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Cours d’Introduction à la science politique

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Année académique 2014-2015

Cours d’Introduction à la science politique

Pr. Alioune Badara DIOP Maître de conférences agrégé de science politique

Introduction générale

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C

onsidérons les phrases suivantes : a) « Parler de Léopold Sédar Senghor c’est évoquer à la fois le politique et le poète » ; b)- « le Sénégal n’a pas vocation à être une démocratie consociative car l’enjeu de la construction du politique ne s’y pose ni en termes identitaires ni en termes religieux » ; c)- « la politique telle qu’elle se pratique actuellement au Sénégal met à nu des acteurs égoïstes, incompétents et démagogues : c’est de la politique politicienne » ; d)- « la politique de santé publique pilotée par Mme Eva Marie Coll Seck a donné des résultats probants notamment en matière de lutte contre le paludisme et contre la maladie à virus Ebola ». Le vocable « politique » est employé dans un sens différent à chaque fois.

Dans la phrase a) « le politique » sous-entend « l’homme d’Etat, l’homme politique engagé pour la cause de la cité » ; la phrase b) introduit à un usage savant et scientifique du concept : il s’agit en l’occurrence d’un concept opératoire qui intègre « l’ensemble des régulations qui assurent l’unité et la pérennité d’un espace social hétérogène et conflictuel » (J. Baudouin, 2000, p.3) ; la phrase c) indique « la scène où s’affrontent les individus et les groupements en compétition pour la conquête et l’exercice du pouvoir » (ibid.) ; enfin la phrase d)- renvoie aux politiques publiques, il s’agit des résultats de l’action gouvernementale (programmes, décisions et actions imputables aux autorités publiques).

I- Le caractère polysémique et androgyne du vocable « politique »

On le voit donc : le vocable « politique », androgyne (c’est-à-dire qui est à la fois masculin et féminin) et polysémique, recouvre plusieurs définitions, plus ou moins consensuelles. Il fait l’objet de multiples usages. Ainsi le Littré recense-t-il huit acceptions différentes de « politique ». L’anglais est plus précis et utilise trois déclinaisons : « politics », « policy » et « polity ». L’adjectif « politique » renvoie aux formes de gouvernement, à l’organisation du pouvoir et à son exercice. On parlera d’institutions politiques, des hommes politiques (c’est-à-dire des hommes qui se sont professionnalisés dans cette activité), ou de science politique qui s’attache à l’analyse de ces phénomènes. Le politique renvoie de manière plus générale au champ social dominé par des conflits d’intérêts régulés par les pouvoirs (polity en anglais). C’est un espace de résolution des conflits et d’arbitrage des intérêts divergents de la société. Par politique, on peut entendre de manière générale l’instance préposée au maintien de la cohésion sociale. Dans la lecture wébérienne, c’est l’instance qui permet le vivre ensemble et la résolution des conflits d’intérêts inhérents à la vie en société.

Le politique, qui évolue avec l’histoire et subit des mutations liées aux dynamiques sociales, se présente dans les sociétés contemporaines sous la forme d’un ensemble de forces institutionnalisées qui interagissent (ce que Pierre Bourdieu désigne par le concept de « champ politique »).

Si l’on en croit le politologue Pierre Favre, « le politique concerne les fonctions de coordination des activités, de résolution des conflits, de hiérarchisation des objectifs que requiert l’existence de la société. La politique est l’activité de ceux qui assurent ou veulent assurer ces fonctions. Le politique est ainsi l’objet de la politique. »

La politique est donc plus contingente. Lorsque l’on parle de « la politique », on désigne l’ensemble des activités, des interactions et des relations sociales qui se développent et se structurent au sein de l’espace autonome de la lutte pour la conquête et l’exercice du pouvoir.

La politique renvoie à la lutte concurrentielle pour la répartition du pouvoir (politics en anglais). C’est en cela qu’elle est souvent dévalorisée (elle renvoie à la lutte pour le pouvoir, à l’intrigue, aux rapports de force, etc.). Cette dimension renvoie à ce que l’on appelle dans le langage commun, la « vie politique ». La politique recouvre les mécanismes de la compétition politique, le jeu de la concurrence entre partis, la lutte entre ceux qui font de la politique leur « métier ». Le sociologue Pierre Bourdieu donne de la politique cette définition : c’est « le lieu où s’engendrent dans la concurrence entre les agents qui s’y trouvent engagés des produits politiques entre lesquels les citoyens ordinaires, réduits au statut de consommateurs, doivent choisir ».

Par politique, on peut entendre aussi la scène sur laquelle s’affrontent, sous les yeux du public et des citoyens, une série d’acteurs pour la conquête et l’exercice du pouvoir. Philippe Braud définit la scène politique comme « le lieu de compétition pacifique autour du pouvoir de monopoliser la coercition, de dire le droit et d’en garantir l’effectivité dans l’ensemble de la société concernée ».

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Enfin, une politique ou les politiques (publiques) renvoient à des formes d’action finalisée et leurs moyens visant à résoudre « un problème » ou à satisfaire des « demandes » (en anglais policy ou policies). Il s’agit là de désigner l’action concrète des pouvoirs publics dans divers secteurs de l’action publique (l’économie, la culture, le tourisme, l’environnement, etc.) ou dans l’action gouvernementale au sens large (les discours de « politique générale » des Premiers ministres). La fonction de régulation sociale spécifique que remplit le politique se traduit par la mise en œuvre de politiques publiques, dispositifs d’action publique, qui visent à produire un certain nombre d’effets sociaux.

II- La science politique : science de l’Etat ou science du pouvoir ? Problématique de la construction sociale du politique

« L’Etat, écrit G. Burdeau, est le pouvoir politique institutionnalisé ». Le droit constitutionnel a pendant longtemps influencé la science politique notamment en proposant des définitions de la politique pour le moins institutionnelles et marquées par le juridisme, qui la restreignent à l’État comme l’indique la définition « stato-centrée » de Burdeau. Cette définition a l’inconvénient d’être très restrictive. En réalité l’État n’est qu’une modalité possible de l’organisation et de la régulation des sociétés humaines. Comme le soutient l’anthropologue Pierre Clastres :

« l’Etat n’épuise pas la virtualité du politique » ; il y a en effet des sociétés sans État. La politique déborde la sphère des institutions étatiques. D’où l’intérêt qu’il convient d’accorder à l’anthropologie politique. A contrario, d’autres définitions peuvent apparaître trop larges. La politique serait l’exercice du pouvoir. Mais le pouvoir n’est pas la caractéristique de la seule relation politique. Il n’y a pas d’activités politiques qui ne soient que politiques.

L’État intervient, par exemple, aussi bien dans le domaine politique que dans le domaine économique. A contrario, des activités non politiques a priori (comme les activités religieuses ou scientifiques) peuvent avoir directement ou indirectement des effets politiques. Toute une série d’actions ont des conséquences politiques même si elles ne sont pas produites dans une telle intention.

Par exemple, le désintérêt pour la politique a des effets politiques et donc appelle l’analyse de la science politique. Dire « la politique ne m’intéresse pas », « les hommes politiques sont pourris », ne pas s’inscrire sur les listes électorales c’est se situer à l’extérieur de la politique comme activité sociale spécialisée, c’est par voie de conséquence renforcer la position de ceux qui en font leur « métier », laisser faire les gouvernants à sa place. Jean Leca plaide pour une définition large du politique qui n’inclut pas seulement le rapport à la politique comme univers spécialisé, mais l’ensemble des représentations et des pratiques orientées par des divisions, potentiellement conflictuelles, du monde social, construites ainsi comme politiques.

