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ARBITRAL AWARD OF 3 OCTOBER 1899

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(1)

REPORTS OF JUDGMENTS, ADVISORY OPINIONS AND ORDERS

ARBITRAL AWARD OF 3 OCTOBER 1899

(GUYANA v. VENEZUELA) JURISDICTION OF THE COURT

JUDGMENT OF 18 DECEMBER 2020

2020

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE RECUEIL DES ARRÊTS,

AVIS CONSULTATIFS ET ORDONNANCES

SENTENCE ARBITRALE DU 3 OCTOBRE 1899

(GUYANA c. VENEZUELA) COMPÉTENCE DE LA COUR

ARRÊT DU 18 DÉCEMBRE 2020

(2)

Arbitral Award of 3 October 1899 (Guyana v. Venezuela), Jurisdiction of the Court, Judgment,

I.C.J. Reports 2020, p. 455

Mode officiel de citation :

Sentence arbitrale du 3 octobre 1899 (Guyana c. Venezuela), compétence de la Cour, arrêt,

C.I.J. Recueil 2020, p. 455

ISSN 0074-4441

ISBN 978-92-1-003866-9

Sales number

No de vente:

1205

(3)

ARBITRAL AWARD OF 3 OCTOBER 1899 (GUYANA v. VENEZUELA)

JURISDICTION OF THE COURT

SENTENCE ARBITRALE DU 3 OCTOBRE 1899 (GUYANA c. VENEZUELA)

COMPÉTENCE DE LA COUR

JUDGMENT

18 DÉCEMBRE 2020 ARRÊT

(4)

TABLE DES MATIÈRES

Paragraphes Qualités 1-22

I. Introduction 23-28

II. Contexte historique et factuel 29-60

A. Le traité de Washington et la sentence de 1899 31-34 B. Le rejet de la sentence de 1899 par le Venezuela et la recher-

che d’un règlement du différend 35-39

C. La signature de l’accord de Genève de 1966 40-44 D. La mise en œuvre de l’accord de Genève 45-60

1. La commission mixte (1966-1970) 45-47

2. Le protocole de Port of Spain de 1970 et le moratoire

institué 48-53 3. De la procédure des bons offices (1990-2014 et 2017) à la

saisine de la Cour 54-60

III. Interprétation de l’accord de Genève 61-101

A. Le « différend » au sens de l’accord de Genève 64-66 B. La question de savoir si les Parties ont donné leur consente-

ment au règlement judiciaire du différend en vertu du para-

graphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève 67-88 1. La question de savoir si la décision du Secrétaire général

revêt un caractère contraignant 68-78

2. La question de savoir si les Parties ont consenti au choix,

par le Secrétaire général, du règlement judiciaire 79-88 C. La question de savoir si le consentement donné par les

Parties au règlement judiciaire de leur différend en vertu du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève est

subordonné à une quelconque condition 89-100

IV. Compétence de la Cour 102-115

A. La conformité de la décision du Secrétaire général du 30 jan- vier 2018 avec le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de

Genève 103-109 B. L’effet juridique de la décision du Secrétaire général du

30 janvier 2018 110-115

V. Saisine de la Cour 116-121

VI. Portée de la compétence de la Cour 122-137

Dispositif 138

(5)

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE ANNÉE 2020

18 décembre 2020

SENTENCE ARBITRALE DU 3 OCTOBRE 1899

(GUYANA c. VENEZUELA)

COMPÉTENCE DE LA COUR

Introduction — Non-comparution du Venezuela — Article 53 du Statut de la Cour.

* Contexte historique et factuel.

Revendications territoriales concurrentes du Royaume-Uni et du Venezuela au XIXe siècle —Traité d’arbitrage pour le règlement de la question de la frontière entre la colonie de la Guyane britannique et le Venezuela signé à Washington le 2 février 1897 — Sentence arbitrale du 3 octobre 1899.

Rejet de la sentence de 1899 par le Venezuela.

Signature de l’accord de Genève de 1966.

Mise en œuvre de l’accord de Genève — Commission mixte de 1966 à 1970 — Protocole de Port of Spain de 1970 — Moratoire de 12 ans — Parties s’en remettant ensuite au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies pour choisir un moyen de règlement conformément au paragraphe 2 de l’article IV — Secrétaire général ayant choisi la procédure des bons offices de 1990 à 2017 — Décision du Secrétaire général du 30 janvier 2018 choisissant la Cour comme moyen de règlement du différend — Saisine de la Cour par le Guyana le 29 mars 2018.

* Interprétation de l’accord de Genève.

Définition du « différend » au sens de l’accord de Genève — Différend concernant la question de la validité de la sentence de 1899 ainsi que ses implications juridiques pour le tracé de la frontière entre le Guyana et le Venezuela.

2020 18 décembre Rôle général

no 171

(6)

Question de savoir si les Parties ont donné leur consentement au règlement judi- ciaire de leur différend en vertu du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève — Décision du Secrétaire général revêtant un caractère contraignant pour les Parties — Paragraphe 2 de l’article IV faisant mention de l’article 33 de la Charte des Nations Unies, lequel comprend le moyen de règlement judiciaire — Moyens de règlement des différends à la disposition du Secrétaire général, auxquels les Parties ont consenti, incluant le règlement judi- ciaire.

Question de savoir si le consentement donné par les Parties au règlement judi- ciaire de leur différend était subordonné à une quelconque condition — Question de savoir si le Secrétaire général est tenu de suivre un ordre particulier dans le choix des moyens de règlement énumérés à l’article 33 de la Charte — Absence, pour le Secrétaire général, d’obligation de suivre un ordre particulier ou de consulter les Parties sur son choix.

* Compétence de la Cour.

Question de la conformité de la décision du Secrétaire général avec le para- graphe 2 de l’article IV — Cour constituant un moyen de « règlement judiciaire » au sens de l’article 33 de la Charte — Décision du Secrétaire général prise confor- mément au paragraphe 2 de l’article IV.

Effet juridique de la décision du Secrétaire général du 30 janvier 2018 — Statut de la Cour ne faisant nullement obstacle à ce que le consentement soit exprimé par le biais du mécanisme établi au paragraphe 2 de l’article IV — Fait de subordonner la mise en œuvre d’une décision prise par le Secrétaire général en vertu du para- graphe 2 de l’article IV à un nouveau consentement des Parties privant la décision d’effet — Nécessité d’un consentement ultérieur des Parties étant contraire à l’ob- jet et au but de l’accord de Genève — Consentement des Parties à la compétence de la Cour étant établi.

*

Saisine de la Cour — Accord entre les Parties pour saisir la Cour conjointement n’étant pas nécessaire, celles-ci ayant déjà consenti à sa compétence — Cour ayant été valablement saisie.

* Portée de la compétence de la Cour.

Compétence ratione materiae — Article I de l’accord de Genève — Questions de la validité de la sentence de 1899 et du règlement définitif du différend concer- nant la frontière terrestre entre le Guyana et le Venezuela entrant dans le champ de la compétence ratione materiae de la Cour.

Compétence ratione temporis de la Cour — Article I de l’accord de Genève — Différend visé par l’accord de Genève étant celui qui s’était cristallisé au moment de la conclusion de l’accord —Cour n’ayant pas compétence pour connaître des demandes du Guyana fondées sur des faits survenus après la signature de l’accord de Genève.

(7)

ARRÊT

Présents : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ; Mme Charlesworth, juge ad hoc ; M. Gautier, greffier.

