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L'artiste-curateur. Entre création, diffusion, dispositif et lieux

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Academic year: 2021

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Submitted on 10 Jul 2018

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L’artiste-curateur. Entre création, diffusion, dispositif et

lieux

Frederic Vincent

To cite this version:

Frederic Vincent. L’artiste-curateur. Entre création, diffusion, dispositif et lieux. Art et histoire de l’art. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2016. Français. �NNT : 2016PA01H313�. �tel-01834578�

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Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

U.F.R. d’Arts plastiques et des Sciences de l’Art

THÈSE

Pour obtenir le grade de Docteur de l’Université PARIS 1

En Arts et Sciences de l’Art, option Arts Plastiques

Frédéric Vincent

L’artiste-curateur

Entre création, diffusion, dispositif et lieux.

Sous la direction de

Monsieur le Professeur Yann Toma

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Soutenue publiquement : Le 2 décembre 2016

Membres du jury :

Monsieur Jacinto Lageira

(Professeur, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

Madame Valérie Da Costa

(Maître de conférence, HDR, Université de Strasbourg)

Madame Françoise Vincent-Feria

(Professeur, Université de Strasbourg)

Monsieur Jérôme Glicenstein

(Professeur, Université Paris 8)

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Frédéric Vincent

L’artiste-curateur

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REMERCIEMENTS

Je remercie très sincèrement M. Yann Toma pour sa

confiance et ses précieux conseils.

Je remercie vivement les professeurs Mme

Valérie Da Costa, Mme Françoise Vincent-Feria,

M. Jérôme Glicenstein et M. Jacinto Lageira

d’avoir accepté de

siéger au jury de thèse.

Je remercie chaleureusement toutes les personnes qui m’ont apporté leur aide dans l’élaboration de cette thèse : Julie Dudragne, André Barthélemy-Blanc, Élodie Lombarde, Justine Garault, Caroline Perrée, Pierre Coinde, Stéphane Lecomte, Romain Cattenoz, Éric Darmon, Antoine Lefebvre, Isabelle de Maison Rouge, Aurélie Herbert, Farah Khelil, Davide Napoli, Renaud Layrac

et surtout Cannelle et Emma pour leur soutien indéfectible.

Je souhaite également remercier, les artistes, conservateurs et curateurs qui m’ont soutenu dans mon entreprise : Richard Hamilton, AA. Bronson, Estelle Nabeyrat, Jean Dupuy, Jean-Hubert Martin, Edward Ruscha, Jean Le Gac, Jean-Marc Bustamante, Michel Tabanou, Brigitte Le Maine, Laurent Mazuy, Sébastien Pons, Christophe Cuzin, Janie Lauga, Ute Lindner, Patrick Huber, Séverine Marguin, Valérie Quilez, Jean Back, Gerd Zillner et Gary Haines.

(5)

SOMMAIRE

INTRODUCTION………..5

PARTIE 1 ... 21

TYPOLOGIE DE L’ARTISTE-CURATEUR ... 21

I. L’artiste au Musée ... 21

II. Portraits d’expositions par des curateurs-amateurs ... 61

III- Musées d’artiste ... 96

IV. Curateur au Musée ... 111

PARTIE 2 ... 116

DE LA DOUBLE ACTIVITÉ ... 116

I. Pratique artistique ... 116

II- Pratique curatoriale ... 140

III. Les lieux alternatifs ou Artist-Run Space ... 186

IV. Les artist-run spaces en pratique ... 234

V. Artist-run Space et l’institution ... 243

VI. De l’indépendance ... 250

PARTIE 3 ... 270

LES ARTISTES-CURATEURS ... 270

1. Prolégomènes aux artistes-curateurs ... 270

II. La genèse, les précurseurs ... 273

III. Les artistes monteurs d’expositions ... 285

IV- Les scénographes artistes ... 322

IV- Les scénographes architectes ... 355

VI. Les artistes-curateurs – époque contemporaine ... 361

PARTIE 4 ... 384

DEVENIR DES ARTISTES-CURATEURS ... 384

I. Les Commissaires d’exposition ... 384

II- La formation des curateurs ... 388

III. De l’œuvre d’art à l’exposition ... 408

IV. Artiste-curateur versus Curateur-artiste ... 414

V. De la bonne intelligence entre artiste et curateur ... 450

VI. Particularités des artistes-curateurs ... 459

VII. De la revendication à la rémunération ... 474

VIII. Perspectives ... 482

IX. Perspective artistique et curatorial ... 497

CONCLUSION ... 510

TABLE DES MATIERES ... 515

TABLE DES ILLUSTRATIONS ... 521

GLOSSAIRE ... 535

INDEX DES NOMS ... 537

INDEX DES NOTIONS ... 564

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« J’insiste, car le cas se répète trop souvent, et quand il s’agit d’une manifestation de cette envergure, c’est un désastre. J’ai parlé du placement. Le placement est un art, et très grand, qu’il faut laisser aux artistes, à UN artiste, et qu’il est fait d’intuition fulgurante de l’harmonie, beaucoup plus que de la science, voir de conscience. Un art de chef d’orchestre si vous voulez […] un art de peintre simplement1».

Elie Faure

« Dans un premier temps, ce qui est important pour moi c’est que les objets maintiennent leur présence physique, qu’ils possèdent leur propre pouvoir en relation avec le regardeur2».

Mike Kelley

`

1Élie Faure, Ombres Solides (essais d’esthétique concrète), Paris, Société Française d’éditions littéraire et

techniques, 1934, p. 72-73.

2 Mike Kelley, « Playing with the Dead Things », in Mike Kelley, The Uncanny, Arnhem, Gemeentemuseum,

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INTRODUCTION

1. Au tour de l’artiste-curateur

Depuis quelques années, la question de l’organisation d’expositions par des artistes traverse les mondes de l’art contemporain, de la recherche artistique, de l’histoire de l’exposition. Une avalanche d’expositions organisées par des artistes s’offre aux regards, également témoins d’expositions organisées et/ou signées par des cinéastes, des philosophes, des écrivains, des footballeurs, des économistes, des comédiens ou encore des chanteurs. Ces différentes propositions ont tendance à brouiller les pistes, entretenant une confusion sur le sujet de l’artiste-curateur. De même, des artistes sont invités à concevoir des expositions dans des institutions muséales, afin par exemple, d’en revisiter les collections. Mais depuis plus longtemps des artistes se sont engagés dans une entreprise politique et sociale : celle de la création, de la fondation de lieux, d’espaces d’exposition. Des artistes qui œuvrent pour d’autres artistes. Ces artistes sont ici présentés. Pleinement engagés dans la société et nullement décalés. Ils inventent, conçoivent, organisent pour les autres. Ces artistes sont en activité dans la société. À eux-seuls, ils mènent deux activités : une activité artistique, une activité de commissaire d’exposition. Cette double pratique d’artiste-curateur est l’objet d’une étude approfondie propre à révéler un phénomène très souvent marginalisé par l’institution.

Une posture contemporaine de l’artiste passerait aujourd’hui par un engagement à la fois dans une pratique artistique exigeante et, par ailleurs, une pratique curatoriale donnant à voir et à penser l’ergonomie de cette double activité. L’objectif de mettre en perspective la pratique des artistes-curateurs est central. Ayant passé plusieurs années à observer ces artistes et à pratiquer cet art singulier, étant moi-même artiste cofondateur de l’artist-run space Immanence, il paraît nécessaire qu’advienne, que se dessine une thèse universitaire portant directement sur la double activité des artistes-curateurs.

Les frontières entre artistes, commissaires d’exposition et critiques sont aujourd’hui devenues floues. La réflexion engagée tentera de définir, de cerner les artistes-curateurs et de démontrer l’importance de ces derniers, tant dans l’organisation d’expositions que dans la création d’expressions nouvelles. Organiser une exposition (l’action du curating3) est devenu une pratique courante, en vue et même considérée par certains à la mode. De nombreux commissaires d’exposition ont commencé l’organisation d’expositions de manière fortuite, le vivant comme une expérience, une trajectoire à suivre. Par extension on devient, à partir de cette prise de décision, à la fois l’artiste, le commissaire d’exposition, mais aussi l’auteur qui écrit sur les artistes qu’il expose et se confronte à des tâches administratives (organisation des transports, des assurances et du montage de l’exposition). Ma pratique artistique est faite de cette hybridation, être à la fois artiste et commissaire d’exposition. Cette

3 Pour un article sur le sujet dans la revue 02, l’on parlera plutôt de « Curatoring », dossier le curatoring, revue

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fonction est purement pragmatique. Ce terme d’artiste-curateur décrit le travail d’un artiste qui organise, pense et conçoit des projets d’exposition avec ou sans lui comme artiste. Il s’agit de gestes artistiques, d’impulsions données, de pratiques, de mise en place de projets.

