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Enseignement de l’École de la Cause freudienne Études lacaniennes, 2009-2010

Lecture des Séminaires XVI, XVIII et XX : Les hommes, les femmes et les semblants Pierre Naveau

1. Soirée du 26 novembre 2009

Je voudrais placer ces soirées sous l’exergue suivant : Point de réponse, mot.

Cette phrase est extraite de la fable de La Fontaine, « L’Âne et le Chien » : Il se faut entraider, c'est la loi de Nature :

L’Âne un jour pourtant s’en moqua : Et ne sais comme il y manqua ;

Car il est bonne créature.

Il allait par pays, accompagné du Chien, Gravement, sans songer à rien, Tous deux suivis d’un commun maître.

Ce maître s’endormit ; l’Âne se mit à paître : Il était alors dans un pré,

Dont l’herbe était fort à son gré.

Point de chardons pourtant ; il s’en passa pour l'heure : Il ne faut pas toujours être si délicat ;

Et faute de servir ce plat Rarement un festin demeure.

Notre Baudet s’en sut enfin

Passer pour cette fois. Le Chien mourant de faim Lui dit : « Cher compagnon, baisse-toi, je te prie ;

Je prendrai mon dîné dans le panier au pain. » Point de réponse, mot ; le Roussin d’Arcadie

Craignit qu’en perdant un moment, Il ne perdît un coup de dent.

Il fit longtemps la sourde oreille : Enfin il répondit : « Ami, je te conseille D’attendre que ton maître ait fini son sommeil ;

Car il te donnera sans faute à son réveil,

Ta portion accoutumée.

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Il ne saurait tarder beaucoup. » Sur ces entrefaites un Loup

Sort du bois, et s’en vient ; autre bête affamée.

L’Âne appelle aussitôt le Chien à son secours.

Le Chien ne bouge, et dit : « Ami, je te conseille De fuir en attendant que ton maître s’éveille :

Il ne saurait trop tarder ; détale vite, et cours.

Que si ce Loup t’atteint, casse-lui la mâchoire.

On t’a ferré de neuf ; et si tu me veux croire, Tu l’étendras tout plat. » Pendant ce beau discours,

Seigneur Loup étrangla le Baudet sans remède.

Je conclus qu’il faut qu’on s’entraide.

Je demanderai donc, à certaines et à certains d’entre vous, de m’aider. Vous trouvez « Point de réponse, mot » p. 74 du Séminaire XX.

Le silence de Lacan

Il y a une thèse de Lacan dont j’aimerais saisir la portée : Il est délicat de parler des rapports entre les hommes et les femmes ; mais, si l’on décide d’en parler, il convient alors d’en passer par l’écrit. C’est la thèse qu’il soutient dans les Séminaires XVI, XVIII et XX. On ne peut en parler qu’en se tenant à la limite du sens. Quand Lacan a écrit au tableau, le 13 mars 1973, les quatre formules de la sexuation, ce qui est important, c’est qu’à cet instant-là, il ne disait rien, il écrivait. Parler et écrire, ce n’est pas la même chose. Cela s’est accentué, ensuite, quand il s’est mis à parler des nœuds. C’est dans ce contexte qu’il a évoqué le sens que chaque discours soutient en disant que, pour chacun de ces discours, le sens s’avère être un semblant : « Ce que le discours analytique fait surgir, c’est justement l’idée que ce sens est du semblant. Si le discours analytique indique que ce sens est sexuel, ce ne peut être qu’à rendre raison de sa limite… » (Séminaire XX, p. 74). Dès qu’on aborde le sexuel, il faut se tenir à la limite. Parler du sexuel dans le champ de la psychanalyse est donc une expérience-limite. « … Il n’y a nulle part de dernier mot, si ce n’est au sens où mot, c’est motus – j’y ai déjà insisté. Pas de réponse, mot, dit quelque part La Fontaine. » (Ibid.) Lacan évoque ainsi l’échec du sens, là où un discours rencontre sa limite. C’est à ce moment-là qu’il faut commencer à écrire. À cet égard, il répartit, de chaque côté d’une barrière ou d’une béance, ce qu’il appelle la part homme et la part femme :

« Telles sont les seules définitions possibles de la part dite homme ou bien (de la part dite) femme… » (Ibid.)