En l’affaire de la sentence arbitrale du 3 octobre 1899, entre

la République coopérative du Guyana, représentée par

l’honorable Carl B. Greenidge, comme agent ;

sir Shridath Ramphal, OE, OCC, SC,

S. Exc. Mme Audrey Waddell, ambassadrice, CCH, comme coagents ;

M. Paul S. Reichler, avocat, Foley Hoag LLP, membre des barreaux de la Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique et du district de Columbia, M. Alain Pellet, professeur émérite de l’Université Paris Nanterre, ancien pré-

sident de la Commission du droit international, membre de l’Institut de droit international,

M. Philippe Sands, QC, professeur de droit international au University College London (UCL), avocat, Matrix Chambers (Londres),

M. Payam Akhavan, LLM, SJD (Université de Harvard), professeur de droit international à l’Université McGill, membre des barreaux de l’Etat de New York et de l’Ontario, membre de la Cour permanente d’arbitrage, comme conseils et avocats ;

M. Pierre d’Argent, professeur ordinaire, Université catholique de Louvain, membre de l’Institut de droit international, Foley Hoag LLP, membre du barreau de Bruxelles,

Mme Christina L. Beharry, avocate, Foley Hoag LLP, membre des barreaux de l’Etat de New York, du district de Columbia et de l’Ontario,

M. Edward Craven, avocat, Matrix Chambers (Londres),

M. Ludovic Legrand, chercheur au Centre de droit international de Nanterre (CEDIN) et conseiller en droit international,

Mme Philippa Webb, professeure de droit international public au King’s College London, membre des barreaux d’Angleterre et du pays de Galles et de l’Etat de New York, Twenty Essex Chambers (Londres),

comme conseils ;

S. Exc. M. Rashleigh E. Jackson, OR, ancien ministre des affaires étrangères, Mme Gail Teixeira, représentante du People’s Progressive Party/Civic, S. Exc. M. Cedric Joseph, ambassadeur, CCH,

S. Exc. Mme Elisabeth Harper, ambassadrice, AA,

(8)

Mme Oneka Archer-Caulder, LLB, LEC, LLM, juriste au ministère des affaires étrangères,

Mme Donnette Streete, LLB, LLM, fonctionnaire principale du service diplo- matique au ministère des affaires étrangères,

Mme Dianna Khan, LLM, MA, juriste au ministère des affaires étrangères, M. Joshua Benn, LLB, LEC, Nippon Fellow, juriste au ministère des affaires

étrangères, comme conseillers ;

M. Raymond McLeod, DOAR Inc., comme conseiller technique ;

M. Oscar Norsworthy, Foley Hoag LLP, comme assistant,

et

la République bolivarienne du Venezuela, La Cour,

ainsi composée,

après délibéré en chambre du conseil, rend l’arrêt suivant :

1. Le 29 mars 2018, le Gouvernement de la République coopérative du Guyana (dénommée ci-après le « Guyana ») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la République bolivarienne du Venezuela (dénommée ci-après le « Venezuela ») au sujet d’un différend concernant « la validité juridique et l’effet contraignant de la sentence arbitrale du 3 octobre 1899 relative à la frontière entre la colonie de la Guyane britannique et les Etats-Unis du Venezuela ».

Dans sa requête, le Guyana entend fonder la compétence de la Cour, en vertu du paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour, sur le paragraphe 2 de l’article IV de l’« accord tendant à régler le différend entre le Venezuela et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord relatif à la frontière entre le Venezuela et la Guyane britannique » signé à Genève le 17 février 1966 (ci-après l’« accord de Genève »). Il explique que, conformément à cette dernière disposition, le Guyana et le Venezuela « ont convenu de conférer au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies le pouvoir de choisir le moyen de règlement du différend [et que] celui-ci en a fait usage le 30 janvier 2018, optant pour le règlement judiciaire par la Cour ».

2. En application du paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour, le greffier a immédiatement communiqué la requête au Gouvernement du Vene- zuela ; il a également informé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies du dépôt par le Guyana de cette requête.

3. Par lettre datée du 3 juillet 2018, le greffier a en outre informé tous les Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies du dépôt de la requête du Guyana.

4. Conformément au paragraphe 3 de l’article 40 du Statut, le greffier a informé les Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies, par l’entremise du Secrétaire général, du dépôt de la requête par transmission du texte bilingue imprimé de celle-ci.

(9)

5. Le 18 juin 2018, lors d’une réunion que le président de la Cour a tenue avec les Parties, en application de l’article 31 du Règlement de la Cour, pour recueillir leurs vues sur des questions de procédure, S. Exc. Mme Delcy Rodríguez Gómez, vice-présidente du Venezuela, a déclaré que son gouvernement estimait que la Cour n’avait manifestement pas compétence pour connaître de l’affaire et que le Vene- zuela avait décidé de ne pas prendre part à l’instance. Elle a en outre remis au président de la Cour une lettre datée du 18 juin 2018 de S. Exc. M. Nicolás Maduro Moros, président du Venezuela, dans laquelle ce dernier indiquait notamment que son pays « n’a[vait] jamais accepté la juridiction de [la] Cour … pour des raisons de tradition historique et d’institutions fondamentales ; et [qu’il] n’accepterait pas non plus ni la présentation unilatérale d’une requête faite par le Guyana, ni la forme ni le contenu des revendications qui y sont exprimées ». Dans cette lettre, il signalait par ailleurs que, en plus de n’avoir pas accepté la compétence de la Cour « en ce qui concerne le différend mentionné dans la prétendue « requête » présentée par le Guyana », le Venezuela n’avait « pas non plus accepté que le différend soit soumis unilatéralement à la Cour », ajoutant qu’« il n’existe aucun fondement qui pourrait établir … la juridiction de la Cour pour connaître des demandes du Guyana ». Le président du Venezuela poursuivait :

« En l’absence de toute disposition de l’article IV, paragraphe 2, de l’Ac- cord de Genève de 1966 (ou de l’article 33 de la Charte des Nations Unies, auquel il se réfère) sur i) la juridiction de la Cour et ii) les modalités de sa saisine, l’établissement de la juridiction de la Cour exige, selon une pra- tique bien établie, à la fois un consentement exprès à la juridiction de la Cour donné par les deux Parties au différend, et un accord commun des Parties notifiant la soumission du différend à la Cour.

Le seul objet et propos et effet juridique de la décision du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, du 30 janvier 2018, conformé- ment au paragraphe 2 de l’article IV de l’Accord de Genève, est de « choi- sir » un mécanisme particulier de règlement des différends pour arriver à une solution amiable du différend.

D’autre part, la juridiction de la Cour, en vertu de l’article 36 du Statut, et les modalités de sa saisine, conformément à l’article 40 du Statut, ne sont pas régies par l’Accord de Genève. En l’absence d’un accord des Parties exprimant leur consentement à la juridiction de la Cour en vertu de l’ar- ticle 36, et en l’absence d’un accord des Parties acceptant que le différend puisse être porté unilatéralement et non conjointement devant la Cour en vertu de l’article 40, il n’y a aucune base pour la juridiction de la Cour en ce qui concerne la prétendue « Requête du Guyana ».

Dans ces circonstances, et compte tenu des considérations mentionnées ci- dessus, la République Bolivarienne du Venezuela ne participera pas à la procédure dont la République coopérative du Guyana a l’intention d’enga- ger par le biais d’une action unilatérale. »

Lors de la même réunion, le Guyana a déclaré qu’il désirait que la Cour pour- suive l’examen de l’affaire.

6. Par ordonnance du 19 juin 2018, la Cour a estimé, conformément au para- graphe 2 de l’article 79 du Règlement du 14 avril 1978, tel qu’amendé le 1er février 2001, que, dans les circonstances de l’espèce, il était en premier lieu nécessaire de régler la question de sa compétence et que, en conséquence, elle devrait statuer séparément, avant toute procédure sur le fond, sur cette ques- tion. A cette fin, la Cour a décidé que les pièces de la procédure écrite porte-

(10)

raient d’abord sur la question de la compétence et a fixé au 19 novembre 2018 et au 18 avril 2019, respectivement, les dates d’expiration du délai pour le dépôt d’un mémoire du Guyana et d’un contre-mémoire du Venezuela. Le Guyana a déposé son mémoire dans le délai ainsi prescrit.

