• Aucun résultat trouvé

View of Raphaël Pirenne, Giacometti ou l’impossible dénouement

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "View of Raphaël Pirenne, Giacometti ou l’impossible dénouement"

Copied!
2
0
0

Texte intégral

(1)

IMAGE [&] NARRATIVE Vol. 19, No.3 (2018) 157

Raphaël Pirenne, Giacometti ou l’impossible

dénouement

Jan Baetens

La littérature critique et scientifique sur Alberto Giacometti est abondante et prestigieuse, mais elle est aussi la plupart du temps partielle et biaisée. Elle tend en effet à se concentrer sur un aspect, une dimension, une période, une interprétation de l’œuvre, tout comme elle résiste mal à la tentation de ramener les transformations, les revirements, les impasses, les tensions, voire les contradictions internes du travail de Giacometti à une sorte de Grand Récit, comme par exemple le passage du surréalisme à l’existentialisme, l’abandon de l’horizontalité au profit de la verticalité, le rejet du registre « bas » (au sens de Georges Bataille) à diverses manières d’idéalisation, le saut d’une orientation politique et militante à davantage de repli sur soi, le refus de l’abstraction et le retour à la figuration ou vice versa.

La relecture de l’œuvre que propose Raphaël Pirenne se veut différente et cette différence se poursuit à l’aide d’une triple décision méthodologique et théorique. Tout d’abord, l’analyse ne se concentre pas sur un seul type de productions, mais tente de mettre en rapport les trois grands axes du travail de Giacometti : la sculpture, la peinture et le dessin, mais aussi l’écriture, chacun de ces axes couvrant un grand nombre de pratiques diverses (dans le cas de l’écriture, ce sont entre autres la prise de notes, l’essai, la poésie, la fiction, mais aussi l’entretien et la critique). L’exceptionnelle iconographie du livre, rendue possible par le support actif de la Fondation Giacometti, offre un savant montage de ces perspectives ou points de vue sur le même objet –c’est-à-dire l’image que l’artiste tente de créer– qui suggère avec grande force la profonde cohérence de la démarche de Giacometti. En second lieu, Pirenne refuse aussi de diviser l’œuvre en diverses périodes, plus exactement d’unifier ces périodes, dont l’existence ne peut être mise en question, à l’aide d’une structure surplombante qui explique les métamorphoses de Giacometti de manière téléologique, comme si chaque rupture représentait une nouvelle étape soit annihilant soit subsumant les précédentes au nom d’une nouvelle logique. Enfin, 1 + 1 = 3. Dialectique et fétichisme se veut aussi une relecture historique qui fait le pari d’un horizon théorique multiple (à première vue, les notions de « dialectique » et de « fétichisme » ne vont pas nécessairement de pair).

La dialectique que mentionne le titre n’est pas celle de la tradition hégélienne, qui suppose par principe la réconciliation de la thèse et de l’antithèse dans une synthèse pacifiée, de niveau supérieur, mais la dialectique négative, telle qu’articulée (sans mauvais jeu de mots) par Adorno dans sa Théorie esthétique, soit une dialectique dont l’antithèse produit une déconstruction de la thèse pour ouvrir une crise en principe sans fin –cette ouverture étant à la fois gage de liberté, pour douloureuse qu’elle soit, et garantie contre la dictature

À propos de

Raphaël Pirenne, 1 + 1 = 3. Alberto Giacometti. Dialectique et fétichisme Bruxelles : (SIC), 2018, 166 p., nombreuses ill. en noir et blanc

(2)

