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Academic year: 2021

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Discussion générale

Dans cette thèse, mon intérêt s'est porté sur l'influence des plantes exotiques envahissantes sur le fonctionnement des écosystèmes. Cette thématique récente s'intègre dans une problématique plus vaste qu'est l'étude de l'influence de la structure des communautés végétales sur le fonctionnement de l'écosystème. La littérature se rapportant à cette problématique pose la question suivante : "Comment le fonctionnement des écosystèmes est-il altéré lorsqu'on modifie la composition de la communauté végétale ?" (Tilman et al., 1996 ; Hooper & Vitousek, 1998). Cette question est cruciale à l'heure où l'érosion de la biodiversité atteint une ampleur sans précédent. La crise de la biodiversité est une conséquence du changement global.

Le changement global comprend notamment l’augmentation de la température, l’augmentation de la disponibilité de l’azote et du phosphore (eutrophisation), les changements d’affectation des sols et les invasions biologiques (Vitousek, 1996).

Ces différentes composantes peuvent avoir un impact direct ou indirect sur la structure des communautés végétales.

Pour l’écologue, les invasions biologiques peuvent être considérées comme une manipulation expérimentale de la biodiversité à très grande échelle. Dès lors, elles peuvent être utilisées pour examiner comment le fonctionnement des écosystèmes est altéré lors d'une modification de l’assemblage des espèces. Les impacts de ces plantes sur le fonctionnement des écosystèmes envahis étaient encore mal connus au début de cette thèse (2002) et, en particulier, aucune étude n'avait encore été réalisée sur les espèces envahissantes en Europe.

Dans les premiers chapitres de cette thèse, nous avons évalué l'impact de sept espèces exotiques envahissantes en Belgique sur la disponibilité des éléments minéraux et les stocks de carbone et azote dans le sol, la productivité des végétations envahies et les stocks d'éléments minéraux dans la biomasse aérienne.

Malgré la diversité des formes de vies représentées dans notre échantillon d’espèces, des impacts récurrents ont pu être identifiés, en particulier, une augmentation de la productivité primaire et du stock d'éléments minéraux dans la biomasse aérienne. En ce qui concerne le sol, un patron d'impact prévisible a été détecté : la direction de l'impact (augmentation ou diminution de la disponibilité des éléments minéraux dans les zones envahies) est positive dans les sites pauvres en nutriments au départ et négative dans les sites plus eutrophes au départ. Un résultat surprenant est que ce patron semble indépendant de l'espèce envahissante considérée. Nous avons conclu que les espèces exotiques envahissantes contribuaient, dans une certaine mesure, à homogénéiser les conditions de sol à travers les paysages envahis. Les plantes envahissantes semblent donc s’opposer à la théorie du feedback positif des plantes sur le sol (Hobbie, 1992). Cette théorie

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stipule que des sols différents sélectionnent des végétations différentes qui accentuent les différences initiales au niveau du sol (les sols riches sont colonisés par des espèces à croissance rapide, à feuilles riches en éléments minéraux et dont la litière se décompose rapidement, ce qui a tendance à accélérer le cycle des éléments minéraux. A l’inverse, les sols pauvres sont colonisés par des espèces à croissance lente et à litière récalcitrante diminuant la disponibilité des éléments minéraux). En réalité, les deux phénomènes (feedback positif et homogénéisation) ne sont pas forcément contradictoires. Il s’agit de deux processus différents. Dans le premier, des sols faiblement différents sont colonisés par des espèces très différentes et spécialisées qui aggravent les différences initiales. Dans le second, des sols très différents au départ sont soumis à la colonisation d’un même petit échantillon d’espèces à large amplitude écologique faisant évoluer les concentrations en nutriments vers des valeurs moyennes.

Dans un deuxième temps, mon attention s’est portée sur une espèce modèle (Fallopia japonica) et plus particulièrement sur le cycle du carbone et de l'azote dans les sites envahis par cette espèce. Sa productivité prodigieuse (jusqu’à 40 tonnes/ha) laissait prévoir un impact important sur le cycle de l’azote. Les résultats les plus marquants sont :

- Une capacité de résorption de l'azote avant abscission des feuilles extrêmement élevée (jusque 80%).

- Une litière pauvre en azote et riche en lignine qui se décompose lentement et fixe de l'azote pendant le processus de décomposition.

- Une faible dépendance de la plante vis-à-vis de la minéralisation de l'azote du sol grâce à un recyclage interne de l'azote très efficace.

Dans cette discussion générale, je vais aborder les quelques questions cruciales qui découlent de mes résultats et de l'ensemble des études similaires. Ensuite, je confronterai les résultats de mes différents chapitres et d’autres travaux sur l’impact des invasions, réalisés au Laboratoire de génétique et écologie végétales, qui ne sont pas des parties intégrantes de ma thèse mais auxquels j'ai étroitement collaboré (Chapuis-Lardy et al., 2006 ; Vanderhoeven et al., 2006 ; Koutika et al., 2007 ; Herr et al., 2007).

Les perspectives ouvertes par cette thèse seront explorées.

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1. Les impacts des espèces exotiques envahissantes sur le sol sont-ils différents de ceux des espèces indigènes ?

Dans les premiers chapitres de cette thèse, j’ai montré que les espèces exotiques envahissantes, en plus de modifier profondément la structure de la végétation, modifiaient les propriétés chimiques du sol. La faculté d’une plante à influencer les propriétés du sol n’est toutefois pas l’apanage des plantes exotiques. En effet, de nombreuses études documentent les modifications des propriétés du sol engendrées par le remplacement artificiel d’une communauté indigène par une autre (ex : modification de peuplements forestiers) ou naturel (ex : lors du remplacement d’une communauté pionnière par des espèces plus tardives de la succession). A cet égard, la littérature sylvicole a été très prolifique. En effet, l’identité de l’essence dominante influence fortement les propriétés du sol (Dijkstra & Smits, 2002 ; Prescott, 2002 ; Hagen-Thorn et al., 2004). De nombreuses études documentent également les modifications des propriétés du sol le long des successions secondaires (Miles, 1985 ; Mitchell et al., 1997 ; Feng et al., 2007 ; Davidson et al., 2007 ; Carni et al., 2007). Par exemple, dans les landes à bruyères d’Europe occidentale, suite à l’abandon du pâturage extensif, la succession secondaire vers la forêt a redémarré.

L’extension du bouleau, espèce pionnière de la succession, a augmenté le pH et la disponibilité du phosphore et du calcium (Mitchell et al., 1997). L’augmentation de la concentration en bases dans les couches superficielles du sol lors de la succession de la lande vers la forêt de bouleau et charme s’explique par la remontée d’éléments minéraux en provenance des horizons profonds du sol grâce au système racinaire du bouleau plus profond que celui des espèces de la lande (Carni et al., 2007).

