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Organisation innovatrice et responsabilité sociale et environnementale

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HAL Id: hal-00479792

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Submitted on 2 May 2010

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Organisation innovatrice et responsabilité sociale et environnementale

Yvon Pesqueux

To cite this version:

Yvon Pesqueux. Organisation innovatrice et responsabilité sociale et environnementale. 8° Congrès de l’ADERSE, Mar 2010, La Rochelle, France. �hal-00479792�

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Yvon PESQUEUX Yvon PESQUEUX CNAM

Professeur titulaire de la Chaire « Développement des Systèmes d’Organisation » 292 rue Saint Martin

75 141 PARIS Cédex 03 France

Téléphone ++ 33 (0)1 40 27 21 63 FAX ++ 33 (0)1 40 27 26 55 E-mail pesqueux@cnam.fr site web www.cnam.fr/lipsor

ORGANISATION INNOVATRICE ET RESPONSABILITE SOCIALE ET

ENVIRONNEMENTALE

Introduction

La question se pose à la fois du point de vue de l‟organisation innovatrice (considérée ici comme un phénomène) et de celui de la responsabilité sociale et environnementale (considérée ici comme « le » motif de l‟innovation) qui a fort heureusement été libérée du « E » (pour « entreprise ») qui est généralement accolé. Il serait autrement impossible de lier les deux points de vue car c‟est la RSE (responsabilité sociale de l‟entreprise) qui absorberait le tout.

L‟hypothèse de travail consistera à considérer « organisation innovatrice » et

« responsabilité sociale et environnementale » comme des discours au sens de J. L.

Austin1.

Ces deux notions sont alors comprises comme :

- un acte propositionnel (ou locutoire), où la volonté d‟innovation tout comme la RS sont considérées comme provenant de l‟expression du volontarisme managérial,

1 J. L. Austin, Quand dire c’est faire, Seuil, Paris, 1970

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- un acte illocutoire (ce que l‟on fait parallèlement à ce que l‟on dit – promesse, commandement, souhait), l‟innovation s‟opposant à la tradition et la RS à l‟irresponsabilité sociale et environnementale,

- un acte perlocutoire (ce que l‟on produit parallèlement à ce que l‟on dit, l‟intimidation, par exemple) qui est à la linguistique ce que les prédictions auto prédictions réalisatrices sont à l‟épistémologie et aux sciences des organisations, l‟organisation innovatrice tout comme la RS étant alors « création » de quelque chose ou bien encore « transgression ».

L‟organisation innovatrice tout comme la RS sont des rhétoriques centrales en sciences des organisations aujourd‟hui. Elles vivent avec leurs « cartes » plus proches du sentimentalisme de la « carte du tendre » de l‟Astrée que d‟une analyse rationnelle, ses

« bonnes formes » (dont l‟inusable courbe en « S » » et le naturalisme de son déclinisme2), son univocité (à ce titre, l‟organisation innovatrice tout comme la RS sont identifiées à la réussite) et donc leurs fictions (l‟organisation innovatrice et la RS se rapprochent alors de la science fiction). Il est également courant de parler d‟une injonction à l‟innovation permanente ainsi qu‟à la RS dans le monde actuel, innovation tout comme RS étant alors considérées comme une condition de survie, en quelque sorte… mise en scène rationalisante de l‟improvisation inhérente à l‟action humaine ? Le thème de la responsabilité sociale et environnementale offre une téléonomie à cette rhétorique de l‟organisation innovatrice, rhétorique nourrie des fantasmes d‟une croissance verte.

Rappelons que la notion d‟innovation diffère de ce qui est « nouveau », du fait de son inscription organisationnelle. Il en va de même de la RS, question récurrente depuis l‟apparition de la grande organisation comme phénomène social spécifique au début du XX° siècle.

Dans le même ordre d‟idée, soulignons l‟extensivité des deux notions qui débordent aujourd‟hui du cadre des organisations pour déborder sur la société.

Elle diffère aussi d‟un enracinement technologique, malgré l‟articulation «étroite qui vaut entre les deux notions, valorisant ainsi une technologie qualifiée de « haute » dont

2 F. Fréry, « Les produits éternellement émergents : le cas de la voiture électrique », in D. Manceau & A.

Bloch (Eds.), De l'idée au marché. Innovation et lancement de produits, Collection Vital Roux, Éditions Vuibert, Paris, 2000, pp. 234-264

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on ne doit pas oublier qu‟elle ne s‟oppose pas comme cela à une technologie que l‟on pourrait qualifier de « basse ».

Elles diffèrent aussi de la notion de « création », même si l‟on doit remarquer la perspective vitaliste qui leur est inhérente, façon de valider l‟innovation et la RS comme formes de transgression tranquille. Dans son acception vitaliste, l‟innovation et la RS sont marquées par l‟idée d‟une modalité de socialisation - restreinte dans le cadre de l‟organisation - malgré l‟extensivité vers la société déjà soulignée plus haut. C‟est à ce titre que la référence à la création a d‟abord conduit à la logique de modèles d‟innovation linéaire (de l‟idée au produit …) pour déboucher aujourd‟hui, avec la RS, sur des conceptions interactionnistes et diffusionnistes. Dans les deux cas, l‟enracinement est très entrepreneurial, dans une sorte de con-fusion « créateur – innovateur – entrepreneur ». C‟est à ce titre que l‟existence d‟un éventuel modèle organisationnel sous-tendu par l‟innovation et la RS se dissout dans une acception entrepreneuriale.

C‟est à ce titre que, dans le champ des savoirs des sciences des organisations, l‟innovation et la RS peuvent être considérées comme relevant d‟une hypothèse vitaliste (par différence avec une hypothèse conventionnaliste – l‟innovation et la RS sont principalement considérées comme le fruit d‟une création) mais aussi d‟une hypothèse plutôt culturaliste (par différence avec une hypothèse généraliste), qu‟il s‟agisse de culture organisationnelle, professionnelle et ou locale. Ces hypothèses se situent dans une vision d‟abord essentialiste (en se référant à des valeurs, l‟innovation et la RS étant alors considérées comme des valeurs primordiales), puis substantialiste (l‟innovation et la RS sont considérées comme étant constitutives de la substance de l‟organisation) avant d‟être fonctionnaliste (l‟innovation et la RS seraient alors deux des fonctions de l‟organisation).