Quel que soit le sujet, il est toujours difficile d’établir une typologie. Les artistes-curateurs, n’échappent pas à cette règle. Il est épineux de vouloir leur mettre des étiquettes ou bien de les catégoriser alors que ces pratiques seraient à considérer comme inclassables. C’est une longue enquête à travers l’Histoire des expositions, des pratiques curatoriales4 et artistiques mais aussi une enquête au

sein même de mon travail plastique et curatorial que je mène progressivement, élaborant et orientant mes réflexions sur l’artiste-curateur sans a priori. Ce travail de thèse est une traversée dans mes recherches à la fois plastiques et curatoriales, des recherches qui oscillent entre le fond et la forme. Cette double pratique nécessite le besoin de créer ses propres outils (de création, de diffusion, de monstration, de médiation), comme le rappelle Jacinto Lageira, « L’artiste forge en partie son outil, chaque fois qu’il réalise un ouvrage. Il invente, dans chaque circonstance, à la fois les termes, et la relation des éléments5 ». L’exposition comme outil que « l’artiste se forge » permet aussi l’invention,

non seulement de scénographie, de mise en espace mais aussi d’un nouveau mode d’expression et de « relation des éléments ». Car l’exposition est, comme le souligne le commissaire d’exposition Éric Troncy, « un moment en plus dans la vie de l’œuvre6 ».

2. Qu’est qu’un curateur ?

Avant de nous plonger dans une Histoire et une géographie à caractère rhizomatique, nous pouvons aborder la question de ce qui définit un curateur avant d’aborder le sujet même de l’artiste-curateur. Depuis peu les termes de commissaire d’exposition, de curateur et même de curator sont visibles et employés dans différents écosystèmes de l’art.On constate que les curateurs y ont fait leur apparition tout en renforçant leur pouvoir de légitimation. Il existe désormais des formations qui dispensent d'un enseignement de qualité pour de futurs curateurs. Qu’est ce qu’un curateur ? Comment apparaît-il dans l’Histoire de l’art récente ?

Sous l’empire romain, le titre de curateur était donné aux officiers en charge de différents départements de travaux publics (sanitaire, transports, police). Les curateurs annonae étaient en charge de l’approvisionnement publique de l’huile et du blé, les curateurs regionum étaient responsables du maintien de l’ordre dans les quatorze régions de Rome et les curateurs aquarum prenaient soin des aqueducs.

4 Beatrice Von Bismarck et Jörn Schafaff, Cultures of the Curatorial, Berlin, Sternberg Press, 2010, p. 21 ;

Gavin Wade, Curating in the 21st Century, Walsall, The New Art Gallery/University of Wolverhampton, 2000, p. 19.

5 Jacinto Lageira, L’Esthétique traversée, Bruxelles, La Lettre volée, 2007, p. 171.

6 Eric Troncy cité par Valérie da Costa, « Notes sur l’exposition », dossier Les formats de l’exposition,

(9)

Au Moyen-Âge, le rôle du curateur est confié aux ecclésiastiques, le clergé lui donnera sa dimension spirituelle. Un fractionnement s’est opéré entre le travail du maintien public (la loi) et la guérison des âmes (la foi). Les curateurs ont finalement toujours été un curieux mélange composé de bureaucrates et de prêtres7. Le terme de curateur dans le monde de l’art contemporain est apparu récemment à la fin des années 1990. Curateur vient du latin curare, c’est-à-dire prendre soin, tous les ouvrages sur le commissariat d’exposition reprennent d’ailleurs cette origine étymologique. Curateur est aussi un terme juridique qui signifie « personne chargée de veiller aux intérêts d’une ou plusieurs personnes8 ». La notion de « prendre soin » est devenue l’acception la plus fréquemment utilisée, il ne faut pourtant pas confondre le « cure » de curating avec le « care9 ».

Avant que n’apparaisse le terme de commissaire d’expositions, les organisateurs d’expositions étaient le plus souvent des conservateurs de musées et/ou des fondateurs d’institutions10. La récente

apparition du terme curateur ou curator en langue anglaise, ainsi que son emploi très usité ont donné naissance à une pratique nouvelle : le curating. Le caractère international du champ de l’art contemporain fait que l’on se confronte souvent à des anglicismes, le terme curating permet de parler avec commodité de commissariat d’exposition, ce dernier jugé trop long dans son emploi courant. Pourtant il y a une vingtaine d’années, ce terme était complétement absent des ouvrages et catalogues d’expositions et n’était pas employé par les acteurs du monde de l’art. Mais pourquoi préférer le terme de curateur à celui déjà existant de commissaire d’exposition ? Il semblerait que le mot curateur « connoterait l’idée d’assistance11 » (prendre soin) tandis « que le mot de « commissaire » renverrait plutôt à une question de rapports de pouvoir, avec l’idée d’une délégation de responsabilité12 ».

Le terme de commissaire possède une connotation policière que ces détracteurs ne cessent de mettre en avant. Concernant le mot curateur, l’idée d’artistes mis sous curatelle est alors mise en défaut. La question n’est pas de savoir lequel de ces termes serait le plus adapté, mais de comprendre la fonction désignée par le terme proposé d’artiste-curateur13. La notion de « prendre soin » (cure) est souvent reprise dans les textes sur le commissariat d’exposition, devenant un argument à lui seul, voire même parfois une excuse.

7 Voir Jacques Galien, Les curateurs des cités dans l’Occident Romain, de Trajan à Galien, Paris, Nouvelles

Editions Latines, 1983.

8 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Quadrige, 1987, 2002,

p.249.

9 Nous ne sommes pas ici dans une éthique de la sollicitude, renvoyant à l’éthique du Care. Voir pour cela les

ouvrages suivants : Fabienne Brugère, L’éthique du care, Paris, Presses universitaires de France, coll. « que sais-je ? », 2011. Elsa Dorlin « dark care : de la servitude à la sollicitude », in Sandra Laugier et Patricia Paperman, Le souci des autres : éthique et politique du care, Paris, EHESS, coll. « Raisons pratiques », 2006. Marie Garrau, Alice Le Goff, Care, justice, dépendance. Introduction aux théories du care, Paris, PUF, coll. Philosophies, 2010. Et revue Multitudes, no 37-38, « Politique du care », automne 2009.

10 Evelyn Bee et Riet de Leeuw, L’Exposition Imaginaire: The Art of exhibiting in the eighties, Gravenhage,

Rijksdienst Beeldende Kunst, 1989. Claire Bishop, Radical Museology : Or What’s Contemporary in Museums of Contemporary Art ?, Cologne, Walther König, 2014.

11 Jérôme Glicenstein, L’invention du curateur. Mutations dans l’art contemporain, Paris, Presses Universitaires

de France, 2015, p. 18.

12 Ibid. 13 Ibid., p. 19.

(10)

L’étymologie du terme curateur, peut aussi être sujette à des interprétations les plus variées et parfois les plus farfelues, comme celle énoncée par Carolyn Christov-Bakargiev, curatrice de la Documenta 13 (2012) et directrice de la biennale d’Istanbul (2015). Lors d’un entretien avec l’artiste Terry Smith, Carolyn Christov-Bakargiev estime que le commissariat d’exposition a plus à voir avec la passion amoureuse, et fait remarquer que les mots « caring (soins) et curating sont composés avec les mêmes lettres, sauf si vous enlevez le u, le r et le t pour former le premier mot avec le second14 ».