L’enrichissement du sol par le bouleau favorise par la suite l’installation d’espèces plus tardives et plus exigeantes de la succession (chêne, hêtre). Le bouleau utilise, ici, le même mécanisme de « nutrient uplift » que Fallopia japonica dans les sites envahis. La fougère aigle (Pteridium aquilinum) est une autre espèce indigène qui colonise les landes abandonnées. Cette espèce a tendance à augmenter la disponibilité de l’azote dans les sites colonisés (Mitchell et al., 1997) et transforme l’humus brut de la lande en un mull caractéristique (Miles, 1985). L’impact de la fougère aigle est principalement du à sa litière moins récalcitrante que celle des espèces de la lande (Mitchell et al., 1997). Ici aussi, le mécanisme est similaire à celui de beaucoup d’espèces envahissantes qui accélèrent le cycle de l’azote (Ehrenfeld, 2003).

Certaines espèces indigènes, autrefois moins répandues, peuvent aussi être considérées comme envahissantes aujourd’hui. Par exemple, toujours dans les landes à bruyères, Molinia caerulea et Deschampsia cespitosa sont devenues des espèces dominantes, à cause de l'augmentation des retombées d'azote dans les précipitations. Favorisées par une disponibilité accrue de l'azote, elles peuvent

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également influencer cette disponibilité en accélérant la minéralisation de l’azote (Berendse, 1990 ; Van Vuuren et al., 1992). Ces espèces indigènes envahissantes ont donc le même comportement agressif et le même type d’impacts sur le sol que les espèces exotiques envahissantes. Il est donc probablement abusif de dire que l’impact des espèces exotiques envahissantes diffère de celui des espèces indigènes en progression. Ce qui diffère entre ces deux types d’espèces, c’est le processus par lequel elles sont devenues envahissantes. Les espèces telles que la molinie et la fougère aigle sont devenues dominantes à la suite d’une perturbation anthropique du cycle de l’azote. Les invasions par des espèces exotiques ne nécessitent pas à priori de telles perturbations et d’autres processus sont impliqués.

Si on ne peut pas affirmer que les impacts des espèces indigènes dominantes et des espèces exotiques envahissantes diffèrent, on a par contre de bonnes raisons de penser que l’impact des exotiques envahissantes dans leur aire d’introduction est différent de celui qu’elles ont dans leur aire d’indigénat. En effet, les plantes exotiques envahissantes adoptent souvent des stratégies différentes et ont un aspect différent dans leur aire d’introduction par rapport à leur aire d’indigénat. En particulier, elles forment souvent des peuplements monospécifiques alors qu'elles s'intègrent dans une végétation plurispécifique dans leur région d’origine. Ces différences de comportement et de physionomie peuvent à leur tour entraîner des différences d’impacts de ces espèces sur le sol entre aire d’indigénat et aire d’introduction. La cause de cette modification est à rechercher notamment dans les modifications des interactions biotiques avec les autres composantes de l’écosystème :

- Chez certaines espèces, l’absence d’ennemis naturels dans l’aire d’introduction entraîne une baisse d’allocation des ressources vers les substances de défense au profit de la croissance (Hypothèse EICA : Evolution of Increased Competitive Ability) (Jakobs et al., 2004 ; Joshi & Vrieling, 2005 ; Zou et al., 2007). Il est plus que probable que de telles différences de productivité entre écotype indigène et écotype envahissant entraîne des impacts différents sur le fonctionnement de l’écosystème.

Chez Sapium sebiferum, une Euphorbiaceae chinoise envahissante au Texas, l’écotype envahissant est moins bien défendu contre les herbivores de Chine mais a une croissance plus forte et un rapport racines/tiges plus faible (Zou et al., 2006).

Son impact sur les pools et flux de carbone et d’azote est aussi fort différent. En effet, la respiration et la dénitrification sont plus intenses dans le sol sous l’écotype envahissant. La concentration en azote minéral est également supérieure sous l’écotype envahissant alors que la concentration en azote organique est plus faible (Zou et al., 2006). L’écotype envahissant a donc tendance à accélérer la minéralisation du carbone et de l’azote, ce qui semble favoriser sa croissance.

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- Une hypothèse alternative pour expliquer les différences de comportement entre aire d’introduction et aire d’indigénat résulte de la réaction des espèces indigènes vis-à-vis des substances allélopathiques produites par la plante envahissante. Par exemple, les catéchines libérées par l’espèce européenne, Centaurea maculosa, inhibent la germination et la croissance des graminées américaines. Les graminées européennes y sont par contre quasi insensibles (Callaway & Aschehoug, 2000).

Ceci suggère que les espèces européennes, ayant co-évolué avec les centaurées, ont développé des stratégies de défense contre ces substances alors que les espèces américaines, ayant évolué en l’absence de centaurées, y sont très sensibles (Callaway & Aschhoug, 2000). Ceci a pour conséquence que la centaurée domine rapidement les écosystèmes dans son aire d’introduction et forme des peuplements monospécifiques, ce qu’elle ne fait pas en Europe. La différence de structure de végétation entre l’aire d’indigénat et l’aire d’introduction peut avoir des conséquences sur les pools et flux d’éléments minéraux et de carbone.

- Enfin, le fonctionnement des écosystèmes repose largement sur des interactions entre plantes et microorganismes du sol (rhizosphère) (Vanderputten et al., 2007).

Ces interactions sont modelées par des processus évolutifs. Ces réseaux d’interactions sont, selon toute vraisemblance, perturbés par les espèces exotiques envahissantes qui n’ont, par définition, pas coévolué avec les communautés microbiennes de leur aire d’introduction. Plusieurs études ont montré une influence des plantes exotiques envahissantes sur la composition et l’activité des microorganismes du sol avec pour conséquences une modification du fonctionnement de l’écosystème et de la disponibilité des nutriments (Kourtev et al., 2003 ; Hawkes et al., 2005 ; Batten et al., 2006). Les plantes indigènes peuvent également influencer les microorganismes du sol (Porazinska et al., 2003) mais certaines raisons permettent de penser qu’elles le font différemment. En effet, si les plantes de l’aire d’introduction et celles de l’aire d’indigénat réagissent différemment aux substances libérées par les envahissantes, il est fort possible qu’il en aille de même pour les microorganismes du sol. Au cours de leur vie, beaucoup de plantes accumulent des agents pathogènes spécifiques dans leur rhizosphère. Ces pathogènes ont un effet négatif croissant sur la plante qui finit par mourir. Des travaux récents ont montré que ce phénomène contribue à maintenir une diversité importante dans les communautés végétales en augmentant le taux de remplacement des espèces (Mills & Bever, 1998 ; Callaway et al., 2004). Dans leur aire d’introduction, les plantes exotiques envahissantes sont libérées de leurs agents pathogènes spécifiques. Elles ne font qu’accumuler des microorganismes bénéfiques beaucoup moins spécifiques, tels que les mycorhizes (Klironomos, 2002). Dans l’aire d’indigénat de Prunus serotina (Amérique du Nord), la communauté microbienne qui se développe dans la rhizosphère d’un individu inhibe l’établissement des individus conspécifiques à proximité. Par contre, en Europe, la communauté microbienne du