IMAGE [&] NARRATIVE Vol. 19, No.3 (2018) 158

de toute forme de pensée hégémonique. En l’occurrence, cette dialectique est repensée par Raphaël Pirenne en des termes qui ne restent pas seulement théoriques ou conceptuels, mais qu’il s’efforce d’appliquer à la matière proprement plastique de la création. Cette dialectisation de la pratique prend plusieurs formes, que l’auteur suit au plus près des écrits comme des images de Giacometti, mais les deux mécanismes principaux sont à coup sûr la mise en avant du modèle de l’architecture et la critique de l’idée du saut ou de l’oblitération. S’agissant du premier élément, Pirenne montre clairement à quel point la pensée, mais aussi la réalisation de l’œuvre à faire en des termes architecturaux permet de faire voir la cohabitation d’un mouvement de construction et du geste simultané de la destruction –le mot clé étant ici « cohabitation », qu’il importe de comprendre aussi comme simultanéité, les catégories du temps et de l’espace n’étant plus étanches (le temps se mue en espace, et inversement, d’où entre autres la primauté donnée aux figures du cercle et du cycle). Pour ce qui est du second élément, il est inséparable du premier dans la mesure où le jeu des tensions –par exemple entre abstraction et figuration, pour prendre l’exemple le plus évident qui soit– cesse de produire une suite ou une séquence de dominantes, tel principe prenant le relais de tel autre, voire l’effaçant de manière radicale, pour donner lieu à une dynamique interminable d’une mise en question de soi et de l’œuvre, chaque acquis étant sans arrêt questionné, critiqué, ouvert, relancé par une nouvelle approche elle aussi promise à de nouvelles mises en question.

Ces analyses visuelles, qui touchent au cœur de ce qui se passe dans l’atelier de Giacometti, sont ensuite éclairées par une relecture non moins fondamentale de certains cadres et concepts théoriques, dont le fétichisme, arraché à la seule sphère de l’anthropologie ou du primitivisme, pour apparaître comme l’envers – une nouvelle perspective, si l’on préfère– de la dialectique négative. Cet envers, toutefois, n’est pas une simple redite ou variation synonymique, la pensée du fétiche aidant à rétablir de façon très concrète la dimension sociale et politique de l’œuvre d’art et de sa dialectique, comme force matérielle obligeant à redéfinir les liens, c’est-à-dire à la fois la destruction de liens traditionnels et l’invitation, si ce n’est l’obligation d’en définir de nouveaux, entre individu et communauté.

L’étude de Raphaël Pirenne ouvre de nombreuses pistes. Son intérêt dépasse de loin les cercles de l’histoire ou de la philosophie de l’art. On pense souvent à Blanchot en lisant 1 + 1 = 3, mais peut-être plus encore à Beckett, hélas moins souvent mobilisé dans la critique de l’art contemporain. On comprend certes pourquoi la critique d’art regarde plus volontiers du côté de la philosophie que du côté de la littérature : après tout, l’esthétique en tant que discipline philosophique se penche plus volontiers sur les arts visuels que sur les arts verbaux. Le cas Blanchot, convoqué comme critique et penseur davantage que comme écrivain, ne représente nullement une exception de ce relatif oubli. En regardant aussi du côté d’un auteur comme Beckett, il sera possible d’ajouter une nouvelle section interdisciplinaire à une étude qui est pertinente pour l’histoire de la modernité en général.

Jan Baetens est directeur de Image (&) narrative.

Références

Documents relatifs

Je suis un entier égal au produit de six nombres premiers distincts. La somme de mon inverse et des inverses de mes six facteurs premiers est égale

Le programme régional Val d’Aoste cofinance un projet de déploiement d’infrastructures d’internet haut-débit au travers d’une opération unique bien ancré

Ainsi, la réflexion proposée dans l’ouvrage de Michel Agier ne porte pas seulement sur la ville, mais également sur l’enquête urbaine puisque les connaissances de

Un niveau énergétique élevé, appliqué de façon continu depuis le sevrage s’accompagne d’une lipogenèse précoce chez le rat soumis au rationnement Haut-Haut

Vivre une telle expérience, dans laquelle le Soi se transcende lui-même pendant quelques instants, puis revient à lui-même, mais cette fois avec la conviction d’avoir vécu

Car, dans ce cadre, « il est particulièrement significatif […] que Zeus prenne sa sœur comme épouse définitive, à savoir la déesse qui lui est la plus proche par le lignage

- Aucun examen ne peut compter pour plus de 35 % de la note finale. - La note cumulative allouée aux devoirs, travaux, mini-tests ou laboratoires ne peut excéder 35 %

On calculera le volume infiniment petit du cône qui a pour directrice le contour de dar et pour sommet le centre de la sphère, en multipliant l'expression de di par le tiers de