Je voudrais, ici, déplier ce geste inaugural de Lacan : Il a écrit ces formules en étant, à l’instant où il les écrivait, muet.

C’est relativement à un discours que le semblant a un sens. Et un discours est une structure qui comporte quatre places et quatre termes susceptibles de venir occuper ces quatre places. Ce qui m’intéresse, c’est que Lacan donne à la place en bas à gauche le nom de la vérité, à celle en haut à gauche le nom de semblant, à celle en haut à droite le nom de l’autre, soit avec un grand A soit avec un petit a, et enfin à celle en bas à droite le nom de la production.

le semblant l’autre la vérité la production

À droite, je préfère écrire, en haut, la différence, et, en bas, la jouissance.

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La différence signifie que le discours articule au premier signifiant un autre signifiant, un deuxième signifiant. Lorsque Lacan introduit le discours du maître, il nomme le premier signifiant le signifiant-maître et le second signifiant le savoir. Au départ en tout cas, la place en haut à droite est donc électivement celle du savoir. Par rapport à la question que je me pose :

« Qu’est-ce que le semblant ? », il me paraît plus intéressant de s’en tenir à la formulation suivante des quatre places :

le semblant le savoir la vérité la jouissance

Lacan, en effet, dans les Séminaires XVI, XVIII et XX, parle beaucoup de ces quatre termes et de leurs rapports.

Comme l’indique Heidegger dans son Nietszche (Heidegger M., Nietszche, Gallimard, tome I, p. 190 à 199), Nietszche, dans le mouvement même de sa critique de Platon, s’est interrogé sur les rapports entre la vérité et le semblant. Heidegger, lui-même, se pose la question : Y a-t-il conjonction ou disjonction entre les deux ? C’est une question classique dans la philosophie.

Nietszche tend à dire que l’art montre qu’il y a conjonction entre la vérité et le semblant, que la vérité est attrapée par le semblant et que, de ce point de vue, la vérité ment. On rencontre quasiment cette expression sous la plume de Heidegger. C’est ce mensonge qui donne à la vérité, dont il est question dans l’art, son intensité. Si l’on se place du point de vue de Nietzsche, l’art se soutient de ce biais de la vérité menteuse. Dans son dix-huitième Séminaire, Lacan évoque, à la fois, les rapports entre la vérité et le semblant, entre la vérité et le savoir, entre le semblant et la jouissance et entre la vérité et la jouissance. Dans le Séminaire XVII, il avait abordé, une nouvelle fois, la dialectique hégéliano-marxiste du maître et de l’esclave et avait parlé des rapports entre le savoir et la jouissance.

Dans son Cours de l’année 2008-2009, « Choses de finesse en psychanalyse » (http://www.causefreudienne.net/etudier/le-cours-de-jacques-alain-miller/choses-de-finesse-en- psychanalyse-cours-2008-2009), Jacques-Alain Miller a posé le problème des rapports entre la vérité et la jouissance, en disant que c’était le problème que ce Cours voulait aborder (1

er

avril 2009). Quand on veut évoquer le Lacan de cette époque, c’est vraiment dans cet axe qu’il convient de se situer pour s’y retrouver. Puisque dans la perspective du prochain congrès de l’AMP, j’ai choisi de traiter des rapports entre les hommes, les femmes et les semblants, je voudrais évoquer, ce soir, plus particulièrement les rapports entre le semblant et la jouissance.

Semblant et jouissance

Dans le Séminaire XVIII, Lacan indique que l’homme et la femme, c’est important de le souligner, ont, chacun de leur côté, à prendre position relativement à ce qu’il appelle, p. 34 et p. 35, « la conjonction et la disjonction entre le semblant et la jouissance ». Il y a, pour Lacan, une hétérogénéité entre les deux. Il affirme que la femme sait que si, d’un côté, il y a conjonction entre la jouissance et le semblant, d’un autre côté, cependant, il y a disjonction. Il attribue à la femme un savoir là-dessus. Puisque je ne comprends pas cette assertion, je vais essayer d’attraper cela par les conséquences logiques qu’il en tire. L’homme et la femme se trouvent à l’intersection entre deux jouissances. Pour Lacan, il y a deux jouissances. Autrement dit, si l’on veut simplifier, et Jacques-Alain Miller l’a fait dans son Cours, il y a, ce sont ses termes, la jouissance 1 et la jouissance 2.

