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L'émergence des smart contracts : une future révolution juridique ?

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Academic year: 2021

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Contribution au colloque

« L’impact des nouvelles technologies sur le droit et ses acteurs » organisé par l’ADDCDA

« L’émergence des smart-contracts : une future révolution juridique ? » Par Anne-Claire Mansion

Introduction

L’humanité et les hommes ont la caractéristique d’avoir évolué en vivant et en travaillant en communauté. Or, vivre et travailler ensemble repose sur de nombreux concepts sociologiques, économiques politiques et juridiques. Notamment le fait que les hommes doivent échanger des biens pour répondre à leurs besoins. La première étape de ces échanges a été le système de troc pour échanger les biens et les services. En effet, le troc vient du latin trochus qui signifie « roue, anneau »1. Le troc est un système d’échanges où les biens et services sont directement échangés pour d’autres biens et services, sans utiliser de moyens d’échange, comme une monnaie par exemple2.

Bien sûr, quand nous parlons d’échange, nous le concevons habituellement sous la forme d’un échange immédiat et bilatéral, mais il peut être multilatéral. Historiquement, le troc a évolué et les pièces de monnaie ont été créées pour améliorer les échanges. La monnaie a été utilisée pour s’assurer que chaque échange correspondait à la valeur faciale du la monnaie utilisée en contrepartie du bien échangé.

Des traces de l’utilisation des premières pièces par les hommes se retrouvent en Grèce antique, en Inde et en Chine autour des septième et sixième siècles avant Jésus-Christ3.

La multiplication progressive des échanges a permis le développement du commerce et la prospérité économique. Les monnaies métalliques et fiduciaires, qui regroupent les pièces et billets, permirent elles aussi d’encourager le développement du commerce mondial4.

D’ailleurs, si nous nous penchons sur les racines étymologiques de « fiduciaire », l’on remarque qu’il vient de fiducia en latin, qui signifie « confiance ». Tout comme la monnaie scripturale.

Le commerce et les différents échanges impliquent de nombreuses problématiques. L’une d’entre elles est, et a toujours été, la question de la confiance entre les parties à l’échange.

Contrairement aux pièces de métal, comme celles en or, en fer ou encore en cuivre, les monnaies fiduciaires comme les billets de banques n’ont pas de valeur originelle. D’un point de vue

1 Centre national de ressources textuelles et lexicales, http://www.cnrtl.fr/definition/Troque

2 O'SULLIVAN A.; SHEFFRIN S. M., Economics: Principles in Action; Pearson Prentice Hall, 2003, p. 243.

3 DAVIES G., A History of Money; University of Wales Press, 3ème edition, 1994, p. 111

4 CRAWFORD M.H., Roman Republican Coinage, Vol. I & II, 1974

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strictement concret, l’or est utile et a de la valeur car il peut être utilisé en joaillerie, en électronique et bien d’autres domaines. Egalement, les diamants peuvent être utilisés comme mèches de forage, comme aiguiseurs de couteaux, ou encore lentilles laser...

Mais la monnaie fiduciaire telle que nous la connaissons n’a pas de valeur en soi.

Sa seule valeur va être celle que l’on choisit de lui donner, en fonction du nombre qui sera imprimé sur le papier du billet. Aux Etats-Unis, lorsque la monnaie papier a été mise en place, le dollar était garanti par l’or. Cela signifie qu’à l’époque, un dollar en billet pouvait être échangé contre un dollar d’or. Désormais, le dollar n’est plus garanti par l’or : les billets ont la valeur que les utilisateurs croient accorder à ces billets. Si les consommateurs cessaient du jour au lendemain de croire en la valeur de ces billets, la monnaie perd justement de sa valeur. Les gouvernements font en sorte que le système soit digne de confiance, afin que les citoyens accordent toute leur confiance aux monnaies fiduciaires. Ce processus doit être constamment maintenu pour assurer le niveau optimal de valeur des monnaies.

Les gouvernements ont créé les banques afin que celles-ci apportent une régulation de la circulation des différentes monnaies métalliques, et aussi pour éviter tout risque de pénurie5.

Les monnaies sont protégées par les institutions, comme les banques centrales, afin de renforcer la confiance dans le système commercial mondial.

