquité tardive

14

. Pour Rudolf Thurneysen, le LGÉ ne serait que la prosification des poèmes pseudo-historiques de Gilla Coemain

15

.

Dans Dieux et Héros des Celtes, Marie-Louise Sjoestedt voit le LGÉ comme le résultat d’une pensée cosmogonique, qui imagine le début primordial de chaque chose. Il s’agit de fonder des institutions, de comprendre la coexistence de classes sociales aux fonctions différenciées, et les antagonismes de comportements ou de croyances. Tout va donc être ramené à un récit des origines, tout va être fondé par un ou plusieurs ancêtre(s) mythique(s)

16

. Il s'agit là d'une approche nouvelle du contenu mythologique du LGÉ, abordant par là-même sa raison d'être.

Les analyses de la tradition pseudo-historique faites par Robert A. S. Macalister dans son édition du LGÉ peuvent être considérées comme étant intermédiaires entre les conceptions de d'Arbois de Jubainville et celles de Van Hamel

17

.

Une interprétation radicalement différente des précédentes est celle de Thomas F. O'Rahilly dans Early Irish History and Mythology. Pour celui-ci, la tradition du LGÉ est le souvenir réécrit et mythifié des différentes invasions historiques qui auraient successivement pris pied en Irlande. La mise par écrit du LGÉ aurait eu pour but de faire oublier aux Irlandais leur stratification ethnique et

11 O’Curry – Sullivan 1873 : II 3 et ss.

12 Arbois de Jubainville 1884.

13 Van Hamel 1915.

14 MacNeill 1909-1910.

15 Thurneysen 1921a : I 47 et ss.

16 Sjoestedt 1940 : 3-18.

17 Macalister 1938-1956.

(9)

d'introduire l'idée d'un peuple irlandais unifié

18

. Cette approche historicisante de la pseudo-histoire irlandaise a été fortement critiquée et rarement suivie.

Les interprétations mythologiques du contenu du LGÉ furent profondément renouvelées par la parution de Celtic Heritage : Ancient Tradition in Ireland and Wales, d'Alwyn et Brinley Rees.

Ceux-ci se basaient sur le renouvellement des études mythologiques opéré par des savants tel que Mircea Eliade, Georges Dumézil et Ananda Coomaraswamy. Ces deux chercheurs gallois reconnaissent l’importance fondamentale de la tradition chrétienne médiévale dans l'élaboration de la tradition pseudo-historique du LGÉ, tout en affirmant que sa base même est profondément ancrée dans une culture pré-chrétienne et plus particulièrement dans des mythes portant, comme cela avait été signalé par M.-L. Sjoestedt, sur les débuts primordiaux de la société, dont les érudits médiévaux avaient pleinement conscience de l'importance symbolique. Pour eux, les cinq invasions qui vont de Partholón (et Cessair) aux Fils de Míl sont le reflet irlandais d'une division quintuple de la société indo-européenne, basée sur le modèle trifonctionnel dumézilien

19

.

Un an plus tard, Liam Ó Buachalla reprend l'étude du contenu du LGÉ dans une voie diamétralement opposée. Il considère que la partie pré-Milésienne du LGÉ est calquée sur la seconde partie du texte qui commence avec le règne des premiers rois Milésiens

20

. Cette vision de la tradition pseudo-historique irlandaise minimise le poids de l'héritage mythologique par rapport à celui de l'annalistique royale. Il ne semble pas avoir été suivi dans cette voie, en dépit de l'originalité de son analyse.

Ces conceptions tranchées au sujet de la tradition du LGÉ sont au cœur du débat agitant les études irlandaises médiévales dans la seconde moitié du XX

e

siècle, celui entre les nativistes et les anti-nativistes. Les premiers sont convaincus de la préservation par voie orale d’un héritage celtique préchrétien dans la littérature irlandaise ancienne et ils minimisent l'impact du christianisme sur celle-ci, car il s'agirait d'une littérature « séculaire ». Cette position est celle de Myles Dillon, Proinsias Mac Cana, Daniel A. Binchy, Seán Ó Coileáin et, de façon moins ferme, Kenneth Jackson. Ils ont pour arguments les théories et hypothèses concernant la comparaison des différents éléments des textes irlandais avec les autres littératures indo-européennes, sur la base des travaux de G. Dumézil, en particulier la survivance d'archaïsmes qui se retrouvent également dans les littératures de la Grèce et de l'Inde ancienne. Ils utilisent également les travaux d'anthropologues,

18 O'Rahilly 1946.

19 Rees – Rees 1961. Au sujet de la théorie trifonctionnelle définie par G. Dumézil, rappelons que celle-ci considère que le système de pensée des civilisations indo-européennes se basait sur la coexistence de trois fonctions : la fonction sacerdotale, dépositaire du sacré et de l'activité intellectuelle et juridique (F1) ; la fonction guerrière, liée à la force physique (F2) ; et la fonction productrice, représentant l'abondance, la fécondité et le bien-être physique (F3). Pour une définition de cette théorie, cf. Dumézil 1992.

20 Ó Buachalla 1962.

(10)

comme ceux de Jack Goody, Jan Vasina et Ruth Finnegan, qui tendent à montrer la conservation des motifs les plus anciens par la voie orale

21

. L'école anti-nativiste reproche aux nativistes de ne pas détecter les influences judéo-chrétiennes profondes qui passe par l’écrit, et tout particulièrement celle de la littérature biblique

22

. Ils nient également un cloisonnement entre la littérature

« séculaire » et la littérature ecclésiastique et leurs auteurs

23

. C'est la position de James Carney, Robin Flower, Robert Alter, Frank Kermode, Northrop Frye et, plus récemment, Kim McCone.

Une autre étude importante pour la compréhension des influences à l’œuvre dans la tradition pseudo-historique irlandaise est celle de Françoise Le Roux qui se concentre essentiellement sur un commentaire mythologique de l’œuvre, sans en renouveler fondamentalement la compréhension

24

.

Dans les années 1980, Richard Mark Scowcroft a fait paraître une série d'études utilisant les outils d'analyse de l'anthropologie structurale, grâce auxquels il a mis en évidence l'existence de motifs récurrents à l'intérieur de la structure du LGÉ. Il en conclut, dans le prolongement des théories d'E. Mac Néill, que l'essentiel de la narration du LGÉ a été formé à partir de quelques modèles bibliques répétés en de multiples variations

25

. Il a été massivement suivi dans cette voie par K. McCone

26

.

C'est également dans la même décennie que le savant américain John Carey a lancé un grand nombre d'études dans lesquelles il identifie les racines pré-chrétiennes de nombre d’éléments de la tradition pseudo-historique, tout en remettant la composition de celle-ci dans son contexte médiéval aux fortes influences bibliques

27

.