Deux des lettres ôtées à curating, le u et le t forment ut « qui renversées forment tu. Mais en latin, ut exprime « pour » « for », ou « afin de », « in order to », comme dans ut, eum amaret, (qu’il ou qu’elle aimait). Curating afin de prendre soin (curating in order to care)15 ». Carolyn

Christov-Bakargiev affirme que la « passion est en lien avec les souffrances du Christ sur la croix. Qui vient de

passio en latin, signifiant souffrir ou endurer16 ». On parle de la Passion du Christ comme souffrance

sur la croix, mais peut-on penser que les curateurs endurent de telles souffrances par passion ? L’acception courante de l’étymologie du terme curating suffit sans s’engager dans de telles interprétations. Ces termes et ces dérivés (curating, curateur, curator) se trouvent dans tous les ouvrages, revues, magazines et communiqués de presse. Ce terme de curateur est facilement employé, ce qui explique sa récurrence dans ce travail de thèse.

Enfin, le curateur peut être considéré comme un trait d’union entre les artistes et l’institution ou le lieu qui les reçoit. Ce trait d’union est un outil sémantique que j’utilise dans le terme d’artiste-curateur, préféré à celui d’« Artist as curator », d’artiste comme d’artiste-curateur, ce dernier aujourd’hui souvent usité pour désigner la double pratique, artistique et curatoriale d’un artiste. Les artistes-curateurs ne sont ni un phénomène de mode, ni des artistes-curateurs amateurs, pratiquant le commissariat d’expositions de manière décontextualisée de leur praxis et de leurs recherches.

3. Du trait d’union

Ceci est « de la grammaire, littéralement. On constitue une phrase à partir de mots et les mots, pour reprendre une métaphore facile, sont bien entendu les œuvres d’art17 », Nicolas Bourriaud parle ici du terme de commissariat d’exposition, concernant celui de artistes-curateurs il est aussi littéralement question de grammaire. Le trait d’union est une petite ligne horizontale empruntée à l’hébreu qui sert à « indiquer une division ou la liaison des mots18 ». Adopté en langue française vers

1540, il possède différentes fonctions : la première est lexicale, servant de liaison entre les mots

14 Carolyn Christov-Bakargiev, « On not Having an Idea : dOCUMENTA 13 », entretien avec Terry Smith, in

Terry Smith, Talking Contemporary Curating, Ici Perspectives in Curating N°2, New York, Independent Curators International, 2015, p. 44-45.

15 Ibid. 16 Ibid.

17 Nicolas Bourriaud, « communiquer une pensée » in C-E-A (dir.), Réalités du commissariat d’exposition, Paris,

Beaux-Arts de Paris éditions, 2015, p. 65.

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(même si l’orthographe est souvent arbitraire)19, la seconde est une fonction typographique, qui,

m’interpelle particulièrement. Pour le linguiste Jacques Damourette ce signe typographique est « aussi présent lorsqu’un mot dont la première partie est coupée à l’extrémité d’une ligne ne fait qu’un avec la suite reportée au commencement de la ligne suivante20 ». Le trait d’union a ici une fonction de césure, de coupure et possède aussi un rôle graphique, servant de blanc. Il est « véritablement l’équivalent alphabétique du zéro. Il est dépourvu de référent phonique. Par là, il introduit dans le système alphabétique un second niveau d’abstraction qui ne renvoie plus à la parole21 », le trait d’union est

muet.

Dans le cas du terme d’artiste-curateur, le trait d’union sert à « marquer […] un lien étroit entre deux termes22 ». Le terme d’artiste commissaire aurait pu être utilisé, mais l’idée d’un lien étroit entre ces deux mots, entre ces deux activités est préférée. Cette union (Vereinigung) renvoie au rapprochement de deux entités différentes. Il est du « caractère ou état de deux ou de plusieurs êtres différents qui ne font qu’un seul tout, sous quelque rapport23 ». Le trait d’union permet de penser la relation de ces deux activités (artiste et curateur) comme harmonieuse, ce qui renvoie à la définition que fit Gottfried Wilhelm Leibniz du terme union : « Au delà des phénomènes, objet des sens, et de la physique, au delà des Monades et des « notions intelligibles », objet du calcul et de la pensée discursive, où règnent l’Harmonie préétablie et la métaphysique de l’Entendement24 ». Dans une parenté avec le monde comme l’exprime Montebello25, ce trait d’union est ce qui relie les hétéroclites,

les composites, les hétérogènes, les faisant « appartenir à un même plan de nature n’ayant rien de naturel, sans perdre leurs différences26 ».

Dans un premier temps, afin de me distinguer du terme d’artiste commissaire, l’idée s’esquissa d’employer un néologisme, celui de « Cur-Acteur », soit l’artiste-curateur comme acteur du curating. M’inspirant du terme « Artmakers » inventé par le regretté Alain Jouffroy, ce dernier considérait « que c’était dans le mot d’artiste que résidait le malentendu27 ». Il estimait ne pas correspondre aux différentes activités des artistes de nos jours, faisant référence à Roland Barthes qui : « a voulu distinguer les véritables écrivains de la masse de tous ceux qui bavardent et croient s’exprimer en écrivant, qu’il a appelé les « écrivants28 ». Mais Alain Jouffroy n’a pas nommé les artistes. Les

19 Voir, les réflexions et hésitations de Jean-Pierre Lacroux, Orthotypographie, Orthographe & Typographie

françaises, Dictionnaire raisonné (Lexique des règles typographiques françaises), Quintette, 2008.

20 Jacques Damourette et Édouard Pichon, Des Mots à la pensée. Essai de grammaire de la langue française (7

vol.), Éditons d’Artrey, 1939, p. 127.

21 Roger Laufer, Introduction à la Textologie, Paris, Larousse Université, 1972, p 45. 22 http://grammaire.reverso.net/5_3_01_trait_dunion.shtml, (consulté le 23/02/2012).

23 André Lalande, Vocabulaire Technique et Critique de la Philosophie, Paris, Presses Universitaires de France,

Quadrige, vol. 2, 1993 (1926), p. 1161.

24 Maurice Blondel « Union », in André Lalande, Vocabulaire Technique et Critique de la Philosophie, loc. cit.,

p. 1161-1162.

25 Pierre Montebello, L’autre Métaphysique, Desclée de Brouwer, 2002.

26 Pierre Montebello, « Métaphysique et geste spéculatif », in Didier Debaise et Isabelle Stengers (dir.), Gestes

spéculatifs, Dijon, Les Presses du Réel, 2015, p. 96.

27 Alain Jouffroy, Objecteurs/Artmakers, Paris, éditions joca seria, 2000, p. 83. 28 Ibid., p. 88.

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Artmakers « ne se contentent pas de s’exprimer », un artmaker cherche « à dégager le sens inhérent

aux matériaux qu’il utilise et à construire un sens supérieur, transcendant par rapport aux matériaux29 ». Dans le terme pensé de « Cur-Acteur », le « cur » renvoie explicitement au prendre soin

(cure), le terme « acteur » impliquant que le vocable entier pourrait désigner les acteurs du curating. Ce terme ne convient cependant pas, prêtant trop à confusion, vu la difficulté à définir les artistes, les curateurs, les commissaires, à faire saisir la différence entre une galerie, un centre d’art, un musée et un artist-run space. Un terme supplémentaire et une définition de plus ne sont pas nécessaires.

4. Le découpage

Chaque chapitre fonctionne comme propositions, s’articulant entre elles pour former un ensemble, un corpus d’idées, de concepts et d’œuvres. Chacun dégage « la différence de nature entre les deux lignes d’objets et de sujets : entre la perception et le souvenir, la matière et la mémoire, le présent et le passé30 ». Il s’agit de faire matière – une matière à construire une réflexion sur l’œuvre ou

plutôt, sur une série de pièces dont je suis l’auteur, mais aussi de construire une réflexion sur un parcours artistique, un parcours de vie. Le sujet de cette thèse pose une affirmation s’articulant sur deux rails, parallèles l’un à l’autre. Ce texte, cette introspection dans mon travail, prend l’allure d’une voie de chemin de fer à la sortie d’une grande gare observée d’un pont. L’observateur y voit une enfilade de rails se croisant par un système d’aiguillages. Les questions posées, les propositions avancées, les idées développées sont semblables à ces rails, elles s’entrecroisent et mènent vers de nouvelles destinations.