Aucun phénomène social n’est politique par nature. Il faut se démarquer de toute définition essentialiste du politique et adopter un point de vue que l’on peut qualifier de constructiviste. Tout n’est pas politique mais tout fait social est « politisable ». Il faut considérer le politique comme une dimension potentielle de tout phénomène social. Le caractère politique des faits sociaux est variable dans le temps et dans l’espace comme l’analyse des politiques publiques le montre bien. Par exemple, la culture ne fait pas véritablement l’objet de politiques publiques aux Etats-Unis alors que c’est le cas historiquement en France où la légitimité de l’intervention de l’État dans ce domaine est ancienne (création d’un ministère en 1959).

L’environnement devient une question « politique » et est inscrit à l’ordre du jour des problèmes politiques légitimes (l’agenda) dans les années 1970 alors que les problèmes de pollution, par exemple, ne sont alors pas nouveaux. Les questions de sécurité prennent une importance particulière en France dans les années 1990. La sécurité routière a longtemps été une question peu traitée politiquement. Ni la sphère d’intervention de l’État ni ce qui est supposé être ses « fonctions » ne sont données une fois pour toutes. L’État est le produit d’une évolution historique différenciée selon les nations.

III- Comment un fait social devient-il politique ?

Jacques Lagroye observe que l’espace politique est construit par une multitude d’acteurs variés qui s’y impliquent avec leurs intérêts propres, y promeuvent des enjeux propres et y

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développent des logiques discursives plus ou moins efficaces. Dés lors il définit la politisation comme

« la production sociale de la politique, de ses enjeux, de ses règles, de ses représentations ». La question du « repérage » du politique a ainsi été bien posée par Jean Leca ; il s’agit précisément de comprendre comment des personnes et des groupes en viennent à conférer à certains problèmes une dimension politique. La politisation renvoie donc au processus par lequel des questions, des activités, des pratiques, des discours se trouvent dotés d’une signification politique et sont donc appropriés par les acteurs investis dans le champ politique (dirigeants, partis, journalistes, groupes d’intérêt, intellectuels, etc.).

Ces questions peuvent être prises en charge par les pouvoirs publics et faire l’objet ou non de politiques publiques. Jacques Lagroye entend par politisation le processus de « requalification des activités sociales les plus diverses, requalification qui résulte d’un accord pratique entre des agents sociaux enclins, pour de multiples raisons, à transgresser ou à remettre en cause la différenciation des espaces d’activités ». Les interactions entre « politique » et « social » sont complexes. Jacques Lagroye s’est employé dans des recherches où il a refusé un « politisme » réducteur (expliquer le politique par le politique) à « trouver le politique là où l’on supposait qu’il ne peut se nicher » et « découvrir le social là où l’on pensait trouver le politique ». Les processus de politisation sont complexes, ils sont rarement maîtrisés par un seul type d’acteurs et le résultat de démarches et d’entreprises volontaires. Ils sont le produit de rapports de force entre multiples acteurs.

Les gouvernants peuvent qualifier et requalifier un problème comme politique. Les mobilisations d’acteurs et d’organisations de la société civile peuvent politiser une question par le recours à l’action collective ou au militantisme (exemple le sida dans les années 1980, la souffrance psychologique au travail aujourd’hui). Les médias, en traitant ou en choisissant d’occulter certaines questions, peuvent contribuer à la politisation de tel ou tel enjeu. Le jeu politique n’est pas réductible à la lutte pour la conquête du pouvoir. Il passe par la lutte pour la définition légitime du politique c’est-à-dire la lutte pour le droit de définir ce qui est politique et ce qui ne l’est pas. Les acteurs politiques contribuent à définir des problèmes par le seul fait d’en proposer le règlement comme l’a montré Gusfield.

En résumé, un fait social devient un problème public lorsqu’un certain nombre de conditions soient réunies :

a)- des connaissances sur le problème. Pour que le Sida et l’avortement médicalisé deviennent des problèmes de santé publique, il a fallu que les connaissances médicales sur ces problèmes émergent et progressent ;

b) – des normes sociales qui rendent une situation problématique. Un problème n’existe que par rapport à une norme qui le rend « anormal ». Pour G. Padioleau, « une situation est problématique quand il est possible de constater un écart entre ce qui est, ce qui pourrait être, ce qui devrait être » ;

c) – la mobilisation d’acteurs que l’on peut appeler « entrepreneurs » de mobilisation ou de morale.

Des groupes ou des acteurs politiques cherchent à constituer des thèmes en problèmes (les discriminations ethniques à l’embauche, l’émigration clandestine des jeunes sénégalais qui prennent la mer, les marchands ambulants déguerpis, les questions d’environnement, etc.

d) – Pour John Kingdon, un problème existe quand « les individus commencent à penser que quelque chose peut être fait pour changer la situation ». Pour cet auteur, « les courants séparés des problèmes, des politiques publiques et de la compétition politique » peuvent se rejoindre lors de certains moments critiques. Les solutions peuvent être alors « nouées » aux problèmes et tous deux articulés à des forces politiques favorables.

IV- Construire et prendre en charge les problèmes publics

Les « problèmes » réputés publics ne le sont pas naturellement. En réalité, tout problème est un construit social et politique. On trouve des acteurs issus aussi bien de la sphère publique de l’Etat que de la « société civile » qui entrent en action et contribuent à leur formation et à leur formulation.

L’analyse des politiques publiques – une discipline de la science politique – a permis de mieux

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percevoir la complexité des processus par lesquels des questions sociales a priori « banales » et des faits sociaux sans enjeu politique apparent deviennent des problèmes publics. Elle permet également de saisir le processus d’inscription à l’agenda politique ; bref, comment les problèmes sont « mis en politique ». Cette approche est plus pertinente que l’approche fonctionnaliste selon laquelle les politiques publiques sont principalement des réponses à des problèmes existants. On désigne par agenda l’ensemble des problèmes perçus comme appelant un débat public voire l’intervention des autorités politiques légitimes. L’agenda n’est pas l’expression spontanée des « demandes sociales » ou de la libre compétition des groupes sociaux. L’analyse des politiques publiques s’intéresse ainsi à la mise sur agenda des problèmes et à leur cadrage.

V- Que signifie « faire de la science politique » ?

Cette question est très importante. Jean Leca invite le chercheur à se situer parmi trois modes de connaissance :

Encadré n° 1 : Cf. Jean Leca, (entretien avec Sophie Duchesne & Florence Haegel), « le politique comme fondation », in Espaces Temps, 76-77, 2001. Repérages du politique. Regards disciplinaires et approches de terrain. pp. 27-36.