Les banques centrales6 ont été créées, et ce rôle est encore primordial aujourd’hui, pour tenir un rôle-clé dans la confiance dans ce système. Les modalités de transactions deviennent de plus en plus complexes avec les années, suivant les évolutions de l’économie.

Grâce aux premiers accords du GATT7 de 1947, et l’abandon de l’étalon-or à Bretton Woods8 en 1948, le commerce international s’est accéléré durant la seconde moitié du XXème siècle.

L’augmentation des échanges internationaux a généré une augmentation logique des risques, et a donc impliqué la nécessité d’avoir recours à un tiers de confiance pour certifier les transactions.

C'est pour cela que les systèmes interbancaires ont été créés. Par exemple, le SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) créé en 1977 ou l’OMC (l'Organisation mondiale du commerce) créée en 1995. L’objectif est que l’échange soit le moins cher et le plus rapide possible.

Deux innovations vont radicalement changer les choses et la façon dont la confiance est produite:

l'apparition de la cryptographie et l'informatique décentralisée. En 1976, les chercheurs américains Whitfield Diffie et Martin Hellman introduisent le concept révolutionnaire de doubles clés privées

5 « Histoire de la monnaie », Encyclopedia Universalis

6 "https://www.citeco.fr/10000-ans-histoire-economie/grandes-decouvertes/creation-de-la-premiere- banque-centrale"

7 General Agreement on Tariffs and Trade, 30 octobre 1947

8 http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Bretton_Woods/110154

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et publiques9. L’échange de clés Diffie-Hellman permet à deux agents d'échanger entre eux d'une façon aléatoire sans avoir besoin d'un mot de passe.

C’est l’un des premiers exemples pratiques d'échange de clés publiques exécuté dans le champ de la cryptographie. Cette innovation pourrait être vue comme la première pierre de la construction de la technologie Blockchain. Grâce à l'augmentation exponentielle du pouvoir de calcul informatique et à la possibilité réelle d'avoir recours à ce pouvoir, la cryptographie pratiquement «inviolable » est née. Dans le même temps, les architectures distribuées s'établissent comme une référence dans le domaine de la stabilité et de la sécurité10. La cryptographie et les architectures distribuées créent la confiance par eux-mêmes.

Ces technologies ont aidé l'apparition d'une nouvelle sorte de technologie : la blockchain.

En 2008, Satoshi Nakamoto, le créateur de Bitcoin, publie "Bitcoin : a peer-to-peer electronic cash system". Il y développe sa propre méthode pour résoudre un problème cryptographique célèbre : le problème du double paiement ou le problème des généraux byzantins11. Ce problème pose la question : comment les partis coopérant multiples peuvent atteindre la connaissance commune d'un élément factuel quand il existe certains « mauvais » acteurs essayant activement de répandre de faux renseignements ? Jusqu'à présent, la solution à ce problème se serait trouvée en utilisant une autorité centrale fiable. Dorénavant, la blockchain promet de résoudre ce problème, parce qu'il permet à un tel consensus d'être atteint sans devoir placer la confiance dans autre tiers, la blockchain étant l’architecture décentralisée qui soutient le Bitcoin.

Elle permet ce qui était impossible auparavant : deux personnes qui ne se connaissent pas peuvent échanger des biens sans que cette transaction n’ait à être garantie et validée par un tiers de confiance.

Mais Satoshi Nakamoto a également envisagé l’extension du champ d’application de la technologie blockchain.12 Ainsi, la blockchain peut être utilisée pour des contrats, et plus seulement pour des monnaies électroniques. Ces «smart contracts » sont une nouvelle technologie basée sur la blockchain (I), pouvant être utilisés de multiples façons. Mais face à l’émergence de ces smart contracts, qu’en est-il du régime juridique qui peut leur être appliqué (II) ?

9 DIFFIE W. et HELLMAN M., "New directions in cryptography" Published in: IEEE Transactions on Information Theory (Volume: 22, Issue: 6, Nov 1976)

10 AUBANEL L., Informatique appliquée, t. 1, Roanne, 2008

11 décrit par Leslie Lamport, Robert Shostak et Marshall Pease dans leur journal de 1982, « Le problème des généraux byzantins »

12 NAKAMOTO S. "Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System", 24 mai 2009

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I) Les smart contracts : une nouvelle technologie basée sur la blockchain :

Historiquement, la paternité du terme « smart contract » est attribuée à Nick Szabo, informaticien et cryptographe américain, qui l'a imaginé dans les années 1990 pour améliorer les transactions à distance entre des parties totalement étrangères l’une à l’autre.13 Le smart contract est une nouvelle technologie permettant de gérer la formation, l’exécution et l’extinction des contrats14. Pour autant, un smart contract n’est pas un « contrat intelligent » à proprement parler15 : c’est un faux ami, car le smart contract étant un logiciel, il est plus une technologie qu’un contrat au sens juridique du terme.