La méthode employée est celle de l’enquête, à travers les œuvres et les expositions, à travers l’Histoire des œuvres et des expositions, à travers la littérature qui accompagne ces œuvres et ces expositions. Une enquête, historique, philosophique, sociologique, épistémologique, et esthétique. L’artiste chercheur porte un regard distancié avec ses propres réalisations artistiques, me concernant, cette mise à distance est dédoublée, par la prégnance de ma double activité d’artiste et de curateur. Il est évident que les artistes ont souvent plus de recul sur le travail de leurs confrères que sur le leur, comme le disait l’artiste Sol LeWitt : « Un artiste peut mieux percevoir l’art des autres qu’il ne perçoit le sien31 ». Il en est ainsi dans les textes que j’écris sur le travail d’autres artistes dans différents

ouvrages, comme ce texte la Survenue32 sur les œuvres du jeune Mathieu Zurcher qui met en

perspective le travail de cet artiste en lien avec celui de Marcel Broodthaers, Jean-Luc Moulène, Urs Fischer, Rachel Harrison et l’analyse derrididienne sur l’anticipation dans l’art. Il fut éclairant pour ce jeune artiste qui n’avait pas vu et eu la distance nécessaire pour arriver à de telles conclusions. Je

29 Ibid. Ces artmakers sont Basserode, Alain Bublex, Claude Closky, Frédéric Coupet, Michel Guet et Monique

Le Houelleur.

30 Gilles Deleuze, Le bergsonisme, Paris, Presses Universitaires de France, (1966), 1994, p. 71.

31 « Sentences on Conceptual Art », 0 to 9, n°5, janvier 1969, p. 4. In Gauthier Herrmann, Fabrice Reymond et

Fabien Vallos (dir.), Art conceptuel, Une entologie, Paris, éditions Mix, 2008, p. 441.

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pense aussi aux critiques et revues comme celle de l’exposition sur le Black Mountain College dont j’ai fait le compte rendu pour la revue universitaire Marges33. Cette « dimension autoréflexive s’exprime et se déploie, entraînant une pensée ouverte et aux aguets34 », propos de mon directeur de

recherche qui sous des accents deleuziens exprime au mieux cette mise à distance nécessaire à tout artiste chercheur. Cette enquête introspective dans mes recherches artistiques et les expositions organisées nécessite une méthode afin de cerner la double activité de l’artiste-curateur. Celles-ci ne sont pas seulement le fruit et le résultat de ces trois dernières années, mais la concrétisation de seize années d’une expérience acquise au sein de la structure artistique Immanence à Paris, cofondée en 1998 avec l’artiste Cannelle Tanc. Toutes ces recherches s’articulent ensemble et forment une association durable, une symbiose.

5. Typologie des artistes-curateurs

Étienne Souriau écrit : « Il est bon que certaines choses n’existent pas, pour que nous ayons à les faire ; pour qu’elles aient besoin de nous, afin d’exister35 ». Il en est peut-être ainsi des artistes-curateurs. Ces derniers ont pris leur avenir en main et ont inventé leurs propres dispositifs scéniques, leurs propres lieux de monstration, rendant aujourd’hui nécessaire dans le paysage culturel, ces lieux et ces pratiques. Afin de rendre limpides ces propos une typologie des artistes-curateurs s’est élaborée dans une longue hésitation, ces artistes-curateurs échappant à toute typologie, étant insaisissables, enfin le pensais-je. Examinons donc les hypothèses esthétique et historique.

La première catégorie de cette typologie d’artistes-curateurs est celle qui regroupe les artistes invités à intervenir dans un musée. Souvent reconnus, certains d’entre eux sont conviés pour leur capacité à organiser une exposition tandis que d’autres le sont pour leur renommée. Quelques uns s’avèrent pertinents dans leur propos et bousculent les conventions curatoriales. Le choix a été le maître mot de cette structure mémorielle qu’est ce texte, parmi toutes les propositions curatoriales connues ou trouvées lors de mes recherches. Au sein de toutes les invitations faites à des artistes dans le cadre institutionnel émergeant et que je parcours, l’accent sera mis sur l’expérience d’Edward Ruscha, en 2012. Diverses autres invitations similaires seront évoquées (Ugo Rondinone, John Armleder, Richard Wentworth, Scott Burton, Andy Warhol, John Cage, Marc Camille Chaimowicz et Patrick Tosani). Une hypothèse sera mise en opposition aux artistes-curateurs convoqués au musée, celle des artistes, intellectuels et écrivains appelés à être commissaires, le temps d’une exposition. Des commissaires d’un jour souvent connus du public.

33 Frédéric Vincent, Black Moutain. Ein interdisziplinäres Experiment 1933-1957, Paris, revue Marges n°22,

2016, p172-173.

34 Yann Toma, « La Recherche en arts plastiques à l’université », in Jehanne Dautrey (dir.), La Recherche en

art(s), Paris, MF éditions, Ministère de la Culture, 2010, p. 70.

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La seconde catégorie de cette typologie est celle des artistes-curateurs amateurs. Contrairement aux artistes de la première catégorie, ceux-ci se font commissaires occasionnels. Certains vont se distinguer et être des auteurs d’expositions qui entreront dans l’histoire, bousculant les règles admises dans le domaine curatorial. Hormis les intellectuels, se trouveront parmi ces artistes-curateurs amateurs des cinéastes, écrivains, acteurs, footballeur, couturiers, philosophes, économistes, chanteurs tels : Jean-Luc Godard, Jean-François Lyotard, Claire Denis, Lilian Thuram, Pharrell Williams, Karl Lagerfeld, Jean-Marie Le Clézio, Philippe Djian, Jean-Philippe Toussaint, Bernard-Henri Levy, Georges Didi-Huberman. La majorité d’entre eux sont invités pour leur renommée, dans l’espoir de retombées médiatiques et économiques évidentes. Ces commissaires venus d’ailleurs envahissent les colonnes des journaux, et de par leur médiatisation, font de l’ombre aux artistes-curateurs œuvrant depuis de nombreuses années. La proposition originale peu étudiée, de l’écrivain James Graham Ballard sera abordée.

L’hypothèse émise que certains artistes-curateurs peuvent être des artistes inventeurs ou créateurs d’un musée, pour eux mêmes ou pour les autres, définit la troisième catégorie de cette typologie. Inventeurs et créateurs d’un musée personnel, imaginaire et même sentimental. Trois propositions très différentes et innovantes seront étudiées, celles de Bogomir Ecker et Thomas Huber, de Jean Le Gac et de Marcel Broodthaers. Celles-ci permettent de penser la notion de « critique institutionnelle » chère à l’artiste Andrea Fraser. Ces diverses propositions curatoriales seront mises en perspective avec une intervention, un exemple symptôme, une invitation à laquelle j’ai répondu en 2004 dans une institution parisienne, le musée de la Poste.

La seconde partie de ce travail de thèse est centrée sur la double activité, abordant dans un premier temps ma pratique artistique faite de transversalité entre le dessin, la peinture et la sculpture. Des œuvres où l’exposition comme sujet est présente, permettant d’élaborer des croisements avec des artistes comme Eric Fischl ou François Boisrond, des croisements avec la notion de représentation du monde de l’art. Un intérêt tout particulier se porte sur le livre, peignant et représentant des bibliothèques ou alignements de livres dans mes compositions. Les relations qu’entretiennent la littérature et la peinture avec le livre se dégagent. Le livre, la bibliothèque et l’archive sont des dispositifs de connaissance et de savoir. Je m’appuie sur ma propre expérience, celle de la création d’un centre de documentation et de recherche nommé Archive Station au sein même de l’espace d’art Immanence. Ce centre de recherche est une bibliothèque spécialisée disposant d’un fond documentaire et patrimonial en arts plastiques, photographie, son, vidéo et nouveaux médias. Un tel centre de recherche devient le sujet d’une pratique sémantique à travers l’archivage, la recherche et la fouille. Non seulement, mon travail artistique prend sa source dans les documents soigneusement fouillés et sélectionnés mais je suis aussi à l’origine de la création d’un dispositif d’archivage de documents alimentant mes recherches artistiques et curatoriales.