(…) Le premier, le plus évident, celui qu'on nous apprend, c'est la connaissance scientifique, au sens ordinaire, qui se fonde sur un effort d'objectivation. L'objectivation consiste à dire : il y a des mécanismes, et ceux-ci peuvent obéir soit à la causalité, soit à la fonctionnalité, soit à l'intentionnalité. L'intentionnalité, c'est qu'il y a des raisons qui sont en soi les causes qui expliquent ce que les gens font. La causalité, c'est qu'il y a des causes qui ne sont pas des raisons, il y a des causes aux motivations, il y a des causes aux raisons. Et la fonctionnalité, c'est qu'il y a des choses qui ne sont pas des causes mais qui font arriver des causes. Il faut bien sûr garder à l'esprit que l'on n'objective pas un fait social de la même manière que l'on objective un fait naturel. Il y a des choses qui sont créées par l'homme et qui pourtant sont objectives. Le billet de cinq dollars, l'argent, chez Max Weber, sont des réalités objectives, et pourtant ce n'est pas la même chose que l'Everest. Le deuxième mode de connaissance consiste à avoir une conscience historique. J'appelle conscience le fait d'être préoccupé par les deux questions suivantes - même si on les formule mal : qu'est-ce que je fais dans ce monde, quel est le sens de ma vie dans ce monde ? Et qu'est-ce qui va se passer ? Autrement dit, j'appelle conscience historique le problème du sens et le problème de la conjecture. Et avec la conjecture, on retrouve le problème de la rétrospection. Attention, il ne s'agit pas seulement de l'opposition entre le jugement scientifique de fait et le jugement philosophique en valeur, parce que la conscience historique ne renvoie pas seulement à des jugements de valeur. Et puis on retrouve un troisième mode de connaissance : avoir quelque idée sur la pratique politique concrète, la pratique des acteurs, sans pour autant être un praticien ; autrement dit, ce que Isaiah Berlin appelle le jugement politique. Le jugement politique, non pas au sens que les philosophes donnent à ce terme, est simplement un jugement, appuyé sur la passion pour l'action, qui combine, en situation d'incertitude, les deux précédents, avec en plus quelque chose qui est, je dirais, purement et simplement du pifomètre.

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Chapitre I : L’Etat : un cadre institutionnel d’expression du politique

I

l convient de considérer ici la définition wébérienne du politique : « Nous dirons qu’une activité sociale, et tout particulièrement une activité de groupement, est orientée politiquement lorsque et tant qu’elle a pour objet d’influencer la direction d’un groupement politique, en particulier l’appropriation, l’expropriation, la redistribution ou l’affectation des pouvoirs directoriaux ». De telles activités ont vocation à s’institutionnaliser dans des dispositifs de rôles différenciés interdépendants, des pratiques multiples, et des règles de comportements. L’État, les Partis politiques, les syndicats et autres groupes d’intérêts, sont les espaces de ces activités. La science politique étudie la nature et le mode de fonctionnement de ces structures institutionnelles en mettant en perspective les enjeux du politique, les ressources mobilisables et les acteurs qui sont impliqués dans la production des représentations du pouvoir légitime et la configuration du jeu politique. L’État renvoie à un concept qui désigne l’organisme social représentant et organisant souverainement les

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intérêts d’un ensemble d’individus à l’intérieur d’un espace territorial donné. Cet organisme remplit les fonctions suivantes : le traitement des demandes sociales, l’extraction et la répartition des ressources entre les citoyens, la protection civile et sociale, le maintien des valeurs et des normes communes aussi bien que des bonnes mœurs, la régulation des conflits d’intérêts. Ces fonctions consistent dans des activités exercées par les agents gouvernementaux, judiciaires, policiers, éducatifs et autres acteurs dûment mandatés.

Ces activités sont élevées au rang de l’intérêt général, dans la mesure où elles visent la coexistence égale et pacifique des individus. Cela signifie que l’intérêt particulier est subordonné aux impératifs de la cohésion sociale et de l’ordre public, intérêts supérieurs qui sont visés par l’État. La bureaucratie – qui parachève le processus d’institutionnalisation de l’Etat moderne – est le bras séculier de celui-ci. Elle fonctionne en se conformant à des principes cohérents qui ont valeur de catégories normatives : l’unité, l’égalité et la solidarité. Sur cette base, l’Etat qui se prévaut d’une autorité morale et politique conférée par la confiance des citoyens – enjeu crucial pour le gouvernement –, est appelé à administrer les intérêts privés et à pacifier les rapports civils et politiques.

Dés lors, l’élection démocratique destinée à sélectionner les dirigeants ainsi que l’organisation de concours en vue du recrutement des agents administratifs conformément à des règles juridiques connues de tous constituent des gages de légitimité politique de l’État. En définitive on dira que l’État est un concept abstrait qui permet de penser les mécanismes globaux de régulation des rapports civils et politiques des individus dans un espace territorial donné. Ce concept représente l’unité des interactions multiformes entre les acteurs aussi bien que l’harmonisation des intérêts conflictuels.

C’est pour cette raison que certains constitutionnalistes voient en l’Etat ni plus ni moins un ordre juridique contraignant. Par conséquent il est irréductible au pouvoir central appelé à se subordonner les institutions (familles, associations, entreprises) et les intérêts des individus, mais intègre la société toute entière envisagée comme un être collectif dont l’identité est déterminée par les normes juridiques.

Pour dépasser cette perspective juridique, il est important d’analyser l’Etat comme un phénomène social lié à une entreprise extérieure de domination qui maintient le respect des normes du

« vivre ensemble » parmi les individus par la menace de châtiment à l’encontre des contrevenants, c’est-à-dire un pouvoir politique entendu comme une entreprise de domination. Dans ce chapitre il s’agit d’abord d’étudier l’Etat envisagé comme un ordre juridique et un pouvoir politique (I), ensuite nous étudierons la thèse de la dynamique de l’ Occident (II) d’exposer brièvement les approches anthropologique et sociohistorique de l’Etat (III).

Section I- L’Etat : un ordre juridique et un pouvoir politique Il faut dire que l’Etat est concomitamment un ordre juridique (A) et un pouvoir politique (B).

A- Un ordre juridique

Les grands juristes du début du XXe siècle nous ont légué une théorie de l’Etat qui y voit un produit du droit. C’est le cas des juristes allemands et français tels que Jellinek, Laband et Carré de Malberg. Dans sa Théorie pure du droit, Hans Kelsen (1881-1973) montre que l’unité des trois éléments constitutifs de l'Etat : la population, le territoire et la puissance (pouvoir d’injonction et de coercition), est une donnée du droit. Autrement dit, l’État n’est rien d’autre que l’expression de l’unité formelle entre une population, un territoire et une organisation politique. A partir de là, il convient de percevoir l’Etat et le droit non pas comme deux entités séparées l’une de l’autre mais comme deux moments distincts d’une même totalité. Par conséquent, la formule « Etat de droit » apparaît comme un pléonasme. Car, tout Etat est forcément un ordre juridique. Ici la question centrale est de déterminer la source du droit. H. Kelsen situe la source du droit dans la Constitution. Son

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argumentation repose sur le rapport hiérarchique des diverses classes de normes : lois, décrets, circulaires ministérielles, arrêtés, règlements, etc.

Dans ce rapport, chacune des classes de normes tire directement sa légitimité dans sa conformité à celle qui lui est directement supérieure, et cela, ainsi de suite. Les classes de normes légales, formant ainsi une chaîne, sont, de manière nécessaire, reliées à une norme fondamentale : la Constitution. L’autorité supérieure de celle-ci résulte de la maxime d’ « obéir aux commandements du constituant ». Il s’agit ici d’une règle postulée a priori, c’est-à-dire indépendamment de la volonté et de l’activité des acteurs sociaux. Dans cette approche, le concept État ne se rapporte pas immédiatement à la coexistence en soi d’un nombre déterminé d’individus sur un territoire donné doté d’une organisation officielle, mais à la Constitution qui ordonne dans un espace territorial donné l’activité d’une population. L’État et la Constitution sont pour ainsi dire identiques.