7. La Cour ne comptait sur le siège aucun juge de la nationalité de l’une ou l’autre des Parties. Le Guyana a fait usage du droit que lui confère le para- graphe 3 de l’article 31 du Statut de procéder à la désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire ; il a désigné Mme Hilary Charlesworth. Comme suite à sa décision de ne pas participer à la présente instance (voir le paragraphe 5 ci- dessus), le Venezuela n’a pas, quant à lui, fait usage à ce stade du droit de pro- céder à la désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire.

8. Par lettre du 12 avril 2019, S. Exc. M. Jorge Alberto Arreaza Montserrat, le ministre du pouvoir populaire pour les relations extérieures du Venezuela, a confirmé la décision de son gouvernement de « ne pas participer à la procédure écrite ». Il a rappelé que, dans une lettre en date du 18 juin 2018 (voir le para- graphe 5 ci- dessus), S. Exc. M. Nicolás Maduro Moros, président du Venezuela, avait expressément informé la Cour que le Venezuela « ne participerait pas à la procédure ouverte à la suite de la demande d[u] Guyana, en raison de l’absence manifeste de base juridictionnelle de la Cour sur [cette] demande ». Il a toutefois ajouté que, par « respect envers la Cour », le Venezuela fournirait « ultérieure- ment des informations afin d’aider la Cour à s’acquitter de ses obligations en vertu de l’article 53.2 de son Statut ».

9. Par lettre du 24 avril 2019, le Guyana a indiqué que, selon lui, en l’absence de contre-mémoire du Venezuela, la phase écrite de la procédure devait « être considérée comme close » et qu’il convenait d’« organiser la procédure orale le plus tôt possible ».

10. Par lettres du 23 septembre 2019, les Parties ont été informées que les audiences sur la question de la compétence de la Cour se tiendraient du 23 au 27 mars 2020.

11. Par lettre du 15 octobre 2019, le greffier, se référant à la communication du Venezuela du 12 avril 2019, a informé ce dernier que, s’il entendait toujours fournir des informations afin d’aider la Cour, il devait le faire le 28 novembre 2019 au plus tard.

12. Le 28 novembre 2019, le Venezuela a adressé à la Cour un document intitulé « Mémorandum de la République bolivarienne du Venezuela sur la requête déposée par la République coopérative du Guyana auprès de la Cour internationale de Justice le 29 mars 2018 » (ci-après le « mémorandum »). Ce document a immédiatement été transmis au Guyana par le Greffe de la Cour.

13. Par lettre du 10 février 2020, S. Exc. M. Jorge Alberto Arreaza Monser- rat, ministre du pouvoir populaire pour les relations extérieures du Venezuela, a indiqué que son gouvernement n’avait pas l’intention de prendre part aux audiences prévues pour mars 2020.

14. Par lettres du 16 mars 2020, les Parties ont été informées que, en raison de la pandémie de COVID-19, la Cour avait décidé de reporter la procédure orale à une date ultérieure. Le 19 mai 2020, il a été indiqué aux Parties que celle-ci se tiendrait par liaison vidéo le 30 juin 2020.

15. Conformément au paragraphe 2 de l’article 53 de son Règlement, la Cour, après avoir consulté les Parties, a décidé que des exemplaires du mémoire du Guyana et des documents y annexés seraient rendus accessibles au public à l’ouverture de la procédure orale. Elle a aussi décidé, compte tenu de l’absence d’objection des Parties, que le mémorandum que le Venezuela lui a adressé le 28 novembre 2019 serait rendu public au même moment.

(11)

16. Une audience publique sur la question de la compétence de la Cour s’est tenue par liaison vidéo le 30 juin 2020, au cours de laquelle ont été entendus en leurs plaidoiries :

Pour le Guyana : sir Shridath Ramphal, M. Payam Akhavan, M. Paul Reichler, M. Philippe Sands, M. Alain Pellet.

17. A l’audience, une question a été posée au Guyana par un membre de la Cour, à laquelle il a été répondu par écrit, conformément au paragraphe 4 de l’article 61 du Règlement. Le Venezuela a été invité à présenter toutes observa- tions qu’il souhaiterait formuler sur la réponse du Guyana, mais il n’en a pas soumis.

18. Par lettre du 24 juillet 2020, le Venezuela a transmis des observations écrites sur les arguments présentés par le Guyana lors de l’audience du 30 juin 2020, indiquant que ces observations étaient fournies « [d]ans le cadre de l’assis- tance qu’il a[vait] offert d’apporter à la Cour aux fins de l’exécution de l’obliga- tion incombant à celle-ci en application de l’article 53.2 de son Statut ». Par lettre du 3 août 2020, le Guyana a fait part de ses vues concernant cette commu- nication du Venezuela.

*

19. Dans la requête, les demandes ci-après ont été formulées par le Guyana :

« [L]e Guyana prie [la Cour] de dire et juger que :

a) la sentence de 1899 est valide et revêt un caractère obligatoire pour le Guyana et le Venezuela, et que la frontière établie par ladite sentence et l’accord de 1905 est valide et revêt un caractère obligatoire pour le Guyana et le Venezuela ;

b) le Guyana jouit de la pleine souveraineté sur le territoire situé entre le fleuve Essequibo et la frontière établie par la sentence arbitrale de 1899 et l’accord de 1905, et que le Venezuela jouit de la pleine souveraineté sur le territoire situé à l’ouest de ladite frontière ; que le Guyana et le Venezuela sont tenus au respect mutuel, plein et entier, de leur souve- raineté et de leur intégrité territoriale sur la base de la frontière établie par la sentence arbitrale de 1899 et l’accord de 1905 ;

c) le Venezuela doit immédiatement se retirer de la moitié orientale de l’île d’Ankoko et cesser d’occuper celle-ci, et agir de même s’agissant de tout autre territoire dont il est reconnu dans la sentence arbitrale de 1899 et l’accord de 1905 qu’il relève de la souveraineté territoriale du Guyana ; d) le Venezuela doit s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la

force contre toute personne physique ou morale autorisée par le Guyana à mener une activité économique ou commerciale sur le territoire du Guyana tel que défini par la sentence arbitrale de 1899 et l’accord de 1905, ou dans tout espace maritime généré par ledit territoire et sur lequel le Guyana a souveraineté ou exerce des droits souverains, ainsi que d’y entraver toute activité menée par le Guyana ou avec son autorisation ; e) la responsabilité internationale du Venezuela est engagée à raison de

violations de la souveraineté et des droits souverains du Guyana et de tous les préjudices subis en conséquence par celui-ci. »

(12)

20. Dans la procédure écrite, les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement du Guyana dans le mémoire sur la question de la com- pétence de la Cour :

« Pour ces raisons, le Guyana prie respectueusement la Cour :

1. de dire qu’elle a compétence pour connaître des demandes présentées par le Guyana et que ces demandes sont recevables ; et

2. de procéder à l’examen de l’affaire au fond. »

21. Lors de la procédure orale, les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement du Guyana à l’audience du 30 juin 2020 :

« Sur la base de sa requête du 29 mars 2018, de son mémoire du 19 novembre 2018 et de ses exposés oraux, le Guyana prie respectueuse- ment la Cour :

1. de dire qu’elle a compétence pour connaître des demandes présentées par le Guyana et que ces demandes sont recevables ; et

2. de procéder à l’examen de l’affaire au fond. »

22. Aucune pièce écrite n’ayant été déposée par le Gouvernement du Vene- zuela et celui-ci n’ayant pas comparu lors de la procédure orale, aucune conclu- sion formelle n’a été présentée par ce gouvernement. Cependant, il ressort clairement de la correspondance et du mémorandum reçus du Venezuela que ce dernier soutient que la Cour n’a pas compétence pour connaître de l’affaire.