Au moment de la rencontre entre l’homme et la femme, une faille s’ouvre entre la jouissance 1 et

la jouissance 2. C’est le caractère plus ou moins insupportable, et pour l’homme et pour la

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femme, de cette faille que Lacan met en cause. Il identifie cette faille avec ce que Freud a appelé

« le complexe de castration ». Telle est la façon dont Lacan pose le problème des rapports entre le semblant et la jouissance. Il y a là une opacité, car, d’emblée, pour le lecteur, il y a quelque chose qui n’est pas clair. De quel semblant s’agit-il ? De quelle jouissance (au singulier) est-il question ? À quelles jouissances (au pluriel) Lacan fait-il allusion ? Il faut commencer par tenter de répondre à ces questions.

Lacan avance, dans le Séminaire XVIII, que le rapport sexuel renvoie à ce qu’il appelle les rapports de l’homme et de la femme : « Ce qui définit l’homme, c’est son rapport à la femme, et inversement » (p. 31). « L’identification sexuelle ne consiste donc pas à se croire homme ou à se croire femme, mais à tenir compte de ce qu’il y ait des femmes, pour le garçon, et de ce qu’il y ait des hommes, pour la fille.» (p. 34) Comment, dès lors, le problème des rapports entre le semblant et la jouissance est-il posé par Lacan ? On aperçoit bien qu’en parlant de

« conjonction » et de « disjonction », le problème se joue entre un ou et un et. L’usage de ces termes indique qu’il y a une articulation entre le semblant et la jouissance. Une telle articulation a pour point d’appui, dit-il, le Nom-du-Père. Pour parler du point d’appui à partir duquel est posée cette question, Lacan utilise donc ce terme de Nom-du-Père, en soulignant qu’il est mis en jeu dans deux mythes freudiens, le mythe d’Œdipe qui, selon lui, relève de l’hystérie et le mythe de Totem et tabou qui provient de la névrose obsessionnelle. Lacan condense donc, dans cette référence au Nom-du-Père, hystérie et névrose obsessionnelle. Le semblant dont il s’agit est le phallus et la jouissance dont il est question est ce que Lacan appelle la jouissance sexuelle. De manière surprenante, la jouissance sexuelle est, pour Lacan, la jouissance du Père mythique.

Par conséquent, dès l’instant où l’on fait le pas de lire le Séminaire XVIII, il ne faut pas commettre de contresens : quand Lacan parle de la jouissance sexuelle, il s’agit de la jouissance du Père mythique. Or, la jouissance du Père primordial, au sens de Freud, est la « jouissance de toutes les femmes ». Conséquence : ce qu’il appelle la jouissance sexuelle est la jouissance de toutes les femmes. Le phallus est du côté du semblant ; et ce qui est au cœur de la jouissance, c’est un toutes. Quand on déchiffre le Séminaire XVIII, l’on s’aperçoit, me semble-t-il, que le souci de Lacan est de repenser la clinique de l’hystérie et de la névrose obsessionnelle en se référant à cette notion incroyable que constitue ce toutes les femmes. Faut-il l’entendre seulement au sens du génitif objectif ou faut-il l’entendre aussi au sens du génitif subjectif ?