L‟innovation et la RS peuvent être comprises comme un processus de co-socialisation

« large » qui vaut au sein d‟un groupe (l‟organisation) mais le plus souvent imputée à un individu considéré comme « moteur » compte tenu d‟un Zeitgeist (la responsabilité sociale et environnementale ici). Cette impulsion s‟adresse aussi bien à l‟organisation qu‟à la société dans une acception extensive, d‟où sa dimension à la fois écologique (l‟organisation est alors considérée comme étant un « milieu ») et connexionniste, deux caractéristiques constitutives de son idéologie.

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Ceci étant, c‟est un concept de 2° rang, l‟innovation s‟appuyant sur la notion de vision (qui serait inspirée de la RS).

L‟innovation comme la RS peuvent être considérées comme des « faits » : elles valent alors comme phénomène organisationnel souhaitable fondatrices d‟une forme de téléonomie.

Elles peuvent également être considérées comme « production » dans une dynamique

« stratégie – organisation » et relèvent, à ce titre, d‟un fonctionnalisme organisationnel (cf. l‟organisation innovatrice et responsable3)

Elle peuvent aussi être considérées comme un « processus » dans une approche substantialiste de l‟organisation. L‟innovation et la RS sont alors considérées comme étant une forme de substance organisationnelle (autre acception d‟une téléologie). C‟est à ce titre que des notions complémentaires telles que celle de « trajectoire » ou de

« sentier » leur sont associées. D‟autres notions d‟ordre processuel le sont aussi : l‟« adoption » avec mise en tension, la « diffusion » ou encore le « transfert », l‟« intégration ».

Comme norme du fonctionnement organisationnel et approche « essentialiste » de l‟organisation, donc appartenant à la dualité « vision – mission », elle sont considérées comme fondatrices de son opportunisme « responsable » donc « raisonné » (et non plus simplement calculateur). C‟est une forme de contingence (permettant de faire le lien avec le fonctionnalisme comme support de l‟innovation) et de téléologie.

L’innovation comme discours

La volonté d’innovation

Il faut d‟abord mentionner la tension « entrepreneur » et « risque » qui se réfère à l‟anthropologie de l‟entrepreneur posée par J. Schumpeter4. Dans ce contexte, l‟innovation va procéder d‟une démarche de réduction de l‟incertitude par sa transformation en risque. Deux étapes constituent le fondement de ce processus.

L‟incertitude repose sur un univers de possibles incluant ceux que l‟on connaît et ceux que l‟on ignore ou que l‟on ne peut pas soupçonner. C‟est ce qui fonde la vision. Le

3 H. Mintzberg, Voyage eu centre des organisations, Editions d‟Organisation, Paris, 2009 (chapitre 11)

4 J. Schumpeter (1912), Théorie de l‟évolution économique – recherches sur le profit, le crédit, l‟intérêt et le cycle de la conjoncture, rééd. 1999, Dalloz, Paris

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risque apparaît quand il devient possible de lui accorder la consistance d‟un état de fait à craindre du fait du possible qui a été formulé, par exemple du fait de la dévaluation d‟un bien ou d‟un service suite à une vision erronée du possible où, pour les biens et services existants, suite à une évolution défavorable du marché du fait de l‟innovation à l‟œuvre chez les concurrents. Ce premier phénomène de réduction s‟illustre les liens entre l‟innovation et une théorie entrepreneuriale.

C‟est donc la vision qui produit l„innovation. La vision, c‟est « y voir clair » afin de la construire, ce qui est d‟ailleurs en quelque sorte une définition du volontarisme managérial dans la façon dont il mélange jugement d‟existence (la vue est ce que permet la vision et la largeur de vue va dépendre de la focale) et jugement de valeur (l‟innovation est l‟expression d‟une perspective visionnaire qui comprend l‟idée de projection dans le temps). Ce mélange suit en cela l‟inspiration religieuse de la notion de mission et ses liens avec la guidance, par différence avec les logiques politiques ! Mais la vision est aussi un guide pourvu de résilience : la vision se modifie face à des changements significatifs (du moins est-elle supposé le faire). C‟est ce qui marque la dimension écologique dont il avait été question plus haut.

La visualisation est le processus venant rendre la vision « visible » par clarification et communication. La vision est un mot qui dérive du verbe « voir », mais avec une inscription dans le temps : une vision, c‟est voir dans le futur et non pas seulement dans l‟espace. Assortie d‟une logique rationaliste, la vision est à la fois la représentation d‟un futur désirable mais aussi d‟un futur possible, c‟est-à-dire « voyance » en quelque sorte.

A ce titre, le vision produit une représentation en invitant à focaliser son énergie vers la réalisation de la vision. C‟est en ce sens que la vision conduit à la mission. La vision est en quelque sorte une image performative issue d‟une forme d‟inspiration fondée sur les croyances et les valeurs, de l‟intangible rendu tangible et donc possible. C‟est en ce sens que l‟on va parler de « vision stratégique ». D‟un point de vue politique, la vision est à la fois inclusive de son « environnement » (cf. l‟inclusiveness) et mobilisatrice. C‟est dans cette acception qu‟elle est supposée être une caractéristique du leadership associé à la dimension motrice de l‟innovateur. La vision est aussi orientation (de l‟intérieur, c‟est-à-dire de celui qui en est « producteur – porteur » vers l‟extérieur). C‟est ce qui marque la dimension connexionniste dont il avait été question plus haut.

Innovation et tradition

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Le terme de tradition se réfère au poids du passé, mais d‟un passé qui reste vivant malgré son déclassement relatif dans l‟actuel. C‟est en cela qu‟il y a à la fois de l‟immémorial et de la mémoire dans la tradition. Elle constitue aussi une des figures de l‟authentique et, de façon extrême, elle sert à justifier les perspectives intégristes. Il est difficile de se référer à la tradition sans l‟articuler à deux aspects : stabilité d‟une part (par différence et non par opposition au changement – et donc innovation) et valeurs d‟autre part (d‟où une curieuse articulation de la référence à la tradition avec les notions de culture et d‟idéologie, en particulier avec le traditionalisme comme idéologie).