Ce smart contract est capable d’opérer sans être lié à une autorité centrale. Tous les actifs exigeant une autorité centrale peuvent être échangés sur une blockchain : actifs financiers, titres de propriété, etc. C’est grâce à la confiance offerte par la blockchain que cette dernière peut devenir un outil de désintermédiation. Cette désintermédiation a le pouvoir de réduire les coûts et rendre les échanges plus fluides16.

Pour Nick Szabo, la spécification, la vérification et l'exécution d'une opération grâce à des protocoles cryptographiques et d'autres mécanismes de sécurité numérique, pourraient constituer une grande amélioration des contrats traditionnels17.

La blockchain est un registre public avec une caractéristique essentielle : celle que tout le monde peut vérifier de façon autonome le registre. Aucune autorité centrale n’est nécessaire pour le faire.

Vous pouvez découvrir vous-même si quelqu’un a tenté de pirater ou de copier vos données sur le registre. La blockchain va rendre les transactions plus faciles grâce à ses fonctions d’automatisation, qui vont réduire le coût des transactions et permettre l’augmentation de la vitesse de conclusion des transactions.18

13 LELOUP L., Blockchain. La révolution de la confiance, Eyrolles, 2017, p. 31.

14 SZABO N., "Formalizing and securing relationships on public networks", First Monday, 1er septembre 1999

15 COHEN-HADRIA Y., « Blockchain : révolution ou évolution. La pratique qui bouscule les habitudes et l'univers juridique », Dalloz IP/IT 2016. 537

16 DRILLON S., « La révolution blockchain. La redéfinition des tiers de confiance », RTD com.

2016. 893

17 SZABO N. , "Smart Contracts: Formalizing and Securing Relationships on Public Networks", First Monday, 1er septembre 1999

18 COHEN-HADRIA Y., « Blockchain : révolution ou évolution ? La pratique qui bouscule les habitudes et l'univers juridique », Dalloz IP/IT, 2016, p. 537-539

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Le Bitcoin a été la première monnaie numérique, et il a ouvert la voie à de nombreuses autres monnaies virtuelles. Le nombre de monnaies numériques disponibles sur internet s’élevait à plus de 900 en juillet 2017, et ce nombre ne cesse de grandir.19

Les défenseurs des contrats intelligents soutiennent que de nombreux types de clauses contractuelles peuvent être partiellement ou totalement auto-exécutées ou exécutées à la validation ou les deux. Les smart contracts visent à assurer une sécurité supérieure à la mise en application de la loi sur les contrats et à réduire les coûts de transaction associés à la passation des contrats.

Il est intéressant d’illustrer cette technologie par des exemples concrets de transactions et de contrats, et comment ils peuvent être conclus « sous » la technologie blockchain.

Par exemple, prenons une transaction, soit un transfert d’actif entre deux participants minimum :

1. Alice donne une voiture à Bob. Il n’y a rien de plus que ce don. C’est une transaction simple et unique.

2. Alice donne une voiture à Bob, et Bob donne de l’argent à Alice. Ici, on a deux opérations différentes. La première opération est le transfert de la voiture, la seconde est le transfert de l’argent. Cela semble simple et court, mais pour un ordinateur, c’est une transaction bien plus complexe que la précédente, où Alice donnait simplement la voiture à Bob.

Un contrat va être un ensemble de conditions indispensables au bon déroulement de la transaction : 1. La première condition : Si Bob paie Alice, alors la propriété de la voiture est transférée d’Alice vers

Bob. C’est un simple contrat de transfert de propriété.

2. La seconde condition : si la voiture ne démarre pas, alors l’argent ne va pas à Alice.

En tant que technologie permettant l’immutabilité des transactions, le smart contract aidera à prévoir les différentes conditions du contrat.

