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A-T C & Gérontologie : Comment laisser place à la poésie?

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Juliette Paul - classique B3 exposé du 06/07/2020

A-T C & Gérontologie : Comment laisser place à la poésie ?

« C’est en vain aujourd’hui que le songe me leurre.

Me voici face à face inexorablement Avec l’inévitable et terrible moment : Affrontant le miroir trop vrai, mon âme pleure.

Tous les remèdes vains exaspèrent mon mal, Car nul ne me rendra la jeunesse ravie…

J’ai trop porté le poids accablant de la vie Et sanglote aujourd’hui mon désespoir final.

Hier, que m’importaient la lutte et l’effort rude ! Mais aujourd’hui l’angoisse a fait taire ma voix.

Je sens mourir en moi mon âme d’autrefois, Et c’est la sombre horreur de la décrépitude ! » Vieillesse commençante Renée Vivien, Haillons

L’envie de proposer un exposé sur l’art-thérapie contemporaine en lien avec la gérontologie m’est venue suite à mes expériences de stages à l’hôpital au sein du service gériatrie et psychiatrie et en EPHAD dans un autre établissement en unité de vie protégée.

Ces expériences ont été très enrichissantes et m’ont conduit à m’interroger sur ce que peut apporter l’art-thérapie contemporaine à des personnes en fin de vie, où bien souvent ces personnes sont relégué à la mort psychique dans le discours des autres.

Pour développer cet exposé je vais commencer par évoquer quelques rencontres faites en stage. J’aborderai en suite la poésie « comme manière d’être au monde » pour reprendre l’expression de Georges Perros et

également sur ce que J.P. Siméon nomme « l’état de poésie » qui pour moi fait échos à « l’expérience poétique éphémère » (expression proposé par J.P.

Royol), qui est au cœur de la pratique de l’ATC .Pour en suite mettre en évidence l’importance et la place de la poésie en art-thérapie

contemporaine. Et enfin en m’appuyant sur mes expériences et recherches, je souhaite pour finir questionner ce peut apporter l’ATC et l’ouverture à la poésie à des personnes très âgées, qui se voient se faner, sans retour en arrière possible.

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Je vais tout d’abord vous parler de quelques rencontres et expériences de stage qui m’ont particulièrement marquées.

Mes premiers pas en tant que stagiaire en institution furent en hôpital psychiatrique et gériatrique auprès d’une art-thérapeute qui propose divers ateliers en petits groupes. Nous avons convenu que j’interviendrai avec elle sur 2 ateliers celui nommé « expression » en HDJ et l’autre « couleur » en USLD. Elle m’a demandé de lui faire des propositions de médiations, que nous avons par la suite réélaborer ensemble, pour rester dans le cadre de ces ateliers déjà existants.

Je précise qu’au départ ma tutrice avait de gros doutes sur la possibilité de proposer des activités autour de l’éphémère à des personnes souffrant d’

Alzheimer ou d’oublis massif à mesure.

Nous avons quand-même tenté l’expérience.

Pour l’atelier expression en HDJ j’ai proposé des médiations vitaminées où chacun avait à sa disposition un petit pochon contenant divers éléments. Et après présentation de « l’atelier expression » du jour je les ai invité à choisir un pochon et j’ai prononcé une petite phrase

impulsive. Chaque personne s’est saisie à sa manière singulière de la

proposition. Mme D diagnostiquée Alzheimer s’est amusé à se bricoler une histoire tout en la commentant.

Donc premier constat sa maladie ne l’empêche en rien d’être créative, preuve que les troubles de la mémoire ne sont pas un frein à l’imaginaire ni à la créativité psychique.

L’expérience fut plus difficile pour Mm R.

Mme R semblait elle assez déstabilisée, elle cherchait du regard ma

référente et le mien tout en disant « qu’attendez-vous de moi, je ne sais pas quoi faire, je n’ai plus d’imagination, qu’est-ce vous me conseillez, etc». Ces questions, que j’ai souvent entendues en stage me renvoient au Che Vuoi ? de Lacan. Ne souhaitant pas trop me disperser je ne vais pas développer ici ce concept, mais je vous conseille la lecture de la fable de Cazotte Le Diable Amoureux écrit en 1772, d’où Lacan à puiser ce terme, ainsi que l’essai de Dominique Laurent « l’Invention Orienté » qui m’ont beaucoup éclairé sur ce sujet. Fin de la parenthèse.