B- Un pouvoir politique

Cette approche kelsenienne pèche par son juridisme dogmatique. Il faut étudier l’Etat dans une perspective de sociologie historique qui a l’avantage de mettre en évidence des éléments objectifs relevant de ce que Norbert Elias a appelé la « sociogenèse de l’Etat ». L’organisation étatique se donne à voir comme une organisation caractérisée par la division du travail social, la spécialisation des rôles sociaux et les impératifs d’ordre. Dans cet ordre d’idée, Max Weber définit l’État moderne comme « une entreprise politique de caractère institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la violence ».

Au Moyen Age, les divers seigneurs titulaires de fiefs avaient usurpé les fonctions de police et de justice, de prélèvements d’impôts (dont la corvée constitue l’un des principaux aspects), de protection des populations soumises à leur autorité et de la frappe de la monnaie, lors de la décadence du pouvoir Carolingien. Ils exerçaient également les prérogatives en matière de la déclaration et de la conduite de la guerre, pouvoir qui conduisait les seigneurs rivaux à s’engager dans des querelles meurtrières sans fin pour l’acquisition de la terre. Il en résulte l’établissement d’un climat de violences permanent, et un état de dévastation ininterrompue dans la société féodale.

Friedrich Engels montre que la centralisation politique, avec l’affirmation de la suprématie du pouvoir royal, se rapporte aux vœux des populations d’en finir avec cet état d’arbitraire et d’incertitudes. Il s’agit d’instituer une puissance capable d’éradiquer ces violences dans le corps social. Il fait également remarquer que l’établissement de ce pouvoir centralisé répond aux exigences de la bourgeoisie visant la neutralisation des systèmes d’entrave aux échanges économiques propres à la féodalité : privilèges locaux, corporatisme, douanes différentielles, qui font obstacles à la liberté d’entreprendre et à la libre concurrence. C’est en se manifestant comme le garant de cet ordre juridique, qui rend possible la libre circulation des marchandises et la conservation de la propriété privée, que l’État moderne s’impose aux consciences individuelles comme une institution centrale dont le pouvoir d’injonction et de coercition est légitime.

Section II - La dynamique de l’Occident : « sociogenèse » de l’Etat et « psychogenèse » de l’individu

En interrogeant l’histoire, l’on découvre que la plupart des sociétés humaines ont « inventé » progressivement le pouvoir politique, qui a fini par se dissocier des autres formes de pouvoir qui se disputaient l’imperium de la société. En règle générale, les sociétés humaines se sont accommodées pendant longtemps d’une confusion absolue ou relative des rôles, « les fonctions régulatrices et coercitives considérées aujourd’hui comme caractéristiques du pouvoir politique étant soit ignorées, soit exercées par les groupements sociaux dominants » (J. Baudouin, op. cit. p. 81). Selon Max Weber, ce qui caractérise le passage de la féodalité aux Etats-nations monarchiques c’est précisément l’émancipation puis l’institutionnalisation de l’autorité politique ; le facteur déterminant de ce basculement étant la multiplication des guerres et des pratiques de pillage. Les rôles politiques apparaissent « lorsque les monarques parviennent à exproprier les puissances privées » et à capter à leur profit « le monopole de la coercition légitime ». Nous analyserons la thèse de la dynamique de l’Occident défendue par Norbert Elias qui explore d’abord ce qu’il nomme la loi du monopole (A)

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avant d’exposer la « civilisation des mœurs » (B).

A- La loi du monopole

L’époque féodale connaît un mode de domination de type « patrimonial » ; il s’agit d’un rapport de domination symbolisé par le lien personnel entre le seigneur et son vassal. Ce qui caractérise ce type de domination c’est qu’il s’exerce sur des sujets et non sur des territoires. Les mutations sociales et économiques provoquent le relâchement du lien vassalique. L’on observe une prolifération des groupements seigneuriaux et corollairement un émiettement de l’autorité politique.

Norbert Elias propose une explication qui met en relief les facteurs déterminants de la création de l’Etat à la fin du Moyen âge. Comment s’opère l’institution d’un Centre porteur d’un nouvel ordre politique contrastant avec la fragmentation qui caractérisait la féodalité ? Trois facteurs permettent de comprendre la sociogenèse de l’Etat : le monopole militaire (1), le monopole fiscal (2) et l’avènement de l’appareil bureaucratique (3).

1)- le monopole militaire

Les guerres que se livrent les seigneuries féodales créent une situation de précarité et d’instabilité de l’ordre politique qui frise le chaos. Le souci de prévenir la violence dévastatrice fait prendre conscience de la nécessité d’instaurer une autorité pacificatrice capable d’interdire les guerres de conquête et de constituer une armée permanente. La démilitarisation des seigneuries les plus puissantes est le préalable indispensable à la naissance de l’Etat moderne ;

2)- le monopole fiscal

L’établissement d’un système régulier et ordonné du prélèvement fiscal permet de corriger le désordre des droits seigneuriaux auxquels il se substitue. L’impôt permanent nécessaire, notamment, à l’entretien de la force armée, fournit les ressources financières dont a besoin l’Etat pour s’imposer définitivement face aux groupes périphériques ;

3)- l’avènement de l’appareil bureaucratique

La centralisation progressive du pouvoir politique induit la multiplication des fonctions régaliennes telles que l’armée, la fiscalité et la justice. Dés lors, le concours d’un personnel compétent et spécialisé s’avère indispensable. Même si, en l’occurrence, le personnel demeure dans la dépendance personnelle du souverain, il préfigure les administrations modernes. C’est à l’époque des rois que naît en France la tradition étatique et centralisatrice que toutes les révolutions ultérieures adapteront à leurs enjeux politiques propres.

Au total, pour comprendre le processus complexe de la sociogenèse de l’Etat en Occident, il faut aller au-delà des simples modalités institutionnelles. En réalité, la construction d’un Centre exigeait l’assentiment progressif des « dominés » et impliquait par conséquent un appareil cohérent de justification. Elias identifie, à cet égard, deux types de mutations. La première est celle d’une

« symbolisation de plus en plus prononcée du pouvoir politique qui se met en scène auprès de ses sujets et leur signifie par là-même leur extériorité par rapport à l’espace sacralisé du pouvoir » (Baudouin, op.cit., p.82). La seconde est l’avènement d’un corps spécialisé de « clercs » - on dirait aujourd’hui des intellectuels organiques au sens de Gramsci - qui ont vocation à produire un discours de légitimation de l’autorité du Souverain.