Intrinsèquement, personne ne peut modifier, supprimer ou effacer un élément du registre sans l’accord de tous les autres membres du réseau. C’est ce qui fait la grande sécurité de la blockchain.

Le smart contract va pouvoir mettre en place l’exécution mécanique des contrats d’assurance, de transport, de prêts, de pactes d’actionnaires ou de pactes de préférences.20

19 "All Currencies | CryptoCurrency Market Capitalizations", http://coinmarketcap.com. Consulté le 27 juillet 2017

20 DONDERO B., « Smart contracts , pacte d'actionnaires et droit de préemption », LPA, 17 mai 2016.

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La limitation traditionnelle des contrats autonomes était l’impossibilité de transférer des actifs sans l’intervention d’un tiers de confiance (une banque, un notaire, etc.). Ce qui n’est plus le cas avec les smart contracts basés sur la blockchain.

Les termes du contrat (littéralement des lignes de code informatique) sont enregistrés sur la blockchain et mis en œuvre automatiquement : ils ne sont pas modifiables a posteriori mais restent accessibles pour une consultation par toutes les parties prenantes.

Aujourd’hui, Codius et Ethereum (qui sont des protocoles d'échanges décentralisés permettant la création par les utilisateurs de contrats intelligents), sont les deux projets évoluant autour de smart contracts, et sont encore en phase de développement. Evidemment, les grandes entreprises comme les banques et les assurances sont les grands investisseurs de la blockchain. Ils y voient en effet la possibilité de dégager des bénéfices bien réels. L’automatisation de l’ensemble du processus contractuel permet d’imaginer une diminution énorme des litiges, mais aussi une baisse importante des délais de paiement et un abaissement du risque d’erreur.

Grâce à la cryptographie, la blockchain va permettre de garantir l’intégrité des termes d’une transaction. C’est en particulier cet élément qui va intéresser le domaine du droit : réussir à prouver l’existence de l’accord et des engagements des parties. En tant que registre, la blockchain va garantir une traçabilité de toutes les opérations réalisées, ainsi que les différentes dates de transaction. Il sera donc impossible de « frauder » ou mentir sur la réalisation ou non des conditions du contrat.

Un autre élément intéressant de l’aspect « conservation » du registre est la possibilité de voir la blockchain comme une archive. En effet, non seulement elle n’est pas modifiable comme nous l’avons vu précédemment, mais en plus la blockchain conserve toutes ces données, qui sont conservées dans des nœuds de stockage. Tout le monde peut le voir et tout est récupérable. Ce n’est pas comme un contrat papier, qui peut être (est qui est parfois) perdu. Ainsi, par définition, la blockchain va remplir les conditions de publicité qui sont inhérentes au contrat. Logiquement : si tout le monde a accès et peut voir ce qui se passe sur la blockchain, alors les obligations de publicité et de publication sont remplies.

Prenons l’exemple des minibons en France, au sujet desquels le Code monétaire et financier prévoit à l’article L. 223-12 : « L'émission et la cession de minibons peuvent également être inscrites dans un dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant l'authentification de ces opérations ».

Le contrat va se distinguer de la blockchain, c'est-à-dire de l'infrastructure numérique permettant d'enregistrer et d'authentifier l'échange du minibon. Le smart contract n’étant qu’un algorithme

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fonctionnant avec la blockchain et procédant automatiquement à l’émission ou la cession du minibon21.

Ainsi, on prend conscience que le smart contract est quelque part l’aboutissement de l’avènement des nombres et des codes informatiques dans notre société22.

Monopolisant désormais les contrats et le monde juridique, il semble opportun de s’interroger sur leur place dans notre régime juridique.

II) Les smart contracts face au droit : quel régime juridique ?

Pour l’instant, un smart contract n’est pas un contrat au sens juridique que nous connaissons23. En droit français, un contrat sous-entend une offre, une acceptation respectant les conditions de validité (le consentement, la capacité, l’absence de dol, l’absence d’erreur…) énoncées dans le Code civil. En toute logique, la question qui se pose est : un smart contract peut-il remplir ces conditions du contrat traditionnel ?

La première difficulté est la formalisation claire de l’offre, et l’acceptation éclairée et valable de l’offre par le cocontractant. Ce dernier se doit d’être majeur, en capacité de comprendre tous les termes du contrat, ne faisant pas d’erreur et n’étant pas victime de pression pour signer ce contrat.