Comme le souligne R. Alleau dans l‟article qu‟il lui consacre dans l’Encyclopedia Universalis, « le mot « tradition » (en latin traditio, « acte de transmettre ») vient du verbe tradere, « faire passer à un autre, livrer, remettre ». La notion ne se limite pas à la stricte transmission, mais elle contient également l‟idée d‟intégration d‟éléments nouveaux mais adaptés au socle constitutif de la tradition. La notion se rapproche de celle d‟acculturation. Il y a donc aussi invention dans la tradition, ce qui conduit à souligner combien le fait de l‟opposer à l‟innovation ne va pas de soi dans la mesure où elle allie conservation et découverte et trouve sens dans l‟expression de « respect de la tradition ». En effet il ne saurait y avoir d‟innovation sans tradition. La tradition constitue ce qui permet de construire une identification à la communauté, identification débouchant sur une identité, mais dans une perspective identitaire là où l‟innovation construit identification et identité dans une perspective transgressive. La tradition assujettit le présent au passé même si tout ce qui vient du passé ne peut être considéré comme du traditionnel. La tradition sélectionne des éléments du passé en mettant l‟accent sur la transmission de ces éléments. Elle met en avant des idées comme celle de fidélité considérée comme venant jouer un rôle majeur dans la continuité du lien social entre les générations. Avec la tradition, il est donc question de lien et de certitude (face à l‟incertitude du futur). Il y a donc une actualité du passé avec la tradition qui emmène avec elle les arguments de cette actualité. La notion se réfère à des valeurs sous-tendues par des procédures, des rites. Elle est donc constitutive d‟une mémoire vivante. Elle est également fondatrice de la transgression.

Innovation et transgression

Si l‟innovation relève d‟une perspective vitaliste, comme cela a été souligné en introduction, il faut alors en souligner la dimension évolutionniste et sélectionniste, la transgression qui lui est inhérente fonde ainsi la supériorité qui lui est inhérente dans une perspective sélectionniste : c‟est parce que l‟on innove que l‟on contribue à l‟évolution d‟un secteur et c‟est aussi parce que l‟on innove que l‟on s‟adapterait mieux.

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Il est important de mettre au regard de la tradition, aussi bien le processus d‟adhésion (dans sa version standard – la conformité, tout comme, dans sa version intégriste – le conformisme) que le processus de transgression au travers de l‟acte de déviance. La conformité est ce qui fonde l‟acte de ressemblance, et donc quelque part les perspectives de l‟institutionnalisation de même qu‟inversement, l‟acte de dissemblance fonde les perspectives de la transgression, compte tenu (ou non) des logiques de récompense (au nom de la conformité) et de sanction (au nom de la transgression) sur la base du critère de plus ou moins grande obéissance ou désobéissance aux « règles ».

L‟innovation, tout comme la transgression, est ce qui se situe entre la limite (conçue pour être dépassée) et la frontière (ou la borne) qui, elle, ne se dépasse pas. En mettant en avant la notion d‟intention, Y. Vardi & Y Wierner5 parlent de pôles de déviance et distinguent le pôle « S » (benefit of the self) où la transgression est effectuée au profit de l‟agent organisationnel, du pôle « O » (benefit the organization) où la déviance est effectuée dans l‟intention de créer un bénéfice pour l‟organisation (et c‟est dans ces termes que l‟on pourrait parler d‟innovation) et du pôle « D » (damage the organization) où la déviance a pour objet la détérioration du matériel ou des locaux.

C‟est aussi la référence à ces deux aspects (conformité et transgression) qui fonde les tensions « contrôle – discipline » et « contrainte - coopération » dont l‟issue ne va pas de soi. Le contrôle n‟induit pas mécaniquement la discipline tout comme la contrainte ne conduit pas à la coopération. En effet, comme le souligne F. Bourricaud6 : « la conformité n'est donc pas assurée par l'application mécanique de la contrainte et elle ne résulte pas infailliblement d'un calcul sur le résultat duquel des individus, pesant chacun son intérêt, se seraient mis d'accord ». Avec cet ensemble de notions qui valent tout autant pour l‟innovation, il est important d‟ajouter l‟intercession des convictions, la référence à une autorité d‟arbitrage et aussi la question de la volonté dont il avait été question plus haut.

Comme les autres notions au préfixe « con- » (confrérie, concitoyenneté, etc.),

« conformité » et « conformisme » fondent la ressemblance formelle en ne tenant pas compte de l‟exercice de la volonté. Il est à ce titre intéressant de mettre les deux notions de « conformité » et de « conformisme » en parallèle avec celles de « compromis » et de

« compromission », deux notions où la volonté va intervenir. Le compromis entre la volonté du sujet et la référence conduit (ou pas d‟ailleurs) à la conformité tout comme, à

5 Y. Vardi & Y. Wierner, « Misbehavior in Organizations: A Motivational Framework », Organization Studies, vol. 7, n° 2, 1996, pp. 151-165

6 F. Bourricaud, article « transgression », Encyclopedia universalis

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l‟inverse, la souplesse de la référence co-construit le compromis. Le compromis est alors ce qui ouvre le champ de la transgression mais sans pour autant déboucher sur la triche. La compromission est beaucoup radicale et ouvre la perspective de la remise en cause de l‟honnêteté du sujet et des modalités d‟exercice de sa volonté.

La déviance se définit comme un écart à la norme mais laisse ouverte la question de ses fondements.

Elle prend des formes variées. Il en va ainsi de l‟escapisme qui peut se définir comme

« la décision de se soustraire à une société, tenue pour illégitime et pourtant trop forte pour qu'on lui résiste, et qui est susceptible de prendre des formes différentes. Il peut être strictement individuel (« pour vivre heureux, vivons cachés »), ou au contraire s'étendre au comportement d'un groupe tout entier, qui cherche avec plus ou moins de bonheur à se soustraire aux pressions d'un milieu hostile, par exemple en s'y fondant au moins en apparence ». Il en va à l‟inverse du coming out, mais on entre alors dans une perspective communautarienne voire communautariste. La déviance se fonde aussi au regard de la figure du rebelle qui s'en prend au système de normes et / ou au système de valeurs, les modalités de confrontation permettant de distinguer le révolté du révolutionnaire. Comme rebelle, le révolté se confronte plutôt de façon isolée à des normes ou à des valeurs sans établir de liens entre elles (cf. la figure de l‟anarchiste) tandis que le révolutionnaire (tout comme le dissident) s‟attaque, avec d‟autres, aux principes réunissant normes et valeurs de façon globale. Le délinquant s‟écarte volontairement des normes pour les contourner à son strict profit.