* * *

I. Introduction

23. La présente affaire porte sur un différend qui est survenu entre le Guyana et le Venezuela du fait de la position de ce dernier selon laquelle la sentence arbitrale du 3 octobre 1899 relative à la frontière entre les deux Parties (ci-après la « sentence de 1899 » ou la « sentence ») est nulle et non avenue.

24. La Cour souhaite tout d’abord exprimer son regret face à la déci- sion prise par le Venezuela de ne pas prendre part à la procédure devant elle, telle qu’énoncée dans les lettres susmentionnées des 18 juin 2018, 12 avril 2019 et 10 février 2020 (voir les paragraphes 5, 8 et 13 ci-dessus).

A cet égard, elle rappelle que, aux termes de l’article 53 de son Statut,

« [l]orsqu’une des parties ne se présente pas, ou s’abstient de faire valoir ses moyens, l’autre partie peut demander à la Cour de lui adjuger ses conclusions » et que « [l]a Cour, avant d’y faire droit, doit s’assurer non seulement qu’elle a compétence aux termes des Articles 36 et 37, mais que les conclusions sont fondées en fait et en droit ».

25. La non-comparution d’une partie comporte à l’évidence des consé- quences négatives pour une bonne administration de la justice (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 23, par. 27,

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se référant notamment à Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 257, par. 15 ; Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c. Islande), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1973, p. 54, par. 13). En particulier, la partie non com- parante se prive de l’occasion d’apporter des preuves et des arguments à l’appui de sa propre cause et de contester les allégations de la partie adverse. La Cour ne bénéficie donc pas de l’aide que ces informations auraient pu lui apporter, alors même qu’il lui faut poursuivre son examen et formuler toutes conclusions nécessaires en l’affaire.

26. La Cour souligne que la non-participation d’une partie à la procé- dure ou à une phase quelconque de celle-ci ne saurait en aucun cas affec- ter la validité de son arrêt (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 23, par. 27). Un arrêt sur la compétence, comme sur le fond, est définitif et obligatoire pour les parties aux termes des articles 59 et 60 du Statut (ibid., p. 24, par. 27 ; Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fixation du montant des réparations, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 248). Si l’examen de la présente affaire devait se poursuivre au-delà de la phase actuelle, le Venezuela, qui demeure Partie à l’instance, pourra, s’il le souhaite, comparaître devant la Cour pour pré- senter ses arguments (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J.

Recueil 1986, p. 142-143, par. 284).

27. L’article 53 du Statut vise à ce que ni l’une ni l’autre des parties ne soit défavorisée en cas de non-comparution (ibid., p. 26, par. 31). S’il n’est pas question pour la Cour de se prononcer automatiquement en faveur de la partie comparante (ibid., p. 24, par. 28), la partie qui s’abstient de com- paraître ne saurait être admise à tirer profit de son absence (ibid., p. 26, par. 31).

28. Bien qu’officiellement absentes, les parties non comparantes sou- mettent parfois des lettres et des documents à la Cour par des voies et moyens non prévus par son Règlement (ibid., p. 25, par. 31). En l’espèce, le Venezuela a adressé à la Cour un mémorandum (voir le paragraphe 12 ci-dessus). Celle-ci a avantage à connaître les vues des deux parties, quelle que soit la manière dont ces vues s’expriment (ibid., p. 25, par. 31). Aussi prendra-t-elle en considération le mémorandum du Venezuela, dans la mesure où elle l’estime approprié en vue de s’acquitter de l’obligation que lui impose l’article 53 de son Statut de s’assurer de sa compétence pour connaître de la requête (Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Tur- quie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 7, par. 14).

II. Contexte historique et factuel

29. Situé dans la partie nord-est de l’Amérique du Sud, le Guyana jouxte, à l’ouest, le Venezuela. A l’époque où le différend actuel a pris naissance, le Guyana était encore une colonie britannique connue

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sous le nom de Guyane britannique. Il a obtenu son indépendance du Royaume-Uni le 26 mai 1966. Le différend entre le Guyana et le Venezuela s’inscrit dans une série d’événements remontant à la seconde moitié du XIXe siècle.

30. La Cour commencera par relater dans l’ordre chronologique les événements pertinents relatifs au différend opposant les deux Etats.

A. Le traité de Washington et la sentence de 1899

31. Au XIXe siècle, le Royaume-Uni et le Venezuela ont tous deux revendiqué le territoire qui comprenait la zone située entre l’embouchure du fleuve Essequibo à l’est et l’Orénoque à l’ouest.

32. Dans les années 1890, les Etats-Unis d’Amérique ont encouragé les deux parties à soumettre leurs revendications territoriales à un arbitrage contraignant. Les échanges entre le Royaume-Uni et le Venezuela ont finalement abouti à la signature, à Washington, d’un traité d’arbitrage dénommé « Traité entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis du Vene- zuela relatif au règlement de la question de la frontière entre la colonie de la Guyane britannique et les Etats-Unis du Venezuela » (ci-après le « traité de Washington »), le 2 février 1897.

33. Aux termes de son préambule, le traité de Washington avait pour but de « parvenir à un règlement amiable du différend … concernant la frontière ». Son article I précisait ce qui suit :

« Un tribunal arbitral sera immédiatement constitué aux fins de déterminer le tracé de la ligne frontière entre la colonie de la Guyane britannique et les Etats-Unis du Venezuela. »

D’autres dispositions prévoyaient les modalités de l’arbitrage, y compris la constitution du tribunal, le lieu de l’arbitrage ou encore les règles appli- cables. Enfin, selon l’article XIII du traité de Washington,

« [l]es Hautes Parties contractantes s’engag[eai]ent à considérer la sentence du tribunal arbitral comme un règlement complet, parfait et définitif de toutes les questions soumises aux arbitres ».

34. Le tribunal arbitral constitué en vertu de ce traité a rendu sa sen- tence le 3 octobre 1899. La sentence de 1899 accordait la totalité de l’em- bouchure de l’Orénoque ainsi que les terres situées de part et d’autre de celle-ci au Venezuela et attribuait au Royaume-Uni les terres se trouvant à l’est jusqu’à l’Essequibo. L’année suivante, une commission mixte ad hoc, composée de représentants du Royaume-Uni et du Venezuela, a été chargée de réaliser la démarcation de la frontière établie par la sen- tence de 1899. Elle s’est acquittée de sa tâche entre novembre 1900 et juin 1904. Le 10 janvier 1905, à l’issue de la démarcation de la frontière, les commissaires britanniques et vénézuéliens ont établi une carte officielle du tracé de la frontière et signé un accord reconnaissant, entre autres, l’exactitude des coordonnées des points énumérés.

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B. Le rejet de la sentence de 1899 par le Venezuela et la recherche d’un règlement du différend

35. Le 14 février 1962, le Venezuela a fait savoir au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, par l’entremise de son représentant permanent, qu’il considérait qu’il existait un différend entre lui et le Royaume-Uni « concernant la démarcation de la frontière entre le Vene- zuela et la Guyane britannique ». Dans sa lettre adressée au Secré- taire général, le Venezuela déclarait ce qui suit :

« La sentence a été le fruit d’une transaction politique conclue dans le dos du Venezuela et sacrifiant ses droits légitimes. La frontière a été démarquée de façon arbitraire, sans tenir compte des règles spéci- fiques établies par l’accord d’arbitrage ni des principes pertinents du droit international.