L’intérêt de développer une recherche autour de l’artiste-curateur a débuté bien avant la présente thèse, apparue au moment où pratique artistique et pratique curatoriale se sont entremêlées,

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lors de la prise en considération de l’exposition dans et pour mes propres œuvres. L’exposition dans son ensemble, avec son caractère discursif. Ma pratique artistique mêle et se mêle aux expositions, à leurs histoires (petites ou grandes), mais aborde aussi la notion du curating. Ce travail orienté vers l’exposition qui est dirigé par ma pratique de curateur, de fondateur d’un lieu d’exposition. La permission de penser l’artiste-curateur dans sa mixité pratique et théorique est alors légitime. Ma pratique curatoriale s’aborde à travers l’histoire du lieu que j’ai cofondé en 1998 et l’espace d’art Immanence à Paris. Cette étude, s’oriente discursivement vers l’hypothèse de la pensée deleuzienne du plan d’immanence. Dans ce cas, la pertinence et la mise en avant de la position de l’artiste-curateur comme ontologie de l’art36 sont défendues, nécessitant une approche d’entités abstraites, de

« l’individuation » (Jean Duns Scot et Gilbert Simondon), en passant par « l’heccéité » (Jean Duns Scot, Gilles Deleuze et Félix Guattari). Je m’oriente vers une approche conceptuelle plus récente, « l’Ontologie-Orientée-vers l’Objet » de Graham Harman ainsi que « le réalisme spéculatif » de Quentin Meillassoux et Manuel de Landa.

Dans un second temps ma pratique curatoriale est abordée, dont ses origines : la toute première exposition dans un appartement, et, la première année d’organisation d’expositions au sein de l’espace d’art Immanence. Dans le cadre de cette thèse, en tant qu’artiste chercheur, opérant une double introspection dans mon travail artistique et curatorial, l’hypothèse d’une possibilité se dessine : exposer la recherche. Dans sa leçon inaugurale, le jeune Martin Heidegger écrit : « depuis quelques années s’est éveillé en philosophie une certaine poussée métaphysique (Metaphysischer Drang). S’en tenir à une pure théorie de la connaissance ne peut plus désormais satisfaire 37». Une symbiose entre

connaissance et expérience s’accomplit donc dans ce travail. Il est important de faire part de mes expériences d’artiste et de commissaire dans lesquelles s’entrelacent les recherches pour inventer formes et expositions. Je prends comme exemple des expositions que j’ai organisé, passant de mes recherches pour des cours sur les relations entre la musique et les arts plastiques à l’école du Louvre aux œuvres réalisées à l’époque. Cette double activité pose la question de la multiplication des activités des artistes. Pour étayer ces propos, trois artistes symptomatiques en ce point sont mis en avant : Felix Vallotton, John Coplans et Jean-Marc Bustamante.

Le troisième temps de cette seconde partie se penchera sur ces lieux gérés par les artistes, nommés, depuis peu, des artist-run spaces (une fois de plus, l’anglais prime sur la langue française par souci de simplification). Cette terminologie adoptée se trouve désormais dans toutes les publications mais aussi dans l’emploi courant qu’en font les artistes, les commissaires d’expositions ou les critiques d’art. La gestion de lieux d’exposition par les artistes est le paradigme ontologique de

36 Concernant l’ontologie de l’art, se reporter à l’ouvrage de Roger Pouivet, L’ontologie de l’œuvre d’art, Paris,

Vrin, 2010. Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre concernant le sujet de l’ontologie, l’auteur n’accorde que peu de pertinence à la phénoménologie. Les interprétations philosophiques des œuvres d’art de la part des penseurs postmodernes ne sont d’ailleurs elles non plus pas considérées comme pertinentes.

37 Martin Heidegger, « Der Zeitbegriff in der Geschichtswissenschaft », in Zeitschrift für Philosophie und

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curateur. Pour penser la portée de l’artiste-curateur, deux catégories sont à prendre en considération : les artistes gérant des lieux, créateurs d’artist-run spaces et les artistes monteurs d’expositions.

Ainsi la troisième partie de cette thèse est consacrée à l’essence même de l’artiste-curateur : l’artiste créateur d’un lieu, au travers de ses histoires et de ses géographies. Ayant, depuis le début de ma double pratique, de forts liens avec l’Allemagne et notamment avec Berlin, j’ai créé deux résidences d’artistes et de curateurs français dans cette ville, la première de 2005 à 2006 et la seconde de 2007 à 2009. Les espaces alternatifs de ces deux villes, c’est-à-dire Paris et Berlin, seront donc naturellement approchés. Certains de ces lieux alternatifs qui ne résistent pas à une récupération institutionnelle à travers l’organisation d’expositions à caractère événementiel, comme Life/Live, ZAC

99 et No Soul for Sale. En contraste avec ces formes institutionnelles de récupérations, des initiatives

alternatives ont vues le jour telles Project(or) et Art swap Europe, deux événements vécus de l’intérieur y participant en tant que représentant de l’espace d’art Immanence, mais aussi en tant qu’acteur de diffusion des artist-run spaces. Ces derniers se disent alternatifs, mais cette alternance est-elle toujours opérative ? Est-elle réelle ? Comment les artistes officiant dans ces lieux organisent leur temps de travail ? Comment ces endroits sont-ils financés ? La manière dont ils passent d’une certaine indépendance à une dépendance certaine sera approchée. Une contradiction pas seulement apparente, mais aujourd’hui constitutive de ces lieux. Ceux-ci n’échappent pas non plus à la bureaucratisation. Une des questions qui se posent aux artist-run spaces, à ces espaces dits non-profit, est celle d’une nouvelle organisation, du statut naissant de l’artist-run gallery.

L’introduction donnant une approche globale est relayée par chacune des quatre parties composées de chapitres et sous-chapitres, destinés à expliquer les aspects divers et particuliers de cette thèse et conçus tels quels dans l’objectif de la justifier.

La troisième partie est une approche plus historique. Elle prend en considération un grand nombre de positions d’artistes-curateurs, commençant par une réflexion sur le statut même de l’artiste, qui amène à penser la genèse supposée des artistes-curateurs par l’intermédiaire de Jacques-Louis David, Gustave Courbet et Edouard Manet. De ces précurseurs suit une catégorie nommée les artistes monteurs d’expositions à l’instar des artistes dada et de l’apparition d’un nouveau lieu, le Cabaret Voltaire, ou des surréalistes et du choix d’expositions exemplaires montées notamment par Marcel Duchamp et André Breton. Toutefois deux artistes attirent particulièrement l’attention : Richard Hamilton avec lequel j’entretiens des liens artistiques et amicaux et Mike Kelley, curateur ou co-curateur exemplaire de treize expositions et festivals entre 1986 et 200938. Une nouvelle catégorie

38 Les projets curatoriaux de Mike Kelley sont : « A Fantastic World Superimposed on Reality: A Select History

of Experimental Music », Gramercy Theater, New York, New York. Co-curaté avec Mark Beasley, 2009. « James Hayward », CUE Art Foundation, New York, 2005. « Street Credibility », Scottsdale Museum of Contemporary Art, Scottsdale, Arizona, 2005. « Mike Kelley’s Film Festival: über Das Unheimliche », Film Casino, Vienne, Austriche. En parallèle de l’exposition « The Uncanny », 2004. « Street Credibility », Museum of Contemporary Art, Los Angeles, 2004. « Mike Kelley Curates », Detroit Artists Market, Detroit, 2004. « Unisex Love Nest », Palais Attems, Graz, 1999. « The Revolution Will Not Be Televised », Track 16 Gallery, Los Angeles, 1999. « Visitors’ Gallery », Museum of Contemporary Art, Los Angeles, Co-curaté avec Paul

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nommée les scénographes-artistes apparaîtra, tels El Lissitsky, Herbert Bayer, Edward Steichen ou Daniel Buren. Friedrick Kiesler sera l’objet d’une réflexion par la consultation des archives Frederick Kiesler à Vienne en 2012. L’expérience personnelle de ma participation en 2009, en compagnie de Cannelle Tanc, à la triennale au Grand Palais appelée alors « La force de l’art » (la scénographie réalisée par l’architecte suisse Philippe Rahm) sera partagée. Pour finir l’intérêt se portera sur les approches diverses de Dominique Gonzalez- Foerster, Maurizio Cattelan, Urs Fischer, et Damien Hirst. La plus pertinente reste cependant celle de Mathieu Mercier avec quelques unes de ces expériences curatoriales. Celles de Joseph Kosuth, plus proche d’un véritable artiste-chercheur que d’un artiste-curateur, seront également mises en avant.