B- La « civilisation des mœurs »

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L’autre question forte que pose Norbert Elias est celle des conséquences politiques et psychiques de la monopolisation progressive par l’Etat moderne des fonctions de coercition. L’analyse passe ainsi de la sociogenèse de l’Etat à la psychogenèse. Elias met en évidence, d’une part, la forte corrélation qui existe entre la construction de l’Etat, la complexification des rapports sociaux, l’élargissement continu des chaînes d’interdépendance et, d’autre part, le refoulement des violences privées, la canalisation des mœurs, ce qu’il appelle « le règne de l’autocontrainte » ou « la maîtrise des émotions », toutes choses qui participent de la « psychogenèse » de l’individu. C’est à la lumière de ces éléments structurants du politique qu’Elias montre le rôle crucial de la « société de cour ». En effet, le processus de curialisation rend compte de la manière dont les différentes strates de la noblesse se livrent à une compétition à fleurets mouchetés pour rentrer dans les grâces du roi Louis XIV à Versailles. C’est là que les nobles expérimentent un nouveau style de vie fondé sur l’euphémisation de la violence et le respect de l’étiquette qui finit par circuler parmi les autres groupes de la société. Pour Philippe Braud, il faudrait voir dans la démocratie moderne le couronnement de cette évolution.

Ainsi les « compétitions électorales, les joutes partisanes, les débats télévisés, à l’image des rivalités sportives, ne sont, en définitive, qu’un mécanisme subtil d’encadrement et d’apprivoisement des violences sociales, un système hautement ritualisé de canalisation des émotions ou encore de civilisation des mœurs ».

Cette lecture de Norbert Elias est certes stimulante pour l’analyse mais elle a cependant quelques limites notamment sa tendance à imaginer qu’une société humaine politiquement constituée puisse faire l’économie d’une limitation des instincts guerriers. Par ailleurs, le développement de l’économie marchande, les figures du sujet et de l’autonomie, de l’altérité et du pluralisme, de la critique et de la délibération doivent être perçus comme des facteurs constitutifs du projet démocratique qui charriera, plus tard, l’Etat de droit .

Section III- L’approche anthropologique et l’approche socio-historique

On exposera d’une part l’approche anthropologique (A) et d’autre part l’approche socio-historique (B).

A- L’approche anthropologique

Comme le rappelle Georges Balandier, l’anthropologie politique tend à fonder une science du politique « envisageant l’homme sous la forme de l’homo politicus et recherchant les propriétés communes à toutes les organisations politiques reconnues dans leur diversité historique et géographique ». Elle s’emploie à comparer diverses sociétés politiques entre elles et procède à l’observation des contrastes afin de dégager la spécificité de l’Etat moderne par rapport aux autres formes d’organisation du pouvoir politique. Dans Essai sur le pouvoir politique (1968), Jean-William Lapierre met en évidence trois éléments propres à l’Etat moderne :

a)- la spécialisation des agents administratifs : certaines sociétés primitives ne connaissent pas une spécialisation des agents chargés de faire exécuter les décisions au moyen de la coercition. A l’époque moderne, on voit que celle-ci se renforce avec comme corollaire une professionnalisation de ces agents ;

b)- la centralisation de la coercition : dans le système féodal, le droit de recourir à la coercition est éclaté (les grands seigneurs pouvaient lever des troupes et rendre « haute et basse justice », donc infliger des peines privatives de vie ou de liberté). Ce n'est pas le cas dans l'Etat moderne où l'on constate l’émergence d’un emboîtement des structures politiques (par exemple, le système pyramidal de la hiérarchie des normes de Kelsen : au sommet la Constitution domine la loi et les règlements – ou encore la structure pyramidale de l’administration où le principe hiérarchique place tout agent public en situation de subordination par rapport à un chef) ;

c)- l’institutionnalisation : la métaphore proposée par Ernst Kantorowicz dans son ouvrage Les deux corps du roi – paru en 1957 - conduit à dissocier la personne physique des gouvernants et l’exercice de la puissance publique elle-même. D’où le principe juridique de la continuité de l’Etat devenu aujourd’hui banal et qui permet d’assurer la continuité de l’Etat après la mort physique de celui qui l'incarne temporairement.

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B- L’approche socio-historique

L’analyse de type « sociogénétique » proposée par Elias peut être rangée dans cette approche.

Elle rend compte du processus historique qui aboutit à l’émergence progressive de l’Etat en Occident.

L’entreprise de construction de l’Etat s’amorce en France et en Angleterre à partir du XIIIe siècle. Le pouvoir étatique va s’affirmer contre le pouvoir religieux et le pouvoir seigneurial. Parallèlement, l’Etat apparaît de plus en plus comme un corps séparé, autonome et distinct de la société civile. Sous ce rapport, on peut relever quatre processus de mutations du pouvoir politique:

a)- la construction d’une identité politique des individus, autonome de leur identité religieuse ; b)- la réduction des multiples liens de dépendance personnelle propres au système féodal grâce à l’affirmation du pouvoir royal (à partir du XVe siècle sous Louis XI), puis la transformation du lien d’allégeance dynastique en un lien d’allégeance nationale avec la Révolution ;

c)- la diversification des institutions politiques et administratives : émergence des assemblées représentatives et des instances consultatives amorçant la bureaucratie moderne (accélération du processus sous Louis XIV) ;

d)- la juridicisation des rapports entre gouvernants et gouvernés : ce sont les grands textes tels que la Petition of Rights (1628), le Bill of Rights (1689) ou encore les constitutions écrites américaine et française qui enferment le pouvoir politique dans un statut juridique. La reconnaissance de droits opposables à l’Etat signe le commencement de la mise en place d’un Etat légal-rationnel.

Deux principales dynamiques résultant des logiques conflictuelles peuvent être soulignées (ces logiques font émerger des solutions non souhaitées individuellement, mais qui émergent des engrenages complexes d’intérêts rivaux et interdépendants) :

1)- la dynamique des rivalités entre seigneurs au lendemain de l’empire carolingien : la concentration du pouvoir se fait progressivement au profit des vainqueurs jusqu'à son monopole ; 2)- les tendances lourdes à l’expansion économique : au XVIe siècle, la croissance économique conduit à une différenciation sociale accentuée (noblesse, bourgeoisie, commerçants, artisans, etc.) et à un nouveau partage du pouvoir (développement des premières assemblées).

Encadré n° 2 : Joseph Facal, « Eléments introductifs pour une sociologie de l’Etat », Cahier de recherche n° 05-12, octobre 2005, HEC Montréal.

Qu’en est-il maintenant de l’expression si fréquente : l’État de droit ? Birnbaum et ses collaborateurs notent qu’elle est habituellement utilisée de manière assez subjective pour distinguer les régimes authentiquement démocratiques et les régimes dictatoriaux, ces derniers faisant peu de cas du droit. Mais la question est complexe car bien des dictatures revêtent d’apparats légaux le pouvoir politique qui s’y exerce et se disent démocratiques, et bien des démocraties incontestables peuvent être le théâtre d’initiatives gouvernementales légales mais perçues comme dépourvues de légitimité. L’expression courante « État-nation » est, elle aussi, chargée d’ambiguïtés. L’association des deux notions ne va pas en effet de soi. La notion d’État a une connotation juridique et institutionnelle. Celle de nation renvoie plutôt aux traits culturels, linguistiques, plus rarement ethniques, et à la mémoire d’un héritage historique partagé par une communauté humaine. On utilise donc habituellement l’expression d’« État-nation » pour désigner des sociétés comme la France, somme toute peu nombreuses, dans lesquelles les deux notions sont pratiquement imbriquées l’une dans l’autre, au point que citoyenneté et nationalité deviennent presque indissociables. Ce n’est évidemment pas le cas d’États comme ceux, par exemple, d’Afrique, dans lesquels on retrouve, à l’intérieur d’un même territoire national, de nombreuses solidarités culturelles, linguistiques, ethniques, tribales, qui créent entre les individus des liens souvent plus profonds que leur attachement à une citoyenneté légale commune, et qui trouvent souvent des relais à l’extérieur des frontières de l’État. Peut-on, enfin, se permettre de considérer les notions d’État et de gouvernement comme équivalentes ? Ici

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encore, rien n’est simple. On entend habituellement par gouvernement, dans son sens le plus large, l’ensemble des individus et des organes qui détiennent et constituent le pouvoir politique qui régit un État. Mais Birnbaum note aussi que, dans beaucoup de contextes, le mot désigne plus précisément « le pouvoir exécutif voire, dans les régimes à exécutif bicéphale, seulement l’ensemble des ministres collectivement responsables devant le Parlement, par opposition au chef de l’État ».