Le Venezuela ne saurait reconnaître une sentence rendue dans de telles conditions. »

Lors d’une allocution prononcée quelques jours plus tard, le 22 février 1962, devant la Quatrième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies, le Venezuela a réitéré sa position.

36. Le Gouvernement du Royaume-Uni, quant à lui, a affirmé, le 13 novembre 1962, lors d’une déclaration devant la Quatrième Commis- sion, que « la frontière occidentale entre la Guyane britannique et le Venezuela a[vait] été définitivement fixée par la sentence annoncée par le tribunal arbitral le 3 octobre 1899 », et qu’il ne saurait « admettre le moindre différend sur la question tranchée par la sentence ». Le Royaume-Uni a également indiqué être disposé à discuter avec le Vene- zuela, par la voie diplomatique, des modalités d’un examen tripartite du matériau documentaire concernant la sentence de 1899.

37. Le 16 novembre 1962, avec l’assentiment des représentants du Royaume-Uni et du Venezuela, le président de la Quatrième Commission a annoncé que les gouvernements des deux Etats (celui du Royaume-Uni agissant avec le plein accord de celui de la Guyane britannique) s’engage- raient dans l’examen du « matériau documentaire » se rapportant à la sen- tence de 1899 (ci-après l’« examen tripartite »). Des experts nommés par les deux gouvernements ont ainsi procédé à l’examen des archives du Royaume-Uni à Londres et des archives vénézuéliennes à Caracas, à la recherche de preuves relatives à la position du Venezuela, qui soutient que la sentence de 1899 est nulle.

38. L’examen tripartite a duré de 1963 à 1965. Il s’est achevé le 3 août 1965 avec l’échange de rapports d’expertise. Alors que les experts du Venezuela continuaient de considérer que la sentence était nulle et non avenue, ceux du Royaume-Uni estimaient qu’il n’existait aucune preuve à l’appui de cette position.

39. Les 9 et 10 décembre 1965, les ministres des affaires étrangères du Royaume-Uni et du Venezuela ainsi que le nouveau premier ministre de la Guyane britannique se sont réunis à Londres afin de discuter d’un

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règlement du différend. Cependant, à l’issue de la conférence, les parties ont chacune maintenu leur position sur la question. Le représentant véné- zuélien affirmait que toute proposition « qui ne reconnaît[rait] pas que le Venezuela s’étend jusqu’au fleuve Essequibo serait inacceptable », tandis que le représentant de la Guyane britannique rejetait toute proposition qui « s’intéresse[rait] aux questions de fond ».

C. La signature de l’accord de Genève de 1966

40. Après l’échec des discussions tenues à Londres, les trois délégations sont convenues de se réunir de nouveau à Genève en février 1966. Au terme de deux jours de négociations, elles sont parvenues le 17 février 1966 à la signature de l’accord de Genève, dont les textes anglais et espa- gnol font foi. Conformément à son article VII, l’accord de Genève est entré en vigueur le jour même de sa signature.

41. L’accord de Genève a été approuvé par le Congrès national du Venezuela le 13 avril 1966. Il a été publié sous forme de livre blanc au Royaume-Uni, c’est-à-dire comme un document d’orientation politique présenté par le gouvernement, et entériné par l’Assemblée de la Guyane britannique. Il a été officiellement transmis au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies le 2 mai 1966 et enregistré auprès du Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies le 5 mai 1966 (Nations Unies, Recueil des traités, vol. 561, no 8192, p. 322).

42. Le 26 mai 1966, ayant accédé à l’indépendance, le Guyana est devenu partie à l’accord de Genève, aux côtés du Gouvernement du Royaume-Uni et du Gouvernement du Venezuela, conformément aux dispositions de son article VIII.

43. L’accord de Genève prévoit en premier lieu la constitution d’une commission mixte pour tenter de régler le différend entre les parties (art. I et II). L’article I se lit comme suit :

« Il sera institué une commission mixte chargée de rechercher des solutions satisfaisantes pour le règlement pratique du différend sur- venu entre le Venezuela et le Royaume-Uni du fait de la position du Venezuela, qui soutient que la sentence arbitrale de 1899 relative à la frontière entre la Guyane britannique et le Venezuela est nulle et non avenue. »

Le paragraphe 1 de l’article IV dispose en outre que, en cas d’échec de cette commission, les Gouvernements du Guyana et du Venezuela devront choisir un des moyens de règlement pacifique énoncés à l’article 33 de la Charte des Nations Unies. Conformément au paragraphe 2 de l’article IV, en cas de désaccord entre ces gouvernements, le choix du moyen de règle- ment devra être fait par un organisme international compétent sur lequel celles-ci se mettront d’accord, ou, à défaut, par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.

44. Le 4 avril 1966, par lettres adressées aux ministres des affaires étrangères du Royaume-Uni et du Venezuela, le Secrétaire général de

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l’Organisation des Nations Unies, U Thant, accusait bonne réception de l’accord de Genève et précisait ce qui suit :

« J’ai pris note des responsabilités que le Secrétaire général de l’Or- ganisation des Nations Unies pourrait être appelé à assumer au titre du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord et je souhaite vous infor- mer que je considère celles-ci comme étant de nature à pouvoir être assumées de manière appropriée par le Secrétaire général. »

D. La mise en œuvre de l’accord de Genève 1. La commission mixte (1966-1970)

45. La commission mixte a été établie en 1966, en application des articles I et II de l’accord de Genève. Durant son mandat, les représen- tants du Guyana et du Venezuela se sont réunis à plusieurs reprises.

46. Une différence d’interprétation du mandat de la commission est apparue dès le début de ses travaux. En effet, selon le Guyana, la commis- sion mixte était chargée de trouver une solution pratique à la question juridique que soulevait la nullité de la sentence alléguée par le Venezuela.

Or, selon le Venezuela, elle était chargée de rechercher des solutions pra- tiques au différend territorial.

47. Les discussions dans le cadre de la commission mixte se sont dérou- lées sur fond d’actions hostiles qui ont aggravé le différend. En effet, depuis la signature de l’accord de Genève, les deux Parties ont allégué des atteintes multiples à leur souveraineté territoriale dans la région d’Esse- quibo. La commission mixte est parvenue au terme de son mandat en 1970 sans avoir abouti à une solution.

2. Le protocole de Port of Spain de 1970 et le moratoire institué

48. Aucune solution n’ayant été trouvée dans le cadre de la commission mixte, il revenait au Venezuela et au Guyana de choisir l’un des moyens de règlement pacifique énoncés à l’article 33 de la Charte des Nations Unies, en application de l’article IV de l’accord de Genève. Cependant, face aux désaccords entre les Parties, un moratoire sur le processus du règlement du différend, énoncé dans un protocole à l’accord de Genève (ci-après le

« protocole de Port of Spain » ou le « protocole »), a été adopté le 18 juin 1970, soit le jour même où la commission mixte remettait son rapport final. L’article III du protocole prévoyait la suspension de l’application de l’article IV de l’accord de Genève aussi longtemps que le protocole demeu- rerait en vigueur. Le protocole devait, en vertu de son article V, rester en vigueur pendant une période initiale de 12 ans, laquelle pouvait être ensuite renouvelée. Selon l’article I du protocole, les deux Etats conve- naient de promouvoir les relations de confiance et d’améliorer l’entente entre eux.

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49. En décembre 1981, le Venezuela a fait part de son intention de dénoncer le protocole de Port of Spain. En conséquence, l’article IV de l’accord de Genève a recommencé à s’appliquer dès le 18 juin 1982 confor- mément au paragraphe 3 de l’article V du protocole.