La quatrième et dernière partie est scandée en huit temps. Le premier consacré aux commissaires d’exposition et à une série de dessins réalisés sur ce sujet entre 2014 et 2015. Le second aborde la formation des commissaires d’expositions, et le résultat de ces apprentis curateurs39 reçu par

deux fois à Immanence. Les curateurs célébrés par l’immense exposition « Nouvelles vagues » au Palais de Tokyo seront également cités, ainsi que les expériences de curateurs extérieurs au sein de l’espace d’art Immanence invités depuis 2003, comme ces deux jeunes étudiants de l’université Paris 1, Antoine Lefebvre et Stéphane Lecomte, pour une exposition autour de Robert Filliou. Un arrêt se fera sur l’invitation faite à Yann Toma et à Renaud Layrac sur la façon que ces deux artistes-curateurs ont de répondre à la question de l’exposition des entreprises artistes. Au fil des années, un intérêt grandit pour l’histoire des expositions, de la part des conservateurs de musées, historiens de l’art, des chercheurs et des doctorants. Passer par divers récits de l’histoire de l’exposition est donc logique. Les documents (catalogues, essais, revues) sont autant de sites de savoir, auxquels j’arrache des images, des histoires, ces fouilles me permettant de constituer un nouveau lieu de ressemblance, celui de la création même.

Dans les dernières parties de la thèse, se pense le rôle du curateur. La question de l’opposition entre les artistes-curateurs et les curateurs-artistes y sera soulevée. Les curateurs sont-ils des artistes ? Pour y répondre, les notions d’auteur seront obligatoirement abordées au travers des positions avancées par Roland Barthes et de la signature avec Giorgio Agamben. Les artistes ont-ils aujourd’hui vraiment besoin des curateurs ?

Le risque sera pris de penser le réalisme spéculatif à l’épreuve de la contingence curatoriale. Les bonnes relations entretenues entre les commissaires et les artistes seront traitées à travers deux approches, celle de Edward Kienholz et Walter Hopps avec la Ferus Gallery à Los Angeles et celle de Maria Lind et Liam Gillick.

Les particularités des artistes-curateurs seront esquissées, plus précisément la place du spectateur et l’attention apportée à l’espace, ainsi que l’espace d’exposition comme lieu fictionnel McCarthy, 1998. « The Uncanny », Gementeem Museum, Arnhem, Pays-bas, 1993. « Hear Me Roar », Los Angeles Contemporary Art Exhibitions (LACE), 1986. « Social Distortion », Los Angeles Contemporary Art Exhibitions (LACE), 1986.

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permettant la constitution de dispositifs. Un chapitre traitant du dispositif en théorie s’ensuivra, dans lequel seront convoqués tour à tour, les figures de Michel Foucault, Jean-François Lyotard, Giorgio Agamben et Martin Heidegger, permettant de mettre en perspective les différentes approches des dispositifs et les points communs existants. Une notion de dispositif que j’ai travaillé en organisant l’exposition Golden Factory en 2010.

Les artistes-curateurs sont à l’origine de revendications inhérentes au statut de l’artiste. Ce besoin d’échapper au conformisme et aux académies (quelles que soient les époques) se mêle à la place de l’artiste dans la société, gagnée grâce aux revendications de groupes comme Art Worker’s

Coalition Guerilla Art Action Group (1969). De nos jours, les artistes aspirent à plus de considération

de la part des institutions, posant dès lors la question de la rémunération lors d’une exposition. La position affirmée ici de l’artiste-curateur (comme créateur d’artist-run space et/ou de curateur assumé) est qu’il échappe à toute uniformisation. Pour cela, les concepts de tout-monde (Édouard Glissant) et d’attention (Matthew B Crawford) sont approchés comme notions polycitées des composantes de l’expression des artistes-curateurs et de leur mode de fonctionnement sémiotique.

Enfin, une pollinisation des lieux alternatifs à travers le monde s’opère à l’exemple de deux initiatives d’artistes exemplaires, celle de Yinka Shonibare et celle de Barthélémy Toguo. Les jalons et les perspectives de ma double pratique se posent dans les deux derniers temps. Ma pratique curatoriale avec le renouveau des artist-run spaces aujourd’hui salutaire ; les perspectives artistiques avec l’utilisation du photomural ; et la manière dont Michael Riedel, ouvrit en 2000 dans une maison sise au numéro 16, la Oskar-von-Miller à Frankfort, un artist-run space devenu historique. L’enjeu est de prendre en considération, une approche globale des artistes-curateurs afin d’en dégager toutes possibilités, toutes compétences et toutes expériences. Pour chacune de ces parties, chapitres et sous chapitres, je mets en lien une ou plusieurs œuvres que j’ai réalisée(s), ou une ou plusieurs expositions que j’ai conçue(s), afin d’opérer un agencement qui permet croissance et transformation au profit de mon discours.

La catégorie la plus remarquable est sûrement celle qui englobe la définition de l’artiste-curateur à plein temps : celle des artistes fondateurs, créateurs de lieux d’expositions, organisant des expositions dans un lieu qu’ils ont fondé, tenant et soutenant, d’autres artistes. Des artistes-curateurs sensibles à l’Histoire des expositions, à l’invention de dispositifs d’expositions, à l’innovation et à la scénographie, regroupant toutes ou presque toutes les catégories. Depuis quelques années, ceux-ci apparaissent sur la scène internationale : d’où viennent-ils ? Comment sont-ils apparus ? Quels sont leurs enjeux à venir ? Et qu’apportent-ils ? Les ouvrages qui leur sont consacrés sont choses rares, les quelques exceptions étant des études récentes. Ces premiers écrits sont des articles apparaissant dans des études éparses souvent consacrées à d’autres sujets (le commissariat d’exposition, les livres d’artistes). Il lui manque de fait une ou plusieurs publications spécifiques. Le commissariat d’exposition par les artistes fait l’objet de colloques et symposiums. Cet engouement s’explique par le nombre croissant d’invitations des institutions, musées, FRAC, foires, centres d’art ou galeries aux

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artistes pour concevoir une exposition, mais aussi par l’importance grandissante de l’histoire des expositions. Une Histoire prise sérieusement par les différents lieux d’expositions. Les musées internationaux inventoriant et archivant leurs expositions passées, redécouvrent certaines grandes expositions organisées ou initiées par des artistes. Une Histoire de ces approches est pensée en différents formats possibles40. De nombreuses études universitaires s’y ajoutent elles aussi en lumière

des expositions conçues par des artistes. Cependant, parmi tous ces articles, études, ouvrages, colloques, symposiums, aucun d’entre eux n’a jamais été écrit ou réalisé par un artiste. Qui plus est par un artiste qui revendique la double activité d’artiste et de curateur.

Le sujet est : les artistes-curateurs et leur capacité à endosser ou non cette double pratique. Il s’agit bel et bien des artistes-curateurs, et non des artistes commissaires, des commissaires artistes ou encore des artistes comme curateur (Artist as curator)41. La référence à la série d’inserts42 de la revue

Mousse, publié depuis début 2014, est ici explicite. Cette série de publications a pour origine un texte

d’Elena Filipovic intitulé « When Exhibitions Become Form : On the History of the Artist as

Curator. » qui servira de trame à l’écrivaine, historienne de l’art et curatrice43 pour un symposium au

titre éponyme, organisé par la revue Afterall.44 En dehors de l’allusion poussive à la célèbre exposition de 1969, la mise en accusation du travail fait par une historienne de l’art, aux recherches exemplaires, ne peut être faite. Ses intentions sont louables, écrire une Histoire de l’art transversale, contrecarrant les analyses de l’artiste démiurge, seul envers et contre tous. Il est question d’écrire une Histoire de l’art où les questions d’autonomie, d’auteur, d’œuvre d’art et d’exposition sont posées par des artistes. Le dérangeant d’une telle entreprise, n’est pas le fond et les sujets abordés, ces publications sont de