Au début des années 1990, Claude Sterckx a repris l'analyse des frères Rees en comparant les différentes invasions irlandaises à d'autres séries socio-fonctionnelles indo-européennes, ce qui lui a permis de confirmer et d'affiner la théorie des Rees, en affirmant que le schéma invasif de la pseudo-histoire irlandaise était une sociogonie

28

incluant la naissance des différents éléments constitutifs de la société irlandaise ancienne

29

.

En dernier lieu, il nous faut signaler les travaux de Bart Jaski, qui s'attache essentiellement aux influences bibliques dans la pseudo-histoire irlandaise, en particulier dans la constitution de ses traditions généalogiques

30

.

21 McCone 1990 : 2-4.

22 Ibid. : 17.

23 Ibid. : 28.

24 Le Roux 1968.

25 Scowcroft 1987, 1988.

26 McCone 1990.

27 Cf. Les nombreuses études faites par Carey donnée en bibliographie et utilisées tout au long de ce travail.

28 En cela, cette définition de pseudo-histoire irlandaise est beaucoup plus correcte que celle de M.-L. Sjoestedt, car une cosmogonie implique une création du monde. Or, les éléments cosmogoniques présents dans le texte du LGÉ sont partiels et limités au microcosme irlandais.

29 Sterckx 1992.

30 Jaski 2003, 2006, 2009.

(11)

À travers le travail de ces différents auteurs, il apparaît que, dans le débat entre nativistes et anti- nativistes, la pierre d’achoppement soit le degré d'héritage pré-chrétien dans la tradition pseudo- historique du LGÉ. De nos jours, plus personne ne nie l'influence du contexte chrétien médiéval dans la rédaction de cette tradition ; par contre, c'est le degré de conservation ou d'altération de l'héritage indigène au sein de celle-ci qui fait débat.

Dès lors, doit-on considérer, comme certains, que le mythe des invasions d'Irlande est une construction médiévale à partir d'un matériel pré-chrétien agencé selon une trame judéo-chrétienne répondant aux attentes idéologiques de ses rédacteurs ? Ou, au contraire, doit on considérer qu'il y a eu conservation d'un mythe cosmogonique et/ou sociogonique ancien, dans son schéma invasif comme dans les éléments constitutifs de chacune de ses séquences ? Dans ce dernier cas, la place de l'influence chrétienne se pose d'autant plus que les arguments anti-nativistes sont forts. Cependant, ceux-ci sont contrebalancés par la comparaison entre le matériel irlandais et celui des autres cultures celtiques et indo-européennes. Peut-on alors considérer que, à des degrés divers, les rapprochements avec la littérature judéo-chrétienne ne seraient que de subtiles analogies rendues possibles par les points de concordance existant entre les deux traditions ? De même, la question de phases d'élaboration différentes selon les parties de cette pseudo-histoire complexifie la compréhension de sa genèse.

Il nous semble donc que l'on ne peut envisager une étude de la pseudo-histoire invasive de l'Irlande qu'à travers l'examen de la structure même de ces peuplements « préhistoriques » et de leur contenu narratif, tout en replaçant notre objet d'étude au cœur de la conception que pouvaient avoir les literati médiévaux des traditions (pseudo-)historiques. Pour ce faire, nous devons envisager une méthodologie se situant au confluent des positions nativistes et anti-nativistes. Celle- ci prendrait en compte les acquis et les controverses des recherches sur ce pan de la culture irlandaise médiévale. Ce faisant, nous essaierons d'analyser les différents éléments constitutifs de cette tradition en les soumettant à un examen poussé dans le but de distinguer les éléments d'origine païenne de ceux postérieurs à la christianisation de la culture irlandaise. Cela nous permettra de comprendre la logique de leur inclusion dans cette tradition, voire d'examiner, pour certains d'entre eux le processus syncrétique ici à l’œuvre. Pour ce faire, nous reprendrons les différentes démarches et théories avancées par les chercheurs qui se sont penchés sur cette question.

Sachant cela, nous utiliserons, d'une part, comme sources principales, les différentes recensions

du LGÉ, les textes qui lui sont apparentés et ceux qui, dans la tradition irlandaise, font référence à la

pseudo-histoire synthétique. Nous analyserons les relations qu’ils entretiennent entre eux, tout en

relevant les différences influences continentales, bibliques ou non, qui y sont discernables. D'autre

part, nous comparerons ce qui ne nous semblera pas issu de sources continentales ou d'une

(12)

élaboration tardive avec des traditions provenant de cultures celtiques ou ayant un substrat celtique avéré, dans le but d'y déceler des éléments pouvant provenir de contacts médiévaux ou d'un héritage commun à ces différentes cultures. Dans la même optique, le matériel que nous examinerons sera aussi mis en parallèle avec d'autres traditions indo-européennes, permettant ainsi d'esquisser une stratigraphie des différentes parties de la tradition pseudo-historique irlandaise.

Nous bornerons notre analyse aux traditions relatives aux origines et à la venue des Gaels en Irlande et à celles concernant les peuples qui les ont précédés en Irlande, dans la logique d'une étude des peuplements pseudo-historiques de l'Irlande. Une telle définition exclu de notre étude les éléments de la Genèse, apocryphes ou non, qui apparaissent dans la pseudo-histoire irlandaise, comme la première partie du LGÉ qui précède le récit des origines des Gaels. En ce qui concerne le terme de notre objet d'étude, il sera placé au niveau de l'établissement de la royauté des Fils de Míl.

Nous avons choisi cette borne temporelle, car il s'agit d'une période clairement définie qui marque la fin du cycle de peuplement de l'Irlande et la naissance de la société irlandaise pré-chrétienne, c'est-à-dire les débuts d'une « histoire » irlandaise qui ne serait plus de l'ordre du mythe. Comme dans le cas précédent, nous utiliserons ponctuellement des éléments de cette partie post-milésienne de la pseudo-histoire irlandaise pour éclairer notre sujet. Enfin, nous ajouterons à ces éléments des traditions eschatologiques qui ne se trouvent pas dans la tradition des invasions d'Irlande, mais dont l'étude comparée avec d'autres traditions celtiques et indo-européennes nous permettra de mieux comprendre la logique de l'ensemble formé par ces différents peuplements.

Pour permettre l'analyse d'une aussi vaste matière nous organiserons notre travail selon une double structure. La principale sera constituée de ce que nous appellerons le noyau central de notre analyse qui recoupera à la fois l'histoire des origines des Gaels et celle des autres invasions d'Irlande. Cette structure est parallèle à la définition chronologique de notre objet d'étude. La seconde structure d'analyse, périphérique à la première, sera constituée de deux chapitres, ouvrant et fermant notre travail. Cette structure périphérique contrastant avec la première dans le sens où elle ne portera pas sur l'analyse en propre d'une partie bien définie de la tradition pseudo-historique, mais sur deux aspects transversaux de cette tradition.