Lacan affirme ainsi qu’est homme ou est femme un sujet qui prend position par rapport à

l’articulation essentielle qui est, à la fois, celle de la conjonction et celle de la disjonction entre

semblant et jouissance, c’est-à-dire, plus précisément, entre le phallus pensable comme semblant

et cette chose impensable qu’est la jouissance de toutes les femmes. Lacan appelle donc

jouissance sexuelle une jouissance impossible. Ainsi aborde-t-il le rapport sexuel par le biais de

l’impossible. La sexualité ne semble pouvoir être prise en considération par Lacan que dans la

mesure où elle est, ici, abordée par le biais de l’impossible. On retrouve ce que je disais au point

de départ, à savoir que, pour parler des hommes et des femmes, il y a à se tenir à une certaine

limite, il y a à se garder de quelque chose. Ma thèse est qu’il faut se garder de la perversion,

quand on parle de la sexualité. Dès qu’on s’avance à tourner autour de cette question, s’il y a une

once de savoir qui prétend vouloir s’exprimer, on a alors, quoi que l’on en ait, une position

perverse. La seule façon de s’en garder, c’est de s’appuyer toujours sur la référence à

l’impossible. S’agissant des rapports entre l’homme et la femme, il y a une béance, celle du non

rapport sexuel. On peut aller jusqu’à dire qu’il y a une forclusion. Entre les deux, le semblant (le

phallus, en l’occurrence) signale cette béance et se trouve en position de suppléer à un terme

forclos, à quelque chose qui est forclos. L’éthique, qui est celle de Lacan relativement à la

sexualité, est ainsi liée à ce que j’appelle, ici, la forclusion du rapport sexuel. Ce qui est clair,

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c’est que, pour Lacan (lisant Freud), l’articulation entre le semblant et la jouissance met en cause un tout, le tout de toutes les femmes.

Les deux jouissances, le phallus et La femme

Pourquoi Lacan emboite-t-il le pas de Freud sur ce point ? Si la jouissance se divise, c’est parce que l’homme et la femme se trouvent à l’intersection entre la jouissance 1 et la jouissance 2, c’est-à-dire entre la jouissance de toutes les femmes attribuée au Père et une autre jouissance, qui, elle, est celle de l’homme en tant qu’il n’est pas le Père. Donc, si l’on veut, en tant qu’il serait plutôt le fils. Par opposition à la jouissance de toutes les femmes, cette autre jouissance est la jouissance d’une femme, puisque l’homme ne peut jouir des femmes que s’il les aborde, que s’il les prend une par une, chacune des femmes, comptant, alors, pour une. La jouissance 1 est liée au toutes et la jouissance 2 à l’une et une seule.

Le signifiant de la béance, de ce que Lacan appelle le non rapport sexuel, est donc le phallus. Il porte le non de ce non rapport, il comporte une négativité. Par l’intermédiaire de cette fonction de suppléance, il représente ce qui fait surgir l’obstacle au rapport sexuel. D’où la fameuse phrase de Lacan dans le Séminaire Encore : « Le phallus fait objection au rapport sexuel » (p. 13). Concernant le phallus, dans le Séminaire XVIII, l’avoir ou ne pas l’avoir, là n’est pas la question, puisqu’il est impossible de l’avoir. En revanche, être ou ne pas être le phallus, c’est la question qui se pose au sujet névrosé, qu’il soit hystérique ou obsessionnel. Cette division entre avoir et être, c’est cela la castration. Le phallus, pour le garçon comme pour la fille, c’est l’autre qui l’est, et non pas qui l’a. Pour le garçon, la fille est le phallus et, pour la fille, c’est le garçon.

C’est pourquoi, dit Lacan, le garçon comme la fille sont, l’un par rapport à l’autre, châtrés.

L’autre est ce que, fille ou garçon, l’on n’est pas. D’où la question qui se pose à propos du sujet névrosé. Que veut le sujet névrosé ? Réponse : être le phallus. Ce qui est impossible. Un A.E.

homme a fait part, un jour, à l’occasion d’un exposé, de son désir qui avait été le sien, dans ses jeunes années, d’être ce qu’il n’était pas et de ce que, du coup, la réponse de son premier analyste avait été celle-ci : « Vous aurez beau faire, vous ne serez jamais une fille ! » Le phallus, c’est donc le signifiant, à la fois, de la division entre l’avoir et l’être, du non rapport sexuel, de la jouissance comme impossible et de la femme, dans le sens où, alors, la femme représente toutes les femmes. Lacan, dans le Séminaire XVIII, établit une équivalence entre ces quatre énoncés.