40 Valérie Da Costa, « Les formats de l’Exposition », Mouvement, n°54, janvier-mars 2010, p 88.

41 Isabelle Moffat, Richard Hamilton et Victor Pasmore, an exhibit, 1957, The artist as Curator, Mousse n°42,

Issue #1, février 2014. Sandra Skurvida, John Cage, Rolywholyover A Circus for Museum by John Cage, 1993. Mousse n°42, Issue #1, février 2014. Ana Longoni, Avant-Garde Argentinian Visual Artists Group, Tucuman Burns, 1968. Dean Inkster, Liam Gillick et Philipe Parreno, The Trial of pol Pot, 1998, Mousse n°43, Issue 2, Mars 2014. Nina Möntmann, Martha Rosler, If You Lived Here…, 1989. Kaelen Wilson-Goldie, Walid Raad et Akram Zaatari, Mapping Sitting : On Portraiture and Photography, 2002, Mousse n°44, issue #3, juin 2014. Claire Grace, Group Material, AIDS Timeline, 1989. Alexander Alberro, Alice Creischer, Andreas Siekmann et Max Jorge Hinderer, the Potosi Principle, 2010, Mousse n°45, Issue #4, Octobre 2014. Dirk Snauwaert, Marcel Broodthaers, Musée d’Art Moderne département des Aigles, 1972. Elisabeth Lebovici, Philippe Thomas, feux pâles, 1990, Mousse n°46, issue #5, novembre 2014. James Meyer, Mel Bochner, Working Drawing And Other Visible Things On Paper Not Necessarily Meant To Be Viewed As Art, 1966. Biljana Ciric, Hank Bull, Shen Fan, Zhou Tiehai, Shi Yong, et Ding Yi, Let’s Talk about Money : Shangai First International Fax Art Exhibition, 1996, Mousse n°47, issue #6, février 2015. Anthony Huberman, Andy Warhol, Raid the Icebox 1, with Andy Warhol, 1969. Lucy Steeds, Goshka Macuga, Pictures Room, 2003, Mousse n°48, Issue #7, Avril 2015. Monica Amor et Carlos Basualdo, Hélio Oiticica, Apocalipopotese, 1968. Elena Filipovic, Mark Leckey,

UniAddDumThs, 2014-15, Mousse n°49, issue #8, Juin 2015. William Krieger, Martin Kippenberger, MOMAS-Museum of Modern Art Syros, 1993-97. Monika Szewczyk, Lucy McKenzie et Paulina Olowska, Nova

Popularna, 2003, Mousse n°50, issue #9, octobre 2015. Natalie Musteata, Judy Chicago, Miriam Schapiro et The CalArts feminist Art Program, Womanhouse, 1972. Ekaterina Degot, Avdey Ter-Oganyan, Toward the Object, 1992, Mousse n°51, issue #10, décembre 2015.

42 Remarquons qu’aucun des vingt auteurs n’est un artiste. 43 C’est ainsi que Elena Filipovic est présentée.

44 Afterall, « Artist as Curator symposium », Introduction de Pablo Lafuente, dans la série des symposiums

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qualité, mais l’intitulé même : « The Artist as Curator » (L’artiste comme curateur). La conjonction « comme » dérange.

Il paraît normal qu’un écrivain, un critique d’art, un auteur qui organise une exposition, ne soit pas qualifié de « critique comme un curateur », mais de critique qui organise une exposition. Cependant lorsqu’il s’agit d’un artiste, celui-ci est automatiquement qualifié péjorativement de celui « qui fait comme », Dans tous les cas, il déroge de sa place, celle d’artiste et uniquement d’artiste. L’Histoire des expositions étudiée par les jeunes chercheurs et historiens de l’art le démontre, tout comme le démontrent les publications de la revue Mousse. Ce terme d’« artist as curator » est désormais repris pour désigner une série d’expositions conçues par un ou plusieurs artistes. Notamment dans l’ouvrage « The Artist as curator » de Celina Jeffery45 récemment publié, qui est entre autres qu’une compilation d’articles ayant pour sujet les interventions d’artistes dans les musées, ce qui n’est pas le paradigme de l’artiste-curateur. Une autre publication attire l’attention, celle consacrée au groupe Zero intitulée « The artist as Curator ». Cet ouvrage est un catalogue46 d’exposition47 sur le groupe Zero au LandesMuseum de Bonn. L’expression « d’artiste comme

curateur », évolue et essaime dans diverses publications et articles. La dénomination préférée d’artiste-curateur, avec un trait d’union entre artiste et d’artiste-curateur, est une manière de désigner le lien inséparable entre les deux pratiques. Ces deux pratiques sont indissociables pour moi et toutes deux assumées avec grands discernements et clairvoyance. D’autres assument d’être artiste-éditeur, comme Dick Higgins. Les artistes qui organisent des expositions ont le droit au même titre que les critiques et historiens d’art d’être considérés comme des curateurs.

Au fil des recherches, force est de constater que la documentation et les ouvrages concernant les espaces alternatifs sont rares, et souvent en anglais. La nécessité se fait sentir de reconstituer un puzzle en croisant différentes sources d’informations comme les catalogues monographiques ou d’artistes participant à des expositions dans ces lieux alternatifs ou des articles relatant une exposition dans un de ces lieux. Comme le précise l’artiste-curatrice Julie Ault : « La documentation existante sur la très influente culture alternative newyorkaise des années 1970 et 1980 est éphémère, et elle circule peu. Les écrits sur les espaces et les groupes alternatifs sont en grande partie limités à des articles dans

45 Celina Jeffery, The Artist as Curator, Bristol, Intellect, The Mill, 2015. Ces articles sont : Nocola Levell,

« Paolozzi’s lost Magic Kingdoms : The Metamorphosis of Ordinary Things », Celina Jeffery, The Artist as Curator, op. cit., p. 15. Lewis Kachur, « Re-mastering MoMA : Kirk Varnedoes’ Artist’s Choice’ Series », Celina Jeffery, The Artist as Curator, op. cit., p. 45. Cher Krause Knight, « Both Object and Subject’ : MoMA’s Burton on Brancusi », Celina Jeffery, The Artist as Curator, op. cit., p. 59. Dew Harrison, « Curating Between Worlds : How Digital Collaborations Become Curative Projects », Celina Jeffery, The Artist as Curator, op. cit., p. 79. Bruce Checefsky, « Erasure : Curator as Artist », Celina Jeffery, The Artist as Curator, op. cit., p. 97. Brenda L. Croft, « Say My Name », Celina Jeffery, The Artist as Curator, op. cit., p. 113. Gregory Minissale, « Performing the Curator, Curating the Performer : Abramiovic’s Seven Easy pieces », Celina Jeffery, The Artist as Curator, op. cit., p. 131. Jim Drodnick et Jennifer Fisher, « Curating the city : Collectioneering and the Affects of Display », Celina Jeffery, The Artist as Curator, op. cit., p. 149. Celina Jeffery, « Artists Curating the Expedition », Celina Jeffery, The Artist as Curator, op. cit., p. 173.

46 The Artist as Curator. Collaborative Initiatives in the International Zero movement 1957-1967, Bonn,

Bild-Kunst, 2015.