Chapitre II : Les partis politiques : définitions, origine, types et fonctions

A

u Sénégal il y a aujourd’hui plus de deux cents partis officiellement reconnus. Quel est leur rôle dans une démocratie ? Sont-ils indispensables ? Avant de répondre à cette question, il faut dire que l’apparition des partis politiques est liée au développement du parlementarisme et de l’extension du droit de suffrage qui caractérise les régimes représentatifs et démocratiques modernes. Ainsi, dans Le Savant et le Politique (1919), Max Weber note que : « Les partis politiques sont les enfants de la démocratie, du suffrage universel, de la nécessité de recruter et d'organiser les masses ». Leur existence est donc solidaire de tous ces éléments, et plus particulièrement de l’extension du suffrage universel. Il observe, par ailleurs, dans Economie et société (1922) que : « ( …) c’est dans l’Etat légal à constitutions représentatives que les partis prennent leur physionomie moderne ». Cela signifie que le développement des partis doit beaucoup au parlementarisme. Ce sont les partis qui vont présenter des candidats et des programmes aux citoyens. Les députés élus grâce à leur soutien sont appelés à voter des lois et à contrôler l’action du gouvernement ; ils vont donc soit soutenir celui-ci – s’ils appartiennent à la même majorité – soit contester ses initiatives pour faire prévaloir les idéaux politiques de l’opposition voire tenter de le renverser. Après avoir proposé quelques définitions du parti politique (I), il s’agira d’exposer quelques typologies établies par des auteurs célèbres (II) et d’analyser les fonctions que remplissent les partis dans un système démocratique (III).

Section I- Définitions du parti politique

Le cadre restreint de ce cours d’introduction permet de se limiter à deux définitions classiques du parti : d’une part, celle de Max Weber (A) et d’autre part, celle de Joseph La Palombara et Myron Weiner (B).

A- La définition de Max Weber

Dans Le Savant et le Politique, « La vocation du Politique » (1919), Max Weber définit le parti politique en ces termes : « une sociation reposant sur un engagement (formellement) libre ayant pour but de procurer à leurs chefs le pouvoir au sein d'un groupement et à leurs militants actifs des chances – idéales ou matérielles – de poursuivre des buts objectifs, d'obtenir des avantages personnels ou de réaliser les deux ensemble ». Il faut entendre par « sociation » – par opposition à la communalisation – une relation sociale fondée sur un compromis d’intérêts fondé rationnellement. Cette définition utilitariste a pour mérite d’insister sur l’ambivalence de l’union des membres d’un parti politique qui sont à la fois en compétition tout en étant dans l'obligation de coopérer pour permettre à leurs idées de triompher. La faiblesse de cette définition cependant, est

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qu’elle ne permet pas de rendre compte de la spécificité des partis politiques. Elle est trop large et englobe par conséquent tous les types d’organisation politique. D’où l’intérêt de la définition suivante :

B- La définition de La Palombara et Weiner

Dans leur ouvrage Political Parties and Political Development (1966), Joseph La Palombara et Myron Weiner proposent une définition qui permet de distinguer les partis politiques des autres organisations. Ils mettent ainsi en évidence quatre caractéristiques :

1)- la durabilité : « une organisation durable dont l’espérance de vie soit supérieure à celle de ses dirigeants ». Le parti politique n’est pas une faction reposant sur l’adhésion à une personne, mais un mouvement fondé sur des enjeux particuliers ;

2)- le lien local-national : « une organisation locale (…) entretenant des rapports réguliers et variés avec l’échelon national ». Le parti ne s’identifie ni au groupe parlementaire, ni à un groupement local particulier, même s’il peut en être issu (les mouvements régionalistes sont ainsi exclus de la définition)

;

3)- le pouvoir : « une volonté délibérée des dirigeants nationaux et locaux de l’organisation de prendre et d’exercer le pouvoir ». Le parti se distingue du syndicat ou du groupe d’intérêt, qui eux visent à influencer les décideurs ;

4)- le soutien populaire : « la recherche d’un soutien populaire [à travers les élections ou de toute autre manière] ». Le parti n’est pas un club ou un think tank : il est en compétition avec les autres partis pour remporter des victoires électorales.

Section II- Quelques typologies des partis politiques : Maurice Duverger, Giovanni Sartori, Otto Kirchheimer, Jean Charlot et William Wright

Dans son ouvrage classique Les partis politiques (1951), Maurice Duverger distingue deux types de partis selon leur naissance : il s’agit, d’une part, des partis de cadres (A) et, d’autre part, des partis de masse (B) ; Giovanni Sartori propose quant à lui une typologie historique (C) ; Otto Kirchheimer propose un type-idéal consécutif aux mutations sociales et économiques (D) ; Jean Charlot décrit une typologie des partis politiques français sous la Ve République (E) et William Wright distingue le parti démocratique du parti efficace-rationnel (F).

A- Les partis de cadres

Selon Duverger ces partis naissent dans un contexte marqué par l’extension des prérogatives du Parlement et l’élargissement du droit de vote ; leur sociogenèse est donc électorale et parlementaire. Avec l’émergence des Assemblées, des groupes parlementaires se constituent progressivement. L’extension du droit de suffrage est une nouvelle donne avec laquelle ces groupes sont obligés de composer afin de conquérir l’électorat numériquement plus important ; d’où la création de comités électoraux au niveau local. Pour assurer leur cohésion, une administration centrale se constitue et devient l’état-major du parti ; dorénavant on assiste à l’instauration d’une véritable spécialisation du travail au sein du parti. Ces partis sont tournés principalement vers l’élection et cherchent à recruter parmi les notables et les élites sociales permettant de financer et d’influencer la vie politique. Ils sont assis localement sur des réseaux de notables et ignorent toute structure hiérarchisée. Ce sont, par exemple, les partis whigs et tories en Angleterre.

B- Les partis de masse

Ils ont une origine extérieure, c'est-à-dire que leur naissance est liée au développement de diverses associations telles que les syndicats ou les sociétés de pensée. Ils sont en quête d’adhérents et

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de militants issus des classes populaires qui financent le parti via leurs cotisations. Ils les forment et les promeuvent. Pour cette raison, ce sont des partis fortement organisés et hiérarchisés : la base est constituée par des sections locales, coordonnées au niveau départemental par des fédérations, elles- mêmes dépendantes d’un centre. Ces partis de masse permettent d’encadrer politiquement les catégories sociales jusqu’alors exclues du droit de vote. Ils ont pour objet la recherche de l’adhésion formelle du plus grand nombre. Ce sont par exemple le parti travailliste anglais, issu des Trade-Unions et des sociétés de pensée (la Fabian Society) ou encore le parti socialiste français. Au sein des partis de masse, Duverger distingue :

a)- les partis de masse spécialisés : ce sont les partis socialistes ;

b)- les partis de masse totalitaires : ils sont porteurs d’une idéologie globalisante, mais là encore il faut distinguer les partis communistes des partis fascistes du fait du recours par ces derniers aux techniques militaires.