Il est déjà difficile de vérifier toutes ces conditions dans les cas de contrats traditionnels, elles sont encore plus difficiles à vérifier dans le cas de contrats numériques.

Car c’est le code qui définit le smart contract, qui est l’essence même de celui-ci. Il faut donc prouver que le cocontractant a compris le code qui est intégré dans le smart contract24.

Dans le même ordre d’idée, un autre problème est l’identification de la personne contractante.

Comme vu précédemment, chaque utilisateur de la blockchain possède une clé privée, élément qui lui permet de certifier ses agissements sur la blockchain. Cette clé privée peut être volée ou perdue, ou encore elle peut être détenue par plusieurs individus différents (comme plusieurs personnes qui utiliseraient la même carte bancaire, connaissant le code secret). Aussi, comme la blockchain permet de rester anonyme, le contractant à un smart contract peut souhaiter rester anonyme. Ces

21 GUERLIN G., « Considérations sur les smart contracts », Dalloz IP/IT 2017, 512

22 SUPIOT A., La Gouvernance par les nombres, Fayard, 2015, p. 216.

23 COHEN-HADRIA Y., « Blockchain : révolution ou évolution ? », Dalloz IP/IT 2016, 537

24 ZOLYNSI C., « Fintech - Blockchain et smart contracts : premiers regards sur une technologie disruptive », RD banc. fin. 2017. Dossier 4, n° 8

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éléments rendent l’identification de la personne contractante au pire impossible, au mieux très difficile25.

Un autre questionnement juridique est l’absence de rapport d’obligation de certains smart contracts.

En effet, certains smart contracts ne mettent pas en place de rapports d’obligation, au sens juridique du terme. Le problème est que ce rapport est un des éléments constitutifs d’un contrat dans le droit français. Par exemple, dans un smart contract d’un marché prédictif, il n’y a pas de rapport d’obligation26.

Dans son livre “La sagesse des foules”27 publié en 2004, James Surowiecki donne une définition au concept de marché prédictif. Selon lui, l’information issue des interactions entre une multitude d’individus vaut plus que la moyenne des opinions de chacun. Pour prédire des événements dans une réalité globale (représentant le fruit d’événements imbriqués les plus improbables), les sondages révèlent vite leur limites, tant dans la méthodologie que dans les résultats obtenus.

Aujourd’hui, les deux principales plateformes de marchés prédictifs sur Ethereum sont Augur et Gnosis. Les smart contracts de marchés prédictifs sont des smart contracts complexes, qui fonctionnent similairement à des paris28.

Revenons sur un cas de smart contract simple, qui génère des tokens (les fameux jetons). La création des tokens n’est pas un contrat juridique. Il n’y a pas de rapport d’obligation entre les parties contractantes.

Le problème est la mauvaise utilisation du terme « contrat » issu de la traduction de « smart contract ». A la base, un smart contract est un code informatique, il est donc logique de faire faire à des difficultés, voire une impossibilité de traduire cela en langage juridique.

Dans une relation commerciale, on identifie traditionnellement les deux parties au contrat (par exemple l’acheteur et le vendeur). Le code peut être analysé et compris par les contractants. Le code

25 HIELLE O, La technologie blockchain : une révolution aux nombreux problèmes juridiques, Dalloz actualité, 31 mai 2016.

26 POLROT S., Smart contract ou le contrat auto-exécutant, https://www.ethereum- france.com/smart-contract-ou-le-contrat-auto-executant/

27 SUROWIECKI James, The wisdom of crowds : why the many are smarter than the few and how collective wisdom shapes business, economics, society and nations, Doubleday, New York, 2004, 320 p. (ISBN 9780316861731)

28 POLROT S., Smart contract ou le contrat auto exécutant, v. supra

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informatique peut être formé pour qu’il formalise à la fois l’offre et l’acceptation et respecte les conditions de formation d’un contrat juridique.

Cette mise en place est tout à fait possible et logique. En effet, les parties vont se mettre d’accord avant la création du code sur le contrat. Par la suite, le code informatique qui va être créé sera la traduction informatique des souhaits des parties contractantes.