C’est parce que La femme représente toutes les femmes que la femme en tant que signifiant d’un tout, d’un universel, n’existe pas. La définition de La femme comme n’existant pas est une définition d’ordre logique. Lacan affirme, dans le même mouvement, qu’il n’y a pas de rapport sexuel et que La femme n’existe pas. Les deux énoncés disent exactement la même chose.

À titre de ponctuation, je prélève, p. 106, cette citation, où il résume tout cela :

« Le mythe écrit, Totem et Tabou, est fait très exactement pour nous pointer qu’il est impensable de dire La femme. C’est impensable, pourquoi ? Parce qu’on ne peut pas dire toutes les femmes.

On ne peut pas dire toutes les femmes, parce que ce n’est introduit, dans ce mythe, qu’au nom de ceci, que le Père possède toutes les femmes, ce qui est manifestement le signe d’une impossibilité ».

Autrement dit, c’est une affaire de logique et de grammaire. Puisque la femme n’est pas toute, il n’y a pas La femme, il n’y a qu’une femme. Je rappelle l’équivoque que Lacan fait entendre p. 79 du Séminaire XX. On ne peut pas dire La femme. Quand on dit la femme, on la dit femme.

En d’autres termes, on la diffame. On touche alors à sa réputation. Lacan a abordé cet impossible

de différentes manières. Ne pas pouvoir dire La femme, cela entraîne que « rien ne peut se dire

de La femme ». Là-dessus, silence, point de réponse, mot. Cela entraîne, également, que les

femmes ne disent pas tout, en particulier, précise Lacan, sur la jouissance de la femme, la dite

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jouissance féminine qu’il aborde dans les Séminaires XVIII et XX. La jouissance de la femme n’est pas ce que l’on croit, car elle peut être considérée du point de vue du génitif subjectif ou du génitif objectif. Dans le Séminaire XX, la jouissance de la femme est considérée du point de vue du génitif subjectif, lorsqu’il indique, par exemple, p. 69 : « Il y a une jouissance à elle dont peut-être elle-même ne sait rien, sinon qu’elle l’éprouve. » À l’opposé, dans le Séminaire XVIII, quand Lacan parle de la jouissance féminine, il s’agit de la jouissance de la femme considérée du point de vue du génitif objectif. L’on commet souvent un contresens à ce propos. Ce dont il est question, c’est de la jouissance, par le Père mythique, de la femme. Ce qui peut être trompeur, c’est que Lacan l’appelle : la jouissance féminine. Il convient donc de ne pas confondre ici ces deux génitifs. La jouissance, au sens du Séminaire XX, génitif subjectif, est contingente. La jouissance, au sens du Séminaire XVIII, génitif objectif, est impossible. La jouissance féminine ne veut pas dire la même chose dans ces deux Séminaires et elle n’a pas la même modalité, contingente ou impossible.

Le Père mythique, c’est l’homme comme tout, le tout-homme, qui jouit de la femme comme toute. C’est dans le mythe que le Père jouit de la femme toute. Cette remarque est faite pour introduire à « L’Étourdit », qui comporte, sur ces points, des développements qui peuvent paraître, au premier abord, extraordinairement compliqués. J’essaierai peut-être de m’y aventurer. Deux ans avant ce texte, la référence au mythe freudien est déjà présente. Ainsi peut- on saisir pourquoi, dans le Séminaire XVIII, il y a une équivalence logique entre le Père comme nom, le phallus comme semblant, la jouissance comme impossible et le tout de toutes les femmes comme inaccessible à l’homme. En ce point d’équivalence, le phallus comme semblant et la jouissance comme absolue, c’est son terme, se rencontrent. Ce qui est frappant, c’est que Lacan s’intéresse plus spécialement, dans le Séminaire XVIII, à l’hystérique et à la position qu’elle prend relativement à la femme-toute, à ce que serait, si elle existait, toute femme.