50. En application du paragraphe 1 de l’article IV de l’accord de Genève, les Parties ont tenté de se mettre d’accord sur le choix d’un des moyens de règlement pacifique énoncés à l’article 33 de la Charte. Elles n’y sont cependant pas parvenues dans le délai de trois mois prescrit par le paragraphe 2 de ce même article. Elles ne sont pas non plus parvenues à s’entendre sur la désignation d’un organisme international compétent chargé de choisir le moyen de règlement, comme le prévoyait le para- graphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève.

51. En conséquence, les Parties sont passées à l’étape suivante, s’en remettant au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies quant au choix du moyen de règlement. Dans une lettre en date du 15 octobre 1982 adressée à son homologue guyanien, le ministre véné- zuélien des affaires étrangères a déclaré ce qui suit :

« Le Venezuela est convaincu que, pour mettre en œuvre les dispo- sitions du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, l’orga- nisme international le plus compétent est le Secrétaire général de l’ONU… Le Venezuela souhaite réaffirmer sa conviction que le plus pratique et le plus indiqué serait de confier le choix du moyen de règlement directement au Secrétaire général de l’ONU. Puisqu’il est manifeste qu’aucun accord n’existe entre les parties quant au choix d’un organisme international chargé de remplir les fonctions prévues au paragraphe 2 de l’article IV, force est de constater que cette fonc- tion relève désormais de la responsabilité du Secrétaire général de l’ONU. »

Plus tard, dans une lettre en date du 28 mars 1983 adressée à son homo- logue vénézuélien, le ministre des affaires étrangères du Guyana a déclaré que celui-ci,

« constatant à regret que [le Venezuela] n’[était] pas disposé à engager des efforts sérieux pour arriver à un accord sur l’organisme interna- tional compétent à qui reviendrait le choix du moyen de règlement, consent[ait] par la présente à passer à l’étape suivante et, en consé- quence, à s’en remettre, pour ce choix, au Secrétaire général de l’ONU ».

52. Après avoir été saisi par les Parties, le Secrétaire général, M. Javier Pérez de Cuéllar, a, par une lettre du 31 mars 1983, accepté de s’acquitter de la responsabilité dont il était investi conformément au paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève. Cinq mois plus tard, il a chargé le Secrétaire général adjoint aux affaires politiques, M. Diego Cordovez, de se rendre à Caracas et à Georgetown afin de se renseigner sur les positions des Parties concernant le choix du moyen de règlement du différend.

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53. Entre 1984 et 1989, les Parties ont tenu des réunions et des discus- sions régulières aux niveaux diplomatique et ministériel. Compte tenu des informations fournies par M. Cordovez, le Secrétaire général a choisi, au début de l’année 1990, la procédure des bons offices comme moyen de règlement approprié.

3. De la procédure des bons offices (1990-2014 et 2017) à la saisine de la Cour

54. Entre 1990 et 2014, la procédure des bons offices a été dirigée par trois représentants personnels nommés par les Secrétaires généraux successifs : M. Alister McIntyre (1990-1999), M. Oliver Jackman (1999-2007) et M. Norman Girvan (2010-2014). Les Parties ont, de leur côté, désigné des facilitateurs pour assister les différents représentants personnels du Secrétaire général dans leurs travaux et servir de point de contact avec ceux-ci. Durant cette période, des rencontres ont été organi- sées régulièrement entre les représentants des deux Etats et le Secrétaire général, notamment en marge de la session annuelle de l’As- semblée générale.

55. Dans une lettre en date du 2 décembre 2014 qu’elle a adressée à son homologue vénézuélien, la ministre guyanienne des affaires étrangères a fait observer que, après 25 années, la procédure des bons offices n’avait nullement rapproché les Parties d’un règlement du différend. Elle a pré- cisé que son gouvernement « étud[iait] les autres options prévues à l’ar- ticle 33 de la Charte des Nations Unies qui pourraient aider à mettre un terme au différend, conformément aux dispositions de l’accord de Genève de 1966 ». En réponse à cette déclaration, le Venezuela a, le 29 décembre 2014, invité le Gouvernement du Guyana à « consentir dans les meilleurs délais à la désignation d’un chargé des bons offices ». Le 8 juin 2015, le vice-président du Guyana a prié le Secrétaire général,

« dans le cadre de ses fonctions … et, plus particulièrement, de la mission qui lui [était] conférée par l’accord de Genève de 1966, de choisir un moyen de règlement qui, de son point de vue, permettr[ait]

d’aboutir à un règlement définitif et concluant … du différend ».

Dans une lettre datée du 9 juillet 2015, le président du Venezuela a prié le Secrétaire général d’« entamer la procédure de désignation d’un chargé des bons offices ».

56. En septembre 2015, au cours de la soixante-dixième session de l’Assemblée générale des Nations Unies, le Secrétaire général, M. Ban Ki-moon, a organisé une rencontre avec les chefs d’Etat du Guyana et du Venezuela. Par la suite, le 12 novembre 2015, le Secré- taire général a établi un document relatif à « la marche à suivre » (« The Way Forward »), dans lequel il informait les Parties que, « [à] supposer qu’au- cune solution pratique au différend ne soit trouvée avant la fin de son mandat, [il avait] l’intention d’engager le processus d’obtention d’une décision finale et contraignante de la Cour internationale de Justice ».

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57. Dans sa déclaration du 16 décembre 2016, le Secrétaire général a indiqué avoir décidé de poursuivre la procédure des bons offices pendant une année supplémentaire, sous la conduite d’un nouveau représentant personnel doté d’un mandat renforcé de médiation. Il a également annoncé que

« [s]i, à la fin 2017, le Secrétaire général conclut à l’absence de pro- grès significatifs en vue d’un accord complet sur le règlement du dif- férend, il choisira la Cour internationale de Justice comme prochain moyen de règlement, sauf demande contraire présentée conjointe- ment par les deux parties ».

58. Le président vénézuélien, S. Exc. M. Nicolás Maduro Moros, a répondu au Secrétaire général dans une lettre du 17 décembre 2016, dans laquelle il soulignait que le Venezuela était opposé à « l’intention [exprimée]

de recommander aux Parties la saisine de la Cour », tout en affirmant être résolu à parvenir à une solution négociée dans le cadre strictement défini de l’accord de Genève. Dans une lettre datée du 21 décembre 2016, le pré- sident du Guyana, S. Exc. M. David A. Granger, a, pour sa part, assuré le président du Venezuela de l’engagement de son pays

« à répondre aux attentes les plus élevées concernant le processus des

« bons offices » au cours des douze prochains mois, conformément à la décision du Secrétaire général afin de parvenir à un règlement complet du différend et, si cela se révélait nécessaire par la suite, de recourir à la Cour internationale de Justice ».

Il a réaffirmé cette position dans une lettre adressée au Secrétaire général le 22 décembre 2016.