La déviance naît de l‟ambiguïté des normes qui ouvre alors le champ des interprétations et donc des comportements possibles. C‟est ainsi qu‟il peut être question de « triche », la référence étant alors plus la vertu que la norme car elle met l‟accent sur la conduite.

L‟innovation est un phénomène de déviance d‟autant plus important que le contexte est celui de la compétition. Tout comme la triche, mais dans une lecture positive, l‟innovation est alors ce qui permet de réussir en l‟emportant plus facilement sur les autres. Ces deux notions touchent ainsi non seulement l‟organisation mais aussi les affaires en général ainsi que des domaines comme le sport. Elles relèvent d‟une manœuvre qui vise à éviter de se faire (r)attraper. Tout comme l‟identification des tricheurs, celle des innovateurs pose problème malgré la multiplicité des stratégies qui sont mises en œuvre (contrôle, etc.). Les deux notions se construisent au regard de celle de « jeu » et face à l‟espoir d‟un gain. L„innovation et la triche ne naissent donc pas seulement du contournement des règles du jeu mais aussi de leur marge d‟imprécision.

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Tout comme la triche, l‟innovation est contiguë à la marginalité (les innovateurs ne sont-ils pas qualifiés de pionniers ?). C‟est avec cette acception que l‟accent est mis sur l‟importance du « milieu » (où l‟on retrouve la dimension écologique). Son origine peut être considérée comme relative à une initiative individuelle (du fait de l‟exercice de la volonté), à l‟impossibilité individuelle à se conformer à la norme (pour des raisons cliniques), mais aussi fonction du regard porté par le groupe conforme et donc pas seulement comme un écart à la norme. Dans ce dernier cas, la déviance peut être considérée comme une diversion par rapport à la conformité. L‟innovation se matérialise par une manœuvre consciente qui relève du détournement, logique consistant à capter à son profit des modalités orientées vers des fins d‟un autre ordre.

Par différence avec l‟innovation, la dérive opère par absence de volonté tout comme la

« dérive » des continents serait pour nous, humains, quelque chose d‟« inéluctable ». La dérive « est un changement imperceptible pour les contemporains. Elle consiste dans l’accumulation de changements minuscules et insignifiants par eux-mêmes, mais qui aboutissent à des résultats innovateurs, ce qui donne un sens rétrospectif à l’accumulation et la soustrait au hasard pur ». C‟est pourtant une des définitions du changement7. La notion de « dérive » indique aussi l‟idée d‟une conceptualisation non finalisée, résultant d‟un empilement de conceptions successives et / ou coïncidentes là où la référence récurrente à l‟injonction à la conformité relève le plus souvent d‟une référence non réfléchie. La dérive pourrait être comprise comme un processus d‟innovation mais en l‟absence d‟une vision.

La déviance naît donc de l‟ambiguïté des normes. Et la multiplication des normes du

« moment libéral » (cf. Y. Pesqueux8) induit tout autant la multiplication des dérogations pour éviter d‟acter la dévience que les occurrences de déviance. Mais, comme le souligne J. Selosse9, « aucune conduite n’est déviante en soi, c’est la signification qu’on lui prête en fonction de critères normatifs individuels et sociaux qui lui confère ce caractère ». Le déviant est donc perçu en tant que tel et, au nom de la cohérence, rejeté par les groupes sociaux dominants, quitte à rejoindre le groupe des déviants, groupe à forte cohésion.

En se référant à R. K. Merton10, il est possible de souligner la différenciation entre buts culturels et moyens institutionnalisés, c‟est-à-dire, en fait, entre valeurs et normes, la

7 R. Boudon et al., Dictionnaire de Sociologie, Larousse, Paris, 2003.

8 Y. Pesqueux, Gouvernance et privatisation, PUF, collection « la politique éclatée », Paris, 2007

9 J. Selosse, article « déviance » in R. Doron & F. Parot (Eds.), Dictionnaire de psychologie, Paris, PUF, 2003

10 R. K. Merton, Social Theory and Social Structure, Free Press, New-York, 1968

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déviance résultant d‟un écart entre les idéaux culturels proposés aux acteurs et les modèles légitimes de conduite. La primauté accordée aux idéaux culturels conduit à l‟émergence de modes plus efficaces d‟obtention des objectifs culturellement valorisés au travers de la transgression (l‟innovation sociale). C‟est dans cette perspective que viennent s‟ancrer les modes d‟adaptation individuelle tels que la résistance, l‟évasion par abandon des valeurs et des normes, la rébellion qui, pour sa part, correspond à un effort de remplacement des valeurs et des normes rejetées par un système culturel et normatif et l‟innovation qui est « invention ».

Un autre point d‟entrée sur les figures de la déviance repose sur la relation entre l‟intention et l‟acte c‟est-à-dire les motifs et le comportement observable. La conduite peut ainsi être perçue par autrui comme déviante, sans être pour autant sous-tendue par des motifs du même ordre (par exemple dans le cas des injonctions paradoxales). Ce sont aussi les motifs qui peuvent être déviants, sans pourtant se traduire dans un comportement considéré comme tel. Il faut enfin souligner l‟intérêt de la distinction entre la déviance comme fait et sa perception dans la mesure où, ce qui compte aussi, c‟est la réponse suscitée de la part des autres membres du corps social. C‟est aussi cette perspective qui permet de questionner le déterminisme normatif.