Donc Mm R semble un peu perdue, je lui ai donc proposé de choisir des éléments qui lui plaisent et de mettre de coté ceux qui ne l’intéressaient pas. Puis après un long moment elle s’est saisi des matières qu’elle avait

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choisi puis a sorti de son sac à main trois petits bonbons qu’elle a ajouté à son bricolage et nous a dit « voilà » avec un large sourire.

Ma maitre de stage suite à cette expérience, m’a dit que peut-être la

proposition était trop déstabilisante pour Mm R et risquait de la mettre en échec. Cependant j’ai pu observé que Mm R avait exactement la même attitude lorsqu’on lui propose de colorier un mandala. Elle demande à ce qu’on lui dise quelles couleurs utiliser et où les placer.

La semaine suivante nous avons réitéré l’expérience. Le support matière physique était à peu de chose près le même mais, ma tutrice à insister pour ajouter d’autres éléments. Comme à son habitude Mm R semble un peu perdu cherche à capter notre regard, je lui propose alors d’aller voir si d’autres éléments l’intéressaient parmi ceux amenés par ma tutrice. Et là panique à bord, devant la profusion des matières et objets elle fond en larme me dit que c’est impossible pour elle. Je la rassure lui

rappelle qu’il n’y a aucune obligation et la reconduit à sa chaise. Après un temps finalement elle attrape un bout de tissu et ressort de son sac trois bonbons qu’elle dispose dessus. Elle insistera par la suite pour que j’en prenne un.

La réaction de Mm R, comme je le pressentais, a mis pour moi en exergue l’importance de la sobriété d’un dispositif. Elle semblait perdu noyée, il y a avait trop, trop d’informations pour s’accrocher à quelque chose. La grande quantité d’objets finalement comble ce manque d’où pourrait surgir la créativité.

Pour l’atelier couleurs en USLD j’ai proposé une médiation autour de la peinture éphémère avec une invitation à rêver un paysage mouvant. Le matériel : Gouache, pinceaux et comme support des feuilles plastifiées qui ne permettent pas à la peinture de s’accrocher. En fin de séance les

personnes était invitée à effacer ce qui a été fait avec la possibilité de faire une photo pour ceux qui le souhaitait. Nous avons proposé cette médiation sur deux séances.

Mme C souffre entre, autres maux , de graves troubles de la mémoire.

Elle était artiste peintre, mais d’après les dires de ma maitre de stage elle se refuse systématiquement à utiliser la peinture.

La première séance de peinture éphémère fût très difficile pour Mm C. Elle a peine touché sa feuille et s’est empressée d’effacer ses premier coups de pinceaux tout en nous disant qu’elle se sentait perdu dans les bois. En fin de séance, lors du tour de table habituel, elle nous a exprimé son mal aise en disant qu’elle avait très mal vécue ce moment.

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Semaine suivante, nous avons proposé la même médiation mais en changeant l’ouverture impulsive.

Pour cette seconde séance j’avais beaucoup d’appréhension

concernant Mm C, ne souhaitant pas la mettre en situation d’échec. Mais chaque séance est singulière ainsi que chaque Sujet y compris d’une séance à l’autre. Ce que Mm C m’a rappelé à son insu, puisque contrairement à mes craintes elle s’est saisie très vite du matériel et a peint une forêt avec une petite cabane. Elle n’a pas souhaité prendre en photo sa création et n’a eu aucune difficulté à l’effacer. Puis en fin de séance elle nous a dit qu’elle avait beaucoup apprécié ce temps où elle s’était construite un refuge en forêt, au calme et que c’était très apaisant.

Suite à ces expériences en atelier groupal je note que d’une part la maladie d’Alzheimer n’empêche en rien la créativité psychique, Mm D n’a jamais eu de difficulté à se saisir des propositions. Que d’une séance à l’autre chaque sujet est dans une disposition psychique différente et que par conséquent on ne peut pas prévoir ce qu’il se passera la prochaine fois.

De plus en groupe les liens transférentiels avec l’art-thérapeute mais aussi entre patients sont palpables. Et j’ajouterai qu’il était assez inconfortable pour moi mais je pense aussi pour les patients que nous soyons deux à conduire ces ateliers, car être deux à parler peut en ajouter en confusion.