59. Après avoir pris ses fonctions le 1er janvier 2017, le nouveau Secré- taire général, M. António Guterres, a, conformément à la décision de son prédécesseur, reconduit la procédure des bons offices pour une dernière année. Dans ce cadre, il a nommé M. Dag Nylander, le 23 février 2017, comme son représentant personnel et l’a doté d’un mandat renforcé de médiation. M. Dag Nylander a tenu plusieurs réunions et eu nombre d’échanges avec les Parties. Dans des lettres du 30 janvier 2018 adressées à chacune d’elles, le Secrétaire général a indiqué avoir « soigneusement analysé l’évolution de la procédure des bons offices au cours de l’an- née 2017 » et a annoncé que,

« [e]n conséquence, je me suis acquitté de la responsabilité qui m’in- combait dans ledit cadre et, aucun progrès significatif n’ayant été réalisé en vue d’un accord complet sur le règlement du différend, j’ai retenu la Cour internationale de Justice comme prochain moyen d’atteindre cet objectif. »

60. Le 29 mars 2018, le Guyana a déposé sa requête au Greffe de la Cour (voir le paragraphe 1 ci-dessus).

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III. Interprétation de l’accord de Genève

61. Ainsi qu’il est exposé au paragraphe 43 ci-dessus, l’accord de Genève établit un processus en trois étapes pour le règlement du différend entre les Parties. La première étape, prévue en son article I, consiste à instituer une commission mixte « chargée de rechercher des solutions satisfaisantes pour le règlement pratique du différend » résultant de la position du Venezuela selon laquelle la sentence de 1899 est nulle et non avenue. Dans le cas où la commission mixte ne parviendrait pas à un accord complet sur la résolu- tion du différend dans les quatre années suivant la conclusion de l’accord de Genève, l’article IV prévoit deux étapes supplémentaires dans le proces- sus du règlement du différend. Cette disposition se lit comme suit :

« 1) Si, dans les quatre ans qui suivront la date du présent Accord, la Commission mixte n’est pas arrivée à un accord complet sur la solution du différend, elle en référera, dans son rapport final, au Gouvernement guyanais et au Gouvernement vénézuélien pour toutes les questions en suspens. Ces gouvernements choisiront sans retard un des moyens de règlement pacifique énoncés à l’Article 33 de la Charte des Nations Unies.

2) Si, trois mois au plus tard après avoir reçu le rapport final, le Gouvernement guyanais et le Gouvernement vénézuélien ne sont pas parvenus à un accord sur le choix d’un des moyens de règlement pré- vus à l’Article 33 de la Charte des Nations Unies, ils s’en remettront, pour ce choix, à un organisme international compétent sur lequel ils se mettront d’accord, ou, s’ils n’arrivent pas à s’entendre sur ce point, au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. Si les moyens ainsi choisis ne mènent pas à une solution du différend, ledit organisme ou, le cas échéant, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, choisira un autre des moyens stipulés à l’Ar- ticle 33 de la Charte des Nations Unies, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le différend ait été résolu ou jusqu’à ce que tous les moyens de règlement pacifique envisagés dans la Charte aient été épuisés. » 62. Aux termes de l’article 33 de la Charte des Nations Unies :

« 1. Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d’enquête, de médiation, de conciliation, d’arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d’autres moyens pacifiques de leur choix.

2. Le Conseil de sécurité, s’il le juge nécessaire, invite les parties à régler leur différend par de tels moyens. »

63. Ainsi que cela a déjà été exposé (voir le paragraphe 50 ci-dessus), les Parties ne sont pas parvenues à se mettre d’accord sur le choix d’un des moyens de règlement pacifique énoncés à l’article 33 de la Charte, comme le prévoyait le paragraphe 1 de l’article IV de l’accord de Genève.

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Elles sont ensuite passées à l’étape suivante en s’en remettant, pour ce choix, au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (voir le paragraphe 51 ci-dessus), en application du paragraphe 2 de l’article IV dudit accord. La Cour interprétera cette disposition pour déterminer si, en confiant au Secrétaire général la décision quant au choix d’un des moyens de règlement énoncés à l’article 33 de la Charte, les Parties ont consenti à régler leur différend inter alia par la voie judiciaire. Dans l’af- firmative, elle devra déterminer si ce consentement est subordonné à une quelconque condition. Aux fins de l’interprétation du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, la Cour commencera par examiner l’emploi du terme « différend » dans cette disposition.

A. Le « différend » au sens de l’accord de Genève

64. En vue de définir le « différend » pour le règlement duquel l’accord de Genève a été conclu, la Cour examinera l’usage du terme « contro- versy » dans le texte anglais de cet instrument, qui fait foi. Elle fait obser- ver que l’accord de Genève utilise le terme « controversy » en tant que synonyme du mot « différend ». Conformément à la jurisprudence bien établie de la Cour, un différend est « un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’in- térêts entre deux personnes » (Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11). La Cour note à cet égard que, en son article IV, le traité de Washington employait le substantif

« controversy » pour désigner le différend originel soumis au tribunal arbi- tral constitué en vertu de cet instrument, aux fins de déterminer le tracé de la ligne frontière entre la colonie de la Guyane britannique et les Etats-Unis du Venezuela. Elle note également que les parties ont, dans le cadre de la conclusion et de la mise en œuvre de l’accord de Genève, exprimé des vues divergentes quant à la validité de la sentence de 1899 rendue par ce tribunal et aux implications de cette question pour leur frontière. L’article I de l’accord de Genève dispose ainsi que la commis- sion mixte avait pour mandat de rechercher des solutions satisfaisantes pour le règlement pratique du « différend survenu entre le Venezuela et le Royaume-Uni du fait de la position du Venezuela, qui sout[enait] que la sentence arbitrale de 1899 relative à la frontière entre la Guyane britan- nique et le Venezuela [était] nulle et non avenue ». Cette position du Vene- zuela s’est heurtée à l’opposition constante du Royaume-Uni, d’abord, pendant la période allant de 1962 à l’adoption de l’accord de Genève, le 17 février 1966, puis du Guyana, lorsque, ayant accédé à l’indépendance, celui-ci est devenu partie à l’accord de Genève, conformément à l’ar- ticle VIII de cet instrument.

65. Il s’ensuit, selon la Cour, que l’accord de Genève avait pour objet de rechercher une solution au différend frontalier opposant les parties né de leurs vues divergentes sur la validité de la sentence de 1899. C’est ce qu’indiquent également l’intitulé de l’accord de Genève — « Accord ten- dant à régler le différend entre le Venezuela et le Royaume-Uni de

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Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord relatif à la frontière entre le Vene- zuela et la Guyane britannique » — et le libellé du dernier alinéa de son préambule. Cette même idée ressort implicitement du paragraphe 1 de l’article V de l’accord de Genève, qui dispose que

« aucune des dispositions du présent Accord ne sera interprétée comme constituant une renonciation totale ou partielle par le Royaume-Uni, la Guyane britannique ou le Venezuela à aucun des principes qu’ils invoquent pour revendiquer la souveraineté sur les territoires situés au Venezuela ou en Guyane britannique, ni à aucun des droits ou des revendications qu’ils ont précédemment cherché à faire valoir sur ces territoires, ou encore comme préjugeant leur posi- tion pour ce qui est d’admettre ou de refuser d’admettre un droit, une revendication ou un principe de revendication que l’un d’entre eux pourrait faire valoir pour réclamer la souveraineté sur ces territoires ».

En faisant référence à la protection de leurs revendications et droits res- pectifs en matière de souveraineté sur ces territoires, les parties semblent avoir mis en exergue le fait que le « différend » (« controversy » en anglais) visé dans l’accord de Genève concernait principalement le différend né de la position du Venezuela selon laquelle la sentence de 1899 était nulle et non avenue et ses implications pour le tracé de la frontière entre le Guyana et le Venezuela.

66. En conséquence, la Cour est d’avis que le différend que les parties sont convenues de régler au moyen du mécanisme établi en vertu de l’ac- cord de Genève concerne la question de la validité de la sentence de 1899 ainsi que ses implications juridiques pour le tracé de la frontière entre le Guyana et le Venezuela.