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sol se développant sous P. serotina a plutôt tendance à favoriser l’établissement et la croissance des individus conspécifiques (Reinhart et al., 2003) résultant en la formation de peuplements monospécifiques beaucoup plus denses que dans l’aire d’indigénat. Il est fort probable que la litière « améliorante » de P. serotina ait le même impact en Amérique du Nord et en Europe. Toutefois, la densité supérieure des peuplements en Europe doit certainement augmenter l’amplitude de l’impact.

Outre les effets indirects des microbes du sol sur la structure de la végétation et sur l’abondance des espèces, l’interaction des plantes envahissantes avec les microorganismes du sol peut directement influencer le cycle des éléments minéraux.

L’association avec des mycorhizes, par exemple, accroît l’absorption du phosphore chez Centaurea maculosa (Zabinsky et al., 2002). Carduus nutans réduit la croissance de Trifolium repens car la décomposition de ses feuilles libère une substance qui inhibe la fixation d’azote par Rhizobium (Wardle et al., 1994). De même, Hawkes et al. (2005) ont montré que les graminées envahissantes en Californie augmentaient le taux de nitrification du sol en augmentant l’abondance et en changeant la composition des bactéries nitrificatrices.

2. Mécanismes des impacts

2.1. Disponibilité des cations et du phosphore dans les sols envahis par Fallopia japonica et Solidago gigantea

L’analyse des mécanismes des impacts n’a pu être abordée que pour deux espèces, Fallopia japonica et Solidago gigantea. La première était celle qui montrait les impacts les plus forts à la fois sur la productivité et sur les nutriments du sol tandis que la seconde avait un impact important sur la productivité mais uniquement sur la disponibilité du phosphore dans le sol (Vanderhoeven et al., 2006).

L’impact principal de F. japonica était l’augmentation de la disponibilité des cations et du phosphore dans les horizons superficiels du sol. L’hypothèse émise pour expliquer ce résultat était celle d’une remontée d’éléments des horizons profonds vers les horizons superficiels grâce au système racinaire particulièrement profond de F. japonica (chapitre 2). La différence de profondeur d’enracinement entre F.

japonica et les espèces indigènes apparaît donc comme un trait fonctionnel important permettant de prédire l’impact de cette espèce. L’hypothèse de la remontée d’éléments en provenance d’horizons profonds (« nutrient uplift » sensu Jobbagy & Jackson, 2004) n’a pas été testée mais la mesure de la production de biomasse et de la concentration en éléments minéraux des végétations envahies et

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non envahies a permis de confirmer le fait que la renouée investissait une quantité d’éléments minéraux dans la biomasse aérienne nettement supérieure à celle investie par la végétation non envahie (chapitre 2). Toutefois, ceci ne pouvait expliquer l’augmentation de disponibilité des éléments minéraux sous l’envahissante que si ces éléments dans la biomasse aérienne étaient effectivement restitués par la litière et non transloqués vers les organes souterrains lors de la sénescence des organes aériens. Dans le chapitre 2, nous n’avions pas mesuré la résorption.

Toutefois, nous avions émis l’hypothèse que malgré une résorption éventuelle, existant aussi dans la végétation témoin, la restitution d’éléments minéraux était supérieure dans les placeaux de F. japonica en raison de la grande différence de biomasse entre les végétations envahies et non envahies. Dans le chapitre 5, le dosage des éléments minéraux dans les feuilles sénescentes de F. japonica et leur libération en incubation in vitro a montré qu’une grande quantité de potassium était libérée rapidement lors du processus de décomposition, ce qui peut expliquer l’impact positif de F. japonica sur la disponibilité de cet élément dans le site de Saint- Ghislain.

L’absence d’une augmentation des teneurs en nutriments sous F. japonica dans l’expérience en pots suggère également que la remontée d’éléments des horizons profonds est le mécanisme responsable. Toutefois, cette hypothèse devra être testée de manière formelle. Ceci est possible notamment par les méthodes de la géochimie isotopique. Des échantillons de strontium (équivalent au Calcium) de composition isotopique connue sont enfouis à différentes profondeurs. On examine ensuite la signature isotopique dans la biomasse aérienne (Dijkstra & Smits, 2002). De cette manière, la profondeur du système racinaire actif pourra être précisée dans les massifs de F. japonica et dans la végétation indigène. Le Strontium pourrait être avantageusement remplacé par le Rubidium qui est équivalent au potassium. Le potassium est en effet un des éléments qui a réagi le plus à l'invasion par Fallopia.

Les mécanismes de l’augmentation de la disponibilité du phosphore dans les horizons superficiels du sol sous Solidago gigantea ont été étudiés en détails. Une première étude (Chapuis-Lardy et al., 2006) suggérait que cette augmentation résultait d’une vitesse de minéralisation du phosphore organique plus élevée sous Solidago. En effet, l’activité des phosphomonoestérases acides et alcalines était plus forte sous S. gigantea par rapport au sol non envahi. Une seconde étude (Herr et al., 2007) examinant les flux de phosphore dans l’écosystème envahi n’a pu confirmer une activité plus élevée des phosphatases sous l’envahissante. Elle a attribué l’augmentation de la disponibilité du phosphore à une augmentation de la solubilité des formes inorganiques du phosphore par acidification de la rhizosphère et à un plus grand turn-over du phosphore dans les organes souterrains. En effet, en automne, on assiste à une capture massive de phosphore alimentant la croissance de fines racines. Les quantités de phosphore stockées dans l’appareil racinaire avant

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la sénescence des tiges dépassent largement les besoins de la plante pour la croissance des organes aériens l’année suivante. Toutefois, une forte mortalité des fines racines en hiver permet la restitution d’une quantité importante de phosphore organique facilement minéralisable pouvant expliquer la plus grande disponibilité du phosphore dans les peuplements de solidages.

