SORCIÈRES ACTE UNIQUE
SCENE III PERSONNAGES
L’OFFICIER DE POLICE
LE PÈRE FAUCHON, PAYSAN
LA MÈRE FAUCHON, PAYSANNE
L’OFFICIER DE POLICE. – Monsieur Fauchon, Albert, de Lullier ? PÈRE FAUCHON. – Oui.
L’OFFICIER DE POLICE. – Je suis mandaté par notre très honoré Châtelain pour recevoir votre déposition concernant la mort de votre vache Bleuette, sise en votre étable.
MÈRE FAUCHON. – Hélas oui ! monsieur, nous l’avons perdue. Asseyez-vous.
L’OFFICIER DE POLICE. – Décrivez-moi l’affaire.
PÈRE FAUCHON. – Qu’est-ce que vous dites ?
L’OFFICIER DE POLICE. – Racontez-moi comment ça s’est passé.
PÈRE FAUCHON. – Quand l’Isidore les a ramenées du champ, hier soir, la Bleuette elle a bu à l’abreuvoir tant qu’elle voulait plus laisser la place aux autres…
L’OFFICIER DE POLICE. – Au retour du pâturage, la susnommée Bleuette s’est anormalement désaltérée…
MÈRE FAUCHON. – On aurait dit qu’elle avait l’feu à l’intérieur et qu’elle voulait l’éteindre…
L’OFFICIER DE POLICE. – Sa température interne s’est subitement élevée…
PÈRE FAUCHON. – Quand j’lai rentrée à l’étable elle s’est mise à beugler et son ventre à grossir, grossir…
L’OFFICIER DE POLICE. – De retour à son logis, alors qu’elle meuglait, une hypertrophie abdominale s’est déclarée…
PÈRE FAUCHON. – Toute la soirée ça a été comme ça.
L’OFFICIER DE POLICE. – La situation n’a pas évolué.
MÈRE FAUCHON. – Et son ventre y devenait de plus en plus gros, et plus y devenait gros plus y l’était chaud, et plus y l’était chaud plus elle beuglait, et plus elle beuglait plus y devenait gros…
L’OFFICIER DE POLICE. – Hum !... Passons…
Annexe 3 EVACOM FRANÇAIS 9e A-B-H du 13 mai 2008
PÈRE FAUCHON. – Elle est morte à la pointe du jour.
MÈRE FAUCHON. – On n’a rien pu faire !
L’OFFICIER DE POLICE. – Après des soins inutiles, au petit matin elle a passé… Bien ! PÈRE FAUCHON. – On a fait venir un chirurgien pour qu’y constate, il a dit qu’on pouvait pas la laisser morte comme ça si grosse, qu’y fallait la percer. Avec sa grande aiguille creuse il l’a plantée dans le ventre. La Bleuette elle a eu comme un dernier gros soupir de soulagement et tout de suite ça a senti le soufre comme j’ai jamais senti autant…
MÈRE FAUCHON. – C’était tout le mal qui lui sortait du ventre…
L’OFFICIER DE POLICE. – Le soufre ?... Ah, ah !... Le soufre !
PÈRE FAUCHON. – Le chirurgien il a dit que c’était pas du normal. C’est pour ça que j’suis allé voir le Châtelain.
L’OFFICIER DE POLICE. – Vous pensez que…
PÈRE FAUCHON. – De l’herbe, même du champ des Fourches, elle en a toujours mangé et elle a jamais été malade !
MÈRE FAUCHON. – Puis l’Isidore a dit que hier matin, pendant qu’il gardait les vaches, il a vu la Rolette s’arrêter devant la Bleuette et lui faire des signes trois fois les doigts droit dans les yeux, puis elle a donné de l’herbe à manger à la Bleuette.
L’OFFICIER DE POLICE. – Rolette ?
PÈRE FAUCHON. – Rolette Revilliod, c’est la veuve du tisserand.
MÈRE FAUCHON. – C’est elle, c’est sûr !
L’OFFICIER DE POLICE. – Des antécédents judiciaires connus ? PÈRE FAUCHON. – Vous dites ?
L’OFFICIER DE POLICE. – Elle a fait d’autres choses avant ? MÈRE FAUCHON. – C’est bien possible…
PÈRE FAUCHON. – C’est une veuve, une relaissée, c’est tout dire ! Faut s’en méfier de ces femmes-là.
MÈRE FAUCHON. – Puis elle est souvent en retard à l’église… On s’demande ce qu’elle fait à toujours traîner dans la campagne.
L’OFFICIER DE POLICE. – Bien… Bien ! Nous allons enquêter.
PÈRE FAUCHON (à part). – Délivrez-nous du mal…
Joël Pasquier – Sorcières La Comédie de Genève