Pour sa part, L. Sfez11 distingue la déviance « normale » ou fausse déviance (individus membres d‟un sous-système 2 prétendument déviant au regard des catégories d‟un sous- système 1 tout en lui étant indispensable – la prostitution, par exemple) des déviances partielles (de type 1 par remise en cause d‟un ou de plusieurs sous-systèmes sans remise en cause des rapports dominants et de type 2 qui remet en cause les rapports de production) de la déviance totale où la distance est insurmontable. G. Lapassade12 situe la déviance en tension avec la pression vers l‟uniformité et signale l‟ambiguïté du rapport à la déviance qui oscille entre le rejet et le regret des apports que le déviant peut effectuer au groupe qui le rejette comme il en allait de la dualité du paria et du parvenu chez H. Arendt13, mais cette fois sous un angle politique.

La transgression comme processus débouche sur la déviance, mais ne prend sens qu‟au regard des autres termes possédant le suffixe « -gression ». La régression est un retour en arrière, une chute qui défait (ce qui la rapproche de la fuite mais la distingue du déclin, mouvement encore possible à ralentir). La progression est un mouvement en avant, la digression marque l‟éloignement de la norme, sans jugement de valeur et

11 L. Sfez, Critique de la décision, Presses de la fondation nationale des sciences politique, Paris, 1992

12 G. Lapassade, Groupes, organisations, institutions, Economica, Paris, 2006

13 H. Arendt, Les origines du totalitarisme, Seuil, collection « Essais »

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l‟agression est une manière violente d‟imposer sa norme (ou de réagir au fait que l‟Autre tente de vous imposer la sienne). La transgression est marquée par le jugement normatif sur le dépassement des limites au regard de la dualité « permis – interdit » dans la perspective de déplacer ces limites. C‟est en cela qu‟elle est plus générale que la triche ou bien l‟innovation. Elle contient l‟idée de dépassement (des limites). La transgression introduit également l‟idée de « processus » là où la déviance est plutôt redevable de l‟acte. La transgression joue un rôle d‟opérateur essentiel dans la mesure où elle est invention mais aussi la base d‟une re-normalisation éventuelle.

C'est H. Becker14 qui a fondé la sociologie de la déviance à partir de la notion d'outsider compris comme étant un étranger au regard du groupe conforme dont les membres vont en miroir le juger comme étant un transgresseur dans la mesure où ils vont le considérer comme étant étranger à leur monde. S'appuyant au départ de sa réflexion sur une conception statistique de la déviance (le déviant est celui qui s'écarte de la moyenne), il va mettre l'accent sur l'idée de l'existence d'un mal pathologique qui serait imputé au déviant afin de fonder le jugement sur la personne à partir de l'acte. Or la déviance est moins l'attribut de l'acte commis que la conséquence de l'application d'un jugement de valeur par les membre du groupe social dominant, ce jugement étant assorti de sanctions adressées au transgresseur. La norme peut ainsi être comprise comme étant à la base d'un contrôle social venant fonder un intérêt à l'appliquer et à faire punir celui qui est perçu comme déviant.

H. Becker propose la typologie suivante de la déviance:

obéissance à la norme transgression de la norme

individu perçu comme déviant accusé à tort pleinement déviant individu non perçu comme déviant conforme secrètement déviant Il ajoute l'idée d'une perspective séquentielle de la transgression avec successivement:

- la transgression,

- l'engagement plein dans la transgression qui correspond à un acte de socialisation dans le groupe des déviants,

14 H. Becker, Outsiders – Etudes de sociologie de la déviance, Métailié. Paris 1985

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Yvon PESQUEUX

- la désignation publique de la déviance par le déviant comme par les membres du groupe conforme (l'identité du déviant se trouve ainsi affirmée),

- l'adhésion du déviant au groupe déviant (légitimation de l'identité du déviant).

Dans la perspective d'une approché dé-moralisée de l‟innovation, on retrouve ici l'expression d'un cycle d'apprentissage dont la cinématique est proche de celle qui est proposée par I. Nonaka et H Takeuchi15. La reconnaissance de la déviance est donc de l'initiative d'autrui au regard d'un jugement porté sur le comportement du transgresseur.

C'est en cela que H. Becker parle d'« entrepreneur de la morale ». Le jugement de reconnaissance de la déviance relève de l'étiquetage est appartient en cela aux phénomènes sociaux et non à de la psychologie individuelle.

La substance évolutionniste de l’innovation

L‟innovation est généralement perçue comme la manifestation d‟une évolution (perçue comme « positive » ou encore « progressive ») et, sous un autre prisme conceptuel, comme une forme d‟apprentissage.

Rappels sur l’évolutionnisme organisationnel (et la théorie de la sélection)

R. Durand16 offre une analyse de la théorie de la sélection associée à la posture évolutionniste dans laquelle il souligne l‟importance qui lui est accordée dans les phases qui servent, en général, à décrire le changement organisationnel (cf. A. H. Van de Ven

& M. S. Poole17). Il remarque en effet que la sélection constitue l‟étape évolutionniste qui plonge les catégories du changement organisationnel dans le champ des savoirs de la biologie. « La sélection favorise ainsi la « reproduction » des organisations en choisissant de manière continue certains types de variations ou, dit autrement, la diffusion de certaines formes organisationnelles (…). La sélection serait un dispositif calculatoire contingent à la définition de la valeur ayant des répercussions sur l’accumulation du capital interne et externe à l’organisation ». L‟innovation peut être ici comprise comme l‟occurrence de l‟évolution et donc le substrat de la sélection, les organisations innovatrices étant généralement présentées comme des « objets favorables ».

15 I. Nonaka & H. Takeuchi, La connaissance créatrice : la dynamique de l'entreprise apprenante, De Boeck, Bruxelles, 1995

16 R. Durand, « Théorie de la sélection et développement organisationnel », in R. Durand (Ed.), Développement de l’Organisation – nouveaux regards, Economica, Paris, 2002, pp. 15-36.

17 A. H. Van de Ven & M. S. Scott Poole, “Explaining Development and Change in Organizations”, Academy of Management Review, vol 20, 1995, pp. 510-540.

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Yvon PESQUEUX

Il mentionne l‟existence de trois grands courants venant donner corps à cette théorie : - Le courant écologique. Les populations d‟entreprises s‟inscrivent et se concurrencent dans un environnement sélectif qui favorise ou défavorise telle ou telle forme organisationnelle, chacune d‟entre elles étant caractérisée par une certaine inertie structurelle (cf. M. T. Hannan & J. Freeman18), l‟innovation étant considérée comme un facteur favorisant,

- Le courant évolutionniste. L‟organisation est vue comme un ensemble de routines organisationnelles qui se déploient dans le temps en favorisant telle ou telle forme organisationnelle, l‟innovation se trouvant logée dans ces routines, comme tentent de le décrire de nombreux business cases.