La renouée et le solidage appartiennent à la même forme de vie (géophytes rhizomateux). Toutefois, elles ont des impacts fort différents sur la disponibilité des nutriments. Il a été proposé que les traits fonctionnels des espèces puissent servir de prédicteurs des impacts des envahissantes (Ehrenfeld, 2004). Toutefois, la nécessité de définir très précisément ces traits est clairement soulignée par le contraste entre ces deux espèces. La différence majeure entre celles-ci réside dans la profondeur de leur système racinaire. On peut trouver des rhizomes de F. japonica jusqu’à plus de deux mètres de profondeur (Child et al., 2001) alors qu’aucune différence de profondeur d’enracinement n’a été observée entre S. gigantea et la végétation indigène (la quasi totalité des racines se trouvent dans les 15 premiers cm du sol) (Herr et al., 2007).

2.2. Cycle de l’azote dans les sites envahis par Fallopia japonica

Une tentative de reconstitution du cycle de l’azote dans les peuplements de F.

japonica a été réalisée dans le site de Saint-Ghislain. Dans le chapitre 2, une faible diminution de la concentration en azote et carbone de l’horizon Ah avait été observée sous F. japonica par rapport au sol non envahi. Nous avions fait l’hypothèse que le carbone et l’azote étaient bloqués dans l’épaisse couche de litière observée sous les peuplements de renouées. La faible vitesse de décomposition de la litière de F.

japonica et la fixation d’azote pendant le processus de décomposition s’accordaient bien avec cette hypothèse. En fait, F. japonica entraîne la formation d’un horizon holorganique épais et la matière organique humifiée est sans doute moins bien incorporée à l’horizon Ah que dans la végétation non envahie. Ceci est probablement du à un impact négatif de cette plante sur les organismes fouisseurs (lombrics). Un échantillonnage des lombrics, permettant de vérifier cette hypothèse est en cours de réalisation. Toutefois, la diminution de concentration de carbone et d’azote dans l’horizon Ah n’a pu être confirmée dans le chapitre 6 dans lequel la teneur en carbone et azote du sol étaient identiques entre sols envahis et non envahis tout au long de l’année. L’explication la plus probable est que l’invasion par F. japonica est trop récente dans ce site pour avoir eu un impact important sur l’horizon Ah, les premières modifications détectables ayant lieu dans l’horizon holorganique. Un suivi à long terme de ce site serait souhaitable.

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La façon dont le cycle de l’azote a été analysé dans le présent travail est à certains points de vue insuffisamment détaillée. Certains pools et certains flux n'ont pas été mesurés mais ont été calculés sous des hypothèses vraisemblables mais non vérifiées. En particulier :

- Les stations de F. japonica montrent une immobilisation de carbone et d’azote dans des tiges mortes sur pied. Les processus influençant la dynamique du carbone et de l’azote de ces tiges sont clairement une des clés de la compréhension des cycles biogéochimiques des stations envahies. Les tiges mortes sur pied constituent une part non négligeable de la masse aérienne dans les massifs de F. japonica (environ 2 kg.m-² de novembre à mars et encore 0.5 kg.m-² en fin d'été). Une portion de ces tiges reste donc debout plus d'un an et subit un processus de décomposition très probablement différent de celui des débris tombés au sol. De même, les tiges qui tombent au sol n'ont plus la même composition que les tiges sénescentes de fin d'automne. Ces deux points n'ont pas été pris en compte dans le présent travail. Afin de réduire ces imprécisions, la dynamique de disparition de ces tiges (décomposition sur pied, dynamique de chute et décomposition au sol d'organes marqués) devrait être suivie.

- Une autre imprécision dans le cycle retracé vient du fait que la dynamique de l’azote dans les feuillages est beaucoup plus complexe que prévu. Il existe, en effet, des variations de la concentration en azote des feuilles en fonction de la date et de la position sur la plante. Il serait donc indispensable de suivre l’évolution de la concentration en azote de cohortes de feuilles bien caractérisées afin d’améliorer la résolution de nos observations et estimer avec beaucoup plus de précision la dynamique de la résorption de l’azote des feuilles vers les organes souterrains et la dynamique des retombées d’azote au sol au cours du temps sous forme de litière.

- Jusqu’à présent, la minéralisation de l’azote n’a été mesurée que in vitro. Dans cette expérience, le taux de minéralisation des sols témoins et envahis ne différaient pas de manière significative. Ceci est tout à fait surprenant étant donné les différences importantes de productivité et de qualité de litière entre les deux types de végétation. Toutefois, ces résultats vont dans le sens de la théorie de Knops et al.

(2002) qui propose que la qualité des litières a peu d’impact sur la minéralisation nette de l’azote car la majeure partie de l’azote minéralisé est immédiatement incorporée dans la biomasse microbienne. Les microorganismes du sol jouent donc, selon eux, un rôle de tampon empêchant un impact fort sur la libération d’azote minéral. Toujours selon Knops et al. (2002), les mécanismes principaux de l’influence des plantes sur l’azote du sol, sont ceux qui influencent les gains (fixation de l’azote atmosphérique, interception des retombées) et les pertes d’azote de l’écosystème (lessivage, dénitrification, perte par le feu). A l’avenir, les apports et les fuites d’azote

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devront être examinés en détail dans ce site. Quoi qu’il en soit, la méthode d'incubation du sol "in vitro" est artificielle car elle met dans des conditions standardisées identiques (température, humidité, aération) des sols qui, sur le terrain, sont dans des conditions différentes. À l’avenir, la minéralisation de l'azote du sol devrait être mesurée in situ (incubation sur le terrain de cylindres de sol non perturbés) et en considérant l'ensemble du profil de sol.

- Tous les flux mesurés dans ce travail l'ont été de manière empirique sur le terrain.

Afin de suivre le destin d'un atome d'azote dans l'écosystème envahi, une étude expérimentale est nécessaire. Le cycle du carbone peut être étudié en pot grâce à la technique du marquage isotopique (14C). (Price et al., 2002). Dans des cultures en pot ou en parcelles expérimentales, on pourrait également réaliser un marquage isotopique de l'azote (15N). Le marquage isotopique est une technique communément utilisée dans l’étude du cycle de l’azote. Elle permet, entre autre, de déterminer la forme d’azote préférentiellement absorbée (Harrison et al., 2007), de suivre la translocation entre organes différents (Christian et al., 2006 ; Pornon &

Lamaze, 2007), de déterminer le temps de résidence de l’azote dans un oragne (Christian et al., 2006 ; Pornon & Lamaze, 2007) ou d’étudier la minéralisation de la matière organique (Bottner et al., 2006). Cette technique nous permettrait d'identifier clairement les flux d’azote dans le système. En particulier, nous pourrions mesurer quelle portion de l’azote présent dans les parties aériennes de la plante provient de ressources stockées durant la saison précédente dans les parties souterraines et quelle portion provient de l’azote absorbé par les racines. Cette question est cruciale puisque nous avons fait l’hypothèse que le succès de la plante s’expliquait notamment par cette capacité de recyclage interne de l’azote. Cette technique permettrait également de mesurer précisément la dynamique de minéralisation de l’azote à partir de litières marquées.