C’est pourquoi, nous commencerons notre étude proprement dite par la présentation des sources

traditionnelles de la pseudo-histoire irlandaise, les vénérables témoins de celle-ci. L'analyse de ces

figures et de leur rapport avec le concept même de pseudo-histoire synthétique débouchera sur une

définition irlandaise de l'histoire et du rapport de celle-ci avec les concepts d'oralité et d'écriture. Ce

chapitre nous permettra de définir la vision que pouvaient avoir les érudits médiévaux de leur

pseudo-histoire et des porteurs de celle-ci.

(13)

Le second ensemble de notre étude consistera en l'analyse des différents peuplements que connaîtra l'Irlande. Les trois premiers chapitres de cette partie seront consacrés respectivement aux invasions antédiluviennes, à celles des Fomóire et de Partholón. À ce sujet, notons que le chapitre concernant les Fomóire n'aura pas de bornes chronologiques nettes correspondant à leur apparition entre la première et la troisième invasion, du fait de leur réapparition dans la suite de la pseudo- histoire irlandaise. L'étude des trois premiers peuplements sera séparée du reste de cette section par un chapitre qui montrera l'antique unité conceptuelle ancienne à l'œuvre au sein de ces trois premières invasions. Nous continuerons en abordant successivement les peuplements de Nemed, des Fir Bolg et des Túatha Dé Danann. En ce qui concerne ce dernier chapitre, nous y traiterons aussi bien la première que la seconde bataille de Mag Tured, car, même si la première est également connectée aux Fir Bolg, elle n'en est pas moins intrinsèquement liée à la seconde et aux Túatha Dé Danann. Le chapitre suivant ne sera pas celui consacré à l'invasion des Fils de Míl, mais aux origines de leur peuple avant leur venue en Irlande. Nous avons choisi d'appliquer ce découpage, car ces deux moments de l'histoire des Gaels se trouvent séparés, dans la narration du LGÉ, par les invasions pré-milésiennes. Ce chapitre nous permettra également d'explorer à la fois la définition que les Irlandais médiévaux donnaient à leur peuple et les conséquences culturelles d'une telle construction. Naturellement, ce chapitre sera suivi du récit de l'invasion des Fils de Míl dont l'analyse débouchera sur la prise en compte des implications profondes du contexte socio-politique de l'Irlande médiévale dans le processus d'écriture de cette tradition. Tous les chapitres constituant cette seconde partie, sauf le quatrième faisant le bilan conceptuel des trois premières invasions, se présenteront selon un plan analogue. Pour chaque peuplement, nous classerons le contenu de nos sources selon le déroulement chronologique de l'histoire de ces peuplements. Ces différents éléments seront analysés selon les grilles de lecture précédemment présentées pour dégager l'origine des différents motifs et leur raison d'être dans ce récit. Cela nous permettra, avec l'étude de l'onomastique et de la généalogie de chaque invasion, de dégager une définition qui nous permettra d'envisager la signification ancienne de chaque peuplement.

Le dernier chapitre portera quant à lui sur les origines et l'évolution du cycle des invasions

d'Irlande dans sa totalité. Il y aura là un bilan global de ce que nous aurons relevé aux chapitres

précédents qui nous permettra d'envisager le processus qui transforma les conceptions « chrono-

mythologiques » de l'Irlande païenne en une pseudo-histoire synthétique par le biais des

conceptions historiographiques du christianisme médiéval. Puis, par la comparaison avec des

structures mythologiques analogues et le secours des conceptions cosmogoniques et

eschatologiques qui ont survécu dans les traditions celtiques et indo-européennes, nous tenterons de

présenter une image du cycle des invasions d'Irlande dans son paradigme cyclique originel.

(14)

Nous avons choisi de rassembler, dans une première partie, le chapitre sur les sources traditionnelles des invasions d'Irlande et la vision irlandaise de l'histoire que nous pouvons en tirer avec les chapitres concernant les trois premiers peuplements de l'île, car les principaux témoins de cette histoire de l'Irlande font partie de ces invasions qui ouvrent ce cycle mythique. De plus, celles- ci ont leur logique propre, comme nous le verrons. Ensuite, la seconde partie sera consacrée aux trois peuplements centraux de l'Irlande, ceux de Nemed et de ses descendants et à la vision de la société qu'ils représentent. Enfin, notre dernière partie concernera les origines des Milésiens et leur prise de l'Irlande, qui met ainsi un terme au cycle des invasions d'Irlande. Cette partie contiendra également notre dernier chapitre, car, comme le peuplement milésien, il ferme les invasions d'Irlande et l'ouvre sur les temps humains et leur conclusion.

Avant d'entamer notre étude proprement dite, nous allons présenter en détail les différentes

sources concernant le mythe des invasions d'Irlande, tout en replaçant ses récits dans le contexte

historique à l'origine de leur tradition, celui du haut moyen âge irlandais.

(15)

PRÉSENTATION CONTEXTUALISÉE DES SOURCES 31

Comme nous l’avons déjà évoqué, les sources que nous utiliserons pour caractériser la tradition des différents peuplements de l'Irlande sont multiples. Pour bien comprendre notre sélection et notre analyse de celles-ci, nous allons les présenter selon un classement précis.

Le noyau dur de notre corpus est bien entendu constitué des différentes recensions du LGÉ. À ces textes s'ajoutent une seconde catégorie constituée par les différentes œuvres qui ne sont pas à proprement parler des versions du LGÉ mais dans lesquelles apparaissent son schéma invasif. Un troisième ensemble de textes, beaucoup plus important, regroupe ceux qui font référence ou qui racontent des événements ayant pris place lors des différents peuplements de l'Irlande. Ces trois groupes de textes seront comparés à une quatrième catégorie. Celle-ci rassemble d'autres textes irlandais ou d'origine celtique ou indo-européenne, mais aussi de la tradition biblique accessible aux érudits irlandais du haut Moyen Âge. À l'intérieur de ce dernier ensemble de textes, les textes celtiques ou indo-européens seront utilisés en tant qu'analogues remontant à une même origine plus ou moins ancienne, tandis que les seconds permettront d'établir l'origine judéo-chrétienne de certaines idées développées dans la tradition pseudo-historique irlandaise

32

.

À cette présentation des trois principales catégories de sources, nous ajouterons une présentation de leur contexte de rédaction principal, celui du haut moyen âge irlandais, ainsi qu'une réflexion finale sur la légitimité des sources tardivement attestées du fait d'une éventuelle oralité séculaire.