C- La typologie historique de Sartori

Dans son livre Parties and Party System (1976), Giovanni Sartori propose une typologie historique des partis politiques. Il distingue ainsi quatre types de partis :

1)- les partis d’opinion et de clientèle : forme primitive des partis au début du régime parlementaire, il s’agit d’un réseau de relations personnelles autour de quelques leaders (Whigs et Tories) ;

2)- les partis parlementaires : ils cherchent à construire des stratégies autour du jeu parlementaire afin de former des majorités (partis américains au XIXe siècle) ;

3)- les partis parlementaires électoralistes : ce sont les partis parlementaires qui ont prolongé leur organisation par un réseau d’entités locales suite à l’extension du droit de suffrage (partis britanniques à la fin du XIXe siècle) ;

4)- les partis organisateurs de masse : ils ont une origine souvent extérieure aux partis parlementaires. Leur objectif est l’organisation politique des masses (partis travaillistes, SFIO, partis communistes).

D- L’idéal-type de Kirchheimer

Les transformations sociales ont conduit les partis à opérer leur aggiornamento pour affiner leur stratégie politique à l’endroit d’une base électorale qui évolue sensiblement. Ainsi, dans son ouvrage The transformation of the Western Party Systems (1966), cet auteur considère que le progrès économique et social ainsi que les mutations culturelles ont contribué à l’atténuation des clivages idéologiques. Les partis de cadres se sont donc adaptés et les partis de masses sont devenus plus pragmatiques à mesure que leur base sociale n’est plus constituée majoritairement par les ouvriers. De manière générale, les partis développent progressivement « des objectifs communautaires d’importance nationale (dépassant) les intérêts particuliers des groupes ». Kirchheimer propose ainsi un nouveau type idéal : le parti attrape-tout (catch-all party). Ces partis sont caractérisés par un faible recours à l’idéologie et par une stratégie consensuelle visant à rechercher l’adhésion électorale dans des secteurs multiples de la population.

E- La typologie de Jean Charlot

En publiant Le phénomène gaulliste (1970), Jean Charlot analyse les différents partis politiques français sous la Ve République et distingue trois types de partis :

1)- les partis de notables : ils recherchent l’adhésion des électeurs influents ;

2)- les partis de militants : ils encadrent les masses et sont porteurs d’une idéologie forte ;

3)- les partis d’électeurs : ils sont orientés vers la conquête d’une majorité d’électeurs. Jean Charlot étudie l’Union pour la nouvelle République (UNR), parti politique français fondé en 1958 dont le but est de soutenir l’action du général Charles de Gaulle. Il deviendra l’Union pour la défense de la République (UDR) en 1968, puis l’Union des démocrates de la République (UDR) en 1971, et enfin, le Rassemblement pour la République (RPR) en 1976. Auparavant, les soutiens de De Gaulle s’étaient réunis au sein du Rassemblement pour le peuple français (RPF – de 1947 à 1955), puis des Républicains sociaux (RS) jusqu’en 1958. Ces deux partis étaient plutôt des partis de notables. Une

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transformation s’opère avec l’UNR. En effet, selon Jean Charlot, l’UNR est devenu un parti d’électeurs qui, en tant que tel, « récuse le dogmatisme idéologique et se contente d’un fonds commun de valeurs, assez large pour réunir autour de lui un maximum de supporters ». En outre, contrairement aux partis de notables, il admet la démocratie de masse, la solidarité de groupe et récuse l’individualisme libéral. Il est populaire sans pour autant remettre en question le système politique et social. On peut observer également que, dans les années 80, le parti socialiste évolue dans la direction d’un parti d’électeurs : sa base électorale du PS se diversifie et son idéologie devient plus pragmatique. L’analyse de Jean Charlot permet donc de montrer que les partis de masses (PS) ou les partis de cadres (UNR) ont tendance à élargir leur base sociale et programmatique à mesure que leur chance d’accéder au pouvoir augmente. Cette analyse rejoint donc celle de Kirchheimer et de sa notion de parti attrape-tout.

F- La typologie de William Wright

Dans « Comparative Party Models : Rational-efficient and Party Democracy » (1971), William Wright souligne que, du point de vue organisationnel, il est possible de distinguer deux types de partis :

1)- le parti démocratique (Party democracy model) : il met l’accent sur la démocratie interne. Ce parti privilégie l’élaboration d’un projet, contrôle son groupe parlementaire en charge de sa défense et favorise la participation des adhérents. La fonction idéologique l’emporte sur la fonction électorale ou gouvernementale. Son activité est continue et ne se limite pas à la période électorale ;

2)- le parti efficace-rationnel (Rational efficient model) : il met l’accent sur l’efficacité. Ce parti néglige la participation des adhérents et subordonne son organisation au groupe parlementaire. Il est peu centralisé, peu idéologique et recherche l’efficacité électorale au moyen d’un pragmatisme modéré. Son activité est irrégulière et se limite à l’élection.

Section II- Les fonctions des partis politiques

A quoi servent les partis politiques ? Sont-ils vraiment indispensables à la démocratie ? Des auteurs ont proposé des réponses plus ou moins satisfaisantes à ces questions. Nous verrons d’abord celle de Robert King Merton qui postule que les fonctions des partis politiques sont à la fois manifestes (structuration de la vie politique) et latentes (rôle d’assistance) et répondent à des exigences fonctionnelles du système politique (A) ; ensuite nous exposerons celle de Georges Lavau (B) et enfin la synthèse de Dominique Chagnollaud (C).

A- Fonctions manifestes et fonctions latentes des partis selon Merton

Dans Eléments de théorie et de méthode sociologique (1965), le sociologue fonctionnaliste Merton distingue deux types de fonctions :

1) - les fonctions manifestes : elles contribuent à l’ajustement et à l’adaptation du système tout en étant souhaitées par les participants ;

2)- les fonctions latentes : elles ne sont « ni comprises, ni voulues par les participants du système politique ».

a) Les fonctions manifestes sont :

- les fonctions électorale, de contrôle des organes politiques et d’expression des positions politiques (Frank Sorauf, "Political parties and political analysis", 1964) ;

- une fonction de structuration de l’opinion publique (David Apter, The Politics of Modernization, 1965) ;

- les fonctions de socialisation politique et d’agrégation des intérêts (Gabriel Almond et Bengham Powell, Comparative Politics : A Developmental Approach, 1966) ;

- une fonction de structuration du vote (Leon Epstein, Political Parties in Western Democracies, 1967).

b) Pour ce qui est des fonctions latentes analysées par Merton (1965), elles sont surtout valables pour les Etats-Unis lors de la période d’entre-deux guerres. Elles consistent principalement en une fonction

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d’assistance proche du clientélisme : la machine politique permet de rendre des services extra-légaux qui répondent à l’inadéquation des structures sociales conventionnelles (elle peut permettre la mobilité sociale des plus pauvres par exemple). Selon Merton, les partis politiques servent à répondre à des besoins qui, sans eux, resteraient insatisfaits. Pour cela, ils mettent en place des structures, parfois en marge de la légalité, qui ne peuvent être supprimées que si elles sont remplacées par d’autres structures (légales cette fois) qui répondent à ces mêmes besoins.