Je souhaite maintenant évoquer mon dernier stage en EHPAD en unité de vie protégée (avec personne dites démentes et comportant diverses pathologies physiques et psychiques).

Dans cet établissement il n’y pas d’art-thérapeute et j’étais encadré par l’animatrice de la structure ainsi que par la psychologue mais qui est arrivé après moi dans l’établissement.

Lors de ce stage j’ai eu l’opportunité de rencontrer les personnes en individuel, qui m’étaient amené par ma tutrice. Les séances se déroulaient dans une salle à part que j’ai un peu réaménagée pour la rendre plus neutre.

A chaque rencontre ma tutrice était présente mais de manière très discrète, ce qui a favorisé pour moi la rencontre entre moi stagiaire et les résidents et permit de bien mettre au travail ma future fonction d’art-thérapeute.

Je vous propose maintenant de parler de 2 rencontres faites lors de ce stage.

Tout d’abord ma rencontre avec M. M.

Ma tutrice me le présente dans la salle où j’étais installé donc hors partie commune. A mon tour je me présente explique ma présence ici et l’invite à un temps de créativité. M.M m’écoute, le visage plutôt fermé, il ne me parle pas et ne bouge pas non plus et je suis un peu mal à l’aise car je me

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demande alors si il m’a comprit. Donc je décide de lui proposer de découvrir les éléments contenus dans la trousse poétique que j’avais ramené. Toujours sans dire mot, il fouille la pochette et bricole assez rapidement quelque chose puis se recule et croise les bras. Après avoir laissé passé un peu temps j’ai donc coupé la séance en lui proposant de revenir la semaine suivante. M.M m’a fait un grand sourire et m’a parlé pour la première fois, il m’a remercié pour ce moment m’a serré la main et a accepté de revenir.

Après cette première rencontre avec M.M ma tutrice m’informe que juste avant de me l’amener il était très énervé et venait d’agresser un résidant. Je note là l’importance de ne pas trop en savoir sur le Sujet car peut-être que si j’avais eu cette information avant je ne l’aurai pas accueilli de la même manière.

La semaine suivante je vais le chercher moi-même dans l’espace de vie et je le trouve seul debout dans un coin de la pièce. Je l’invite donc à m’accompagner pour un moment de créativité. Il me sourit et sans dire mot, prend ma main et nous marchons tous les 2 vers une nouvelle expérience de médiation vitaminée. Si il a la réputation d’être agressif dans

l’établissement il ne l’a jamais été en ma présence et bien qu’il s’exprime peu de manière verbale, ses sourires sa main tendue me font signe qu’il y a une bonne accroche entre nous. Je constate aussi que chez M. M l’imaginaire semble bien fonctionner, il est créatif ne me pose jamais de questions. Ce n’est bien sur qu’une goutte d’eau dans la semaine, et ce n’est pas un suivi art-thérapeutique puisque je suis stagiaire et donc de passage, mais lors de ces petits moments en médiation vitaminée M.M apparaît apaisé et détendu.

Autre rencontre qui m’a mis au travail Mm K :

Mme K est très bavarde et me parle presque uniquement en espagnol, langue que je ne comprends pas couramment.

Je me suis retrouvé très vite en difficulté avec cette elle. A notre première rencontre j’ai eu beaucoup de peine à me présenter. Elle me coupait sans cesse la parole sans apparemment tenir compte de mes propos. Et dans une langue, une « lalangue » pourrait-je dire bien singulière, son discours étant très décousu et mêlant français et espagnol. Je me suis sentie alors un peu bête voire démunie ne sachant pas comment faire pour que l’on puisse un peu s’entendre. Mm K a toute fois accepté de revenir passé des temps de créativité avec moi.

Donc nous nous sommes rencontrées à plusieurs reprises et les séances suivantes ce sont déroulées un peu comme la première. Elle ne saisissait pas du tout du dispositif, et nous étions dans échange un peu étrange où je tâtonnais beaucoup pour essayer d’entendre ce qu’elle me disait et tenter une accroche. J’étais aussi, je l’avoue, assez frustrée qu’elle

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se désintéresse de mes propositions de médiations. Et j’ai du faire un gros effort sur moi-même pour me rappeler que le dispositif ne fait pas tout, que je n’ai pas à avoir d’attente de résultat et qu’il faut bien resituer en premier lieu la relation entre moi stagiaire et le Sujet.