L’hystérique et La femme

C’est à ce moment-là, précisément, que Lacan redéfinit la clinique de la névrose, hystérie et névrose obsessionnelle, par rapport à cette notion étonnante : toutes les femmes. À cet égard, ce qui caractérise l’hystérique, c’est une division. D’un côté, comme Lacan l’indique dans le Séminaire XVI, l’hystérique est celle qui refuse d’être La femme. Il accentue bien ce que Jacques-Alain Miller a souligné dans la Conversation sur les embrouilles du corps (Ornicar ?, n° 50, Navarin, p. 227 et suivantes), – qu’on n’est pas assez attentif au fait que Lacan définisse l’hystérie comme refus, que le ressort de l’hystérie est le refus. Freud interprète un tel refus en évoquant le dégoût et l’aversion. La position du sujet hystérique, selon Lacan, est de refuser cette façon d’être La femme que comporte le toutes les femmes. Mais, alors même qu’elle se refuse à cela, c’est, pourtant, par rapport à ce toutes les femmes qu’elle se situe. Elle ne se prend pas pour La femme toute, mais cette femme toute est, dit Lacan, le point à partir duquel se décide la position d’énonciation du sujet hystérique. Par conséquent, pour Lacan, le refus est assumé par le sujet hystérique dans son énonciation. Cela ne veut pas dire seulement qu’elle refuse d’incarner le toutes les femmes qui fonctionne, pour elle, comme un signifiant-maître, un S

1

. On rejoint ainsi l’écriture que Lacan propose du discours de l’hystérique, quand il précise que l’hystérique est celle qui refuse d’incarner ce S

1

, qui, dans le discours de l’hystérique, se trouve déplacé vers la droite, là où il s’agit de le mettre en question, de le mettre en cause, l’hystérique refusant de lui donner corps. Cela donne un autre accent à la division. Elle refuse, mais, en même temps, elle assume ce refus par le biais de sa parole à elle. S’agissant de sa position d’énonciation, le sujet hystérique est divisé entre la femme toute et la femme pas-toute. Ce n’est donc pas dire que, du côté femme, l’hystérique soit divisée entre la mère et la femme. La division de la femme entre la mère et la femme, Lacan le précise, c’est la question de l’homme, pas celle du sujet féminin.

L’hystérique se refuse au tout, ne veut pas l’incarner, mais, quand elle parle, elle prend position

par rapport à lui. Cela implique que l’hystérique refuse la jouissance de ce qui est un tout, mais

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cela ne l’empêche pas de le désirer, ce tout. Elle est attachée à promouvoir ce que Lacan appelle dans le Séminaire XVI, la jouissance absolue. Je propose comme hypothèse que la jouissance 1, ce soit la jouissance absolue, et que la jouissance 2, ce soit la jouissance relative. La jouissance absolue, c’est la jouissance du Père primordial, la jouissance de toutes les femmes. Le désir de l’hystérique est pris dans cette promotion. Là où Freud dit que cette jouissance, l’hystérique veut la refouler (Verdrängung), Lacan dit, au contraire, que cette jouissance, elle la promeut (Aufhebung). C’est pourquoi, dit Lacan, étant divisé entre un tout et un pas-tout, son désir est insatisfait. Insatisfaction qui est le signe, le symptôme de ce qu’elle défend le désir d’un tout, alors qu’elle refuse la jouissance qui est liée à ce tout. L’hystérique est ainsi divisée par l’antinomie entre le désir et la jouissance. Lacan dit, ici, que l’hystérique est divisée entre le désir et la jouissance, que la jouissance est divisée entre J1 et J2, l’absolue et la relative, celle du Père et celle des hommes, alors que, précédemment, dans les Écrits, Lacan a avancé que, chez l’hystérique, le désir est divisé, l’hystérique trompant son désir dans le mouvement même au moyen duquel elle le constitue. Il s’agit de faire en sorte que pour que le désir soit désir, il soit insatisfait, afin de ne pas s’éteindre. Dans le cas Dora, il est question d’un choix entre des boucles d’oreille et un bracelet. La division du désir pourrait ainsi être illustrée : Un sujet hystérique entre chez le bijoutier, parce qu’elle veut des boucles d’oreille, et elle en sort avec un bracelet, afin de maintenir son désir insatisfait. Elle trompe ainsi son désir, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’en a pas, de désir. Bien au contraire !