Merton insiste également sur la figure du « boss ». Celui-ci est l’agent local du parti et sert d’intermédiaire entre les groupes d’affaires et le gouvernement. Il procure des privilèges à une population en échange de leur vote. Cet échange de services, proche de la corruption, est analysé comme une rétribution par Merton : le client rétribue ce boss par un bulletin de vote ou par une aide à la machine politique qu’il représente lors d’une campagne électorale.

B- Fonctions des partis dans les systèmes politiques selon Lavau

Dans son article « Partis et systèmes politiques : interactions et fonctions » (1969), Georges Lavau se livre à une analyse originale qui met en évidence la fonction que jouent les partis politiques – instruments de médiation par excellence – au sein du système politique. Il définit ainsi le système politique : « (…) Un ensemble de processus et de mécanismes destinés à faire converger ou à neutraliser des pluralismes sociaux irrépressibles, et qui, de plus, est organisé de façon telle qu'il permet à ses différents acteurs de proposer des buts contradictoires et de concourir entre eux pour changer l'agencement du système ou pour modifier ses orientations sans faire exploser l'équilibre des pluralismes. »

Selon G. Lavau, il convient d’observer que tous les systèmes n’ont pas les mêmes exigences fonctionnelles, car ces dernières sont encadrées par la volonté des acteurs et par des limites idéologiques. Fondamentalement, un système politique est un mécanisme qui parvient à faire coexister un pluralisme irréductible au sein d’une société. Il en déduit trois fonctions essentielles des partis politiques :

1) - une fonction de légitimation-stabilisation : à différents degrés, les partis politiques légitiment et stabilisent le système politique afin qu’il puisse résister aux tendances centrifuges ;

2)- une fonction tribunitienne : un système politique doit également neutraliser les forces centrifuges en parvenant à les intégrer politiquement. Des partis manifestement opposés au système assurent de manière latente une fonction tribunitienne (à l’image du tribun de la plèbe dans la République romaine).

Dans « A quoi sert le parti communiste français » (1968), Lavau montre que le PCF remplit cette fonction en prenant en charge les revendications des catégories sociales les plus défavorisées afin de leur assurer une représentation. Cette intégration permet de canaliser les virtualités révolutionnaires à condition que le parti bénéficie d'une certaine représentativité capable d'en faire un interlocuteur incontournable. En ce sens, le FN n’a pas de fonction tribunitienne car son électorat est trop différencié socialement ;

3)- la fonction de relève politique : un parti a aussi un rôle critique permettant de proposer une alternative au programme politique mis en œuvre. Certains partis, que Lavau qualifie de « partis anti- systèmes », ont un rôle critique permanent. Ils se rapprochent de la catégorie des partis protestataires qui mettent en avant les causes non traitées par les autorités (écologie, féminisme, immigration). Ils se distinguent des partis gestionnaires qui ont une perspective gouvernementale et qui, pour cette raison, ont un bagage idéologique faible.

C- La synthèse des fonctions des partis selon Chagnollaud

Dans son manuel de Science politique, Dominique Chagnollaud propose une synthèse des fonctions des partis politiques :

a)- celle de la structuration du vote : fonction première et constitutive des partis, elle est reconnue dans la plupart des Constitutions démocratiques. C’est le cas notamment de la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001(art. 4: « Les partis politiques et coalitions de partis politiques concourent à l'expression du suffrage ») ;

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b)- celle d’un « laboratoire d’idées » : fonction de diffusion de l’idéologie du parti, d’alimentation du débat politique, d’élaboration de programmes pouvant contribuer aux politiques publiques et à la formation de l’opinion publique ;

c)- celle du recrutement politique : ils permettent la sélection des candidats et du personnel politique

;

d)- celle de gouvernement : ils participent, voire contrôlent le pouvoir politique et contribuent à l’élaboration des normes ;

e)- celle de socialisation politique : ils contribuent à l’intégration des citoyens dans le système politique ;

f)- celle de médiation et de patronage : ils permettent d’agréger les demandes et de fournir une assistance ou des services aux citoyens ;

g)- celle tribunitienne : ils intègrent les exclus au système politique.

Encadré n° 3 : Frédéric Sawicki, « La science politique et l’étude des partis politiques », dans Cahiers Français, « Découverte de la science politique », n°276, mai-juin 1996, p. 51-59.

Michel Offerlé a récemment proposé un cadre d’analyse plus adapté à la complexité des organisations partisanes en s’appuyant sur une relecture de Weber et sur la théorie bourdieusienne des champs. Dans son optique, un parti doit être analysé non seulement comme une entreprise politique tournée vers la conquête des positions de pouvoir, mais aussi comme un espace de concurrence objectivé entre des agents luttant pour le contrôle des ressources collectives que sont la définition légitime du parti, le droit de parler en son nom, le contrôle des investitures et des moyens de financement. Dans cette perspective, les partis se distinguent selon l’importance de leurs ressources collectives propres (permanents, moyens matériels, notoriété du parti...) et des ressources personnelles de leurs élus et dirigeants ; on retrouverait ici l’opposition idéal-typique entre les partis de masses et les partis de cadres si cette distinction entre «capital collectif» et «capital individuel» ne divisait selon M. Offerlé les élites de chaque parti. Tous les partis voient en effet s’affronter des agents qui doivent tout ou beaucoup au parti et des agents qui disposent d’autres ressources (postes d’élus solidement tenus, clientèles d’obligés, notoriété locale ou nationale, compétence garantie par un diplôme rare, appartenance à un grand corps). Ce genre d’affrontement se retrouve aussi bien sur la scène politique nationale, quand, par exemple dans la course aux postes ministériels, entrent en compétition des hauts fonctionnaires appartenant aux grands corps de l’Etat et des dirigeants ayant fait l’essentiel de leur carrière politique dans l’«appareil» du parti, que sur la scène politique locale quand s’opposent «militants» et «notables» connus par leur profession ou leur appartenance aux vieilles familles de la ville. Mettre l’accent sur la concurrence interne et les ressources différentielles des prétendants dans cette concurrence permet par conséquent une approche plus dynamique des partis et une meilleure compréhension de leurs prises de position. On comprend par exemple mal l’évolution du parti socialiste au cours de ces quinze dernières années, si on ne prend pas en considération, non seulement la baisse du nombre de militants, mais la perte de légitimité interne de la ressource militante par rapport à celle d’élu local, d’ex-ministre ou d’ancien membre d’un cabinet ministériel. Le fait que ce parti apparaisse actuellement comme un parti «attrape-tout» ne tient dès lors pas uniquement à une évolution historique inéluctable, mais à la place prépondérante qu’y occupent actuellement les professionnels de la politique par rapport aux militants politiques ou aux militants d’origine associative ou syndicale. Par comparaison, dans une conjoncture politique analogue (la défaite électorale de 1979), les dirigeants du parti travailliste anglais, sous l’influence de la puissante aile gauche du parti et des représentants syndicaux, avaient au cours des années 80 été contraints d’adopter des positions beaucoup plus «extrémistes» diminuant en cela leurs chances d’un retour rapide au pouvoir.

Chapitre III : Les régimes politiques : démocraties, autoritarismes

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