Au fur et à mesure de nos rencontres même si la barrière de la langue était toujours là s’est instauré des jeux de regards et des échanges de

sourire, et une certaine tendresse de sa part à mon égard, par exemple elle me prenait souvent la main pour la caresser. Je lui présentais chaque fois le même matériel étalé de manière bien visible sur table mais je changeais de phrase impulsive, que j’avais d’ailleurs bien du mal à glisser pendant nos rencontres. Puis au bout de quelques semaines Mm K a commencé à s’intéresser aux matières, physique tout du moins, parce que pour ce qui des matières sonores je n’en sais rien. Elle jouait avec, les manipulait tout en me parlant comme à son habitude dans son langage bien singulier.

Toutes ces expériences m’ont mise au travail chaque fois de manière singulière et m’ont permises de constater, entre autre, que le dit dément, le diagnostiqué Alzheimer reste en vie psychiquement et que la créativité psychique ne cesse d’agir. André Quaderi dans l’essai

La psychanalyse au risque de la démence. Le pari pascalien dans la clinique du dément · nous dit que « devant le néant qu’inspire la présence du dément, je parie sur la persistance d’une vie psychique, en dépit des atteintes neurologiques majeures. Ce postulat se présente comme un élément

fondamental de ce qui peut faire jouer une interlocution entre le dément et le clinicien. » fin de citation

Le sujet mourant est confronté au terrible et douloureux travail du deuil de soi, de celui que l’on a été, deuil de tous ceux que l’on aime et que l’on va perdre, deuil de tous les liens qui nous rattachent au monde, et, in fine, de la vie.

L’ATC pourrait alors en ré-injectant un peu de souffle, un peu d’air apporter pour certains, un éventuel apaisement psychique face à cette cruelle

fatalité. Et l’un des meilleurs moyens que le Parlêtre a à sa disposition pour s’approcher de ce réel persécuteur, sans jamais pouvoir l’atteindre est la poésie.

Ce qui m’amène à la suite de mon exposé où je vais parler de la nécessité de la poésie pour citer (JP Siméon) comme manière d’être

intensément au monde et conclure cette partie en ouvrant sur la nécessité de la poésie en art-thérapie pour l’art-thérapeute et pour le Sujet qu’il accueille.

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Georges Perros nous dit que « le plus beau poème du monde ne sera jamais qu’un pâle reflet de ce qu’est la poésie : une manière d’être, d’habiter, de s’habiter ».

Je souhaite orienter cette partie en partant de cette phrase de Georges Perros et de la notion « d’état de poésie » avancé par J.P. Siméon, qui dit je cite « le poète avant même d’écrire son poème se doit d’être en état de poésie, dans une relation intense à la réalité ».

« L’état de poésie » m’intéresse tout particulièrement car cela me fait échos à l’art-thérapie où nous invitons le Sujet à « une expérience poétique éphémère » où il s’agit de lui ouvrir un espace de rêverie poétique, un espace où peut-être le sujet pourra s’il s’en saisit, s’approcher de l’état de poésie dont parle Siméon. Espace de rêverie poétique, où la poétique de la rêverie pour reprendre le titre du livre de Gaston Bachelard est invitée à se manifester.

Commençons par définition de la poésie emprunter au Larousse : DEF tiré du Larousse :

Def poésie :

Art d'évoquer et de suggérer les sensations, les impressions, les émotions les plus vives par l'union intense des sons, des rythmes, des harmonies, en particulier par les vers.

Genre de poème : Poésie lyrique, épique, héroïque. Poésie dramatique. Poésie pastorale.

Art des vers particulier à un poète, à une nation, à une époque : La poésie de Hugo.

La poésie française. La poésie du XVIe siècle.

Ouvrage en vers, de peu d'étendue ; poème : Les poésies de Musset. Recueil de poésies.

Littéraire. Caractère de ce qui parle particulièrement à l'imagination, à la sensibilité : La poésie d'un pastel.