31 Note générale concernant les sources. Lorsque nous citerons les sources en note, elles seront présentées de deux manières : soit la source sera cité avec la référence à son édition/traduction et aux pages correspondantes, soit seule la source sera mentionné. Dans ce dernier cas, il faudra alors se référer à la concordance des sources qui se trouve à la fin de l'ouvrage. Les sources concernés sont les sources grecques, romaines, indiennes, iraniennes et judéo-chrétiennes tirées d'éditions sans traductions ou d'éditions bilingues avec le texte en regard.

32 En ce qui concerne la troisième catégorie de textes, nous ne présenterons ici que les sources narratives les plus importantes.

(16)

1. Les sources principales de la pseudo-histoire irlandaise : la tradition du Lebor Gabála Érenn.

Après une première présentation dans l'introduction générale à cette thèse, le Lebor Gabála Érenn (LGÉ) est un texte essentiel de la pseudo-histoire synthétique et celui qui expose de la manière la plus complète l'ensemble des peuplements mythiques de l'Irlande. C'est aussi une œuvre multiple et complexe au niveau de son histoire textuelle. Pour mieux le comprendre, nous allons successivement présenter sa tradition manuscrite et ses différentes recensions ou versions ; son contenu ; les différents auteurs associés à son élaboration ; et, enfin, nous exposerons l'histoire supposée de ce texte, telle qu'elle a pu être reconstituée ces dernières années

33

.

1. 1. Les manuscrits et les recensions.

Les différents manuscrits du LGÉ ont été classés en quatre recensions. Nous reprendrons leur dénomination de R. M. Scowcroft sous forme de lettres minuscules pour les quatre recensions (a, b, c, m)

34

, les archétypes des différents manuscrits (f, r, g et l) et les synchronismes (s) insérés dans deux sections différentes de b et c ; les manuscrits seront classés sous la dénomination de lettres majuscules, accompagnées d'une astérisque en cas de manuscrit ayant existé mais considéré comme perdu.

, la recension a est représentée par le Livre du Leinster (N)

35

et le Livre de Fermoy (F)

36

, auxquels peut être ajouté M, anciennement coté Gaelic MS 1 à la bibliothèque du Comté de Longford-Westmeath, maintenant retourné à un propriétaire privé

37

.

La recension b (incluant s et m) se divise en trois sous-recensions :

r est l'archétype du Bodleian MS Rawlinson B 512, nouveau foll. 75B-100 (R)

38

et le TCD MS E.3.5, seconde partie (E)

39

;

33 Nous nons basons principalement sur le travail de R. M. Scowcroft (1987, 1988, 2009).

34 Elle était déjà celle de Van Hamel et de Thurneysen, sous la forme A, B et C. Elle remplace le classement R1, R2, R3 et Min. de Macalister. En ce qui concerne m ou Míniugud, il s'agit d'une version abrégée du LGÉ qui ne survit que dans trois copies de b et qui semble avoir été à l'origine de a.

35 Manuscrit datant de la seconde moitié du XIIe siècle. Commencé à l'abbaye de Terryglass (comté du Tipperary,) par son abbé, Áed Úa Crimthainn. Celui-ci en est le principal contributeur parmi les scribes qui le complétèrent (O'Sullivan 1966). Son commanditaire est probablement Díarmait Mac Murchada, roi du Leinster (vers 1110-1171). Il s'agit de l'une des plus importantes compilations de la littérature gaélique médiévale qui nous soient parvenues. Il est aussi connu sous le nom de Lebor na Nuachongbála « Livre d’Oughaval » du nom du monastère du comté de Laois où il fut longtemps conservé.

36 Originaire de Castletownroche, près de Fermoy (comté de Cork), ce manuscrit fut copié entre les XIVe et XVe siècle par plusieurs scribes, dont Domhnall Ó L(e)(ighin), Uilliam Ó hIcedha, Dáibith Ó Du(ib...) et Torna Uí M(h)aoil Chonaire, probablement sous le patronage de la famille Roche.

37 Ce manuscrit fut copié en 1560 par Seaghan Ó Maoil Chonaire.

38 Manuscrit composite datant des XVe-XVIe siècle.

39 Manuscrit du XVe siècle.

(17)

l est l'archétype des RIA MSS D.v.1, D.iv.2, et D.i.3 (Y)

40

, et du Grand Livre de Lecan, foll.

10-30 (Lbm)

41

;

– D est le RIA MS D.iv.3

42

.

La recension c est représentée principalement par le Livre de Ballymote, foll. 8r°-34r° (B)

43

et le Grand Livre de Lecan, foll. 264-312 (Lc).

Les relations entre ces différentes recensions et leurs manuscrits nous donnent le stemma codicum suivant

44

:

Dans ce stemma, M apparaît avec un point d'interrogation, car il semble représenter la même version de a que F (ou f) et les interpolations dans l et D, qui ont été abrégés en de nombreux endroits.

Ces omissions sont détectables par la comparaison avec F, N et m. *U et *G représentent respectivement le manuscrit perdu d'où émane la tradition de a en dehors de N et le manuscrit d'où émane la recension b. En ce qui concerne les interpolations de *U - signalées par des pointillés dans le stemma – dans l et D, elles s'expliquent probablement comme des marginalia ajoutées à *G après qu'il fut copié par r – g représente le manuscrit glosé –, l et D firent par la suite des additions supplémentaires provenant de la même version de a.

À ces recensions médiévales doit être ajoutée d, celle écrite par Míchaél Ó Cléirigh

45

, en 1631, et qui est une refonte totale du LGÉ à partir de tous les manuscrits disponibles

46

.

On peut également ajouter à la tradition du LGÉ, même si elle en diffère parfois fortement par le fond et par la forme, l’œuvre de Geoffrey Keating

47

, le Foras Feasa ar Éirinn (FFE), rédigé en 1634, dont le LGÉ est l'une des principales sources. Il y raconte l'histoire de l'Irlande, depuis la Création jusqu'à l'invasion anglo-normande du XII

e

siècle. Keating a parcouru toute l’Irlande pour

40 Manuscrits faisant partie originellement du Livre Jaune de Lecan. Ce dernier provient de Lecan (comté de Sligo), où se trouvait l'école bardique de la famille Mac Fhirbhisigh. Il semble avoir été composé entre 1391 et 1401.

41 Ce manuscrit, originaire de la même école bardique que le précédent, fut rédigé entre 1397 et 1418.

42 Datant du XVIe siècle, ce manuscrit est attribué à Muirghius Ó Maolchonaire.

43 Ce manuscrit fut copié entre 1384 et 1406 à Ballymote (comté de Sligo) par des scribes de la famille Mac Aedhagáin.

44 Reproduction du Stemma I de Scowcroft 2009 (: 4).

45 Míchéal Ó Cléirigh (vers 1590-1643), membre de l'une des plus érudites familles d'Irlande, quitta l'Irlande pour le continent où il devint un membre laïc de l'Ordre des Franciscains, en particulier à Louvain (Belgique). Entre 1626 et 1637 Ainsi, il séjourna en Irlande où il collecta et transcrivit un grand nombre de manuscrits.