- De plus, une partie importante du cycle reste inexplorée. En effet, les organes souterrains (rhizomes et racines), probablement très étendus et profonds, jouent incontestablement un rôle majeur chez cette plante (stockage hivernal de l'azote et alimentation de la croissance printanière). Dans ma thèse, ce compartiment a été négligé pour des raisons techniques. Il serait souhaitable d'avoir accès à l’ensemble de l’appareil souterrain pour quantifier les flux d'azote vers et à partir de ce réservoir qu'on suppose très important. En raison des difficultés techniques, le compartiment souterrain n’a été que rarement examiné dans les études de l’influence des plantes sur le cycle des éléments minéraux (ex : Herr et al., 2007).

Une autre piste de recherche pour l’avenir serait de comparer l’impact de F. japonica sur le fonctionnement de l’écosystème entre aire d’indigénat et aire d’introduction.

Jusqu’à présent, les études sur F. japonica au Japon ont toutes été réalisées sur les

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pentes du Mont Fuji. Sur le volcan, elle se comporte comme une espèce pionnière des cendres volcaniques. Au cours du développement des clones, l’azote s’y accumule par interception des retombées atmosphériques. La nitrification y est plus intense que dans les stades ultérieurs de la succession (Hirose & Tateno, 1984).

Cette situation n’offre pas un point de comparaison valable avec la stratégie compétitive que la plante adopte en Europe. Il serait donc souhaitable d’identifier et d’étudier l’impact de F. japonica dans son aire d’indigénat mais dans des sites plus comparables à ceux colonisés par l’espèce en Europe afin de déterminer si les impacts sont identiques ici et au Japon.

2.3. Dynamique de la matière organique

La dynamique de la matière organique a été étudiée dans quelques sites occupés par Prunus serotina, Solidago gigantea, F. japonica et Heracleum mantegazzianum (Koutika et al., 2007). La teneur en matière organique du sol plus faible dans la hêtraie envahie par P. serotina comparée à la hêtraie pure (Louvain-La-neuve) concorde bien avec les résultats de décomposition de litière. En effet, la litière de P.

serotina se décompose plus rapidement que celle de Fagus sylvatica (Koutika et al., 2007). Dans un site à S. gigantea (Kraainem), la minéralisation du carbone (g de C respiré par g de sol) était plus intense sous l’envahissante que sous la végétation non envahie. Toutefois, cette augmentation n’est pas due à une accélération du processus mais simplement à une augmentation de la quantité de matière organique incorporée au sol. Ceci résulte de l’apport d’une plus grande quantité de litière avec une vitesse de décomposition légèrement plus lente dans les placeaux envahis par rapport aux placeaux non envahis. Dans ce site, le sol était initialement pauvre en matière organique (1,5 % C) et l’invasion tend à accroître la teneur en matière organique du sol. Par contre, dans un autre site (Saint-Ghislain), la teneur initiale en matière organique est beaucoup plus élevée (8,0 % C) et l’invasion par S. gigantea ne modifie pas le taux de minéralisation du carbone (Koutika et al., 2007). Dans les deux sites (Ganshoren et Boitsfort) envahis par H. mantegazzianum étudiés par Koutika et al. (2007), le taux de minéralisation du carbone est plus faible dans les sols envahis par rapport aux sols non envahis. Ceci résulte de la teneur plus faible en matière organique dans les sols envahis et non d’un ralentissement de la décomposition de la matière organique. En effet, la litière d’H. mantegazzianum semble disparaître très rapidement après sénescence des feuilles (obs. pers.). Le cycle des éléments minéraux chez cette plante n’a pas été étudié dans le présent travail pour des raisons de sécurité. En effet, cette plante est extrêmement photosensibilisante. Les précautions nécessaires devraient être prises afin de pouvoir étudier plus en détails l’impact de cette plante sur le fonctionnement de l’écosystème. Pour F. japonica, les deux sites étudiés par Koutika et al. (2007)

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montrent des résultats différents. Dans un premier site (Boitsfort), ni la teneur en carbone, ni le taux de minéralisation du carbone ne sont modifiés par l’invasion. Par contre, dans le site de Saint-Ghislain, la teneur en carbone reste inchangée mais le taux de minéralisation du carbone est inférieur dans le sol envahi. Ceci contraste avec ce que nous avions trouvé dans le chapitre 6 (pas de différence de minéralisation entre placeaux envahis et témoins) mais concorde avec les données de décomposition de litière (chapitre 5). Nous avions envisagé que l’invasion était trop récente pour avoir eu un impact sur la matière organique dans l’horizon Ah. Les modifications trouvées par Koutika et al. (2007) indiquent peut-être que son échantillonnage s’est fait dans une partie du site envahie depuis plus longtemps.

Koutika et al. (2007) soulignent que les impacts des plantes exotiques étudiées sur la dynamique de la matière organique sont très variables d’un site à l’autre. Ceci concorde avec mes résultats sur la disponibilité des éléments minéraux.

2.4. Les impacts dépendent du contexte pédologique initial

Un résultat important de cette thèse est que l’impact des espèces exotiques envahissantes est essentiellement modulé par les conditions écologiques locales (contexte pédologique). Les traits fonctionnels des espèces ne permettent donc pas de prédire les impacts de celles-ci étant donné qu’une même espèce peut avoir des impacts opposés dans des sites différents et que des espèces très différentes peuvent avoir le même impact dans des sites similaires. En fait, selon l’écosystème considéré, ce ne sont pas les mêmes traits fonctionnels des espèces qui jouent un rôle. Dire que toutes les espèces exotiques envahissantes ont un impact similaire est sans doute abusif. Les effectifs sont probablement trop faibles pour détecter des différences d’impact entre espèces (interaction espèce x invasion significative). Quoi qu’il en soit, le facteur « site » semble être le facteur expliquant le mieux la variablité des impacts des envahissantes. Des mécanismes ont été proposés dans le chapitre 3. Dans les sols initialement pauvres, les envahissantes ont tendance à augmenter la disponibilité des éléments minéraux par accumulation de matière organique, par remontée d’éléments en provenance d’horizons de sol profonds ou par stimulation de la minéralisation. Par contre, dans les sols initialement riches, ces phénomènes existent mais sont compensés, voir dépassés par des fuites d’éléments. Ces pertes d’éléments ont deux origines très différentes : les pertes nettes par lessivage et les pertes transitoires par stockage dans la biomasse ou dans une matière organique morte peu accessible aux décomposeurs. Cette hypothèse devrait être testée en comparant les différents flux d’éléments (pertes et gains) entre végétation envahie et non envahie et ce dans deux sites contrastés (un pauvre et un riche au départ). Les différents pools et flux d’éléments qui devraient être mesurés sont le lessivage d'éléments (technique des cartouches poreuses), la quantité d'éléments bloqués

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dans la biomasse et la litière, la décomposition de la litière et la minéralisation de l’azote et du phosphore (incubation in situ). La mesure de ces différents flux permettrait de construire un modèle prédictif des impacts.