« la poésie d’un pastel » et oui car la poésie ne se loge pas uniquement dans les poèmes mais également dans tout art, peinture, sculpture, danse, musique cinéma etc…

La langue est manquante, ses lois, ses règles ne nous permettent pas de témoigner de l’immensité de la réalité dans toute son ampleur que chacun perçoit et ressent de manière singulière. La poésie devient un

élément, nécessaire au parlêtre (pour rappel : c’est un néologisme de Lacan qui défini le Sujet comme une être de pulsion et de langage), elle est

nécessaire au parlêtre pour pallier un peu à ce qui nous manque dans le langage pour tenter de s’approcher du réel. Toujours vainement, puisque par définition le réel qui est ce que l’on ne peut jamais exprimer on ne peut que tourner autour.

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j.P. Siméon avance que et je le cite « la poésie estun aliment de la conscience.

Qui se digère lentement et qui nourrit la conscience de façon indispensable.

Sans poésie la conscience s’asphyxie. »

L’état de poésie pour Siméon est donc une manière d’être particulièrement intensément présent au monde et

je cite « La poésie un des moyens privilégié, un des plus efficace pour saisir la réalité, de la comprendre au sens de la saisir et de l’étreindre dans son

expansion infinie dans sa complexité maximale.

L’Etat de poésie c’est l’intuition du poète que la réalité n’est pas réductible aux représentations dont il a le partage communément. » fin de citation

D’ailleurs il ya plus de deux siècles Novalis disait déjà « plus il y a de poésie plus il y a de réalité ».

Le réel reste pour toujours indéfinissable, il n’y a pas de mot pour en

parler, donc la première nécessité de la poésie y compris celle qui ne s’écrit pas mais se peint ou se danse par exempleest de tenter d’en témoigner.

Et le réel est inépuisable, ses sollicitations sont infinies et toujours singulières.

Siméon nous dit que « le poète est préoccupé par la réalité plus que tout car il veut la saisir dans son épaisseur,

Et la poésie : permet d’entrer au plus profond dans l’épaisseur du réel. » Aragon à écrit : « la poésie est ce qui n’exige pas d’être compris mais exige la révolte de l’oreille » :

Pour donner prise au réel le poète doit aller à l’encontre des lois du langage commun qui fixe la langue par nécessité de communication mais qui immobilise les représentations du monde.

En rompant le rythme habituel du langage, en jouant de la syntaxe en amenant de l’incongrue, de la surprise dans la langue cela force l’écoute.

Cela « exige la révolte de l’oreille » comme le dit Aragon. La poésie est alors dérangeante dans le sens où elle sort le langage du rang. Propose des

chemins singuliers, une certaine libération de la langue, pour Siméon toujours je le cite « La poésie c’est le partage d’une langue libre qui permet d’éprouver cette liberté, le vivant du réel. Elle nous sauve individuellement et collectivement, les Poèmes sont des expériences. »

Dans Psychanalyse et poétique Pierre David nous dit je cite

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« L'étude de la poésie (…) nous prouve que l'essentiel de sa fonction ne réside pas dans la communication d'un message ayant un sens notionnel précis. Si un plaisir affectif et des effets de sens peuvent jaillir du non-sens c'est que la poésie permet une reconquête par et sur le langage de ce que ce dernier fait perdre à l'homme par son acquisition. En effet, le passage aux signifiants de la langue occulte des traces mnésiques de ce stade pré-linguistique. La poésie nous permet de reproduire et de ressentir des émotions anciennes qui ont un retentissement sur notre équilibre narcissique. Elle le fait en utilisant les signes de la langue mais en transgressant les règles de leur usage courant. » Lacan dit également que«ce qui est central dans le retour à la poésie est que

«l’effort de sens»produit, se soutient à partir du non-sens»

Ce qui me fait penser à l’ATC où nous jouons du hors sens, du pas de coté pour ouvrir autant que possible à un espace de rêverie poétique et éphémère pour reprendre JP Royol.

Tout Sujet est divisé, barré et JP Royol avance dans le Souffle du Neutre que cette barrebien que subie et conduisant à la plainte est non seulement incurable mais aussi le sujet de l’art-thérapeute. JP Royol nous propose d’envisager cette barre plutôt comme je cite « un couloir au travers duquel peut passer le souffle du neutre comme source de créativité. » Mais ce fameux couloir peut s’obstruer par un trop plein d’objectif ou de subjectif ce qui fait souffrance et le travail de l’art-thérapeute serait de tenter d’élargir un peu ce canal pour laisser passer un peu d’air, pour que je cite JP Royol

« ce souffle du neutre comme source de créativité puisse circuler plus librement ».