- Le courant « ressources ». Les formes organisationnelles sont favorisées par l‟environnement sur la base des ressources et des aptitudes qu‟elles détiennent, l‟aptitude à l‟innovation étant considérée comme une ressource clé.

Dans les logiques inter-niveaux, il distingue les causalités descendantes (les niveaux de sélection supérieurs conditionnent les inférieurs) des causalités ascendantes (les changements importants résultent de la combinaison de petits changements) et la concurrence dynamique « partie – tout », l‟innovation étant concevable à ces trois niveaux (ce qui permet d‟autant plus de la qualifier de rhétorique).

Ce corpus théorique repose donc sur la quête de caractéristiques « sélectionnistes », l‟innovation étant considérée comme une caractéristique « sélectionniste » majeure.

L’innovation et l’évolutionnisme culturel

La posture de l‟évolutionnisme culturel conçoit les cultures comme étant faites pour se

« développer », de sociétés « primitives » vers des sociétés « plus évoluées », leur

« succès » étant ainsi le gage majeur de leur « évolution », leur capacité innovatrice étant souvent mise en avant comme étant le signe de leur capacité à évoluer.

L‟évolutionnisme marque aussi en partie le concept de civilisation selon différents critères (d‟où la recherche du critère le plus « significatif » - l‟urbanisation, le développement de l‟écriture, des techniques, des institutions, des facteurs intellectuels et moraux par exemple et donc aussi de la capacité d‟innovation).

18 M. T. Hannan & J. Freeman, « The Population Ecology of Organizations », The American journal of Sociology, vol. 82, n° 5, 1977, pp. 929-964

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C‟est dans cette perspective que s‟ancre et se distingue à la fois le concept d‟acculturation. Dans l‟article que signe J. Cazeneuve dans l‟Encyclopedia Universalis, il signale que « l’évolutionnisme peut être défini moins comme une doctrine particulière que comme la tendance générale à supposer et à rechercher une loi d’évolution dans la série des changements observables ou prévisibles ». Il s‟agit de se référer ici à la perspective biologique dans le projet d‟en appliquer les catégories à l‟étude des organisations et des sociétés dans leurs productions culturelles. Cet évolutionnisme semble d‟autant plus apparemment « acceptable » quand les changements de vie des sociétés posent le problème de leur compréhension. La critique principale adressée à cette perspective est la vocation à mettre en évidence des lois de transformation mises à mal par l‟observation anthropologique. L‟ambiguïté de cette perspective est la mince frontière qui la sépare de la reconnaissance de formes élémentaires, de principes de structuration et d‟évolution. Comme le souligne J. Cazeneuve, « la sociologie durkheimienne ne répudiait certes pas l’idée que l’évolution des sociétés pourrait présenter des régularités et s’inscrire dans des catégories successives (…) Durkheim retraçait l’évolution morphologique des sociétés globales à partir de la horde, en passant par les sociétés polysegmentaires composées, pour aboutir aux unités complexes lorsque la solidarité organique succède à la solidarité mécanique. Mais il ne pensait pas pour autant que les phénomènes sociaux pouvaient tous s’interpréter par rapport à des phases déterminées dans cette évolution globale ».

Les perspectives possibles en ce domaine sont les suivantes :

- L‟évolutionnisme unilinéaire. Par exemple, on considérera ici que les sociétés occidentales modernes sont marquées par les catégories de la civilisation hellénique et la croyance en un progrès. Il en va de même de la petite entreprise qui deviendra grande…

et, a contrario, des grandes qui auraient été petites un jour !

- L‟évolutionnisme radical avec la perspective d‟un déterminisme rigoureux en filiation avec la pensée de C. Darwin (culturalisme sociobiologique à partir d‟un principe unique de passage de la « sauvagerie » à la civilisation).

L‟évolutionnisme joue un rôle très important dans l‟implicite des sciences des organisations. On le retrouve dans la perspective du changement organisationnel, dans celle du projet culturaliste des directions des entreprises multinationales et dans celle d‟innovation.

Toujours dans la volonté de comprendre les évolutions culturelles, mais de façon plus

« modérée », nous allons maintenant mettre l‟accent sur le concept de diffusionnisme à

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partir de l‟article que lui consacre R. Bastide dans l‟Encyclopedia Universalis, diffusionnisme qui est une des formes de compréhension proposée à la notion d‟innovation. Dans le sens que lui attribue l‟anthropologie culturelle, le diffusionnisme

« se rapporte à la propagation de traits culturels, aussi bien spirituels (institutions sociales, mythes ou rites) que matériels (types de céramiques, techniques agricoles, etc...), de la société où ils sont apparus à des sociétés culturellement différentes ». Le problème est celui de l‟explication de similitudes dans des espaces éloignés dans une perspective autre quelle celle de la référence évolutionniste à des « stades ». « Le diffusionnisme explique ces mêmes similitudes par des emprunts entre sociétés et cultures différentes ». Mais il faut bien souligner l‟importance de la perspective critique au regard de similitudes dont la justification n‟est que « supposée », perspective critique adressable à cette hypothèse quand elle est appliquée à l‟innovation.

De plus, les modes de diffusion posent problème : diffusion spontanée, au hasard des contacts et diffusion volontaire, sous l‟effet de la conquête et de la contrainte, diffusion par contact et emprunt et diffusion par stimulation (la société réceptrice « invente » quelque chose de nouveau) et diffusion contrôlée (où la société réceptrice « sanctionne » les transferts possibles d‟une culture donneuse). En ce sens, la diffusion est aussi réinterprétation.

Le diffusionnisme offre ainsi un mode de légitimation des logiques de gestion de l‟innovation au nom de la culture. Il justifie la sanction des organisations rétives au nom d‟un apprentissage qui vient alors indiqué qui est en retard ! Une mention particulière doit donc être faite au diffusionnisme technique.