La question juridique essentielle va être la traduction de ce contrat : est-ce que cette traduction constitue le contrat ? Est-ce bien la preuve d’un accord entre les parties ?

Pour l’instant, la solution à ces questionnements n’a pas encore été donnée, ni par la loi ni par la jurisprudence. Cette incertitude juridique peut également s’expliquer par une utilisation encore rare des smart contracts.

Il existe peu d’exemples permettant de voir les conditions dans lesquelles un smart contract constituerait une preuve du contrat. En reprenant la réflexion vue précédemment, on peut supposer que la question peut être réglée par la justification « le code a été créé expressément pour telle action ».

Enfin se pose la question de l’exécution du smart contract. Il y aura litige si une des parties se considère lésée par l’autre. A partir de ce moment-là, un rapport d’obligation est créé entre les parties et juridiquement, le conflit peut être porté devant un tribunal. Malgré tout, le litige n’est pas directement lié au smart contract, car ce dernier n’est que le moyen par lequel le litige a été créé.

Dès lors, le droit des obligations classique va se mettre en place. Ainsi, c’est un principe général du droit civil français qui est à l’œuvre : la personne qui a causé le dommage à une autre personne doit réparer le dommage29.

Le smart contract en lui-même ne pose pas problème pour cette réparation du dommage au civil, car le smart contract n’est que la modalité d’exécution du contrat.

Le smart contract opère un transfert automatique d’actif ou de token, mais il peut être utilisé dans un grand nombre d’industries: il peut prévoir la gestion d’actifs financiers, etc. Mais certains de ces domaines sont particulièrement réglementés, avec des règles précises applicables sur la façon dont les actifs sont transférés, les produits sont commercialisés etc.

Dans ces situations, le smart contract ne peut s’affranchir de cette législation: il devra s’y plier et donc rester dans ce cadre existant.

29 Article 1240 du Code civil : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le répare »

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Aujourd’hui, quand on observe les blockchains publiques, force est de constater qu’elles se passent de toutes les réglementations, notamment en matière financière. C’est en particulier le cas des organisations des ICO (Initial Coin Offering) durant lesquelles la réglementation est généralement ignorée, par exemple s’agissant des règles imposant de s’adresser au public au cours d’un appel à l’épargne.

Et si un contractant crée un smart contract vicié (par l’erreur par exemple30) ?

Tout le problème va dépendre de l’identification des parties au contrat. Si les parties sont clairement identifiées, alors les recours seront les mêmes que ceux des contrats classiques.

En effet, comme nous l’avons vu précédemment, le smart contract n’est qu’une modalité d’exécution du contrat. S’il y a erreur d’une personne, elle peut porter ce litige devant le tribunal en suivant la démarche judiciaire classique.

Le problème qui risque de survenir est justement lié à l’aspect numérique du contract : il va falloir expliquer et convaincre le juge que le résultat attendu était différent. Il s’agit donc plus de problèmes de compréhension de la technologie que de problèmes juridiques.

En effet, en droit, le régime de responsabilité est commun et s’applique à tous, donc il n’y a pas de raison légitime pour que ce régime ne s’applique pas aux smart contracts.

Comme le Bitcoin a révolutionné le concept de monnaie, les smart contracts changent le concept de propriété, de certification ou encore d’authentification, en supprimant la nécessité d’un tiers de confiance pour valider le contrat. Les smart contracts proposent tous les avantages de la blockchain : fluidité et sécurité. Ils sont un outil puissant pour relier le monde numérique et le monde physique, sans l’intervention d'un contrôle humain cher et logiquement imparfait.

Bien que les smart contracts puissent être vus comme l’avenir des contrats, il reste de nombreuses zones floues à éclaircir pour l’avenir. La technologie des smart contracts est encore très récente. Il s’agit donc de s’intéresser à ces contrats, et de tâcher de les comprendre pour mieux les utiliser et correctement encadrer leur usage, afin que ce ne soient plus des « zones grises » du droit. Bien sûr, il ne faudra pas un encadrement trop restrictif, mais un encadrement de base qui permettra de protéger les contractants en cas de litiges. Le contrôle juridique de la blockchain, dans le domaine de la propriété intellectuelle ou celui du droit des affaires, ou encore dans le domaine de la gouvernance de la blockchain, constitue un enjeu juridique majeur des prochaines années.

30 Article 1133 du code civil

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