Bachelard en avait l'intuition lorsqu'il écrivait que « la poésie est une joie du souffle, l'évident bonheur de respirer ».

Ce qui m’amène donc à la nécessité de la poésie en ATC, avec toujours comme fil conducteur cette idée d’état de poésie dont parle Siméon. Comme un façon d’être présent au monde intensément à l’instant T, à l’instant du Kairos donc hors du Chronos, comme le temps de la séquence art-

thérapeutique qui invite le Sujet à dans un espace-temps à l’ombre de la réalité sociale.

Béatrice Geneau, dans «Art-thérapie et médiations artistiques» dit je cite :

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«Le suivi art-thérapeutique à l’image d’une épopée pour reprendre Lacan, invite à un effort de poésie une plage de poésie et insuffle ainsi une dimension autre aux préoccupations quotidiennes asphyxiantes». – fin de citation

L’art-thérapeute invite le Sujet qu’il accueille à vivre « une expérience poétique éphémère » pour reprendre J.P. Royol.

Cette expression définie bien la proposition faite en séquence art- thérapeutique. En effet l’art-thérapeute contemporain invite le Sujet à s’exprimer de manière autre verbale, même si la parole n’en n’est pas

exclue. Et il s’adresse au Sujet dans sa globalité ce qui comprends le sujet de l’Ics. Et vise, si le Sujet s’en saisit « un apaisement de la crudité du réel » F.

Royol.

En invitant à un moment de rêverie dans laquelle l’art-thérapeute ne s'immisce pas, bien que présent dans sa fonction mais absent en tant que sujet, s’il sait se mettre en vacances psychique, il ouvre au Sujet ce possible d’accéder à « un état de poésie ». Où par le biais d’expériences poétiques éphémères, le Sujet retrouvera un peu de souffle, un peu d’écart avec les difficultés vécues dans sa réalité social. Il pourra alors peut-être renouer, avec sa part d’ombre, avec son propre rapport au réel et peut-être encore, savoir mieux y faire avec lui-même, avec son symptôme et donc avec sa singularité.

En s’adressant au sujet de l’inconscient, et pour y ré-insuffler un peu de semblant du jeu, la poésie est donc un des outils nécessaire à l’art-

thérapeute.

J.P. Royol parle aussi d’une expérience éphémère en lien avec la castration puisqu’en art-thérapie chaque séance est unique et manquante: limité par les matériaux, le cadre, les mots et la présence de l’art-thérapeute, ce qui ne permet pas un « tout possible ». Mais propose une expérimentation à jouer avec les matières physiques et sonores fruits de la créativité de l’art-

thérapeute mais pensé pour stimuler les capacités créatrices de celui qu’il accueille.

Chaque séquence est donc une nouvelle expérience qui rate et qui ne sera pas figée par la production d’un objet, ni par « l’inter-prétention » de l’art- thérapeute.

Expériences donc éphémères qui invite au mouvement, L’éphémère est le symbole même de la vie. Toute chose est éphémère, la vie est mouvement, jamais ne s’arrête ni ne se fige. Jusqu’à l’ultime castration qu’est la mort pour citer Lacan.

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Et une expérience poétique éphémère dans un contexte art-

thérapeutique implique nécessairement la présence d’un art-thérapeute.

Sa présence dans sa fonction est indispensable pour que puisse se créer une accroche (qui ne va pas de soi) avec le Sujet et tisser des liens transférentiels (négatifs ou positifs), du coté du sujet.

Quant au professionnel il doit veiller à travailler ses résistances et ses contre-transferts pour ne pas nuire au Sujet, avec un superviseur puisqu’un tel travail ne peut se faire sans tiers.

Cette accroche transférentielle est indispensable car même si le

dispositif se glisse dans la relation entre l’art-thérapeute et le Sujet, elle est garante d’un processus thérapeutique.

Et donc l’ATC en gérontologie comment laisser place à la poésie ?

Lacan nous dit ceci: « La mort est du domaine de la foi (...) Ca vous soutient. Si vous n’y croyez pas est ce que vous pourriez supporter la vie que vous avez ? Si on n’était pas solidement appuyé sur cette certitude que ca finira, est ce que vous pourriez supporter cette histoire ? Néanmoins ce n’est qu’un acte de foi.

Le comble du comble c’est que vous n’en êtes pas sur. » fin de citation.