46 Williams – Ford 1997 : 209.

47 Geoffrey Keating (1569-1644) est un prêtre issu d'une famille anglo-gaélique.

(18)

rassembler ses sources

48

. Comme l'indique son introduction, cette somme historique fut écrite en réaction aux conceptions pro-anglaises – remontant aux écrits de Giraud de Barri – de certains auteurs, comme William Camdem ou Edmund Spencer

49

.

1. 2. Le contenu du texte

50

.

Le LGÉ est divisé en cinq sections, tout le long desquelles la prose et la versification s’imbriquent pour permettre la justification de la première par la seconde. La section I commence par une introduction qui diffère selon les versions : dans m, il s'agit d'une brève présentation latine de la géographie et de l'histoire de l'Irlande. Dans a et b, il s'agit d'un abrégé de l'histoire biblique de la Création à Noé. Dans c, il s'agit d'une traduction des chapitres I-XI de la Genèse – soit de la Création jusqu'à l'épisode de Babel. Cette section se poursuit par la présentation du lien entre les lignées descendant de Noé et celle des Gaels, puis par la description de l'errance des Gaels.

La section II est celle contenant le récit des différentes invasions pré-gaéliques de l'Irlande. Elle commence dans toutes les recensions par une introduction énumérant les différentes invasions ayant peuplé l'île. Ensuite, dans toutes les recensions, sauf m, sont exposées les différentes versions du peuplement antédiluvien de l'Irlande. Puis viennent les récits concernant Partholón, Nemed, les Fir Bolg, les Túatha Dé Danann, puis vient l'invasion des Fils de Míl, qui reprend l'histoire des Gaels là où le texte de la première section s'était arrêté.

La section III est une description des 115 souverains ayant eu la haute-royauté de Tara, après la prise de possession de l'Irlande par les Gaels, en commençant par le premier de leur souverain en Irlande, Éremón – et en racontant au passage l'origine des Pictes. Le récit se poursuit ensuite jusqu'aux rois semi-légendaires Nath Í mac Fíachrach ou Lóegaire mac Néill.

La section IV, présente seulement en b, dans le Livre de Ballymote et ayant laissé des traces dans Lc, synchronise les différentes invasions d'Irlande et les règnes des rois gaéliques avec les souverains de la chronologie eusébienne, de Ninus, fils de Bel, jusque l'empereur byzantin Léon III (718-741).

La section VI, qui n'a survécu que dans N et c, décrit les règnes des hauts-rois chrétiens de l'Irlande, depuis Lóegaire mac Néill jusqu'à la restauration de Mael Sechnaill II (mort en 1022), après la mort de Brian Bóruma à la Bataille de Clontarf (1014). Puis, cette première partie est suivie d'une seconde, constituée des ríg co fressabra « les rois avec oppositions », c'est-à-dire ceux dont la haute-royauté ne fut pas unanimement reconnue et cela jusqu'au règne de Ruaidrí mac Toirrdelbaig

48 Williams – Ford 1997 : 209-210.

49 Cf. Chap. IX. 3. 3. a.

50 Nous nous référons ici à Scowcroft 1987 : 101 et ss.

(19)

Ua Conchobair (roi de 1166 à 1183), dont le début du règne donne un terminus post quem à la rédaction de N.

La section VI est la recension m, qui nous est parvenue seulement sous la forme d'un appendice abrégé de b.

1. 3. Les différents auteurs associés à l'élaboration du LGÉ

51

.

Les quatre grands auteurs dont les œuvres ont participé à l'élaboration du LGÉ peuvent être identifiés par rapport aux poèmes qui leur sont attribués.

Le plus ancien d'entre eux, Eochaid úa Flainn (vers 936-1004), fut un poète, un historien, l'hôtelier du monastère d'Armagh et le supérieur de l'église de Clonfeacle, près de Dungannon. Il appartenait au Clann Shínaich, une branche de la dynastie des Uí Echdach qui donna plusieurs dirigeants du royaume d'Airthir où se trouve Armagh, et où sa famille eut une grande influence. Sa nécrologie fait de lui “un sage en poésie et en histoire” (suí filidechta ocus senchasa) dans les Annales d'Ulster ou un “sage de l'histoire des Gaels” (suí senchasa Gaídel) d'après les Annales des quatre maîtres. Son érudition est évoquée par un colophon médiéval affirmant que Flann Mainistrech et Eochaid Éolach ua Céirín rassemblèrent des informations à partir des livres de celui- ci conservés à Armagh. Dans les Annales de Clonmacnoise, il est cité comme une autorité. Il est identifié comme étant l'auteur des poèmes XXX, XLI, LIII, LXV, XCVIII, CIX, CXI.

Flann Mainistrech (mort en 1056) fut un poète, un historien et le lecteur du monastère de Monasterboice, dans le comté de Louth. Sa famille a eu une forte influence sur Monasterboice. Il a gardé des contacts prolongés avec Armagh. Il contribua également aux Dindshenchas. De nombreux poèmes contenant les généalogies ou les droits traditionnels de nombreuses dynasties lui sont attribués. Il semble avoir été un protégé de Máel Sechnaill II, le dernier des hauts rois d'Irlande des Uí Néill du sud. Les Annales d'Ulster le disent « lecteur en chef et sage de l'histoire de l'Irlande » et les Annales de Tigernach « auteur des Gaels en érudition latine et histoire, en poésie et en verse ». Il est l'auteur des poèmes XLII (?), LVI, LXVII, LXXXII (?).

Tanaide ó Dubsailech úa Maoil-Chonaire (mort aux environs de 1075?) est un obscur poète à qui l'on doit les poèmes XLVII, LIV et LXXXVI.

Gilla Cóemáin mac Gilla Shamthainne (floruit en 1072) est un poète dont on ne sait quasiment rien à part ses poèmes, si ce n'est que son nom et celui de sa mère (ou de sa grand-mère) semblent indiquer qu'il était originaire de la région de l'actuelle Clonbroney, dans le comté de Longford. Il est l'auteur des poèmes XLVII, LIV et LXXXVI.

51 Les biographies suivantes sont tirées de Carey 1993, 2005.

(20)

Avec ces poèmes, ils ont essayé de produire une somme organisée et unifiée, combinant le passé légendaire et le passé historique. Certains de ces poèmes sont d’ailleurs orientés vers une démonstration : ainsi Eochaid veut montrer que les Tuatha Dé ne sont que des anges déchus, tandis que Flann fait d’eux de simples mortels

52

.