Lacan montre que, si on veut avancer dans une argumentation, il faut tenir compte, à chaque pas, de la division, de la contradiction, du paradoxe. Pourquoi Lacan dit-il qu’hystérique et femme, ce n’est pas la même chose ? Les deux positions se recoupent, mais ne se recouvrent pas. Est femme le sujet hystérique qui, à un moment donné, franchit le pas – ce pas dont il parle p. 74, 75 et 76 du Séminaire XX et sur lequel je reviendrai, le pas entre désir et jouissance. Au moment précis où ce point inaccessible (la jouissance au-delà du phallus) est atteint, elle est femme, au sens que ces pages du Séminaire Encore donnent à cette conjoncture de désir. Dans le Séminaire XVIII, Lacan dit que l’hystérique n’est pas une femme, parce qu’elle est divisée entre La femme et une femme. Elle trébuche sur cet écueil que fait surgir la logique. Autrement dit, contrairement à ce qu’on dit d’elle, l’hystérique n’est pas une comédienne. Dire cela, laisse entendre Lacan, c’est la diffamer. L’hystérie n’est pas une affaire de théâtre, mais de logique. Il dit même :

« L’hystérique est une logicienne » (p. 157). Il se pose alors la question, p. 169 : « L’hystérie, qu’est-ce que c’est ? » La réponse de Lacan, là aussi, m’intrigue. Sa réponse est que la logique explique la « politique de l’hystérique » (p. 144).

Quand une femme rencontre un homme, je reconstitue cette logique en la simplifiant, que veut elle ? Elle veut d’abord qu’il en soit un. Son désir est donc d’en rencontrer au moins-un, je veux dire : un homme. Et Lacan ajoute : et non pas un petit garçon. Ce qui est rare. Mais les choses ne s’arrêtent pas là, car, en retour, ce qu’elle veut, c’est être, pour l’homme, non pas seulement une femme, mais surtout la pas-plus-d’une, c’est à dire la seule. Telle est, dit-il, la politique de l’hystérique. Or, sur ce point, ce qui prévaut, on le sait, c’est la chance. Cela dépend de l’homme sur lequel elle tombe, s’il est vrai que l’homme – (Écrits p. 695) – est porté à l’infidélité.

L’homme peut, en effet, prendre la position de rival par rapport au Père du mythe et ainsi être

attiré irrésistiblement par cet impossible que représente le toutes les femmes. Pourquoi ? Parce

que l’attrait, quand il est constitué par le toutes les femmes, tend à vouloir signifier le phallus. En

d’autres termes, il n’y a pas de garantie. Quand une femme tombe amoureuse, et cela d’autant

plus si elle tombe passionnément amoureuse, elle est sûre que sa tranquillité sera troublée par

une jalousie, jalousie créée par la tension entre le une et le toutes. La jalousie est donc la passion

qui tient compte de la division entre le une et le toutes.

(8)

C’est la raison pour laquelle la Princesse de Clèves renonce au duc de Nemours, son amant, à la fin du roman. Le choix de la Princesse de Clèves, au sens de Lacan, est un choix politique. Au moment où elle renonce, elle refuse de prendre un risque, elle évite la castration et la reporte du même coup sur le duc de Nemours. Elle le châtre, en lui offrant résolument son éloignement et son absence, ce sacrifice de sa présence atteignant son point culminant dans sa disparition, c’est- à-dire dans cette absence absolue qu’est la mort. En retour, ce que montre ce roman, c’est qu’il y a aussi une autre dimension. Mais je propose d’aborder cette autre dimension, la fois prochaine, avec Madame de Lafayette et avec Sade. Je retiens que, pour Lacan, dès lors que l’on parle de l’hystérique, il y a toujours deux femmes, deux désirs et deux jouissances. Je reprendrai cela la fois prochaine.

(Ce texte a été mis en forme avec l’aide de Philippe Benichou)

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