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des journaux locaux, à des comptes rendus critiques et des synthèses publiés dans des revues d’art, ainsi qu’aux documents publiés par les organisations elles-mêmes sur des structures spécifiques48». Ce peu de documentation sur les espaces alternatifs amène à penser l’importance de la documentation et de l’archive dans ces espaces, ainsi à Immanence l’importance est de toujours conserver, documenter et archiver les documents et informations relatifs aux différentes expositions organisées ou reçues. D’où la nécessité de publier en 2012 un ouvrage sur l’espace d’art Immanence49, trace des douze

premières activités du lieu, qui survivra à la destruction ou perte possible de nos archives. L’archive pose alors la question des différents types de supports disponibles à travers les âges ; ainsi depuis la création de Immanence en 1997, nous sommes passés successivement des photographies argentiques, à la diapositive, à l’ektachrome, de la disquette au cd-rom, du cd-rom au DVD, de la photographie numérique (de diverses qualités) à l’appareil photo intégré dans le téléphone portable, de la cassette VHS au DVD, sans parler de l’omniprésence d’internet qui en était à ses balbutiements à la fin des années 1990. Toutes ces considérations d’ordre technique obligent les lieux à toujours se tenir à la pointe de la technologie, était-ce déjà vrai dans les années 1970 ? Par chance, la possibilité d’avoir parfois une personne externe à l’organisation de l’exposition, qui a de son côté documenté les expositions, existe. Comme le photographe Cosmos Sarchiapone documentant beaucoup d’événements qui se déroulèrent au 112 Green Street dès son ouverture en 1973 - ces images sont de précieux documents pour aborder certaines expositions dont il ne reste rien hormis quelques témoignages qui ont tendance à se différer avec le temps. Croisant la documentation, les catalogues de ces expositions, les articles de presse et les témoignages deviennent ainsi des sources utiles. A

contrario une documentation foisonnante concernant le commissariat d’exposition ou le curating

existe au travers des revues spécialisées dans ce domaine (Mousse, The Exhibitionnist, Cura ou encore

Manifesta Journal), les expositions étant de plus en plus étudiées par des doctorants, des étudiants en

master professionnel métiers de l’exposition, des chercheurs et des critiques d’art. Ces expositions souvent citées et même reconstituées pour certaines d’entre elles, témoignent d’un intérêt grandissant pour l’Histoire récente des expositions50. Ce qui détermine l’impact sur le commissariat d’exposition

d’aujourd’hui car certaines expositions organisées récemment n’auraient pas eu le même visage sans cet intérêt pour l’Histoire de l’exposition. Ainsi tout ce travail de recherche effectué pour l’écriture de cette thèse définit un projet posant sans manœuvre dilatoire les problèmes concrets de ce qui est traité théoriquement comme source de ma double pratique, artistique et curatoriale.

48 Julie Ault, Alternative Art New York, 1965-1985, Minneapolis, University of Mineapolis Press, 2002, p. 1. 49 Cannelle Tanc et Frédéric Vincent, L’esthétique passionnelle, Immanence : une vie…d’expositions, Paris,

Ensb-a, Immanence, 2012.

50 Jean-Luc Chalumeau, Les expositions capitales qui ont révélé l’art moderne de 1900 à nos jours, Paris,

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PARTIE 1

TYPOLOGIE DE L’ARTISTE-CURATEUR

La source immédiate de l’œuvre d’art est l’aptitude humaine à penser.51

Hannah Arendt

I. L’ARTISTE AU MUSÉE

Ce premier chapitre est consacré aux rapports entre les artistes-curateurs et le musée, plus précisément aux invitations faites aux artistes à intervenir dans un établissement culturel, à concevoir une exposition, à proposer un nouvel accrochage dans les collections permanentes. À travers les multiples propositions existantes, le choix se porte sur la plus exemplaire à mes yeux. Représentative à plus d’un titre, car cette exposition, cette intervention, cette proposition est à la fois, le fruit d’une réflexion d’un artiste à qui l’on a proposer d’être curateur, mais aussi exemplaire car symptomatique de cette problématique. Cette exposition est The Ancients Stole All Our Great Ideas, au Kunsthistorisches Museum de Vienne en 2012 dont le curateur fut l’artiste américain Edward Ruscha.

Afin d’envisager une vue d’ensemble de la question de l’artiste invité à être commissaire d’une exposition dans un musée, il est nécessaire d’avoir une approche historique et transversale du rapport entre l’artiste-curateur dans un musée. Les liens entre musées et artistes apparaîssent lors de la renaissance italienne. Les artistes sont loin d’être considérés comme des curateurs ou commissaires d’exposition. Ils officient à cette époque plutôt comme des conservateurs, ou les gardiens d’une collection, responsables de leur gestion. Il faut attendre les années 1980 pour voir les musées faire appel aux artistes pour piocher dans leur collection. Le Musée Boijmans Van Beuningen de Rotterdam fit office de pionnier dans le domaine. Dès lors les institutions vont adopter le commissariat d’exposition par les artistes. Les expositions conçues par ces derniers vont éclore et se propager de plus en plus. Cela ne va pas sans quelques contradictions voire même sans prise de position qui va à l’encontre de celles des années 1960 et 1970. Des prises de position dénonçant le pouvoir des institutions. Ce que Andrea Fraser nomme la « critique institutionnelle ». Ces prises de positions agissent comme autant d’opérations d’infiltration de l’artiste, grignotant le pouvoir institutionnel. Les artistes fréquemment associés à la critique institutionnelle sont : Hans Haacke, Daniel Buren, Michael Asher, Joseph Kosuth52, Fred Wilson et l’exemplaire Marcel Broodthaers. Depuis les musées, les

institutions artistiques ont intégré dans leur programmation des expositions dont des artistes sont les

51 Hannah Arendt, La condition de l’Homme Moderne, Paris, Pocket, coll. Évolution, 2001.

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curateurs et/ou ont établi un programme d’invitations aux artistes pour organiser l’accrochage d’une exposition d’après leur collection d’œuvres.

De nombreux cas d’études s’offrent à nous tant l’accroissement de cette pratique a augmenté ces dernières années. De nombreux musées proposent des programmes curatoriaux, des expositions montées ou conçues par des artistes. Ces programmes53 portent le nom de « Artists choice » ou encore

« artist’s eye », des choix faits à travers l’œil de l’artiste. Une institution comme le Palais de Tokyo à Paris organisera par l’intermédiaire de Marc-Olivier Wahler un programme de cartes blanches à des artistes comme Jeremy Deller, Adam McEwen, Ugo Rondonone ou encore John Armleder. Une façon pour les établissements culturels d’apporter une valeur ajoutée à leur programmation.

Cette valeur ajoutée est dédoublée par l’originalité du point de vue qu’un artiste est censé apporter. Parmi la multitude de propositions, mon choix s’est porté sur l’une d’entre elles jamais étudiée ou traitée. Cette dernière est sûrement passée inaperçue, entre les mailles du filet du flot d’informations, elle n’est pourtant pas dénuée d’intérêt. Ce qui m’a d’abords interpelé, c’est que cette proposition a été confiée à Edward Ruscha, un artiste suscitant mon intérêt et non connu pour être curateur ou propension à s’occuper des autres. Hormis cette attirance pour le travail de Ruscha, l’exposition coïncida avec une exposition que j’organisais au même moment dans la capitale autrichienne. Celle-ci «intitulée « Wir sind im Rosennetz 54 » se déroula dans l’artist-run space Flat 1.

1. Wir sind im Rosennetz

Dans le cadre de la Vienna Art Week, j’ai organisé une exposition au sein de l’artist-run space Flat 1 à Vienne. Cette exposition intitulée Wir sind im Rosennetz55, signifie « nous sommes dans un réseau de roses » [Fig. 1]. Le titre fait écho à l’exposition “Austria im Rosennetz” organisée par le commissaire indépendant Harald Szeemann en 1996 qui se déroula au MAK de Vienne56. Le projet de

mon exposition organisée dans la capitale autrichienne est né d’un échange culturel entre deux structures alternatives, Immanence à Paris et Flat 1 à Vienne. Au delà de ce clin d’œil à Harald Szeemann, l’objectif de celle-ci était d’annihiler le cliché de l’artiste français passéiste et de l’image du Paris de 1900. Comme le disait Harald Szeemann à propos de son exposition: « Une exposition

53 Parmi les programmes d’invitation de l’art contemporain au sein des musées d’art classique, pensons aux

diverses invitations du cabinet des estampes du Louvre, voir, Collectif, Au Louvre et au présent. Estampes contemporaines pour la Chalcographie du Louvre, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2001. Les artistes contemporains invités furent Jean-Michel Alberola, Pierre Alechinsky, Geneviève Asse, Georg Baselitz, Louise Bourgeois, Pierre Courtin, Philippe Favier, Bertrand Henry, Agathe May, Robert Morris, Jean-Pierre Pincemin, Markus Retz, Arnulf Rainer, Pat Steir et Terry Winters.

54 Exposition Wir sind im Rosennetz, Vienne, Flat 1, du 20 au 25 novembre 2012. Avec Julie Genelin, Ann

Guillaume, Stéphane Lecomte, Cannelle Tanc, Frédéric Vincent.

55 Ibid.

56 Exposition Austria im Rosennetz, Vienne, MAK-Oesterreichisches Museum für angewandte Kunst, du 11

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