La crise du sujet vieillissant résulte donc d’un conflit interne entre le déclin biologique et social qui s’annonce, l’aspiration naturelle à la

croissance et le fantasme inconscient en l’éternité.

D’ou la restriction des interactions entre le sujet dit dément et son

environnement, probablement pour épargner ses éprouvés. On rencontre en hôpital gériatrique des malades qui déclinent toute forme de

participation à une activité. Qui se satisfont de rester assis ou couché toute la journée. Qui ne s’autorisent aucun plaisir, comme si la moindre dépense d’énergie accélérerait la marche vers la tombe.

Freud nous dit que :

«Les processus du système inconscient sont intemporels, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas ordonnés dans le temps, ne sont pas modifiés par l’écoulement du temps, n’ont absolument aucune relation avec le temps.

La relation au temps est liée au système conscient».

JP ROYOL dans Art-thérapie et gérontologie - L'ombilic de l'oubli. Nous dit que

« L’histoire du sujet âgé celle qui nous intéresse (en ATC) et qui le tient en vie n’est pas déjà écrite si ce n’est l’histoire dont il se souvient et qui pour nous n’a pas d’importance. »

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En art-thérapie contemporaine nous accueillons le Sujet y compris le sujet de l’inconscient et nous savons donc que l’inconscient ignore le temps et les pathologies, donc tant qu’un Sujet est en vie il est en vie

psychiquement et l’inconscient ne cesse de s’agir.

Il convient alors par de petites impulsions poétiques de jouer du semblant, de convoquer le réel et le hors-sens, pour laisser la place au sujet y compris âgée ou dit dément de peut-être partir en rêverie pour lui ouvrir ce possible de renouer avec lui-même en tant que sujet désirant. L’art- thérapeute sera peut-être ce au moins un qui ne relègue pas le sujet

vieillissant à la mort psychique, ce au moins un qui ne l’enfermera pas dans un diagnostique et dans ce que les autres peuvent dire de lui.

Et Je cite encore JP ROYOL dans Art-thérapie et gérontologie - L'ombilic de l'oubli qui nous dit

« Tout l’art de l’art-thérapeute consiste à ne pas déranger ces virtualités créatrices mais à se tenir prêt à accueillir les trésors qu’elles tiennent à l’abri dans les plis d’une gestation secrète. » fin de citation

Même en fin de vie pour reprendre l’expression de Miller « Il faut préférer l’aventure à la survie ».

Et je conclurai en citant Bachelard dans la poétique de la rêverie (1960-1968) qui nous dit je cite :

« La rêverie nous donne le monde d'une âme, qu'une image poétique porte témoignage d'une âme qui découvre son monde, le monde où elle voudrait vivre, où elle est digne de vivre

Du côté du rêveur, constituant le rêveur, on doit donc reconnaître une puissance de poétisation qu'on peut bien désigner comme une poétique psychologique ; une poétique de la Psyché où toutes les forces psychiques trouvent une harmonie. »

Et Il dit plus loin :

« Quelle autre liberté psychologique avons-nous que la liberté de rêver ? Psychologiquement parlant, c'est dans la rêverie que nous sommes des êtres libres.

« L'être de la rêverie traverse sans vieillir tous les âges de [87] l'homme, de l'enfance à la vieillesse. » G. Bachelard

Juliette Paul

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Bibliographie :

- « La Poésie Sauvera le Monde » J.P. Siméon - « La nécessité de la Poésie » (vidéo) J.P. Siméon

- « Ruptures-passages : approches psychanalytiques du vieillissement » Anastasia Blanché

- « L’invention orientée » de Dominique Laurent - « Le Diable Amoureux » de Cazotte 1772

- « Le Souffle du Neutre » Jean Pierre Royol - « Psychanalyse et poétique » Pierre David

- « Art-thérapie et gérontologie - L'ombilic de l'oubli. » JP ROYOL - « La psychanalyse au risque de la démence. Le pari pascalien dans la clinique du dément » André Quaderi

- « La Poétique de la Rêverie » Gaston Bachelard (1960-1968)

-« Poésie et psychanalyse : « Ouvrez-moi cette porte… » Odile Bombarde -« Un effort de poésie » Jacques-Alain Miller - Extraits de l’Orientation lacanienne III, 5, choisis et établis par Catherine Bonningue

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