Innovation, apprentissage organisationnel et configurations organisationnelles apprenantes, innovation et changement organisationnel

C‟est dans cette perspective que l‟innovation va fondamentalement être considérée comme étant dépendante du « capital humain » au regard des compétences. C‟est au nom de ce « capital humain » que des expressions telles que celle de « jeunes pousse », métaphore « jeuniste » d‟une organisation totalement structurée par l‟innovation se trouve mise en avant. »capital humain » se trouvant alors combiné avec du capital financier sous la dénomination de « capital risque ». Mais le contexte institutionnel (« capital social ») se trouve aussi mobilisé.

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Innovation et configurations apprenantes

Ce sont les configurations organisationnelles apprenantes considérées au sens large qui tendent à rapprocher l‟innovation d‟un modèle organisationnel.

La notion d‟organisation apprenante regroupe des thématiques disparates :

- celles de l‟articulation de composants techniques, c‟est-à-dire d‟artefacts issus des systèmes d‟information formels,

- celles des facteurs organisationnels (structures, procédures, rôles, normes), - celles des facteurs individuels (compétences, facultés telles que la vigilance,

etc.)

- celles du collectif avec l‟apprentissage comme facteur de cohésion organisationnelle, etc.

L‟ensemble de ces références tendent à construire un modèle enchanteur de l‟organisation apprenante. A ce titre, on pourrait distinguer deux modalités : celles qui sont liées à des événements (une situation exceptionnelle, par exemple une innovation dite « de rupture »), à des situations de gestion (l‟innovation incrémentale, par exemple) ou à des outils de gestion (une méthode de retour d‟expérience, par exemple) et celles qui sont liées à des configurations organisationnelles (structure matricielle ou communautés de pratique, par exemple). Les logiques de l‟organisation apprenante mélangent le plus souvent les deux aspects.

Y.-F. Livian19 propose trois raisons à l‟émergence de cette notion :

- la crise du modèle de l‟organisation processus traditionnel (autrement qualifié de

« taylorien ») remplacé par un modèle de l‟organisation processus en activités où les transversalités introduites requièrent de la part de l‟agent une capacité d‟interprétation du fait de la multiplication des aléas, sous fonds de justification lié à la convocation du discours de l‟innovation,

- la crise du modèle de la coopération où la productivité qui reposait sur la réduction du temps requis par les opérations élémentaires laisse place à un modèle lié aux interactions entre les agents,

- la crise du modèle de l‟apprentissage liée aux modifications de la compétition des acteurs des cartels (renouvellement accéléré des produits et des services incorporant les dernières évolutions techniques sous justification du discours de l‟innovation, là aussi) et conduisant à des situations de travail « apprenantes ».

19 Y.-F. Livian, Organisation – théories et pratiques, Dunod, Paris, 2000, p. 201-211.

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Il synthétise ces trois éléments en définissant l‟organisation apprenante comme le projet

« de bâtir une organisation flexible, décentralisée, propice à la mobilisation des salariés, perfectible en permanence en fonction des niveaux de formation atteints, où la formation serait intégrée dans la vie quotidienne ».

J.-L. Ermine trace d‟ailleurs les contours de ce modèle-là dans son ouvrage intitulé La gestion des connaissances20. Les traits distinctifs de l‟organisation apprenante seraient à ses yeux les suivants : capacité à générer l‟explicitation des connaissances tacites, à définir et modifier un modèle des connaissances clés, à construire un schéma d‟orientation, à piloter des communautés de savoirs, à mettre en œuvre des techniques

« support », l‟innovation étant là aussi considérée comme une justification majeure.

- L’adhocratie

On rappellera ainsi les éléments qui permettent de considérer l‟adhocratie21 comme une organisation innovatrice du fait de sa structure « fluide », organique, à décentralisation limitée (experts fonctionnels répartis en des équipes pluridisciplinaires de spécialistes de fonctions de support logistique, d‟opérateurs et de managers pour réaliser des projets innovateurs),de sa coordination par ajustement mutuel par un personnel de liaison, des managers « intégrateurs » et une structure matricielle (conditions nécessaires dans une logique déterministe). Le contexte favorisant l‟adhocratie est celui d‟un environnement complexe et évolutif comprenant des technologies de pointe, des changements fréquents de produits (concurrence sévère) et des projets mastodontes temporaires ainsi que le jeunisme de sa perspective.

Deux types adhocratiques de base sont mis en avant :

- l‟adhocratie opérationnelle pour les travaux sur contrats de projet pour, comme s‟il s‟agissait d‟une structure support pour ces aspects (bureaucratie professionnelle af hoc aux ambitions plus étroites, les activités administratives et opérationnelles étant confondues en un seul effort),

- l‟adhocratie administrative pour travaux sur ses propres projets et pour elle- même (souvent avec un centre opérationnel tronqué ou automatisé) ; l‟administratif est ici considéré comme devant être séparé de l‟opérationnel

20 J.-L. Ermine, La gestion des connaissances, Hermes – Lavoisier, Paris, 2003.

21 H. Mintzberg, Structure et dynamique des organisations, Editions d‟Organisation, Paris, 1998

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La stratégie est considérée comme étant à base d‟apprentissage ou de processus de type grassroot, (principalement émergente) avec des cycles de convergence et de divergence avec les objectifs stratégiques issus du volontarisme managérial. Les effets organisationnels de l‟adhocratie sont la combinaison de plus de démocratie et de moins de bureaucratie et de l‟importance accordée à l‟ambiguïté.

- L’organisation matricielle et les réseaux de connaissances

Les interrogations communes à la gestion des connaissances et à l‟innovation montrent que l‟un des enjeux du management des organisations apprenantes est la création et le partage de savoirs.

Une des fonctions de l‟organisation est de regrouper les agents organisationnels qui doivent échanger fréquemment des informations et/ou avoir de fréquentes interactions professionnelles. Les structures matricielles ont souvent été présentées comme la panacée organisationnelle en matière d‟organisation apprenante22 et comme réponse à la mise en place d‟un climat d‟innovation. L‟objectif d‟une organisation matricielle est de constituer des pôles d‟expertise et d‟articuler ces pôles d‟expertise complémentaires à travers des équipes transverses. Les experts sont coordonnés par un chef de projet pour atteindre un objectif défini en termes de temps, de qualité et de coût. La création d‟une équipe projet vise à créer une unité de lieu, de temps et d‟objectif à une équipe pluridisciplinaire dédiée à la résolution d‟un problème23.