B. La question de savoir si les Parties ont donné leur consentement au règlement judiciaire du différend en vertu du paragraphe 2 de l’article IV

de l’accord de Genève

67. La Cour relève que, à la différence d’autres dispositions conven- tionnelles qui renvoient directement au règlement judiciaire par la Cour, le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève renvoie à la décision d’une tierce partie quant au choix du moyen de règlement. Elle doit com- mencer par rechercher si les Parties ont conféré à cette tierce partie, en l’occurrence le Secrétaire général, le pouvoir de choisir, par une décision s’imposant à elles, les moyens de règlement de leur différend. Pour ce faire, elle interprétera la première phrase du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, selon laquelle « [les parties] s’en remettront, pour ce choix … au Secrétaire général ». Dans l’affirmative, elle déterminera ensuite si les Parties ont consenti au choix, par le Secrétaire général, du règlement judiciaire. A cette fin, elle interprétera la dernière phrase de cette disposition, selon laquelle le Secrétaire général « choisira un autre des moyens stipulés à l’Article 33 de la Charte des Nations Unies, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le différend ait été résolu ou jusqu’à ce que tous

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les moyens de règlement pacifique envisagés dans la Charte aient été épui- sés ».

1. La question de savoir si la décision du Secrétaire général revêt un caractère contraignant

68. Le Guyana estime que la décision du Secrétaire général ne peut être assimilée à une simple recommandation. Il explique que l’obligation qui en découle ressort clairement de l’emploi du terme « shall » dans le texte anglais du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève (« shall refer the decision »). Il ajoute que l’utilisation du terme « decision » en anglais indique que le pouvoir conféré au Secrétaire général de choisir le moyen de règlement était destiné à produire un effet juridique contraignant.

69. Dans son mémorandum, le Venezuela explique que la décision du Secrétaire général ne peut être considérée que comme une recommanda- tion. Il se fonde sur le préambule de l’accord de Genève pour soutenir que l’interprétation suggérée par le Guyana n’est pas conforme à l’objet et au but de cet instrument puisqu’il « ne s’agit pas seulement de régler le diffé- rend, mais de le faire par des moyens pratiques, acceptables et satisfai- sants retenus d’un commun accord par les Parties ». Le Venezuela fait également valoir que le fait de choisir le moyen de règlement que les Par- ties devront utiliser ne suffit pas en soi à « matérialiser le recours à tel ou tel moyen de règlement ».

* *

70. Pour interpréter l’accord de Genève, la Cour appliquera les règles en matière d’interprétation des traités énoncées aux articles 31 et 32 de la convention de Vienne sur le droit des traités (ci-après la « convention de Vienne ») (Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 237, par. 47). Bien que cette convention ne soit pas en vigueur entre les Parties et que, en tout état de cause, elle ne soit pas applicable aux instruments conclus avant son entrée en vigueur, tels que l’accord de Genève, il est constant que ces articles reflètent des règles de droit international coutumier (Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 116, par. 33).

71. Conformément à la règle d’interprétation consacrée au para- graphe 1 de l’article 31 de la convention de Vienne, un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer à ses termes dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. Ces éléments d’interprétation doivent être considérés comme un tout (Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2017, p. 29, par. 64).

72. La première phrase du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève énonce que les Parties « shall refer the decision … to the Secretary-

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General » (en français : « s’en remettront, pour ce choix … au Secré- taire général »). La Cour a déjà observé dans son arrêt sur les exceptions préliminaires en l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France) que l’emploi du terme « shall » dans les dispositions d’une convention devrait être interprété comme imposant une obligation aux Etats parties à cette convention (C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 321, par. 92). Il en va de même s’agissant du paragraphe précité de l’accord de Genève. Le verbe « refer » (en français : « s’en remettre ») qui est employé dans cette disposition marque l’idée de confier une question à une tierce personne. Quant au mot « decision », il n’est pas synonyme de

« recommandation » et implique le caractère contraignant de l’acte pris par le Secrétaire général quant au choix du moyen de règlement. Considé- rés ensemble, ces termes indiquent que les Parties ont pris l’engagement juridique de respecter la décision de la tierce partie à laquelle elles ont conféré ce pouvoir, en l’espèce le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.

73. Comme la Cour l’a observé dans plusieurs affaires, le but d’un traité peut ressortir de son titre et de son préambule (voir par exemple Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colom- bie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 118, par. 39 ; Certains emprunts norvégiens (France c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1957, p. 24). En l’espèce, le titre de l’accord est ainsi libellé : « Agreement to Resolve the Controversy … over the Frontier between Venezuela and British Guiana » (en français : « Accord tendant à régler le différend … rela- tif à la frontière entre le Venezuela et la Guyane britannique ») et son pré- ambule indique qu’il a été conclu « to resolve » (en français : « pour résoudre ») ce différend. L’accord mentionne également, en son article I, la recherche de « solutions satisfaisantes pour le règlement pratique du diffé- rend ». Cela indique que l’objet et le but de l’accord de Genève consistent à garantir le règlement définitif du différend entre les Parties.

74. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que les Parties ont conféré au Secrétaire général le pouvoir de choisir, par une décision s’imposant à elles, les moyens à utiliser pour le règlement de leur diffé- rend.

75. Cette conclusion est également étayée par la position du Venezuela dans l’exposé des motifs de son projet de loi du 22 juin 1970 ratifiant le protocole de Port of Spain. Il y est indiqué que

« il existait une possibilité qu[’]une question d’une importance aussi vitale … que la détermination des moyens de règlement du différend échappe aux deux Parties directement intéressées et que la décision revienne à une institution internationale choisie par elles ou, à défaut, au Secrétaire général des Nations Unies ».

76. En l’espèce, il n’est, en principe, pas nécessaire pour la Cour de recourir aux moyens complémentaires d’interprétation mentionnés à l’ar- ticle 32 de la convention de Vienne. Cependant, comme dans d’autres

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affaires, elle peut recourir à ces moyens complémentaires, tels que les cir- constances dans lesquelles l’accord de Genève a été conclu, pour y recher- cher une confirmation éventuelle de l’interprétation qu’elle a tirée du texte de l’accord de Genève (voir par exemple Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, p. 30, par. 66 ; Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), compé- tence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 21, par. 40 ; Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 27, par. 55).

77. A cet égard, la Cour observe que, dans la déclaration qu’il a faite le 17 mars 1966 devant le Congrès national à l’occasion de la ratification de l’accord de Genève, le ministre vénézuélien des affaires étrangères, M. Ignacio Iribarren Borges, en décrivant les discussions qui avaient eu lieu durant la conférence de Genève, a affirmé que « [l]e seul rôle conféré au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies consist[ait] à indiquer aux parties les moyens de règlement pacifique des différends pré- vus à l’article 33 ». Il a également précisé que, après avoir rejeté la propo- sition britannique consistant à conférer ce rôle à l’Assemblée générale des Nations Unies, « [l]e Venezuela a[vait] ensuite suggéré de confier ce rôle au Secrétaire général ».

78. La Cour considère que les circonstances dans lesquelles l’accord de Genève a été conclu appuient la conclusion selon laquelle les Parties ont conféré au Secrétaire général le pouvoir de choisir le moyen de règlement de leur différend par une décision s’imposant à elles.

2. La question de savoir si les Parties ont consenti au choix, par le Secrétaire général, du règlement judiciaire

79. La Cour en vient maintenant à l’interprétation de la dernière phrase du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, selon laquelle le Secrétaire général

« choisira un autre des moyens stipulés à l’Article 33 de la Charte des Nations Unies, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le différend ait été résolu ou jusqu’à ce que tous les moyens de règlement pacifique envi- sagés dans la Charte aient été épuisés ».

* *

80. Selon le Guyana, « [l]e renvoi sans réserve à l’article 33 donne pou- voir au Secrétaire général de décider que les parties auront recours au règlement judiciaire ». Il ajoute qu’une interprétation du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève comme excluant la possibilité d’un règlement judiciaire priverait le traité de son efficacité et enfermerait les Parties « dans un processus sans fin de négociation diplomatique, où la résolution effective pourrait être sempiternellement bloquée par l’une ou l’autre d’entre elles ». Le demandeur soutient également que les circons-

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