1. 4. L'évolution des différentes recensions.

La comparaison des différentes recensions permet d'en dégager un noyau originel commun (ω) et de grands ajouts faits successivement par α, b, μ, a, et c – m, bien qu'étant explicitement un résumé fait aussi des ajouts à ce qui est hérité de μ – comme cela est représenté dans le stemma suivant

53

:

Ainsi, ω devait contenir la section I du LGÉ avec une digression ou une interpolation concernant les envahisseurs pré-milésiens, leurs généalogies, leurs rois et une discussion finale sur les rois milésiens et leur généalogie, c'est-à-dire, respectivement, des versions primitives des sections II et III.

Ce texte était en prose, mais correspond très étroitement au poème « Can a mbunadus na nGáedel » de Máel Muru Othna

54

. Ce poème et ω n'apparaissent jamais ensemble, mais ils semblent représenter le contenu canonique de la tradition à cette époque.

Pour Scowcroft, la correspondance entre les deux textes est trop étroite pour être une coincidence et il propose d'y voir à l'origine une source écrite commune à laquelle du matériel fut ajouté. Il est également possible que l'auteur de ω ait également connu le poème et n'ait pas essayé d'en rendre chaque détail dans sa prose ; les autres additions significatives à ω proviendraient alors d'autres sources. Dans tous les cas, Scowcroft date ω du IX

e

siècle.

Dans α, une section II complète fut ajoutée, là où ω ne faisait que la résumer. Cette section dans α consistait en une collection de poèmes d'auteurs différents fondus dans une structure en prose qui paraphrasait et développait la versification.

52 Carey 2005 : 89.

53 Reproduction du stemma II de Scowcroft 2009 ( : 6).

54 Cf. La sous-partie suivante.

(21)

À μ, la section III fut ajoutée sur un texte qui concernait seulement les plus importants rois milésiens, surtout en ce qui concernait leurs périodes de règne. Il fut composé en opus geminatum, le « genre couplé », qui juxtapose la prose et la versification d'une doctrine plus ou moins identique, ce qui devint par la suite la norme pour l'ensemble du LGÉ

55

.

Les auteurs de α et μ sont respectivement, selon Scowcroft, Eochaid úa Flainn et Gilla Cóemáin.

Ces attributions permettent de dater α de la fin du X

e

siècle et μ de la fin du XI

e

siècle.

À partir de là, il a été établi que m est une version primitive de a et que b est une tradition parallèle partageant avec elle des sources communes. La recension a est une fusion de α et μ, tandis que b attache un résumé de μ (m en tant que section VI) à la fin d'un texte qui dérive de α seul, il reste alors une section III plus proche de α que dans a. Puisque le résumé de μ est apparu avec son rattachement à b et que le fragment de m dans le Rawlinson B. 502 date du début du XII

e

siècle, l'archétype de b précède la copie de a dans N, qui fut complétée après 1166. Ainsi, a, étant la réunion de textes représentés maintenant par b et m, est plus récent que b, malgré le fait que N est plus ancien, en terme de langage et de contenu, que les différents manuscrits de b parvenus jusqu'à nous. Cependant, il est préférable de reconnaître là des traditions parallèles qui se développèrent continuellement et combinèrent l'ancien avec le nouveau matériel, car même m contient des innovations. Les deux traditions émergèrent du développement des sections II et III, dans α et μ, respectivement, et les tentatives successives de les harmoniser par la suite, en particulier au niveau chronologique. Ainsi, la section I synchronise originellement la prise de l'Irlande par les Milésiens avec la fondation du royaume de David. Ce synchronisme est également accepté par Eochaid úa Flainn. La section II propose une autre théorie qui sera développée en détail dans la section IV de b : les invasions d'Irlande, depuis Partholón, coïncident plus ou moins avec les empires de la Chronique d'Eusèbe ; Éremón est alors donné comme étant le contemporain d'Alexandre le Grand.

Cependant, dans μ, la section III ne permet une telle synchronicité et ce manque de cohérence n'est pas résolu jusqu'à la révision de c dans le Grand Livre de Lecan, qui repousse Éremón au règne du roi assyrien Mitra et abandonne les schémas chronologiques des sections II et IV.

Il en résulte le stemma suivant qui rassemble les recensions et les manuscrits selon cinq phases d'évolution

56

:

55 Même si de l’avis même de Scowcroft, il ne s’agit pas d’une règle absolue et que l’inverse est aussi possible.

56 Reproduction du stemma III de Scowcroft 2009 ( : 13).

(22)

Comme nous l'avons vu, la phase II (a) est distinguée de la phase I (μ) par l'insertion de la section II et d'autres éléments provenant de α

57

. La phase III (*U), qui est mieux connue par F, mais aussi par M et les interpolations dans l et D, incorpore beaucoup de matériel nouveau, dont une partie provient de b, mais pas de *G, d'où le symbole β dans ce stemma. La phase IV (c) effectue des ajouts majeurs en provenance de l. La phase V (Lc) effectue une révision chronologique majeure, ainsi que d'autres changements et ajouts.

Concernant la chronologie des différentes phases, Scowcroft considère que le passage de la phase II à la phase III date du dernier quart du XI

e

siècle, soit entre le travail de Gilla Cóemáin et la mort du rédacteur principal du Lebor na hUidre

58

, auquel *U est identifié. Il date G* entre 1119 et 1122 sur la base des données annalistiques d'un prolongement de la section V

2. Les sources rattachables à la pseudo-histoire irlandaise du LGÉ.

D'autres textes que les différentes recensions du LGÉ nous offrent une vision des invasions d'Irlande, plus ou moins connectée à celle du LGÉ. Nous distinguerons deux catégories parmi ces textes. La première est formée par ceux qui donnent un récit complet de leur version des invasions d'Irlande, tandis que la seconde est constituée de récits prenant place dans le contexte de ces invasions ou se focalisant sur une invasion en particulier sans références aux autres.

2. 1. Les autres versions des invasions d'Irlande

59

.

La plus ancienne attestation complète d'une série d'invasions peuplant l'Irlande nous est donnée par le texte de l’Historia brittonum. Cette source de la pseudo-histoire britannique fait remonter l'origine des Bretons insulaires à un certain Brutus, petit-fils d'Énée, qui conquit l'île de Bretagne.

57 La section V, dont nous ne traitons pas dans ce travail, attestée dans N, M et c pourrait aussi avoir été insérée à cet endroit.