La mise en place de structures matricielles sous-tendues par des pratiques de management par projets vise deux objectifs. Le premier est de constituer des pôles d‟expertise sur la base de métiers hérités de la structure fonctionnelle (production, R&D, marketing, logistique, ressources humaines, commercial, etc.). Le second est de coordonner et de mobiliser ces compétences expertes à travers des projets. Dans les structures matricielles, l‟enjeu managérial réside dans la capacité à créer le juste équilibre entre la logique « métier » et la logique « projet ». Dans la pratique, les organisations restent souvent dominées par la logique de métiers orientée vers la production d‟expertise plus que vers l‟application de ces expertises.

La création de réseaux sociaux intra-organisationnels n‟est pas une alternative aux structures matricielles, mais une pratique managériale complémentaire à cette forme

22 H. Mintzberg, Structures et dynamique des organisations, Éditions d'Organisation, Paris, 1982.

23 J. Broustail et F. Fréry, Le management stratégique de l’innovation, Précis Dalloz, 1993.

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d‟organisation. Les réseaux sociaux permettent de dynamiser, de rendre opérationnelles les potentialités des structures matricielles en matière de gestion de la connaissance et d‟innovation. Les organisations sont en effet caractérisées par l‟existence de réseaux sociaux informels porteurs d‟innovation. L‟enjeu en matière de management est de reconnaître le rôle de ces réseaux dans la circulation des connaissances et de favoriser leur émergence. Dans une organisation structurée par projets et/ou dont les unités sont dispersées géographiquement, l‟enjeu managérial est de permettre à des experts physiquement isolés de communiquer et de partager leurs savoirs pour le développer.

Ce qui permet d‟affirmer qu‟un groupe d‟individus ayant les mêmes pratiques et constituant une communauté sera lié à l‟existence de liens sociaux entre eux permettant le partage d‟information et l‟émergence d‟un système commun de valeurs. La construction de réseaux sociaux intra-organisationnels peut permettre une coexistence efficace de la logique de création d‟expertise et de la logique de coordination des expertises.

- Les communautés de pratique

C‟est en mettant l‟accent sur l‟apprentissage et l‟échange par socialisation que la notion de communauté de pratique aurait quelque chose à nous dire pour ce qui concerne l‟innovation. Elles se caractérisent par les modes de connexion établis entre les membres et par la manière dont elles s‟institutionnalisent à mi-chemin entre l‟institutionnalisation intra- et inter-organisationnelle. Elles sont « révélées » soit par une intervention extérieure (les consultants, par exemple) soit suivant des modalités variées à l‟intérieur de l‟organisation (à mi-chemin entre volontarisme managérial et spontanéité). La notion participe au mouvement plus général d‟externalisation entre les communautés de pratique, mettant ainsi l‟accent sur les « objets – frontière » (objets appartenant à plusieurs pratiques et capables de voyager entre différentes communautés, qu‟il s‟agisse d‟objets concrets comme des logiciels, des prototypes, etc. ou d‟objets

« symboliques » comme des éléments de vocabulaire, etc.) et sur les « acteurs – interface »24 (qui peuvent prendre la forme de « traducteurs », médiateurs de type passif ou de « courtiers de connaissances », médiateurs de type « actif »).

L‟organisation y est considérée comme la constellation de communautés hétérogènes25 avec :

24 J. S. Brown et P. Duguid, « The Social Life of Documents », Release 1.0, Edventure Holdings Inc., 1995.

25 P. Cohendet, F. Créplet et O. Dupouët, « Organizational Innovation, Communities of Practice and Epistemic Communities : the Case of Linux », in A. Kirman et J.-B. Zimmermann (Eds.), Economics with Heterogeneous Intercating Agents, Springer, 2001, p. 303-326.

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les communautés hiérarchiques constituées des groupes fonctionnels et des équipes pluridisciplinaires ;

les communautés autonomes avec, en particulier, les « communautés épistémiques » (groupes d‟agents qui partagent un objectif commun de création de connaissances et une base commune de compréhension partagée de celles-ci).

L‟interaction entre les deux types de communautés conduit à la construction d‟« architectures cognitives » dont les catégories organisationnelles vont dépendre du dosage relatif des deux.

Avec les communautés de pratique, il s‟agit de relier le développement personnel, professionnel et les stratégies de l'organisation en termes de connaissance et d‟innovation.

L‟organisation innovante et apprenante le serait donc d‟autant plus qu‟elle serait apte à développer des communautés de pratique. Or, le développement de communautés nécessite deux unités structurelles (une équipe de soutien et une communauté de coordination) et deux logiques (un processus de formation au principe communautaire et une logique de soutien par les parties prenantes) ainsi que le sponsoring des dirigeants.

Cette institutionnalisation, quelle que soit sa forme, a une importance croissante à mesure que l'initiative se développe et étend son influence. Elle procure à l'initiative un signe symbolique autant qu'un principe opérationnel. Au nom du volontarisme managérial, l'importance symbolique du sponsor et des actions des dirigeants est significative. Les agents organisationnels, qu'ils soient actifs dans les communautés ou extérieurs au mouvement, entendent les signaux, indices du sérieux du mouvement et de l'implication des dirigeants, pour s'engager ouvertement.

- Les communautés d’apprentissage inter-organisationnel dans la dynamique de la société de la connaissance26

Les clusters industriels de haute technologie27 tels que la Silicon Valley constituent une illustration de ce phénomène (Saxenian28). Même si les causes du succès de ces

26 Cette partie reprend un article de L. Dibiaggio et M. Ferrary, « Communautés de pratique et réseaux sociaux dans la dynamique de fonctionnement des clusters de haute technologie », Revue d’ Économie Industrielle, n°103, 2003, p. 111-130.

27 Par cluster industriel de haute technologie, nous qualifions tous les phénomènes de localisation géographique d‟entreprises qui, selon les cas, auront été définis comme des districts industriels, des technopôles, des parcs scientifiques, des milieux innovants etc.

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