3. Modifications de la faune et de la microflore du sol

Comme mentionné plus haut, l’impact des espèces exotiques envahissantes sur le cycle des éléments minéraux peut être modulé par une modification de la composition et/ou de l’activité de la communauté microbienne du sol. Il a été proposé que les interactions entre les plantes exotiques envahissantes et la communauté microbienne soient contrôlées par les métabolites secondaires libérés par la plante dans sa rhizosphère (Ehrenfeld, 2006). Ehrenfeld (2006) propose donc d’utiliser la très étendue littérature pharmacologique pour prédire l’impact de plantes envahissantes actuelles et à venir. Dans ce contexte, certains impacts de Fallopia japonica sur la dynamique de la matière organique (ex : faible taux de décomposition des litières) pourraient être contrôlés par des substances chimiques produites par la plante. En effet, plusieurs articles (ex : Kumaga et al., 2005 ; Kim, 2005) ont isolé des substances antimicrobiennes à partir des rhizomes et des feuilles de Fallopia japonica et Fallopia sachalinensis. À l’avenir, il est nécessaire d’évaluer l’impact de F. japonica sur la composition et le fonctionnement des communautés microbiennes et en particulier sur les différents groupes fonctionnels impliqués dans le recyclage de la matière organique (nitrificateurs, bactéries cellulolytiques…). Une comparaison de ces impacts entre aire d’indigénat et aire d’introduction permettra de détecter d’éventuelles altérations des relations plantes-microorganismes du sol dans l’aire d’introduction. Une telle altération pourrait contribuer au succès invasif de l’espèce.

Une autre composante de l’écosystème impliquée dans le processus de recyclage de la matière organique est la faune du sol. De nombreuses études documentent des modifications de la composition et de la densité de la faune du sol suite à l’invasion par une espèce de plante exotique (Belnap & Philips, 2001 ; Kourtev et al., 2002 ; Herrera & Dudley, 2003 ; Ernst & Cappuccino, 2005). L’impact de Fallopia japonica sur la faune épigée a été étudié récemment par Kappes et al. (2007). Ces auteurs ont trouvé une diminution de l’abondance des herbivores et une plus grande occurrence des prédateurs (opilions) mais n’ont pas trouvé d’impact significatif de F.

japonica sur la faune des décomposeurs. Toutefois, les résultats de Domken (2007) montrent que F. japonica a un impact négatif sur la densité (nombre d’individus par unité de surface) de la pédofaune et certains groupes (cloportes) sont plus abondants sous la renouée et d’autres (fourmis) moins abondants, probablement en raison d’une modification du microclimat par la plante envahissante (plus humide et

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plus frais dans les peuplements de renouée que dans une végétation de friche herbacée ouverte). Ces différences ne se traduisent toutefois pas dans la vitesse de décomposition des litières. En effet, les litières indigènes et celles de F. japonica se décomposent à la même vitesse dans les placeaux envahis et non envahis.

4. Problème du complexe hybride chez Fallopia

Jusqu’à présent, on s’est beaucoup intéressé à Fallopia japonica car celle-ci est une des espèces les plus envahissantes dans nos régions. Pourtant, elle n’est pas la seule espèce du genre Fallopia introduite en Europe. Une autre espèce de renouée originaire de l’île de Sacchaline au nord du Japon, Fallopia sachalinensis, a été introduite en Europe au XIXème siècle (Muller, 2003). Celle-ci est envahissante mais dans une moindre mesure que F. japonica. Plus récemment, un hybride entre ces deux espèces, Fallopia x bohemica, a été décrit en Europe (Mandak et al., 2004). Ce dernier est particulièrement envahissant et tend à détrôner Fallopia japonica dans sa qualité d’espèce la plus envahissante d’Europe en se répandant plus rapidement que ses deux parents (Mandak et al., 2004). Le fait d’avoir étudié les impacts de F.

japonica nous dispense-t-il d’étudier ceux de ses deux proches parents ? Certaines observations incitent à la prudence. En effet, les trois taxa pourraient différer pour plusieurs traits fonctionnels susceptibles d’influencer le cycle des éléments minéraux.

- Les trois taxa présentent une productivité importante. Toutefois, ils devraient être comparés en conditions expérimentales homogènes. La productivité influence directement la quantité de litière.

- Dans une étude comparant diverses techniques pour éradiquer les deux espèces de renouées et leur hybride, Bimova et al. (2001) ont détecté des différences de résistance aux différents traitements. Ainsi, F. sachalinensis est efficacement contrôlé par des traitements simples (fauche, arrachage, herbicides), F. japonica nécessite des traitements combinés (fauche + herbicides ou arrachage + herbicides) alors qu’aucun traitement ne semble altérer la vigueur de F. x bohemica. Ces auteurs attribuent cette variation à des différences de stratégies de régénération. F. japonica produit un grand nombre de tiges après perturbation qui sont efficacement détruites par les herbicides tandis que F. x bohemica garde des bourgeons dormants sur les rhizomes et peut ainsi répondre à plusieurs épisodes de perturbation successifs.

- La capacité de régénération végétative est la plus efficace chez l’hybride (Pysek et al., 2003).

- Dans les sites où l’hybride et F. japonica cohabitent, l’hybride a une supériorité compétitive lui permettant de s’étendre aux dépens de son parent (Bimova et al., 2004).