58 Ce manuscrit, datant des XIe-XIIe siècles, est de la main de trois principaux scribes. Le scribe dont il est question ici est appelé M par les commentateurs modernes et est identifié avec Máel Muire mac Céilechair (mort en 1106). Ce manuscrit ne contient pas de version du LGÉ, mais il est supposé que celle-ci devait être contenue dans les pages manquantes du Lebor na hUidre.

59 Sauf mention contraire, nous renvoyons aux éditions utilisées dans ce travail pour la présentation des différentes sources.

(23)

Sa date de composition est estimée aux alentours de 828. Elle est traditionnellement attribuée à Nennius, un moine gallois du IX

e

siècle, du fait de son prologue, mais il semble que cette attribution soit une invention du X

e

siècle

60

. Ce texte est attesté par un grand nombre de manuscrits répartis en quatre recensions. Il est naturellement centré sur le passé britannique, mais il possède aussi une section irlandaise dont le récit est dit avoir été obtenu « des plus savants (peritissimi) des Irlandais ». Il a été suggéré que le contenu irlandais de cette œuvre soit en rapport avec Elfoddw,

« l’archevêque du Gwynedd » qui mourut en 809. En poussant les églises galloises à accepter le comput romain de Pâques en 768, Elfoddw a pu revigorer leurs contacts avec les consœurs irlandaises. De toute manière, nous avons la preuve que des érudits irlandais visitèrent le Gwynedd fréquemment au cours du IX

e

siècle, souvent quand ils étaient en route vers le continent

61

.

Plus schématique est le récit des invasions d'Irlande qui nous est donné par le texte du Scél Tuáin meic Chairill « L'histoire de Túan fils de Cairell » (STMC). Ce récit est attesté par cinq manuscrits, dont le plus ancien est le Lebor na hUidre (XI

e

-XII

e

siècle), et sa première mise par écrit remonte à la seconde moitié du IX

e

siècle. Túan mac Cairill y raconte son existence protéiforme, depuis l'invasion de Partholón, jusqu'à l'époque de son auditoire, formé par Finnian de Mag Bile et ses compagnons

62

.

Le texte du Suidiugud Tellaig Temra « La fondation du domaine de Tara » (STT) est attesté par cinq manuscrits, dont le plus ancien est le Livre Jaune de Lecan (XV

e

-XVI

e

siècle), et date de la période du moyen irlandais (X

e

-XII

e

siècle). Dans celui-ci, Fintan mac Bóchra est appelé pour justifier la prééminence de la royauté de Tara. Pour prouver son autorité, il raconte son existence qui se confond avec les invasions d'Irlande, depuis celle de Cessair.

En lien avec ce dernier texte, mais plus tardif, l'Ársaidh sin, a eoin Accla, plus connu comme étant « le Dialogue entre Fintan et l'Aigle D'Achill » (ASAEA) est un poème où Fintan répond aux questions de ce volatile sur son existence passée, ce qui l'amène à parler des différents peuplements de l'Irlande. Ce récit est connu par trois manuscrits, dont le plus ancien est le Livre de Fermoy (XIV

e

-XV

e

siècle). La langue semble dater de la période du moyen irlandais.

De son côté, le Lebor Bretnach – la traduction et la rédaction gaélique de la recension dite « nénnienne » de l'Historia Brittonum – s'inspire du récit britannique tout en y incorporant un matériel irlandais. Sa plus ancienne attestation est le Lebor na hUidre. Traditionnellement attribué à Gilla Cóemain, il a été également avancé qu'il aurait été produit par un auteur anonyme écossais.

Cependant, tous les commentateurs s'accordent pour le dater entre le milieu et la fin du XI

e

siècle.

60 Dumville 1975-1976.

61 Carey 2005 : 36.

62 Carey 1984a.

(24)

L'introduction du Livre de Fenagh

63

attribue à saint Caillín, fondateur du monastère de Fenagh, la révélation par un ange d'une version du cycle des invasions d'Irlande.

Enfin, parmi ces versions alternatives du cycle des invasions d'Irlande, il nous faut mentionner celle apparaissant dans la troisième partie de la Topographia Hibernica ou « Description de l'Irlande

» (1188) de Giraud de Barri

64

. Celui-ci s'inspire clairement de la tradition du LGÉ, dans sa narration de l'histoire pré-gaélique de l'Irlande, mais en la déformant selon ses conceptions de clerc proche de la couronne anglaise et dont des parents auraient participé à la conquête de l'île.

Les annales irlandaises sont aussi une source qui raconte les différentes invasions d'Irlande. En ce qui concerne ces textes, ils descendent de la Chronique d'Irlande ou Chronique d'Iona, un texte qui semble avoir été composé à Bangor ou Iona entre 717 et 740. Elle commence avec l'année 431, celle de l'arrivée de Palladius en Irlande. Le compilateur a surtout tiré son matériel de sources locales irlandaises, mais il a aussi utilisé des sources étrangères, comme la Chronique de Marcellinus et un certain Liber Pontificalis. Son travail est le mieux préservé dans les Annales d'Ulster, mais avec certaines additions, il est représenté dans les autres annales. Plus tard, mais certainement pas avant le IX

e

siècle, un autre érudit aurait composé une chronique, la « chronique universelle irlandaise », qui commence avec la création du monde et se termine en 430. Son matériel serait tiré de la Chronique d'Irlande, ainsi que de nombreuses sources latines : Béde, Eusèbe, Orose, mais aussi du matériel indigène, comme l'histoire des invasions d'Irlande. Le compilateur semble pouvoir être identifié comme étant un familier des Ui Néill et particulièrement des plus proéminents dans les annales, les Síl Áeda Sláine, peut-être originaire de Louth en Brega ou d'Armagh

65

. Àprès 911, cette tradition annalistique se divise en deux branches : celle d’Armagh, représenté par les Annales d’Ulster, mais qui ne concernent pas notre sujet, car elles ne conservent pas d’informations sur les invasions d’Irlande, et le groupe de Clonmacnoise. Ce dernier comprend, pour notre sujet, les annales suivantes :

- les Annales de Tigernach, très parcellaire pour la section près patricienne, sont les plus anciennes chroniques du groupe de Clonmacnoise, les premières à avoir divergé des Annales d'Ulster ;

- les Annales d'Inisfallen, datant du XI

e

siècle dérivent d'une chronique du groupe de Clonmacnoise interpollée en Munster ;

- les Annales de Boyle, datées entre la fin du XII

e

siècle et le milieu du XIII

e

sont originaires de l’abbaye cistercienne du même nom, dans le comté de Roscommon.

63 Ce manuscrit fut rédigé par Muirgheas mac Pháidín Ó Maolconaire, au monastère de Fenagh dans le comté de Leitrim, aux alentours de 1516.

64 Giraud de Barri (1146-1223) fut archidiacre de Brecon et aumônier du roi Henri II Plantagenêt. Il visita l'Irlande en 1183 et en 1185-1186.