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5. Recyclage des nutriments et « feedbacks » sur la capacité d’invasion

La vitesse de décomposition souvent plus élevée des litières des espèces envahissantes entraîne une accélération du recyclage des nutriments (Ehrenfeld, 2003). Ceci pourrait favoriser l’établissement des espèces envahissantes à croissance rapide et défavoriser les indigènes à croissance plus lente (feedback positif) (Ashton et al., 2005). Chez Fallopia japonica, ce n’est pas ce que l’on observe. En effet, la décomposition de sa litière est fortement ralentie par rapport à celle de la végétation indigène. Le succès invasif de cette plante doit donc être recherché ailleurs. En théorie, la faible vitesse de décomposition de la litière de F.

japonica devrait réduire la disponibilité en azote minéral dans le sol, ce qui devrait ralentir la croissance de la plante. En réalité, F. japonica apparaît comme une espèce tout à fait hors du commun. En effet, il existe généralement un trade-off entre taux de croissance et conservation des nutriments (Hobbie, 1992). Les espèces à fort taux de croissance qu’on trouve sur des sols riches ont généralement des feuilles à concentration élevée en éléments minéraux, ce qui se reflète dans leur litière. Ceci favorise la décomposition et accélère le recyclage des éléments minéraux. Par contre, les espèces à croissance lente qu’on trouve plutôt sur sols pauvres ont des feuilles plus sclérifiées et plus pauvres en nutriments, ce qui réduit leur vitesse de décomposition et réduit la disponibilité des nutriments (Hobbie, 1992). Chez F.

japonica, on ne retrouve pas ce patron. En effet, malgré une concentration très faible en azote dans la litière, la production de biomasse par unité de surface de cette plante est jusqu’à 13 fois supérieure à celle de la végétation qu’elle envahit (chapitre 2). La capacité tout à fait surprenante de cette plante à résorber jusqu’à 80 % de l’azote foliaire et 50 % de l’azote des tiges avant abscission pourrait en partie expliquer que F. japonica conserve un taux de croissance exceptionnel malgré le ralentissement du cycle de l’azote qu’elle provoque. En effet, la résorption efficace de l’azote permet une croissance rapide au printemps qui ne dépend pas de l’apport d’azote par minéralisation de la matière organique du sol mais des ressources stockées dans les rhizomes. Dans ce contexte, l’immobilisation de l’azote dans la litière ne pose pas de problème à la croissance de la renouée alors qu’il doit être limitant pour l’installation d’autres espèces au sein des peuplements de renouées. La limitation de la disponibilité de l’azote pour les autres plantes apparaît donc comme un facteur clé du pouvoir compétitif de l’espèce. Toutefois, une diminution du taux de minéralisation de l’azote dans l’horizon Ah des placeaux envahis n’a pu être mise en évidence ici. Sans doute, l’impact de ces plantes sur la qualité de la matière organique du sol n’a pas eu le temps de se mettre en place. La limitation de la disponibilité de l’azote doit donc surtout se marquer dans les peuplements anciens.

Siemens et Blossey (2007) ont écarté l’hypothèse d’une limitation de l’azote comme caractère majeur expliquant l’aptitude compétitive de Fallopia. Ils ont réalisé une

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expérience de compétition in situ visant à déterminer l’importance relative des facteurs lumière, nutriments et allélopathie dans l’aptitude compétitive d’une espèce apparentée, Fallopia x bohemica. Ils ont montré que le facteur expliquant le mieux le pouvoir compétitif de l’espèce était l’interception de la lumière. En effet, un apport de fertilisants azotés au sein des peuplements de renouées ne restaurait pas la performance des compétiteurs indigènes alors que l’apport de lumière augmentait leur croissance et leur survie.

Les conséquences de l’altération des propriétés du sol par les espèces envahissantes sur la structure et la dynamique des communautés végétales sont mal connues (Minchinton et al., 2006). Ces modifications du sol pourraient induire un feedback positif, en accélérant la croissance et/ou en renforçant le pouvoir compétitif de l’espèce envahissante (Ehrenfeld et al., 2001 ; Allison & Vitousek, 2004). Un tel feedback positif a été démontré dans l’expérience de Blank et Young (2004). Trois espèces envahissantes (Lepidium latifolium, Bromus tectorum et Centaurea solstitialis) ont été cultivées en pots. Après trois ans, les teneurs en éléments minéraux disponibles dans le sol avaient augmenté et la croissance des plantes était plus forte. Les modifications des propriétés du sol sous les espèces exotiques envahissantes observées dans la thèse pourraient résulter en un feedback positif si elles augmentent la supériorité compétitive des envahissantes. Il serait intéressant de tester cette hypothèse par une expérience de compétition sur sol modifié.

L'espèce envahissante serait cultivée en pot en mélange avec une espèce indigène sur sol normal (sol témoin) et sur un sol précédemment occupé par la plante envahissante (sol envahi). Si un feedback positif existe, alors, l'aptitude compétitive de la plante envahissante sera plus forte sur sol envahi que sur sol témoin.

L’adjonction de charbon actif (adsorbant les molécules organiques solubles) dans la moitié des pots permettrait de mesurer les effets respectifs de l’allélopathie et de la compétition pour les ressources (Ridenour & Callaway, 2001). En effet, certains travaux ont montré que l’allélopathie jouait un rôle important dans le caractère envahissant de certaines espèces exotiques (Callaway & Aschehoug, 2000 ; Siemens & Blossey, 2007).

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6. Implications des impacts des envahissantes sur le sol pour la restauration des communautés végétales

L'identification et la compréhension des impacts des envahissantes sur les propriétés chimiques du sol et, en particulier, sur la disponibilité des nutriments peuvent guider les actions de restauration. En effet, la composition de la végétation est fortement dépendante des propriétés chimiques du sol et en particulier de la disponibilité des macroéléments (NPK). Or, si l’invasion a modifié la disponibilité de ces éléments, la communauté végétale qui se reconstituera après élimination de la plante envahissante risque d’être différente de la communauté que l’on veut restaurer. En particulier, le risque est grand que l’augmentation de la disponibilité de l’azote et du phosphore des sols initialement pauvres favorise des espèces à stratégie dominante peu favorables à la biodiversité (orties, ronces, …). À cet égard, on pourrait distinguer deux types d’impacts : les rémanents et les transitoires. En effet, certaines altérations des propriétés du sol peuvent être encore perceptibles plusieurs années après élimination de la plante envahissante (Maron & Jefferies, 2001 ; Corbin &

D’Antonio, 2004). Corbin et D’Antonio (2004) suggèrent que l’impact d’une plante sur le cycle de l’azote sera rémanent si elle modifie la quantité totale d’azote dans l’écosystème (fixation d’azote atmosphérique ou perte par lessivage) mais sera transitoire si la plante ne modifie que les flux d’azote et pas la quantité totale (ex : différente quantité et/ou qualité de litière). Nous pouvons étendre ce raisonnement à tous les autres éléments. Ainsi, dans la catégorie des impacts rémanents, il faut mettre les augmentations de disponibilité résultant de réelles augmentations de concentrations. Par exemple, l’augmentation de la disponibilité des cations sous Fallopia japonica est très vraisemblablement causée par la remontée d'éléments des horizons profonds vers les horizons superficiels grâce à un système racinaire beaucoup plus profond que celui de la végétation non envahie ("nutrient uplift" au sens de Jobbagy et Jackson (2004)). L’augmentation de la disponibilité est donc liée, ici, à une augmentation de la quantité totale d’éléments dans les horizons superficiels du sol. Par contre, certains effets devraient être plus transitoires. Par exemple, l’augmentation de la disponibilité du phosphore sous Solidago gigantea n’est pas le résultat d’une augmentation de la quantité totale de phosphore sous la plante mais plutôt d’une mobilisation accrue de formes moins accessibles de phosphore probablement liée à une acidification de la rhizosphère et à l’activité accrue des phosphatases racinaires et microbiennes dans la rhizosphère. Dés lors que la plante est supprimée d’un site, l’action sur le phosphore devrait disparaître rapidement. La simple éradication de la plante envahissante devrait permettre de reconstituer la végétation d’origine dans le cas d’impacts transitoires alors qu’une gestion restauratrice supplémentaire (fauche avec exportation) sera nécessaire dans le cas d’impacts rémanents.

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7. Interactions avec les autres composantes du changement global

Les invasions biologiques, le réchauffement et l’eutrophisation sont trois composantes importantes du changement global. Chacune de ces composantes a individuellement un impact négatif sur la biodiversité mondiale. Toutefois, la probabilité que ces trois phénomènes interagissent est grande et des actions synergiques sont à craindre. Le climat a un impact évident sur les invasions biologiques. En effet, il a été montré que la progression vers le nord de certaines espèces envahissantes était limitée par la température (Beerling et al., 1995 ; Willis &

Hulme, 2002). Une augmentation de celle-ci devrait modifier l’aire de répartition actuelle des espèces envahissantes (Beerling et al., 1995). Au-delà de cet effet direct des changements climatiques, il est possible que l’augmentation de la température influence l’aptitude compétitive des espèces envahissantes. Cette problématique est actuellement étudiée par le « Research Group of Plant and Vegetation Ecology » de l’université d’Anvers. Des expériences de compétition en pots entre espèces exotiques et indigènes sont réalisées à température ambiante et en chambre de culture chauffée (T ambiante + 3°C). Les performances de la plante envahissante en compétition sont comparées entre les deux régimes thermiques.

Des résultats préliminaires confirment que la température influence l’aptitude compétitive des espèces envahissantes. Toutefois, le sens de la modification varie selon l’espèce considérée (Verlinden, com. pers.).

L’enrichissement des écosystèmes en azote et en phosphore suite aux activités humaines (effluents agricoles, pollution atmosphérique) a profondément modifié le cycle de ces éléments et a souvent augmenté la productivité des écosystèmes favorisant les espèces très productives au détriment des espèces moins compétitives plus adaptées aux sols pauvres. Les espèces envahissantes, qui sont souvent très productives, se rencontrent très souvent dans des habitats eutrophisés. L'explication de ce phénomène avancée par Byers (2002) est que l'eutrophisation modifie les écosystèmes à tel point que les espèces indigènes théoriquement adaptées aux conditions locales se retrouvent dans un environnement qui est aussi nouveau pour elles que pour les espèces exotiques. Étant donné l'introduction constante d'un grand nombre d'espèces, les chances sont grandes qu'au moins une espèce soit mieux adaptée au nouvel environnement que les espèces résidentes. L’augmentation de l’eutrophisation pourrait accroître la compétitivité des espèces exotiques envahissantes et ainsi aggraver leur impact. La démarche expérimentale pour tester cette hypothèse consisterait à réaliser des expériences de compétition sur des sols de fertilité contrastée afin d’évaluer comment la dominance de la plante envahissante varie en fonction de la fertilité du substrat.

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8. Conclusion et perspectives

Les espèces étudiées dans le présent travail ont montré des impacts importants sur les cycles biogéochimiques. Les traits fonctionnels des espèces (formes de vie, biomasse…) n’ont pas permis, à eux seuls, de prédire les impacts. En effet, des espèces très différentes pouvaient avoir le même impact dans des sites similaires et une même espèce pouvait avoir des impacts différents dans des sites différents. Les impacts se sont, par contre, révélés partiellement prévisibles selon le contexte pédologique initial. En fait, les impacts sont déterminés par des interactions complexes entre traits fonctionnels des espèces et facteurs du milieu. Les mécanismes des impacts ont été brièvement abordés pour deux espèces (Fallopia japonica et Solidago gigantea) dans un seul site. A l’avenir, ils devront être étudiés plus en détails dans des sites très contrastés.

Fallopia japonica s’est révélée être une espèce modèle particulièrement intéressante pour appréhender la complexité du cycle de l’azote chez les plantes pérennes rhizomateuses. Sa capacité à stocker et à remobiliser des ressources (azotes et hydrates de carbone) lui confère un avantage compétitif considérable, expliquant probablement en grande partie son succès invasif. Le cycle de l’azote dans les massifs de renouées a été retracé mais quelques zones d’ombres subsistent (translocations de l’azote entre différentes générations de feuilles, remobilisation des ressources stockées dans les rhizomes…). Ces zones d’ombres devront être levées.

De plus, le cycle de l’azote chez cette espèce devrait être examiné dans son aire d’indigénat dans des habitats similaires aux habitats envahis en Europe (et pas sur les cendres volcaniques). La possibilité que le cycle de l’azote et les interactions avec les organismes du sol soient différents entre l’aire d’introduction et l’aire d’indigénat devra être examinée.

L’ensemble des observations réalisées sur le terrain dans le cadre de cette thèse était basé sur une approche comparative entre placeaux envahis et placeaux non envahis adjacents. Ces derniers étaient censés représenter la situation pré-invasion.

Malgré les précautions d’échantillonnage, la probabilité que les différences observées entre placeaux envahis et non envahis existaient avant le début de l’invasion n’est pas nulle. Une méthode plus rigoureuse consisterait à mesurer les propriétés du sol avant et plusieurs années après le début de l’invasion. De telles études diachroniques à long terme devraient être réalisées dans des sites où l’expansion de l’espèce envahissante n’est pas achevée. La mise en place de carrés permanents à proximité du front d’invasion permettrait de suivre l’évolution des propriétés du sol de ces carrés au cours du processus d’invasion. Une autre méthode plus simple mais discutable sur la plan éthique consisterait à introduire les espèces exotiques envahissantes dans des sites homogènes au départ et à suivre les modifications des propriétés du sol au cours du temps.

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Les modifications des propriétés du sol observées sous les espèces étudiées pourraient renforcer leur aptitude compétitive et expliquer leur caractère envahissant.

La possibilité qu’un tel feedback positif existe, devra également faire l’objet de recherches ultérieures.

Enfin, l’étude des interactions entre invasions et autres composantes du changement global (réchauffement global et eutrophisation) semble être une piste de recherche particulièrement prometteuse.

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