65 Williams – Ford 1994 : 92-94.

(25)

- les Annales de Clonmacnoise, sont la traduction anglaise, au XVII

e

siècle, d'une chronique irlandaise perdue appartenant au groupe de Clonmacnoise.

- le Chronicon Scotorum, nous est parvenue sous la forme d'une version papier, copiée par Dubhaltach mac Fhirbhisigh vers 1640, à partir d'une version abrégée des Annales de Tigernach qui n'existe plus ;

- les Annales de Roscrea appartiennent également au groupe de Clonmacnoise, d'après l'édition faite par Bart Jaski et Daniel Mc Carthy

66

, et elles sont contenues dans un unique manuscrit copié et conservé à Bruxelles.

- les Annales des Quatre Maîtres (AQM), rédigées par Míchéal Ó Cléirigh et trois autres collaborateurs furent rédigées entre 1632 et 1636 dans le Donegal, à partir de documents divers dont des chroniques émanant du groupe de Clonmacnoise.

Récemment, Daniel Mc Carthy, à travers une étude minutieuse de la chronologie de ces annales, a avancé que cette chronique, initialement originaire du Leinster et datant du VI

e

siècle, avait intégré, dans la première moitié du VIII

e

siècle, le matériel en rapport avec les invasions d'Irlande

67

.

2. 2. Les principaux récits faisant référence aux invasions d'Irlande.

Différents récits traitent partiellement des invasions d'Irlande, en se centrant surtout sur un épisode en particulier. Voici les plus importants pour notre étude.

Ainsi, l'une des plus anciennes références aux invasions d'irlande est le noyau du VII

e

siècle de l'Auraicept na nÉces « Le Manuel des Poètes » (ANE). Il s'agit du plus ancien traité de grammaire irlandais, dont le premier manuscrit attesté est le Livre des Uí Máine

68

. Dans celui-ci l'origine de la langue irlandaise est située à l'époque de la Tour de Babel et l'un de ses créateurs est l'ancêtre ultime des Gaels, Fénius Farsaid.

Ensuite, vient le Longos do chenel Iafed, ce texte donnant une version abrégée de l'invasion milésienne de l'Irlande, est contenu dans le Livre du Leinster et dans le Grand Livre de Lecan. Le premier manuscrit attribue sa source au Cín Dromma Snechtai (CDS), un manuscrit perdu daté entre VIII

e

et le X

e

siècle

69

.

Le poème Can a mbunadus na nGáedel de Máel Muru Othna évoqué précédemment entretient des liens étroits avec ω. Ce poème correspond à la seconde partie de Nennius sur la migration des Goídels, mais il est beaucoup plus développé que le compte-rendu de Nennius, ajoutant un périple

66 Jaski – Mac Carthy 2012.

67 Mc Carthy 2010.

68 Ce manuscrit fut rédigé dans les années 1392-1394 par dix scribes différents, dont le principal est Ádhamh Cúisín, pour le compte de la famille O'Kelly des Uí Maine, dans l'actuel Connacht.

69 Sur ce manuscrit, cf. Thurneysen 1921a : 15-18 ; Mac Mathúna 1985 : 421-469 ; Carey 1995a. Nous reparlerons de ce manuscrit qui semble avoir été une source majeure pour certaines traditions étudiées ici.

(26)

différent et beaucoup plus long, le nom et des éléments biographiques sur les meneurs des Goídels, ainsi qu'un récit elliptique de la prise de l'Irlande par les Milésiens, où interviennent les Túatha Dé Danann, suivi de la liste des descendants des principaux chefs milésiens. Son auteur est un ecclésiastique d'Othan (Fahan, comté de Donegal), poète et historien, mort en 887, qui semble avoir appartenu à l'un des lignages des Uí Néill du nord, probablement le Cenél nÉogain. La communauté ecclésiastique qu'il a rejointe semble avoir une longue tradition d'érudition. Son oeuvre marque une étape importante dans l'enrichissement réciproque des traditions ecclésiastiques et indigènes. Il semble s'être attaché au service du roi de Tara Flann Sinna mac Máil Sechnaill, entre 879 et 887.

Dans sa nécrologie, il est nommé rígfili Érenn (chef poète d'Irlande) et senchaid (historien)

70

.

L'histoire des Gaels est également présente à travers le Sex Aetates Mundi « Les Six Âges du Monde » (SAM), un exposé de l'histoire biblique sur la base de la théorie des six âges du monde, composé au XI

e

siècle, et alternant prose et versification. Ses plus anciens manuscrits sont le Rawlinson B. 512 et le Lebor na hUidre. De même, le Saltair na Rann ou « Psautier des Quatrains » inclut également certaines références aux origines des Gaels. Ce poème fut écrit au X

e

siècle et son principal manuscrit est le Rawlinson B. 512.

Le Dindshenchas ou « Connaissance des Lieux » est un traité toponymique dont les notices racontent l'origine du nom de différents lieux d'Irlande. Il semble avoir été compilé au XI

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-XII

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siècle. Il est divisé en trois versions : A (versification), B (prose) et C (forme mêlée). Edward Gwynn considérait que A et B formaient la plus ancienne recension dont C descend, tandis que Thurneysen distinguait A et B, les deux étant là encore à l'origine de C. Récemment, Tomas Ó Concheanainn considère au contraire que C est la plus ancienne recension d'où B et C ont été tirés

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. Nombre de ces notices concernent des événements en lien avec les invasions d'Irlande.

Les récits des deux batailles de Mag Tured sont particuliers. Àinsi, celui de la première bataille, le Cath Muige Tuired Cunga (CMTC), est contenu dans le MS 1319 du Trinity College, datant du XV

e

siècle. Cependant, un colophon de ce texte nomme son auteur comme étant un certain Cormac Ó Cuirnín, résidant à Mag Eithne, c'est-à-dire au sud de Ballyshannon (comté du Donegal). Ce texte raconte le destin des Némédiens après avoir affronté les Fomóire, en particulier les Fir Bolg et les Túatha Dé Danann. Les Fir Bolg sont décrits dans leur exil hellénique et leur peuplement de l'Irlande, avant que n'arrivent les Túatha Dé Danann, qui vont les subjuguer lors de la première bataille de Mag Tured. La seconde bataille de Mag Tured, qui voit s'affronter les Túatha Dé Danann et les Fomóire, est racontée en deux versions. La première, le Cath Maige Tuired (CMT), est contenue dans le manuscrit Harleian 5280. Celui-ci date du début du XVI

e

siècle, mais en ce qui

70 Carey 2015.

71 Thurneysen 1921 : 36-46 ; Ó Concheanainn 1981-1983.

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